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Pékin ce n’est pas de la tarte

Chapitre VIII

Vous dire que l’ambiance n’y était pas serait un euphémisme... Nous partions la queue entre les jambes, expression peu flatteuse que nos amis chinois traduisent par “ l’avoir à six heures et demie ”. Nous venions probablement de signer là notre dernière mission, que tout le monde se rappellerait comme l’un des plus beaux fiascos du siècle... Cucchini et Piedritti avaient fait progresser la cause corse en insérant des détonateurs à la base de chaque tableau et ceux-ci s’étaient déclenchés, vraisemblablement sur une commande téléphonique. Nous pouvions toujours nous consoler en faisant valoir que nous n’avions plus besoin de chercher où la puce du téléphone d’Isaac Dupalet d’Estée avait bien pu passer mais comme, par la même occasion, quelques-uns des plus beaux fleurons de l’impérialisme culturel français venaient de se consumer plus vite que le maquis corse à la sortie de l’été, il semblait difficile de crier victoire...

Quant à Cucchini, il avait tout simplement échangé son manteau et sa perruque dans les toilettes de l’hôtel avec un étudiant qu’il avait grassement payé, et les agents chinois chargés de sa surveillance ne s’étaient pas aperçus du subterfuge : qu’est-ce qui ressemble le plus à un étranger avec une perruque blonde et un manteau rouge si ce n’est un autre étranger avec une perruque blonde et le même manteau rouge ? Les tableaux avaient brûlé et le principal coupable courait dans la nature...

Nous n’avions rien vu venir et le pauvre mérite d’avoir mis la main sur l’un des comparses ne pesait pas lourd face à la perte inestimable d’une cinquantaine de tableaux parmi les plus célèbres du monde... On nous avait choisis pour comprendre ce qui se tramait et nous étions passés à côté de la plaque. Il ne nous restait plus qu’à ranger nos affaires et à déguerpir sous les quolibets des confrères, qui secouaient la tête en nous jetant des regards navrés... Nous étions devenus de vrais Has Been, des bons à rien auxquels on n’aurait jamais dû confier une mission de cette importance... Leurs regards moqueurs étaient plus durs à supporter que des bordées d’injures...

Piedritti attendait menotté que ses nouveaux geôliers viennent le chercher : la Chine venait d’autoriser son extradition vers la France. Il devait passer quelques jours dans la résidence de l’ambassade, où quelques pandores allaient essayer d’éclaircir ses motivations et s’assurer au maximum que notre équipe d’entarteurs n’avait pas laissé derrière elle trop de vilaines surprises à retardement. Son interrogatoire ne nous concernait plus. J’aurais pourtant aimé comprendre le pourquoi de toute cette mise en scène... Pourquoi ces pâtisseries et toute cette mascarade ? Et pourquoi brûler tous ces tableaux ?

++++

J’étais en train d’empaqueter dans une grosse caisse en carton les liasses de documents trouvés chez Piedritti... Tout ça ne me concernait plus ; d’autres auraient la joie de se pencher sur leur contenu. D’ici là, Piedritti serait peut-être déjà passé aux aveux... quoique, pour le moment, il n’était que moyennement loquace...
Je lui aurais pourtant bien demandé ce qu’il avait embarqué à Vladivostok...

- Fais pas chier ! C’étaient sûrement les chalcographies ! M’avait répondu Grodaeg à qui je m’en étais ouvert.

- Impossible ! Elles sont arrivées le lendemain par le vol régulier d’Air France.

- Et alors ? Qu’est-ce que tu veux que ça nous foute maintenant ! S’il a fait en plus du trafic de caviar, tant mieux pour lui, parce qu’il ne va pas en bouffer derche dans les mois à venir !

Je n’aimais pas ces réponses en forme d’hypothèses. Une enquête policière ressemble souvent à des pièces comptables : le moindre centime de différence cache parfois des montagnes d’erreurs. J’avais soudain la très nette intuition que j’étais sur une piste et que quelque chose qui me chagrinait essayait de remonter le long de mes neurones, mais je n’eus pas le loisir de creuser plus profondément mon problème.

