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›› Politique intérieure

Xi Jinping, entre Mao, Deng Xiaoping et société civile

Le « grand écart » de Xi Jinping

Plutôt qu’un retour du pouvoir personnel ou un durcissement sytématique dont Xi Jinping serait l’initiateur, la réalité, moins manichéeene, renvoie à la volonté du Secrétaire Général d’asseoir le plus largement possible son audience en donnant des gages à toutes les tendances politiques, y compris la faction politiquement très régressive de la « Nouvelle Gauche ». Le retour aux fondamentaux de la pureté maoïste, explique Joseph Fewsmith dans la dernière livraison de China Leadership Monitor (Université de Stanford), signale au minimum une crise morale dans un Parti aujourd’hui peuplé de « fils de princes » dont certains rêvent aussi de plus de discipline et d’une meilleure éthique pour plus d’efficacité, avec en arrière plan le rappel des origines authentiques et idéalisées de la lutte révolutionnaire.

En même temps, Xi Jinping donne des gages aux tenants de la constitution et de l’État de droit. Cette mouvance politique réformiste qu’il a lui-même contribué à promouvoir, s’est récemment exprimée par le nouveau Président de la Cour Suprême Zhou Qiang qui, lors de la session annuelle des Assemblées à Pékin, a annoncé la fin de l’influence des administrations locales sur les juges. Même si on est encore très loin de l’indépendance de la justice, Zhou Qiang a tout de même précisé que, sauf dans les cas politiques sensibles, le politique, y compris la Commission de discipline du Parti n’aura plus son mot à dire pour arrêter les jugements à l’avance.

Priorité à la survie du Parti. Lutte contre la pollution et la corruption

Mais, au Parti chacun a conscience que l’affaiblissement du contrôle de la justice par l’appareil porte en lui les ferments de la remise en cause du « rôle dirigeant du Parti ». C’est pourquoi, sauf à accepter une dérive à la Gorbatchev, un Secrétaire Général soucieux de la pérennité du Régime n’a probablement pas d’autre choix que de tenter le grand écart de la cohésion du Parti entre les techniciens de la finance et des réformes de structures représentés par Li Keqiang et Liu He, les réminiscences populistes de la « Nouvelle Gauche » et les voltigeurs de l’État de Droit qui donnent régulièrement de la voix contre l’arbitraire. Pour éviter l’écueil de l’immobilisme généré par ces contradictions, la machine politique chinoise s’est donc regroupée derrière Xi Jinping autour de la lutte contre deux fléaux liées l’un à l’autre, talons d’Achille de l’appareil : la pollution et la corruption.

Contre ces deux plaies ouvertes qui menacent l’existence même du Parti, le régime a, depuis le 18e Congrès, commencé à appliquer des remèdes drastiques. Ces derniers sont visibles dans les premières mesures assorties des obligations de transparence – une première - appliquées aux industriels pour tenter de corriger la situation catastrophique de l’air des grands centres urbains. Surtout, le Bureau Politique a engagé la plus féroce lutte contre la corruption des responsables depuis la création de la République Populaire avec la mise en accusation et les condamnations d’une exceptionnelle liste de responsables de haut niveau, y compris en s’attaquant au bastion jusque là largement protégé de l’APL et en brisant le tabou d’immunité des membres du Comité Bureau Politique à la retraite.

Les limites politiques de l’exercice

Mais la poursuite de ces campagnes d’épuration menées avec diligence avec Wang Qishan n°6 du CPBP, meilleur allié de Xi Jinping se heurtera assez vite à deux obstacles. Alors que le 10 mars le Parti a encore annoncé la mise en examen de 5 hauts responsables locaux, le soutien des apparatchicks dont les avantages acquis sont désormais menacés pourrait vaciller, d’autant que la tête du régime et Xi Jinping lui-même se sont soustraits à l’obligation de transparence sur leur fortune ou celle de leurs proches.

Quant au levier de l’opinion publique que Wang Qishan manipule pour mettre à jour la culpabilité des cadres, son utilisation par le Parti sur le thème de la probité sent le souffre au moment où à Taïwan les étudiants occupent le Yuan législatif pour protester contre l’absence de transparence du KMT sur le projet de pacte sur les services. C’est bien la raison pour laquelle, inquiet des possibilités de contagion, le Parti se méfie des effervescences politiques agitées par la société civile.

NOTE DE CONTEXTE

Dans une article intitulé « L’ombre de Mao », paru dans China Leadership Monitor, Joseph Fewsmith, professeur de relations internationales à l’université de Boston et expert de la Chine, explique que 37 ans après la mort de Mao, le Parti continue à se battre avec le fantôme du « grand timonier ». Alors que périodiquement des intellectuels tentent de réévaluer positivement son règne, le Bureau Politique s’est toujours refusé à reconsidérer le jugement porté sur Mao après sa mort.

