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Pékin ce n’est pas de la tarte

AVERTISSEMENT

Lorsqu’un roman met en scène un petit village de l’Ardèche, c’est fatal : l’épicier pense que l’on parle de lui quand quelqu’un s’en va faire ses courses, et le garagiste s’imagine que c’est bien lui qui est mis en scène si la voiture du héros tombe en panne... Je ne vous parle pas du Maire et du Curé qui regrettent de ne pas avoir un rôle plus important...

La communauté française de Chine est pareille à un petit village. Alors tant pis pour ceux qui voudront contre vents et marées se reconnaître dans les lignes qui vont suivre ! Je suis désolé pour eux, mais toute l’histoire qui va suivre est fictive. Aucun des dialogues qui la parsèment ni aucune des actions qui en constituent la trame, ne sont le fait de personnes occupant ou ayant occupé des fonctions similaires à celles jouées par les personnages de ce roman.

Qu’on se le dise et qu’on se le répète.

En guise de prologue...

Vous allez me dire que mon prologue n’a rien à voir avec les événements qui vont suivre et qui ont émaillé mon dernier séjour en Chine. J’en conviens, mais comment vous planter le décor et vous décrire en quelques mots l’ambiance d’une Chine qui brûle de tous ses feux, faite de bruit, de cris, d’égoïsme, de fureur, de néons criards, de millions que l’on se jette à la face, de misère, de clinquant et d’espoirs...

Je vais donc vous faire le coup du film de vacances que l’on regarde avec un intérêt plus ou moins feint pour ne pas vexer ses hôtes ; Je ne vous ai rapporté qu’une courte séquence, une mince tranche d’une vie de ce pays qui en regorge au point de ne plus pouvoir savoir quoi dire lorsque quelque impudent vous demande comment s’est passé votre séjour... Parce que la Chine refuse de se laisser raconter ; Elle préfère vous noyer sous un flot d’impressions qui vous saturent.

J’aurai pu vous ramener un film sur le Temple du Ciel mais il était en réfection, emmitouflé sous plusieurs couches d’échafaudages... Ou une autre vue de la colline du Charbon ; Pas de chance, elle aussi était sous les échafaudages... Faut vous dire qu’ils sont en train de nous restaurer Pékin en vue des prochains jeux olympiques... Et puis les sites touristiques sont tellement filmés qu’on arrive presque à se demander si on les a pas déjà vu lorsqu’on arrive devant...

Vous n’aurez donc droit qu’à une scène de rue... On était en planque, dans un des hutongs du quartier de Sanlitun. Ça s’est passé à quelques mètres de nous... Mimille était à côté de moi. Mimille est un collègue qui ne connaît la Chine qu’à moitié : Les femmes. Ne riez pas ! Sur cette moitié là, il est incollable ou toujours collé... Cela dépend du point de vue qu’on prend...

Une fois ce décor planté et si vous en voulez encore, je vous raconterai les diverses péripéties qui ont épicé mon dernier passage dans l’Empire du Milieu... Mais cela sera une autre histoire...

On les a vus arriver de loin ; Arc-bouté sur son guidon, tous les muscles saillants, l’homme poussait de tout son poids sur les pédales de son triporteur. Il n’avait plus d’âge. Les années, les intempéries, les coups du sort lui avaient buriné les traits d’une patine de misère où les rides ne comptaient pas les années mais la peine, la sueur et les humiliations. Il était vêtu d’un short de toile trop large pour son corps émacié et chaussé de sandales usées en semelle de corde. Il transpirait abondamment, faufilant son tricycle au milieu de la circulation dense et bruyante de la ruelle et des coups de klaxons rageurs. Son torse nu était strié de fines rigoles de sueur luisante qui venaient renforcer ses muscles maigres et saillants. Il semblait sortir tout droit de ces anciennes fumeries d’opium hantées de spectres hagards.

« Putaing ! Il est mal barré, celui-là ! » A seulement marmonné Mimille quand il est passé à ras de notre camionnette...

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Il avait entassé, sur sa plate-forme brinquebalante, des portes défoncées et des fenêtres arrachées, récoltées sur un des nombreux chantiers de démolition qui labouraient des pans entiers de la ville. Les roues de son attelage paraissaient frêles et fragiles sous le poids démesuré de son chargement qui le dépassait de deux fois sa hauteur, menaçant de s’écraser sur l’asphalte à chaque cahot de la route. Un énorme sac de bidons en plastique usagés pendait sur le côté, rythmant sa course d’un balancement lugubre.