- Vous nous avez repérés comment ?

Je sursautai. Piedritti qui jusqu’ici ne s’était guère montré bavard, se décidait brusquement à ouvrir la bouche.

- Vous avez été repérés avec Vandanus, lors d’un dîner chez le Belge.

- Je savais bien que ce petit con nous mettrait dans la merde...

- C’est pour cette raison que vous l’avez liquidé ?

- On n’a liquidé personne ! S’empressa de protester Piedritti.

Il gardait les pieds sur terre : pas question d’avouer quoi que ce soit. Sans preuve, il savait qu’il nous serait difficile de l’inculper de ce meurtre. Mais puisqu’il avait l’air de vouloir causer, je continuai :

- Et l’homme à la moto ? Il n’est pas mort celui-là ?

- Si ! Mais lui c’est vous qui l’avez tué, et pour une tarte de crème à raser ! Moi, je n’ai rien à faire dans ce coup-là...

- Et le corps, vous l’avez mis où ?

- Je crois qu’il est allé mourir au 12e étage de l’immeuble en construction, abandonné depuis des années, qui se trouve au coin de Sanlitun Sud... Vous devriez aller voir. Il mérite une dernière demeure plus décente...

- Qui c’est ?

- Je ne sais même pas de qui vous voulez parler...
Il refusait décidément toute connexion avec un défunt décédé de mort violente...

- Et pourquoi avoir brûlé toutes ces œuvres ?

- Le pouvoir colonial français écrase notre culture en essayant de nous gaver avec la sienne. Les impressionnistes ont payé pour cette âme corse que l’on viole ! Vous avez perdu quelques peintures, nous, c’est notre langue qu’on assassine ! Ce sont nos droits de vivre en Corse comme des Corses, qui chaque jour sont bafoués et foulés aux pieds !

Il avait déclamé sa tirade comme un automate, sans chaleur, comme une leçon bien apprise...

- Et tous ces entartages ? C’était pourquoi ? Pour laver l’honneur des Corses ?

- Faudra demander à Cucchini, c’est lui qui en a eu l’idée. Il pensait que cela détournerait votre attention et vous empêcherait de venir fouiner du côté de l’expo... Elle ne devait s’enflammer que le jour de l’inauguration. Vous nous avez obligés à déclencher le feu d’artifice un peu plus tôt... Mais ça a marché, non ?

- Ça a marché.

- Tu nous en veux ?

- Non, je m’en veux. C’est différent. Et ces caisses embarquées à Vladivostok, que contenaient-elles ?

- Du matériel sensible... Tu m’as l’air d’être un homme d’honneur. Si tu veux on peut parler ; j’ai des choses à te dire qui peuvent t’intéresser. Et toi, de ton côté, tu peux encore m’aider...

Je n’eus pas vraiment le loisir de bien comprendre le sens de ses derniers mots. La porte venait de s’ouvrir et six Rambo baraqués faisaient irruption dans la pièce :

- Et bien, c’est à moi que tu vas pouvoir parler, merdouille de Corse !

C’était manifestement le chef de la bande et sa sentence avait été ponctuée par une mandale bien ajustée qui avait envoyé Piedritti valser de sa chaise... Il se redressa dignement, et de ses deux mains menottées, s’essuya, la commissure des lèvres où perlaient quelques gouttes de sang, puis se tourna vers moi, l’air navré.

- Les gens d’honneur se perdent. J’ai été ravi de vous connaître.

++++

Sa phrase se termina dans un hoquet : une béquille dans la cuisse l’avait couché au sol, dans un rictus de douleur, tandis que deux des superflics le traînaient par les menottes jusqu’à la porte... qu’ils n’atteignirent pas.

