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›› Chronique

Variations sur le thème d’une catastrophe annoncée

A l’égard des accidents industriels, nombre des Chinois réagissent avec un sentiment de fatalisme désarmant. Ainsi, l’explosion survenue à Jilin le dimanche 13 novembre dernier, vers 13 heures 30, dans l’usine Shuangben (littéralement « double benzène ») n’a suscité durant une semaine aucune réaction, ni dans la presse, ni dans les médias audiovisuels. Une centaine de tonnes de benzène se sont ainsi déversées dans le fleuve Songhua, formant une nappe de pollution longue de 80 kilomètres.

Sept jours plus tard, les rumeurs d’une catastrophe imminente se faisaient insistantes à Harbin, une grande ville de plus de 9 millions d’habitants. On y parlait d’un possible séisme dans la région, rapidement démenti par la presse. Le lendemain (lundi 21 novembre), la mairie annonçait l’interruption de la distribution d’eau courante à partir du mardi 22, officiellement en raison de la « maintenance des canalisations ».

Ce n’est que le mardi 22 novembre au soir que l’on apprenait la pollution totale du fleuve. Privés d’eau courante, les habitants se précipitaient pour acheter de l’eau minérale dans les magasins. Les plus pessimistes songeaient carrément à quitter la ville. Les médias étaient priés d’accorder leurs voix sur celle de l’Agence Xinhua, seul organe autorisé à diffuser de rares informations sur l’événement.

A partir du 23, seules les nouvelles rassurantes étaient diffusées dans la presse chinoise : des centaines de tonnes d’eau potable étaient acheminées vers Harbin pour couvrir les besoins de la population ; une grande quantité de carbone actif était également transportée vers différentes stations d’épuration afin de diminuer le taux de benzène dans le fleuve. Il n’y eut, en revanche, aucun mot sur l’origine de l’accident, sur l’ampleur de la pollution et sur l’absence de réaction entre l’explosion initiale et l’arrêt de la distribution d’eau courante. Aucune mention n’était faite de l’état de la pollution en amont. Avant d’atteindre Harbin, en effet, la nappe polluante avait bien parcouru en 8 jours plus de 200 kilomètres dans le fleuve, dans un silence assourdissant.

La nouvelle a fait le tour du monde en 24 heures. La pollution du fleuve Songhua allait créer un incident diplomatique car la nappe de benzène atteint maintenant la Russie via l’Amour dans lequel se jette le Songhua. Côté russe, pas de réaction officielle mais les habitants de Khabarovsk commençaient à stocker l’eau potable chez eux avec les moyens du bord : seaux, baignoires et autres bidons... Ce n’est que le samedi 26 que l’ambassadeur russe à Pékin fut reçu par M. Li Zhaoxing, ministre des Affaires étrangères, qui promettait de fournir une aide technique à la Russie dans les travaux de dépollution.

Le 1er décembre, M. XIE Zhenhua, directeur de l’Agence nationale de protection d’environnement, a donné sa démission : le gouvernement central a ainsi implicitement reconnu ses responsabilités dans cette catastrophe écologique. C’était le premier fusible qui sautait. Il sera suivi d’autres. 5 jours plus tard, M. Wang Wei, maire adjoint de Jilin chargé des questions de sécurité, s’est pendu chez lui, à la veille d’une réunion d’enquête organisée par une commission spécialement dépêchée depuis Pékin.

Il est sans doute exagéré de parler d’un Tchernobyl à la chinoise, bien que l’on connaisse encore mal toute l’étendue des dégâts. Cette catastrophe écologique a touché un point sensible de la société, à savoir la sécurité sanitaire d’une grande masse de population. Les Chinois peuvent tolérer de dizaines de morts à chaque accident minier lorsqu’ils ne sont pas personnellement impliqués. Il n’en va pas de même si des millions de citadins se trouvent un jour intoxiqués à cause d’une pollution d’eau ou d’air. Ils s’interrogeront alors sur le modèle de cette croissance économique qui méprise la vie humaine, sur l’opacité du régime politique et enfin, sur les conditions de leur existence. Les autorités auront à faire à un mécontentement diffus, susceptible de se transformer un jour en explosion de violence. Des signes avant-coureurs sont déjà présents et il faut être aveugle pour ne pas l’apercevoir.

 

 

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