Sa femme marchait derrière, accolée à la cargaison, qu’elle contrôlait et poussait à la fois. Elle avait fui sa campagne ; Son teint cuivré suffisait à la différencier des autres citadines. Ses bras tannés par le soleil émergeaient d’une robe de toile rêche grossièrement découpée ; Ses traits étaient fins et contrastaient avec les callosités de ses mains rugueuses. Derrière elle un tout petit garçon en guenilles la tenait par la robe, en suivant le convoi, l’air absent, absorbé par la danse des lanières de feuilles de magazines en papier glacé qu’il agitait au vent.

Le spectacle ne semblait pas émouvoir la foule ; Le peu de valeur du fret indiquait pourtant clairement à quel prix se bradait le travail humain. Mais personne, à part nous, ne prêtait attention à cet équipage dérisoire sur lequel les regards glissaient sans voir. Seuls les coups d’avertisseurs outrés des véhicules obligés de ralentir ou les sonneries nerveuses de quelques rares cyclistes plus pressés que la moyenne du flot apathique, parvenaient à nous faire croire à l’existence, autrement transparente, de ce vaisseau fantôme.

C’est juste à quelques mètres devant nous, qu’une BMW blanche, de cylindrée puissante, se rabattit sèchement pour éviter un vélo suicidaire, venant à sa rencontre ; Un cycliste acrobate, déséquilibré par une grande horloge à balancier ficelée sur son porte-bagages et par les trois poulets vivants ligotés à son guidon, venait, pour éviter le trou béant d’une plaque d’égout manquante, de se jeter devant les roues de la voiture, contraignant cette dernière à ce brusque coup de volant.

Surpris et emporté par l’inertie de son chargement, le tricycle, malgré tous ses efforts, ne parvint pas à éviter la berline et grava une mince estafilade sur le vernis brillant de la portière avant.

Le conducteur s’extirpa de la voiture, l’air mauvais, accompagné d’un acolyte gracieux comme un crotale dont on aurait écrasé la queue. Ils contemplèrent longuement les dégâts, touchant la plaie du doigt puis reculant pour mieux en diagnostiquer la gravité, hochant la tête et soupirant bruyamment et jetant des regards mauvais au conducteur du triporteur qui, de son côté, pour ne pas être en reste, inspectait le bois vermoulu de sa plate-forme et le parallélisme non-euclidien de ses roues de guingois...

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Une troupe de curieux qui grossissait de seconde en seconde, faisait cercle autour d’eux tandis que de part et d’autre de l’accident deux longues files de voitures commençaient déjà à s’allonger dans un concert d’avertisseurs.

La dispute éclata soudain, charriant un flot de cris, de menaces, d’injures, sur le thème mille fois joué du retenez-moi-ou-je-vais-le-buter ! Chacun répétait sa partition à merveille, sans même se soucier des arguments de l’autre. Notre homme prenait la foule à témoin, expliquant comment la voiture lui avait barré la route... De son côté, le conducteur agonisait d’injures ces rustres qui ne faisaient pas de différence entre un chariot à détritus et une voiture à plus de cent mille dollars... Un policier débonnaire, surgi de nulle part, écoutait distraitement les doléances des uns et des autres, sans s’occuper le moins du monde de la fluidité du trafic.

L’auditoire jouissait en silence du spectacle, sous une neutralité de rigueur, se gardant bien de prendre parti... La femme était venue au secours de son mari et se déchaînait, renforçant l’intérêt de la foule pour ce remake du pot de terre contre le pot de fer. Histoire de compléter ce tableau idyllique, un taxi remontait en double file une des colonnes de véhicules immobilisés, menaçant de bloquer irrémédiablement la ruelle et de rendre encore plus inextricable la solution de ce conflit...

Le ton continuait de monter. Le policier, pourtant grassouillet, ne faisait plus qu’une mince tranche de viande, pris en sandwich entre les deux parties qui le pressaient, prêtes à en venir aux mains.

Un troisième homme sortit alors à moitié de la limousine. Ses sbires se figèrent dans une posture de respect qui entraîna immédiatement une trêve au conflit, faute de combattants. Il était assez jeune, à peine la quarantaine. Son regard se cachait sous une paire de Ray Ban aux reflets bleutés. Les lunettes conservaient une minuscule étiquette d’authenticité collée sur l’un des verres, tandis que le costume beige clair, taillé sur mesure, arborait sur la manche le nom d’un illustre couturier. Malgré la chaleur torride, une légère écharpe blanche le protégeait du froid de l’air conditionné.

Il aboya un ordre bref, pointant le tricycle d’une main alourdie d’une énorme chevalière et d’une imposante Rolex en or massif.

Le cycliste baissa la tête. La main qui le condamnait pesait déjà plus lourd que toute sa vie de labeur.