Grodaeg venait de balancer au premier d’un magnifique direct sur les fosses nasales... Le Rambo flageolant recula les bras ballants et le nez pissant le sang, de plusieurs pas d’ivrogne, avant de s’affaler sur une table à tréteaux qui s’effondra sous son poids.

- Ben ça va pas ! Vous êtes complètement cinglés ! S’étrangla celui qui semblait être le plus gradé.

- Écoute-moi bien, petit morveux, avorton de mes deux, lui répondit Grodaeg, j’avais quatre ans quand la Gestapo est venue chercher mon père et depuis ce jour, il y a des méthodes qui me restent en travers de la gorge. Alors si tu n’es pas content, on en discute.

- Espèce de vieux merdeux ! Tes états d’âme, j’en ai rien à foutre ! Vous avez été tout juste bons à bouziller cette enquête ! Alors maintenant vous nous laissez travailler, et avec nos méthodes, même si elles ne vous plaisent pas !

Il asséna un grand coup de botte dans les côtes de Piedritti toujours à terre et força le passage.

On entendit un bruit sourd et le gradé, traversa la pièce les pieds touchant à peine le sol, avant de s’écrouler sur une autre table qui céda également sous son poids...

Un autre des Rambo venait de sortir sa matraque mais le portable que Mimille lui écrasa sur la tête, l’empêcha de poursuivre sa vindicte...

- On se calme ! s’écria l’un des trois flics encore valides. Il aida Piedritti à se relever et l’épousseta en s’excusant pour le mauvais traitement. Puis, se tournant vers Grodaeg, il lui demanda poliment l’autorisation de bien vouloir le laisser sortir avec son prisonnier.

- Quand c’est demandé poliment et avec de bonnes manières, il n’y a pas de raison de refuser. Entre gentlemen, on se comprend, lui répondit Grodaeg en ouvrant la porte.

- Vous pouvez venir en Corse quand vous voulez, lui jeta Piedritti avant de franchir le seuil, vous y serez toujours bien traités.

- Vous fallez entendre parler de nouf ! Bafouilla le gradé en titubant vers la porte... Il lui manquait au moins trois dents...

- Vous ne prenez pas les pièces du dossier ? S’enquit le général auprès des deux policiers qui sortaient en soutenant leurs confrères encore à moitié dans les vapes...

- Nous repasserons les chercher demain matin, lui répondit l’un des policiers avec un sourire crispé ; nous avons les mains prises, s’excusa t-il, en montrant son collègue qu’il portait sur l’épaule.

- Oh ! Putain que ça fait du bien ! s’écria Huang en refermant la porte, mais dis-moi, Grodaeg, je croyais que ton père était parti à Londres ! C’est quoi cette histoire de Gestapo ?

- C’était une image, histoire d’expliquer ; c’est ça le marketing : des idées fortes et des arguments frappants...

Mimille et Grodaeg se tapaient sur les mains, à la manière des joueurs de volley-beach qui viennent de réussir un point... Il s’arrêtèrent néanmoins car quelqu’un frappait à la porte.

- On est toujours à cinquante-cinquante dans cette affaire ? Me demanda Grodaeg. Mais hélas pour lui, j’avais déjà vu les Tontons flingueurs...

Il ouvrit délicatement la porte en prenant soin de se protéger derrière le battant. Weng, qui se trouvait devant, pencha la tête sans franchir le seuil :

- On peut entrer ?

++++

- Rentre ! Lui cria le général. On était en train de ranger nos affaires...

- Ce sont elles que je viens de voir descendre ? Elles n’avaient pas l’air en forme...

- Non, c’était les policiers maintenant chargés de l’enquête. Ils venaient récupérer leur suspect.

- Dites-leur de prendre l’ascenseur le prochain coup, parce que l’escalier ça n’a pas l’air de leur réussir...

- Qu’est-ce qui nous vaut l’honneur de ta visite ?

- Je venais vous dire au revoir : je suis muté à Kachgar, dans le Xinjiang. Je voulais vous faire une bise avant de partir...

