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›› Lectures et opinions

Corée du Nord : le tragique isolement d’un dangereux paria

S’il s’agissait d’attirer l’attention sur elle, on peut dire que la Corée du Nord vient de réussir un coup de maître. A peine la télévision nord-coréenne avait-elle annoncé son test nucléaire le 9 octobre dernier que le Conseil de sécurité, toutes les capitales en Europe et en Asie, l’ensemble des télévisions et journaux de la planète tournèrent leur regard vers Pyongyang. Alors que le monde entier craint la prolifération des armes de destruction massive, observant avec inquiétude la controverse sur le nucléaire militaire iranien, Pyongyang, qui n’en est plus à une provocation près, affirme être passé aux actes.

Coïncidence ou calcul, l’annonce avait lieu pendant que la Présidence du Conseil de Sécurité est assurée par le Japon et que le nouveau premier ministre japonais Shinzo Abe faisait une visite très médiatisée en Chine, après cinq années de bouderies et de tensions entre Pékin et Tokyo. Première conséquence inattendue : la crise provoquée par le raidissement nord-coréen a opportunément facilité les retrouvailles des deux géants de l’Asie du nord-est, tous deux inquiets des conséquences du dérapage nord-coréen.

Les autres résultats ne se sont pas fait attendre. Déjà sérieusement isolée sur la scène internationale, la Corée du Nord est aujourd’hui agressivement désignée du doigt, non seulement par les Etats-Unis et le Japon, mais également par l’UE, la Corée du Sud, la Russie et la Chine, habituellement moins raides que Washington et Tokyo.

A Séoul la voix des tenants de la politique d’ouverture vers Pyongyang était bruyamment couverte par les partisans de la fermeté, tandis qu’Ivanov, le ministre des affaires étrangères russe, assurait que son pays, qui comprenait Téhéran, membre du TNP, et dont le programme nucléaire était à usage civil, n’était pas aussi bien disposé à l’égard de Pyongyang, qui avait quitté le TNP et ne tenait pas ses promesses d’une péninsule nucléaire dénucléarisée.

Mais c’est probablement à Pékin qu’ont eu lieu les plus grands dommages collatéraux. Même si la Chine n’était plus l’indéfectible allié du temps de la guerre froide, elle s’était, au sein du dialogue à six, toujours opposée aux sanctions contre Pyongyang. Or elle vient d’annoncer, en prenant cependant quelques précautions de langage, qu’il était nécessaire d’adopter des mesures coercitives.

C’est peu dire que la Chine est mécontente et inquiète. L’affaire est certes un camouflet pour la communauté internationale qui, depuis 1993, tente de résoudre la crise nucléaire par la négociation et différentes mesures incitatives qui ont toutes échoué (la plus connue est le programme nucléaire civil de la Korean Energy Development Organization - KEDO - aujourd’hui en panne). Mais le test nord-coréen est surtout un magistral affront à la Chine, qui n’a jamais ménagé ses efforts pour résoudre la question dans le cadre du dialogue à six qu’elle patronne et pour tenter de convaincre Pyongyang d’évoluer vers moins de rigidité politique et économique.

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La décision de Pyongyang qui transgresse plusieurs avertissements sévères de Pékin, révèle que la distance s’est creusée entre les deux anciens alliés et jette un doute sur la capacité d’influence de la Chine. Interrogé sur les bénéfices que Pyongyang pouvait espérer de cette initiative, le Général Pan, ancien expert des questions stratégiques à l’Université de la Défense Nationale, aujourd’hui consultant sur les affaires mondiales, a aigrement répondu : « Rien que des déboires. Pyongyang ne respecte pas ses engagements d’une péninsule coréenne dénuclarisée et cherche par la provocation des solutions à des problèmes qui sont strictement intérieurs : La corée du Nord doit réformer son système politique et développer son économie ».

A Pékin on craint aussi que l’initiative malheureuse de Pyongyang ne déclenche des dérives sécuritaires au Japon, où certaines factions brûlent de renforcer encore les capacités de défence de l’archipel, y compris en sautant le pas du nucléaire militaire, dont la technologie est parfaitement maîtrisée par les savants nippons. On craint aussi que la marge de manoeuvre de la Chine ne s’affaiblisse dans la région, dans un contexte où le resserrement de l’alliance entre Tokyo, Séoul et Washington mettrait à mal sa stratégie de contrepoids aux Etats-Unis.

Outre l’aggravation de l’isolement nord-coréen, les médias focalisent aussi sur la nature du test. 48 heures après les déclarations de Pyongyang, Condolezza Rice avouait publiquement ne pas savoir si l’explosion avait réellement été nucléaire. Un consensus semble émerger sur la faiblesse de la détonation qui serait de l’ordre de 0,5 KT. Mais aucun expert n’a clairement confirmé qu’il s’agissait d’une explosion nucléaire.

Certains affirment que le test aurait en partie échoué. Si cette hypothèse était confirmée elle n’aurait rien d’étonnant car les provocations grandiloquentes de Pyongyang se sont souvent soldées par des demi succès : les deux tests de missiles longue portée effectués par la Corée du Nord, l’un le 31 août 1998 (Taepo Dong 1), l’autre le 4 juillet 2006 (Taepo Dong 2), n’ont pas complètement réussi.