La plaisanterie était terminée. L’un des sbires repoussa sans ménagement le triporteur sur le côté de la ruelle, tandis que l’autre, d’un geste gratuit et rageur, éventra le sac de bidons en plastique qui se répandirent sur la chaussée. Je retins Mimille qui voulait absolument sortir pour leur filer un coup de boule... Ces gens n’avaient pas l’air commode et nous étions en mission...

Les trois hommes remontèrent dans leur véhicule, sous la mystérieuse protection de leurs vitres en verre fumé. La foule, toujours aussi silencieuse se dispersa lentement, lisse, neutre, sans le moindre sentiment apparent...

L’homme et la femme ramassèrent leurs biens dérisoires, réparant le fragile équilibre de leur attirail. L’homme ré-enfourcha son engin et pesant de tout poids sur son pédalier, redémarra lentement vers son destin. Sa colère était tombée. Son visage, impassible, grimaça au rythme de ses efforts. Sa femme suivait derrière, veillant sur un chargement un peu plus déstabilisé. Le tout-petit faisait de nouveau flotter ses papiers au vent, agrippé aux pans de la robe de sa mère.

Au dessus d’eux, dans un grand cadre, sur un panneau délavé et craquelant, Deng Xiaoping leur souriait...

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CHAPITRE I

La Voie est par-delà les montagnes,
Son tracé s’estompe dans la brume céleste.

(Propos creux pouvant très bien passer pour un poème chinois)

C’était la deuxième fois de la semaine que je gravissais ce versant de montagne. Pour être plus précis, c’était la première fois que j’y suais sang et eau : la précédente escalade, je l’avais faite en 4x4, manière tout de même plus catholique d’attaquer une montagne presque sacrée. Mais cette fois-ci, je voulais prendre le temps de méditer et de réfléchir et puis, à dire vrai, j’avais un paquet de calories à perdre car, depuis huit jours, je n’étais pas en carême...

Mais, je vais essayer de vous remettre tout ça dans l’ordre, sinon, je sens que vous allez avoir des difficultés à suivre... Pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je m’appelle Delamarne. Je suis né dans un petit village « qu’a un nom pas du tout commun... » aurait chanté François Béranger -Mais qui chante encore François Béranger ?-, mais je m’égare encore dans des digressions inopportunes... Je vais vous le faire court : je suis né dans l’Ardèche et dans la dèche, et maintenant je travaille au Ministère de l’Intérieur et côté pognon, ça va un peu mieux...

Vous me direz qu’il y a une petite abstraction d’une quarantaine d’années dans mon CV, entre la dèche et le maintenant... C’est vrai, mais je vois bien que vous êtes trop curieux et que vous aimeriez savoir ce que j’ai pu faire pendant ce laps de temps... Mais chut ! Pas de ça Lisette ! C’est couvert en partie par le Secret Défense, parfois même par le Secret d’Etat et pour le reste, c’est surtout interdit par la censure et les règles de la bienséance... Je ne vous avouerai donc que mon dernier emploi, en forme de reclassement honorable pour services tordus à ma mère-patrie, ou à mon père-matrie parce que pour moi ça marche dans les deux sens, vu que mes deux parents étaient tous les deux Ardéchois au cœur fidèle... Je travaille désormais Place Beauvau, chez les rois du clavier à deux doigts, car même avec l’arrivée des ordinateurs modernes, on n’a toujours pas réussi à utiliser les huit autres... Concerto pour deux phalanges, pour dactylo-alpiniste de l’Annapurna.

Les années précédentes, j’avais surtout œuvré à l’Extérieur... Avec des missions du genre « Tu m’en as tué un, je t’en tue un... Tu continues, je continue... » Des trucs de gosses quoi ! Le genre de profession où, si tu as un copain qui ne fait pas gaffe et qui tombe du quatrième étage en fumant son cigare, t’as bien une bonne dizaine de morts qui suivent avant qu’on se demande s’il s’agissait ou non d’un accident... Des trucs marrants, quoi ! Remarquez bien que pour mon copain, je vous mentirais si je vous disais que je pense que c’était un accident... Je crois même que je vous mentirais si je vous disais que j’ai rencontré un seul mec qui croyait que c’était un accident... Tomber d’un quatrième étage sous prétexte que votre cigare est gros, ça fait tout juste à peine crédible... Accident qu’ils ont dit... De temps en temps, je relis les conclusions de l’enquête, histoire de me remonter le moral et de rigoler...