Une fois pour toutes le Parti considéra que le bilan du despote n’était positif qu’à 70%. Cette proportion qui semble confortable aux yeux d’un Occidental, habitué aux sondages serrés, révèle en fait une sévère remise en cause par la haute hiérarchie du Parti. La dernière intervention connue pour bloquer une inversion de ce jugement fut une lettre adressée par Jiang Zemin au Bureau Politique après son départ en 2002, dans laquelle il réaffirmait que les réformes engagées depuis 1978 avaient eu un effet vertueux sur la Chine, tandis que le bilan des 30 années précédentes avaient été mitigé. (Lire notre article Schizophrénie maoïste).

Mais l’analyse et l’évaluation n’ont jamais pris fin, comme si le Parti répugnait à couper le fil de son histoire et à tourner le dos à celui que nombre de Chinois continuent à vénérer pour avoir rétabli la fierté de la Chine et lavé les humiliations infligées au pays après la chute du système dynastique. Dans la plupart des discours politiques, la référence à Mao est toujours présente, y compris dans ceux qui justifiaient la théorie des « trois représentations » de Jiang Zemin, pourtant radicalement opposée au Maoïsme, puisqu’elle ouvrait la porte du Parti aux entrepreneurs capitalistes.

Plus encore, après le 18e Congrès un débat à l’Ecole Centrale du Parti relayé par le magazine Qiu Shi est né autour de l’exigence de ne pas trancher dans le vif des racines de l’histoire du Parti avec des articles qui rejetaient les appréciations négatives sur Mao laissées par les mémoires de Li Zhisui son médecin personnel et par la biographie très iconoclaste de Jun Chang. L’argument repris par le centre de recherches historiques du Parti et publié dans le Quotidien du Peuple renvoyait à la crainte existentielle du Régime d’avoir un jour à subir le sort de l’URSS. « La raison essentielle de la chute de l’Union Soviétique fut la négation de l’histoire du Parti Communiste de l’Union Soviétique, de Lénine ainsi que des autres figures du Parti, accompagnée par un nihilisme historique qui installa la confusion dans l’esprit des populations ».

Ce jugement débouche logiquement sur le rejet en bloc de la démocratie à l’Occidentale, de la primauté de la Constitution et de l’indépendance de la justice, auxquelles le Parti préfère le « socialisme aux caractéristiques chinoises », qui prône « le rôle dirigeant du Parti ». Mais parallèlement à ces prises de positions, l’Ecole Centrale a également laissé s’exprimer les idées des défenseurs d’un État de droit. En juillet 2013, publié par le « Study Times », un article faisait l’apologie de la citoyenneté et de la société civile, parties prenantes du pouvoir politique et mettait en exergue les avantages du respect de la constitution, véritable fondement du nouveau « rêve chinois ».

Depuis son accession au pouvoir Xi Jinping a navigué entre ces deux extrêmes. Pour répondre aux principales critiques adressées à la Chine sur le caractère encore rétrograde de son État de droit et réaffirmer les intentions réformistes du nouveau secrétaire général, le 12 décembre 2012, le Quotidien du Peuple, qui prenait prétexte d’un discours de Xi Jinping à l’occasion du 30e anniversaire de la constitution de 1982, publiait en première page une revue critique des lacunes du droit en Chine.

A cette occasion il reprenait une phrase du discours Secrétaire Général : « une constitution qui n’était pas appliquée n’est qu’un « bout de papier, sans vie et sans autorité ». En préambule le journal rappelait que l’efficacité des institutions résidait d’abord, comme l’avait souligné le rapport du 18e Congrès, dans l’équilibre des contre pouvoirs et dans le fait qu’aucun groupe, ni aucun individu n’était au-dessus des lois, et que personne n’était autorisé à la manipuler, par ses paroles ou ses actions.

Mais deux semaines plus tard, Xi Jinping, s’adressant à un séminaire organisé à l’occasion du 120e anniversaire de la naissance de Mao, proposa une synthèse entre les 30 premières années de la République Populaire et la période qui suivit, sous l’égide de Deng Xiaoping : « Notre expérience socialiste avant la réforme, qu’elle soit positive ou négative, a permis au Parti de se confronter à la réalité. Elle a établi la plateforme à partir de laquelle nous avons construit le futur d’une nouvelle période historique. Sans les succès idéologiques, institutionnels et pratiques accumulés au cours de cette période, l’ouverture n’aurait pu avoir lieu sans heurts ».

Le 5 janvier 2013, s’adressant au nouveau Comité Central, il précisait sa pensée à propos des « deux périodes » de la République Populaire, avant et après mort de Mao. « Même si ces deux phases étaient sous-tendues par deux orientations politiques différentes avec d’importants contrastes dans la manière de construire le socialisme, elles ne peuvent pas être dissociées ». Il ajoutait que les deux périodes n’étaient pas en opposition, mais complémentaires : « il n’est pas possible de se servir de l’une pour nier l’autre ».

Après l’incident du Nanfang Zhoumou à Canton où, le 3 janvier 2013, la Commission de propagande avait censuré l’éditorial du journal qui appelait au respect de la Constitution, provoquant une semaine de conflit ponctuée par une grève des journalistes, le secrétariat du Comité Central publia la « directive n°9 » destinée à préciser la ligne idéologique du régime sur cette question qui, en substance, répétait les termes du discours du 5 janvier du secrétaire général : Nier la période maoïste revient à menacer l’existence du Parti.


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