Le premier avait survolé le Japon et s’était abîmé dans le Pacifique, à moins de 2000 km de son point de lancement, sans avoir convaincu les experts. Le deuxième a échoué durant la phase de propulsion, 35 secondes après son lancement. La dernière possibilité, il est vrai la moins probable, est qu’il s’agirait d’une explosion classique camouflée.

Est-il possible que Pyongyang ait contrefait une explosion nucléaire ? La question paraît incongrue et l’hypothèse irréaliste tant le risque politique d’une telle manipulation est important. Il reste que personne ne se serait demandé si les explosions nucléaires pakistaniase et indienne en 1998 étaient réelles.

La question surgit naturellement avec la Corée du Nord car, depuis plus d’un demi-siècle, le régime carcéral de Pyongyang affame sa population et l’enferme dans la contrefaçon et le mensonge sur à peu près tout : les dirigeants sont portés aux nues et déifiés jusqu’au ridicule ; la dégradation de la situation intérieure est maquillée ; la responsabilité de ces catastrophes internes sont rejetées sur l’étranger et en premier lieu sur les Etats-Unis ; l’évolution du monde, dont les Nord-Coréens sont tenus à l’écart par un blocage total de l’information, est décrite comme une permanente menace contre le pays, justifiant ainsi les dépenses militaires et le détournement des aides internationales ; les succès de Séoul, à l’égard de qui Pyongyang nourrit de féroces jalousies, occultés ou présentés comme le résultat d’une collusion avec l’ennemi etc.

Dernièrement c’est contre Pékin que Pyongyang a tourné ses ressentiments [1].

Depuis 1992 - date de la reconnaissance de la Corée du Sud - la Chine s’éloigne en effet progressivement de son encombrant et inconfortable allié, qui continue obstinément à ne pas tenir compte de ses conseils et à falsifier les réalités.

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La contrefaçon et le mensonge sont, avec l’extrême rigidité du système politique, l’image de marque de ce dangereux moribond, devenu le paria de la communauté internationale, qui tente de survivre par la menace.

Car c’est bien de survie qu’il s’agit. Le régime, qui n’a plus qu’un pouvoir de nuisance (contrefaçon des monnaies étrangères, trafics en tous genres, transferts illégaux de technologies sensibles) [2], n’exerce pas de menace militaire crédible directe sur la région [3] ; son pouvoir d’influence est nul [4] ; il n’est plus guère dangereux que pour sa population et ses initiatives erratiques apparaissent comme des manoeuvres pour accréditer à l’intérieur son image de puissance.

S’il est vrai qu’il réclame un traité de paix directement signé avec les Etats-Unis et des garanties de sécurité de leur part, son objectif est de se perpétuer aussi longtemps que possible, en dépit de ses monstrueux échecs.

Que fera la Chine, aujourd’hui placée au pied du mur ? Tout en reconnaissant que la situation est grave, à la fois, pour sa propre sécurité, pour la région et pour le mauvais exemple qu’elle diffuse de par le monde, Pékin a déjà marqué sa différence : Les sanctions qu’elle cautionne devront être « fermes, prudentes et appropriées », a dit le porte parole des affaires étrangères. Dans ce contexte l’objectif du Parti communiste chinois sera d’éviter un dérapage militaire ou un accident interne (acte agressif irréfléchi de Pyongyang ou actions militaires préventives de Washington cependant peu probables, graves troubles ou effondrement du régime de Kim Jong Il, de plus en plus à l’ordre du jour).

La Chine tiendra cette ligne le plus longtemps possible. Elle ne sera pas seule sur le créneau de l’approche prudente : À Séoul des voix se font déjà entendre pour critiquer le manque de souplesse des Etats-Unis, en partie rendus responsables de l’aggravation de la situation ; en Europe certains s’inquiètent des effets négatifs pour le peuple coréen de sanctions trop sévères. Il reste que Pékin sera assez vite placé sous la pression des Etats-Unis et du Japon qui exigeront que la Chine cesse ses livraisons de pétrole et de nourriture. Si elle le faisait de manière prolongée, elle couperait les vivres au régime et signerait peut-être l’arrêt de mort de la famille Kim qui règne sur le pays depuis 1948. La question est de savoir si c’est bien ce que veut Pékin.

Note(s) :

[1Le régime de Kim Jong Il a assez peu apprécié la nomination à Pyongyang du nouvel ambassadeur chinois Liu Xiaoming, formé aux Etats-Unis, sans aucune expérience de la Corée du Nord.
Peu avant les tests de missiles de juillet dernier, Pyongyang a refusé d’accueilir une visite officielle chinoise de haut niveau et décliné une invitation adressée à Kim Jong Il de se rendre à Pékin.

[2C’est au demeurant cet aspect de la nuisance nord-coréenne qui pourrait être le plus dangereux si Pyongyang se livrait à des trafics de matières fissiles en direction d’organisations terroristes.

[3Depuis des années la réalité de la menace militaire nord-coréenne est volontairement amplifiée par les Etats-Unis, le Japon et les cercles liés à Washington en Corée du Sud.

[4La situation a en revanche une influence : L’affaire est bien différente de la controverse avec Téhéran, puissance montante et influente qui agit avec bien plus de subtilité. Il reste que la manière dont la situation sera gérée par la communauté internationale pourrait avoir un effet direct sur la prolifération dans le monde et l’attitude ultérieure de l’Iran sur le dossier nucléaire.

 

 

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