Mais, le problème, c’est que passé quarante berges dans ce métier, on s’essouffle, et passé la cinquantaine faut laisser cicatriser, comme ils disent... Alors, ne pouvant plus rester au service Actions, je pense à mes blessures, chez l’ICPO, plus connu sous le nom d’INTERPOL. Chez eux... ? Pas tout à fait, car les gens d’INTERPOL n’appréciant que moyennement de servir de poubelle aux tordus de mon espèce, se sont dépêchés de me trouver un poste de coordination avec le ministère, à Paris, plutôt que de me garder à Lyon, prétextant que, comme, je parle le chinois et que je continue à donner quelques cours de chinois aux Langues Ô, histoire de passer du bon temps, je suis bien mieux à Lutèce que dans la capitale des Gaules. Bref, ils ne voulaient pas de moi à Lyon et moi, ça me plaît de rester à Paris...

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Tout avait donc commencé deux semaines auparavant. J’avais les deux pieds sur mon bureau, à ras de mon gobelet de café fumant, dans la position du travailleur pensif. Je venais de finir la lecture du Herald, de Gala et de Libé et je m’apprêtais à retourner à ma note sur les problèmes de connexions de la Chine au réseau I-24/7, en me disant qu’il me faudrait bientôt reprendre mon bâton de pèlerin pour repartir à Pékin. Mais j’avais un problème qui tenait de la quadrature du cercle : il me restait pas mal de boulot à finir, soit... Mais il me fallait également utiliser mon reliquat de vacances avant l’été, et mon stock de RTT frôlait la limite de tolérance imposée par l’Inspection du Travail. Et par-dessus tout ça -aurait chanté Bécaud avec l’accent qui se promène... Mais qui chante encore Bécaud ?- il me fallait trouver un remplaçant pour mes cours à Dauphine... La situation était critique et requérait une solution énergique. J’avais donc reposé mon dossier I-24/7 et je m’étais replongé dans le calcul de mes RTT...

C’est à cet instant imprécis que mes méditations profondes furent intempestivement interrompues par la sonnerie agressive du bigophone des années cinquante qui répondait sur ma ligne directe.

Cette sonnerie avait la délicatesse d’une alarme de pompier et l’appareil, la silhouette gracile d’un héron amputé des deux pattes... Mais j’avais hérité de cette antiquité lors de mon entrée au ministère, manière de me bizuter afin de me faire comprendre que les derniers arrivés, surtout quand ils n’appartenaient pas directement au service central, ne pouvaient pas prétendre aux meilleurs équipements...

Depuis, les gens du Ministère m’avaient adopté et s’efforçaient, dès qu’ils le pouvaient, d’effacer les traces de leur ancienne mesquinerie en me proposant régulièrement de nouveaux appareils tous plus modernes les uns que les autres, avec reconnaissance du numéro d’appel entrant, conférence call et tous les gadgets capables de vous rendre la vie complètement impossible. Ma lutte pour garder cette pièce de musée était un combat incessant ; il se passait rarement un jour sans qu’un employé zélé du ministère ne vienne tenter un hold-up discret. J’étais donc obligé de rester perpétuellement sur mes gardes et de prendre des précautions appropriées en l’enfermant dans un tiroir tous les week-ends ou durant mes déplacements, de peur de trouver sur mon bureau, à mon retour, un de ces trucs hyper technologiques, couverts d’acné électronique et complètement déshumanisés...

Je pestai intérieurement contre l’importun qui venait troubler mes réflexions, décrochai le combiné de sa fourche belle époque et tombai sur André, le maire d’Espelette qui me proposa, de but en blanc, de l’accompagner, toute affaire cessante, en Chine, où il devait rejoindre Dulion, le patron de Total, pour une expédition dans le fin fond de l’Empire du Milieu, dans le Sichuan, en plein cœur de nulle part, sur les traces du Père Armand David, un missionnaire lazariste de la fin du XIXe siècle... Le tout annoncé d’une seule traite ...

Je pris quelques secondes pour remettre mes idées en place. Vous connaissez Espelette ? Je vous en dis deux mots en passant, mais le mieux est encore d’y faire un tour lors de vos prochaines vacances... C’est un petit village du Labourd, l’une des sept provinces basques. Espelette est surtout connu pour son piment, mais s’enorgueillit également d’avoir donné le jour à la première Miss France (si, si... sa photo est affichée dans les étages de la mairie), à Monseigneur Etchegary, un cardinal, aussi écouté, si ce n’est plus, que le Secrétaire Général de l’ONU... Mais aussi au Père David, un érudit naturaliste, qui, dans les années 1860, non content d’avoir tenté de convertir des âmes des contreforts du plateau tibétain, était devenu célèbre pour avoir, le premier, répertorié et fait connaître au grand public le grand panda qui, jusqu’alors, broutait ses bambous dans l’indifférence quasi générale.

