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Chine-Corée du Nord : l’espace et le temps

« L’espace est le champ de la puissance des hommes, le temps celui de leur impuissance ». (Spinoza)

Selon une dépêche de l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, qui cite une source anonyme des services de renseignement sud-coréens, l’énigmatique dirigeant nord-coréen Kim Jong Il se serait récemment secrètement rendu en Chine. Comme à son habitude il aurait voyagé à bord de son train spécial fermé et lourdement gardé, ce qui donne à l’épisode un parfum de guerre froide, rappelant les vieux romans d’espionnage des années 50. Ni Pékin, ni bien sûr Pyongyang n’ont confirmé l’information.

Au XXIe siècle, alors que même la Chine s’exerce à la transparence, il y a dans ces déplacements secrets en train - ce serait le quatrième en 5 ans -, quelque chose d’exotique, de suranné et de pathétique. Ils illustrent d’abord à quel point l’horizon du maître de Pyongyang s’est rétréci, entre son pays devenu un cul-de-sac idéologique et économique, ouvert seulement à cette unique option de voyage par le cordon ombilical chinois. Le moins que l’on puisse dire est que, s’il s’agissait de tirer le pays de son désastre économique, ce rituel secret d’un autre âge n’est pas de nature à rassurer les investisseurs potentiels. On ne sait d’ailleurs pas très bien si ces équipées ferroviaires de l’ombre sont une initiative du « Cher Dirigeant » ou une réponse à une invitation - certains disent une convocation - de Pékin. Le fait est que ces cachoteries génèrent un malaise comparable à celui créé par les conversations à voix basse dans la chambre d’hôpital d’un moribond.

Peut-on encore parier sur un assouplissement du régime alors que la plupart des expériences ont échoué, tuées dans l’oeuf par la paranoïa sécuritaire de la RPDC ? Quelle est la capacité de durée du pouvoir ? Est-il possible, voire souhaitable de hâter sa chute ? La question n’est pas anodine : au retour du troisième voyage de ce type en Chine, le 22 avril 2004, neuf heures seulement après le passage du train de Kim Jong Il, 150 personnes avaient été tuées et 1000 autres blessées par une violente explosion. La ville de Ryongchon, située sur l’itinéraire du convoi présidentiel avait été partiellement détruite. Pure coïncidence ou attentat manqué ?

Même si l’hypothèse est difficile à valider, la catastrophe avait induit un sentiment d’urgence au sein de la direction chinoise, d’autant que Pyongyang avait repris en 2002 son chantage aux armes atomiques, laissant planer la menace d’une prolifération nucléaire en Corée du Sud et au Japon, perspective cauchemardesque pour Pékin. A l’heure de la modernisation rapide, de la conquête de l’espace et des innovations high-tech, dont se glorifie le vieil Empire du Milieu, la survivance dans sa proximité immédiate de cet allié historique insolite, discrédité mais dangereux, économiquement ruiné, tenant d’une idéologie moribonde qui affame sa population, est devenue un anachronisme encombrant. Il est vrai que les conservateurs chinois voient toujours dans la turbulente Corée du Nord un levier de manoeuvre utilisable par Pékin pour faire pression sur Washington et Tokyo.

Mais beaucoup, dans la jeune génération, pensent qu’au fond le jeu n’en vaut plus la chandelle et que les risques posés par les chantages de Pyongyang sont une menace pour la sécurité et l’équilibre de la zone, qui justifie les changements de posture militaire du Japon, consolide les alliances militaires entre Washington, Tokyo et Séoul et perturbe la stratégie régionale de la Chine.

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Tout indique en effet que les successeurs de Mao, qui avaient déjà abandonné les schémas de la guerre froide en se rapprochant de Washington en 1972 et 1979, puis en reconnaissant la Corée du sud en 1992, aimeraient aussi tourner définitivement la page des idéologies, des slogans xénophobes et de la guerre de Corée, que Pyongyang ressasse indéfiniment, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut une catastrophe stratégique pour la Chine. Ce conflit, qui n’est toujours pas formellement réglé, puisque la situation actuelle est encore régie par l’armistice de 1953, a en effet causé des pertes immenses à l’armée chinoise, détourné Mao Ze Dong de la reconquête de Taiwan et initié une présence militaire américaine de plus de 70 000 hommes aux portes même de la Chine, en Corée du Sud et au Japon.

Mais alors comment s’y prendre quand, à Pékin, on ne veut pas donner le sentiment d’un lâchage et encore moins celui d’un coup d’état à l’américaine piloté à distance. Sans compter que brusquer la chute pourrait déboucher sur un chaos difficile à contrôler, générant une situation pas forcément à l’avantage de Pékin, dont l’ONU et les Etats-Unis pourraient tirer avantage.

A bien des égards et malgré les espoirs récurrents, toujours déçus, d’une ouverture progressive du régime, la situation est celle d’un cul-de-sac. Comme la plupart des observateurs sérieux, les dirigeants chinois ont aujourd’hui compris que le régime carcéral, répressif et rigide de Kim Jong Il est un repoussoir pour les investisseurs, tandis que les conditions d’une renaissance économique sont loin d’être réunies. Vue sous l’angle stratégique, les progrès des pourparlers à six, que la Chine porte à bout de bras, restent minces, gênés par les incessantes volte face de Pyongyang et l’attitude inflexible de Washington, qui refuse de donner à la Corée du Nord les garanties de sécurité qu’elle réclame. Dans ce contexte, il est probable que Pékin, qui joue toujours avec application son rôle de médiateur, n’écarte plus la possibilité d’un accident interne.

L’aide économique qu’elle prodigue est à peine plus qu’une assistance de survie, visant à empêcher un raidissement irréparable, ses efforts pour les négociations à six, une stratégie pour internationaliser la question et une façon de gagner du temps en restant dans le jeu. L’essentiel des marchandages, toujours décevants, est conduit, sans véritable concession, par Washington. Sa nouvelle politique, bien plus souple à l’égard des nombreux fugitifs de toutes les catégories sociales, une manière de se désolidariser implicitement du régime de Kim Jong Il, qui continue, comme au temps de la guerre froide, de réclamer le renvoi des défecteurs.

Enfin il serait étonnant que la Chine, qui depuis près de 10 ans, s’est de plus en plus investie dans les opérations de maintien de la paix en Asie du Sud-Est et en Afrique, n’ait pas commencé à planifier sa participation à une opération internationale en Corée du Nord, commanditée par l’ONU pour maîtriser une situation devenue chaotique. A l’été 2005, un journaliste russe avait même indiqué que l’un des thèmes des manoeuvres sino-russes, organisées dans le Shandong était précisément de préparer une intervention conjointe en Corée du Nord, dans le cadre de l’ONU.

Même si elle ne dit rien de l’avenir du régime nord-coréen, à qui de nombreux observateurs continuent de prédire une étonnante longévité, cette hypothèse, tenue secrète par nécessité diplomatique autant que stratégique, tient du principe de précaution. Elle est vraisemblable. Mais contrairement aux Occidentaux, sachant que « le temps est le champ de l’impuissance des hommes », la Chine ne se pose pas la question du moment, s’efforçant seulement de maîtriser la situation dans son espace stratégique.

Compte tenu des turbulences nord-coréennes et des impatiences américaines, c’est déjà beaucoup.

 

 

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