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›› Lectures et opinions

La France peut-elle faire cavalier seul en Chine ?

Si on observe les relations franco-chinoises depuis le XVIIIe siècle, quand Voltaire prenait la défense de la Chine contre le Vatican dans la querelle des rites et que le Français Abel Remusat créait la sinologie moderne, on constate qu’elles sont à la fois inconstantes et passionnées. Leur style, souvent emphatique, dominé par des échanges culturels et d’incessants étonnements réciproques, parfois forcés, dépasse le cadre des relations normales entre deux pays aussi éloignés culturellement et géographiquement.

La lune de miel actuelle (selon la presse chinoise elle-même), n’échappe pas à cette règle où le sentiment, parfois la dithyrambe, constituent le fond de tableau des années croisées (que les Chinois ont baptisé « les années culturelles »). C’est dans ce climat idyllique que c’est déroulé il y a un mois, le dernier voyage en Chine du Président de la République qui, depuis son entrée en fonction en 1995, en est déjà à son troisième périple dans le vieil Empire du Milieu.

Après la brouille des années 1989-1994 marquées par l’embargo européen sur les ventes d’armes sanctionnant la répression de Tian An Men à l’initiative de Paris et le camouflet stratégique de la vente des armes à Taiwan par la France, J. Chirac, féru de civilisation chinoise et de sinologie, renouait donc avec une tradition ancienne.

Cette réconciliation, ponctuée par plus d’initiatives françaises que chinoises, a depuis 2000, été jalonnée par la relance du partenariat stratégique initié en 1996, mais dont la substance était restée fort mince. Cette fois Paris a joué une carte maîtresse en proposant à Pékin de peser dans les instances de l’Union européenne pour mettre fin à l’embargo européen sur les ventes d’armes. Dans cette action la France a reçu le soutien de Javier Solana et de Gerardt Schroeder. Comme Jacques Chirac, ces derniers pensent que les sanctions sont anachroniques et que le rêve déjà très hypothétique d’un « monde multipolaire, organisé autour d’un droit international reconnu de tous » aura encore moins de chances de voir le jour avec une Chine ostracisée et frappée de sanctions qui la ravalent au rang du Soudan, de la Birmanie ou du Zimbabwe.

En caracolant ainsi très en avant de ses partenaires européens, et une nouvelle fois en complet désaccord avec Washington, la France espère bien recueillir quelques dividendes. Au plan stratégique d’abord la controverse lui permet à nouveau de jouer ce rôle de pionnier dans les relations internationales qu’elle affectionne. Au XVIIIe siècle, elle avait ouvert le chemin des relations culturelles avec l’Orient Extrême, au XXe siècle le Général de Gaulle avait brisé le tabou de la pensée unique et du « containment » de la Chine, imposé par Washington. C’est dans cette ligne que se place aujourd’hui Jacques Chirac : celle d’une France qui ouvre les portes de la réconciliation pour sortir du cul de sac de la guerre froide, dans lequel une partie de l’Occident continue de vouloir confiner la Chine.

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Mais la stratégie du pionnier est aussi celle des affaires. Certains en privé se félicitent en effet de la moisson de 4 milliards d’euros récoltée lors du dernier voyage présidentiel, interprétée comme une première manifestation de la gratitude chinoise. D’autres, plus importants encore, pourraient venir (TGV Pékin - Shanghaï, Centrales nucléaires, Airbus A 380) si l’embargo était levé.

Le pari est cependant risqué car rien n’indique pour l’instant que les 25 Etats membres de l’UE soient sur la même ligne que la France et l’Allemagne. Beaucoup en Europe du Nord et à l’Est sont au contraire calés sur Washington qui répète que les ventes d’armes européennes déstabiliseraient la situation dans le détroit de Taiwan, dont les Américains s’estiment les gardiens, et augmenteraient les risques encourrus par l’US Army en cas de conflit.

Ces blocages qui sont autant d’incertitudes mesurent la fragilité des promesses faites par la France. Celle-ci ayant peut-être imprudemment laissé s’instiller chez les dirigeants chinois, qui comprennent mal le fonctionnement consensuel de l’Europe et évaluent difficilement la capacité de pression de Washington, l’idée que notre influence en Europe était plus forte jadis qu’elle ne l’est en réalité maintenant. Dans ce contexte le risque existe que les frustrations chinoises nées des espoirs déçus incitent Pékin à reconsidérer les contrats avec la France avec plus de distance, le ressentiment en plus.

Enfermée par une relation passionnelle, aujourd’hui portée par une vision stratégique de recomposition de l’ordre mondial qui prend le contrepied des stratégies américaines, l’amitié franco-chinoise, on le voit, gagnerait à plus de constance et de pragmatisme.

Puissance mondiale en devenir, membre permanent du Conseil de sécurité, de plus en plus influent et de plus en plus écouté, la Chine est, par le dynamisme et la puissance parfois désordonnée de sa croissance, placée au centre des grands problèmes, stratégiques, économiques, énergétiques et d’environnement de la planète. Il est probablement illusoire de vouloir construire un ordre mondial équilibré en la tenant à l’écart.

Au-delà de la question technique des sanctions, l’embargo pose donc la question des relations stratégiques des Etats-Unis et de l’Europe avec la Chine et de la place de cette dernière dans l’ordre du monde, dont à ce jour personne n’a sérieusement débattu. 15 ans après la décision d’appliquer les sanctions à la Chine, le moment est peut-être venu d’initier cette réflexion entre les Etats membres de l’UE et Washington.

 

 

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