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Cette découverte grandiose, dont le monde ingrat a aujourd’hui oublié la paternité, n’avait pas empêché l’animal de continuer à s’exterminer sous les coups de butoirs de la déforestation et de la raréfaction du bambou flèche, son aliment préféré, mais cela lui permettait, depuis, de mourir à petit feu sous la lumière des projecteurs, en alimentant une industrie juteuse de la peluche et un merchandising effréné sur toutes sortes de produits tous moins écolos les uns que les autres, allant du paquet de cigarettes jusqu’à la bouteille d’alcool frelaté en passant par la nouille chimique instantanée, les sacs en plastique non dégradable et les préservatifs SGDG... Fumer Panda ! Cirrhosez-vous Panda ! Abrutissez-vous Panda ! En achetant Panda vous contribuez pour un euro à la sauvegarde de l’environnement et pour quinze euros à la destruction de l’humanité !

En tant que naturaliste notoire, le Père David est aussi mondialement inconnu pour avoir découvert l’arbre aux papillons et quelques centaines d’autres espèces végétales et animales mais surtout pour avoir sauvé le milou, Elépharus Davidianus, qui comme son nom ne l’indique pas, est un représentant de la famille des cerfs à queue de vache, qui a bien failli disparaître de la planète...

Puisque vous me le demandez si gentiment, j’ouvre donc une petite parenthèse pour vous apprendre à quoi tient la survie de cette espèce : A la fin de la dynastie Qing, les milous, élevés au rang d’animaux impériaux, ne survivaient plus que dans un immense parc de la capitale chinoise et avaient tous finis dans les poêles à frire des troupes des grandes puissances coalisées qui avaient libéré Pékin au début du siècle dernier, après les 55 jours du siège des légations.

La confrontation de cette joyeuse bande de pillards armés et des dernières hordes de ces mammifères à viande fraîche avait définitivement tourné au désavantage de ces derniers... Seuls quelques membres de l’espèce avaient survécu grâce à ce bon missionnaire qui, quelques années plus tôt, avait risqué sa tête en soudoyant les gardiens du parc impérial. Il avait ainsi pu acheter en cachette quelques spécimens de la harde qu’il avait réussi à faire passer en Europe pour qu’ils y copulent à loisir et perpétuent la race, tandis que leurs infortunés congénères finissaient en terrines et en escalopes grillées.

Parce que le milou et les milouettes, côté olé-olé, il ne faut pas leur en promettre ! Ce ne sont pas des pandas ! Vous mettez un beau mâle à portée de flancs d’une ou trois femelles et vous êtes sûr du résultat ! C’est zizipanpan dans les secondes qui suivent... Alors que chez les pandas, on n’est pas sorti de l’auberge ! Côté zigounette c’est la Berezina ! La pauvreté du sperme des mâles lunés n’a d’égale que la frigidité des femelles sans chaleur... Les plus féconds sont les vétérinaires qui ne cessent de vider leurs burettes dans le tréfonds des petites pandettes pour nous faire des hybrides de zoos tout juste capables d’ingérer des rondelles de carottes et des biscuits en bambous compostés... Ces bêtes-là, il faudra m’appeler quand on les relâchera, munis d’un ouvre-boîte et d’un épluche-légumes, dans les montagnes bétonnées et déboisées...

Mais revenons à nos milous. En 1985, nos amis britanniques qui avaient su faire se multiplier les spécimens envoyés par notre père David, ont réintroduit six individus de l’espèce, en Chine où plus de 1200 milous brament et broutent actuellement... Je convie tous les incrédules et autres Saint Thomas notoires, à profiter de leur prochain retour d’Espagne pour faire un tour à la mairie d’Espelette plutôt que de s’arrêter comme des bœufs dans les supermarchés bidons de la zone frontalière... Et là, bandes de suspicieux, vous verrez bien que je ne vous ai pas raconté que des bobards !

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Mais André, notre maire, qui est odieux, avait profité de mon silence hébété pour continuer ses explications ; Il venait de recevoir un message du district de Baoxing, l’invitant à venir signer un accord d’amitié entre les deux villes et il avait rapidement convaincu, son copain Dulion, le président de la Section Chine des Conseillers du Commerce Extérieur, de l’accompagner pour étudier la possibilité d’un financement, par la section locale, de la restauration de l’église qui avait abrité ce bon Père David. Cette grosse chapelle et son cloître attenant, m’expliqua t-il, avaient été construits entièrement en bois, vers 1835, dans un style gothico-chinois flamboyant, mais les constructions donnaient, hélas, aujourd’hui, quelques signes de faiblesse : les planchers supportaient de moins en moins le poids des fidèles, et les installations électriques sommaires menaçaient de déclencher, à tout instant, des étincelles fatales...

Devant l’importance majeure de cet enjeu culturo-économique, et écrasé par le poids des jours fériés que je me devais impérativement de prendre, sous peine de les voir passer au compte des profits et pertes, sans espoir d’une quelconque compensation, pressentant le coup tordu, je n’avais pas hésité un quart de milliseconde. Et vous comprenez donc pourquoi, quelques jours après ce coup de fil un tant festif, je me retrouvai en train d’arpenter les pentes rocheuses qui menaient à l’église où ce religieux ezpeletar avait traîné ses guêtres, sans me douter une seule seconde du guet-apens qui m’attendait...

Nous partîmes à quatre, André, Dulion et Huang, mon fidèle acolyte, le complice de toutes mes aventures chinoises... Mais par de prompts renforts, nous nous vîmes plus d’une escouade en arrivant à bon port. Xavier Ménard-Deyfèce, en préretraite de chez Sanofi, nous accompagnait ; son copain Lépine, le Directeur Lobbying, avait bien pensé être également de la partie, mais l’OPA que SANOFI venait de lancer sur le Groupe Aventis ne lui avait pas permis de se libérer pour nous rejoindre dans cette expédition ; Legrand, le PDG du groupe n’aurait pas vraiment apprécié une désertion dans une période aussi sensible... Dommage, car Lépine était à la sinologie ce que la Grosse Bertha avait été à la Première Guerre Mondiale... Il avait laissé un souvenir impérissable de son passage en Chine, alors qu’il y dirigeait le bureau de représentation d’un grand groupe pétrolier... La Chine ne s’en remettait qu’à peine...

Duboisy le Consul général de France nouvellement nommé, s’était également joint à notre troupe disparate pour couvrir notre escapade du sceau et des ors de la République. Sa seule présence nous ouvrait les portes de tous les mandarins locaux qui se pressaient pour venir se prosterner à notre passage... J’en rajoute un peu mais c’est pour vous faire regretter de ne pas nous avoir suivis... Duboisy était un revenant ; il avait fait ses classes dans l’Empire du Milieu, il y a de ça une quinzaine d’années, en tant que Conseiller Commercial. Je l’avais rencontré à cette époque, lors d’une enquête sur la mort bizarre d’un directeur de la COFACE. Il avait maintenant le prestigieux challenge de surpasser Bodard...

Monsieur Song, le vice maire de la ville de Yaan, le chef lieu du coin, avait été dépêché par les autorités locales pour s’assurer que notre délégation recevrait bien tous les égards dus à son rang. Duboisy avait également réussi à convaincre Louise et Laurie, les deux meilleures de ses collaboratrices, de chausser leurs bottes de montagne pour arpenter les pentes avec nous. Leur présence donnait une note de fraîcheur à notre expédition. Cela nous menait bien loin de la Chine aride d’antan, où la gente féminine s’attifait de sacs de patate d’un joli vert merdique uniforme, sous la houlette de mégères aux jolis sourires de hyènes. Je ne vais pas vous faire le coup du radotage à la papy mais quand même... La Chine sous le patronage du Grand Timonier a eu des moments moins drôles qu’aujourd’hui... A ces époques reculées, si par miracle, vous arriviez à découvrir une jolie donzelle sous son camouflage de toile rêche, la moindre tentative de lui passer la main dans le dos vous condamnait à une rééducation immédiate et à dix pages d’autocritique... Mais pourquoi faut-il que tous ceux qui ont rêvé de sauver l’humanité, aient commencé par empêcher les autres de tout simplement rêver ?

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La présence du Consul, nous imposait un interprète à la hauteur. Quimbourg, en tant que diplômé de l’ESIT, nous servait d’interprète officiel mais, en tant que Secrétaire général de la FIPEP, la Fédération Pour l’extermination des Pandas, nous servait surtout de mentor pour toutes les questions touchant à ce dangereux animal :

- On vous trompe ! Ces mignonnes petites images de pandas que l’on vous met sous le nez pour vous attendrir, ne sont pas les icônes de la défense des espèces en voie de disparition et de la sauvegarde de l’environnement ! Clamait Quimbourg, à qui voulait l’entendre. Ce sont les icônes derrière lesquels se cachent tous les assassins et les profanateurs de la nature et des écosystèmes ! C’est comme un arbre qui cache la forêt : Il nous faut couper l’arbre au plus vite si on veut s’apercevoir qu’il n’y a déjà presque plus de forêt ! Tant qu’il y aura encore un panda vivant, le monde continuera à croire que l’on se bat réellement pour sauver la planète !

Quimbourg aimait manier les paradoxes et nous aimions bien Quimbourg... Mais nous l’avions quand même surveillé du coin de l’œil, lors de la visite du centre de rééducation des pandas malades : nous comprenions notre ami et nous étions habitués à ses frasques, mais les Chinois qui nous encadraient auraient pu mal interpréter une attaque frontale sur leurs animaux préférés...

Néanmoins, Quimbourg qui savait que sa croisade ne pouvait être que victorieuse, s’était montré magnanime, se contentant, comme tous les autres, de jeter des carottes et des brins de bambous compostés aux derniers représentants de ces ursidés perfides qui refusent obstinément de perpétuer leur lignée. La visite du centre m’avait néanmoins convaincu de faire tout mon possible, si je devais revenir en Chine lors de mon prochain karma, pour me réincarner en panda plutôt qu’en paysan chinois...

Non pas que la chose charnelle me laisse indifférent et de marbre ! Mais le centre avait plus de vétérinaires que de pandas et un minimum de trois personnes au service de chaque bête... Les paysans du coin eux, pouvaient crever la bouche ouverte et n’avaient pas intérêt à tomber malades : le dispensaire du villaged’àcôténepossédait que deux lits de camp crasseux et un appareil à mesurer la tension qui devait daterde la dynastieSong... En gros, la Chine doit dépenser pour retarder l’agonie d’un panda autant que pour faire vacciner vingt mille enfants...

Vous comprenez donc mieux l’empressement de l’Occident pour sauver des pandas... C’est toujours ça de bouches en moins, qui ne tricoteront pas des chaussettes à bas prix pour inonder nos marchés... On aurait l’air chouette si on s’amusait à sauver les enfants du tiers-monde ! Vous ne voudriez pas non plus qu’on invente un vaccin contre la malaria, non ! Parce que pour le moment, les pauvres nous envoient des myriades de containers de chaussettes à bas prix avec quelques mecs cachés à l’intérieur... Vous arrêtez de cotiser pour la sauvegarde des pandas et vous vous mettez à sauver des enfants, alors là, je ne vous dis pas ! C’est des myriades de containers de mecs que verrez débarquer et peut-être même sans leurs chaussettes !

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Serge et Chantal Denotère, les Directeurs de l’Alliance Française de Chengdu étaient également de la partie. Leur Alliance était une de celles qui marchaient le mieux en Chine. Afin de contourner les lourdeurs du système bureaucratique chinois et les contraintes des lois et des règlements locaux, l’Alliance Française avait crû bon d’obliger ses écoles à se fondre au sein d’une université chinoise qui, une fois les moments d’euphorie passés, se désintéressait complètement de leurs problèmes, ou pire, les asphyxiait par des tracasseries à n’en plus finir... Pour le moment, à Chengdu, les choses se passaient plutôt bien, les relations avec l’Université de Technologie du Sichuan étaient encore amicales et les étudiants chinois avides de partir compléter leur cycle d’étude en France, affluaient sur les bancs de l’Alliance qui, devant ce succès, frôlait la pénurie de professeurs...

Cet intermède montagnard leur permettait de souffler un peu et ils passaient de longs moments à discuter avec Grauminoux, le Conseiller Diplomatique de l’ambassade, qui n’avait pas hésité à délaisser ses notes diplomatiques pour apporter la bénédiction des autorités françaises à cette noble entreprise. Il avait la fausse allure un peu austère d’un séminariste accompagnant les rosières de l’ouvroir mais ce n’était que pour mieux tromper son monde ; il ajoutait un bon coup de fourchette à sa science encyclopédique, condition sine qua non pour pouvoir être adopté parmi tous ces gaillards... Son visage était éclairé par la lumière radieuse que l’on peut déceler chez les prisonniers en liberté provisoire : ces quelques bolées d’air frais loin de la grisaille de son ambassade le remplissaient manifestement d’aise. On parlait de lui comme futur Consul Général à Shanghai, mais il devait pour cela repasser par Paris. Le Quai d’Orsay tient du Monopoly : il faut de temps en temps repasser par la case départ si l’on veut pouvoir toucher ses 20000 francs... J’irai revoir ma rue du quai... comme aiment à fredonner les contrepéteurs diplomates...

Notre bande hétéroclite avait donc écumé la région sans vergogne et sans honte, à la recherche d’un missionnaire naturaliste presque oublié. Nous avions décidé de monter à l’église dès le premier jour et de repartir ensuite deux jours sur les traces de la Longue Marche, dans les montagnes avoisinantes... Nous nous étions extasiés à Luding devant le pont de chaînes sur lequel les valeureux guerriers de l’Armée de Libération avaient, paraît-il, rampé sous le feux des mitrailleuses ennemies. De nombreux films repassent cet épisode glorieux qui fait partie des mythes fondateur du régime... Des révisionnistes de la plus basse espèce racontent pourtant que l’histoire est venue plus tard de Pékin et que les gens du cru se réjouissaient plutôt que le seigneur de la guerre local ait négocié avec les armées communistes, par haine du Kuomintang, et évité ainsi un bain de sang... Bon, c’est de bonne guerre me direz-vous... Nous n’avons pas fait beaucoup mieux chez nous et nous préférons également nous rappeler la Guerre du Rail plutôt que les trains de la déportation de la communauté des juifs de France vers l’Allemagne...

Nous avions ensuite poussé jusqu’à Kangding, anciennement Tatsienlou pour visiter l’ermitage où Alexandra David-Neel avait séjourné presque 5 ans avant de pouvoir entreprendre son voyage vers Lhassa... Nous avions même gravi la colline au sommet de laquelle se trouvait le petit monastère qui lui avait servi de refuge au cours de ces longues années de préparation forcée... Les traces de son passage n’avaient pas encore été entièrement oubliées et des moinillons indiquaient encore l’endroit où la « Sainte » avait séjourné...

Mais je m’égare encore dans mes souvenirs de vacances... Laissez-moi revenir à mes salades et à mon escalope... Comme le dit si bien mon ami Ménard-Deyfèce qui a le contrepet poétique à défaut d’être diplomate...

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Pour le moment, donc, je ahanais comme une carpe sortie par inadvertance de son aquarium et j’essuyais, d’un revers de la main, la sueur qui m’aveuglait, sous ce cagnard bien moite, tout en réfléchissant au curieux SMS que j’avais reçu durant la matinée, pendant la visite du Temple de la montagne Mengding, un très vieux temple bouddhique dédié à la culture du thé, connu seulement de quelques dévots, et invisible sur toutes les cartes touristiques vendues sous nos latitudes... C’est pourtant à cet endroit précis que la petite sonnerie de mon téléphone m’avait joué les deux ding ding, m’annonçant l’arrivée d’un SMS, à mille lieues de mes bases... : « Je suis chez le Père David. Signé : Faudrey » ...

Vous ne connaissez pas Faudrey... Vous ne loupez rien ! Je lui dois toutes mes cicatrices et toutes mes meurtrissures... Faudrey a été l’un des patrons du service action de l’officine gouvernementale pour laquelle j’ai œuvré...

J’aurais pu croire à une bonne blague de mes compagnons d’équipée mais ce message on ne peut plus sibyllin, avait atterri dans une directory de mon téléphone normalement inaccessible aux communs des mortels qui, m’avait-on assuré, ne pouvait s’activer qu’après un codage impossible à déclencher par inadvertance. Cette partie de mon téléphone restait habituellement très silencieuse d’autant plus qu’elle ne répondait qu’à mon ancien Employeur qui m’avait quelque peu oublié ces derniers temps... Ce qui n’était pas plus mal d’ailleurs, compte tenu de la propension désagréable de cet organisme occulte à me jeter dans des situations toujours plus désastreuses les unes que les autres...

Mais Faudrey m’avait également appris à ne pas me poser trop de questions et à me rendre sans rechigner à ses invitations... J’avais donc dû m’inventer des douleurs intestinales intempestives et les prémices d’une courante pas piquée des hannetons pour que mes petits camarades me laissent partir sous leurs quolibets et leurs plaisanteries vaseuses...

“Tu connais le comble de la confiance en soi ?” m’avait glissé Dulion à l’oreille avant de me laisser monter dans un des 4x4 que nous avions loués pour l’occasion, “C’est d’oser péter un coup quand on a la diarrhée !”... Le tout assaisonné d’un énorme éclat de rire et d’une bonne claque dans le dos... “Ca sent le lisier, tu ne crois pas,” criait Quimbourg, hilare, à André qui se bidonnait en se pinçant les narines et en agitant l’autre main... André qui m’avait quand même refilé une tablette de Tiorfan qu’il avait été récupéré sous son béret basque... C’est fou ce que les Basques peuvent cacher sous leur béret... Mais il n’avait quand même pas pu s’empêcher de me tendre un petit bouchon d’herbes entrelacées, à me mettre où je « panse », pour le voyage du retour...

Ce qu’il ne faut pas endurer quand on sert la République...

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« PEKIN, CE N’EST PAS DE LA TARTE » est un roman de pure imagination, dont le seul but est de vous distraire et, si possible, de vous faire sourire. Les personnages sont fictifs et les faits relatés n’ont jamais eu la moindre réalité.

(À suivre, la semaine prochaine)

 

 

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