Chez lui aussi, les têtes étaient tombées... Le Xinjiang était l’une des provinces les plus reculées de Chine et Kachgar, un marché de chevaux à l’entrée de la passe du Karakorum, en direction d’Islamabad...

- Chez toi aussi, ça déménage ?

- Faut bien que quelqu’un paie... Je suis quand même perplexe sur la façon dont les choses se sont passées... Pour l’arrestation de Piedritti et l’évasion de Cucchini par la même occasion, on a empêché mes hommes d’agir ; c’est la police militaire qui a pris les choses en main avec le résultat glorieux que tu connais... J’ai essayé de comprendre ce qui s’est passé mais la seule réponse à mes questions, a été mon ordre de mutation... La seule chose que je peux te dire, ces que tes terroristes étaient en connexion avec des gens importants de la hiérarchie militaire...

- Tu veux dire qu’ils ont bénéficié de complicités ?

- J’évite de parler de complicité ; je préfère tout compte fait, un poste dans le Xinjiang qu’une urne au cimetière de Babaoshan...

- De toute façon, tout cela ne nous regarde plus ! Il faut fêter ça ! s’écria Grodaeg. Weng, pourquoi tu ne nous emmènerais pas dans le Karaoké où tu m’as traîné l’année dernière, sur le deuxième périph ? Ce n’est pas très loin de chez Piedritti mais ça nous changera quand même les idées ! C’est un des rares endroits de ce genre où l’on peut avoir une bouffe superbe, des alcools pas trop frelatés et des nanas à vous redonner l’envie de vivre ! Je sens qu’on va se prendre une biture comme on n’en a jamais prise et que l’on n’est pas près d’oublier !

Je protestai pour la forme ; je n’avais pas vraiment le cœur à partir faire la bringue :

- Je vais rester ici. Il y a encore quelques points que je voudrais éclaircir.

- Ce sont encore tes caisses en trop qui te chagrinent ?

- Non, pas seulement ça... Il y a d’autres trucs qui ne collent pas...

- Putain ! Quels trucs ?

- Je ne sais pas encore... Des trucs...

- Allez, rajouta Weng, en me tapant sur l’épaule, cela ne sert à rien de se lamenter et de ressasser à l’infini ses erreurs... Grodaeg a raison, allons tous prendre une cuite... Mais basta ! Alors, pour le coup, une corsée !

++++

C’est au quatorzième plat, qu’on a vraiment senti que nous étions déjà un peu partis... Grodaeg venait d’ouvrir la cinquième bouteille de cognac. Le général avait remarqué que pour six, cela faisait plus d’une demi-bouteille chacun... Mais Grodaeg avait protesté en arguant du fait que les petites en tétaient des fonds de verre à chaque fois qu’elles venaient s’asseoir auprès de nous... Et puis, avait-il ajouté avec conviction « Ce n’est pas ce qu’on a bu ! Je suis sûr que le cuistot avait mis de l’alcool dans ses crevettes ! ». Je n’étais pas du tout d’accord car j’étais encore à peu près à jeun quand les crevettes étaient arrivées sur la table et j’étais sûr que ce n’était pas vrai. Les crevettes d’eau douce à la shanghaïenne, c’est un de mes pêchés mignons, alors vous pensez bien que j’y avais fait attention. D’autant plus que celles-là avaient été divines ; délicatement trempées dans leur vinaigre noir, elles fondaient dans la bouche...

Mais je pardonnai à Grodaeg son erreur car avec les deux mignonnes qui s’étaient assises sur ses genoux pour lui porter sa nourriture à la bouche, lui laissant ainsi les deux mains libres, n’importe qui aurait pu se tromper... Moi, je ne mélangeais pas les plaisirs de la gastronomie avec les autres, par principe... Mimille non plus d’ailleurs, mais lui c’était plutôt le contraire : il n’avait rien mangé de la soirée, trop occupé à trinquer avec toutes les petites qui passaient à sa portée et qui l’invitaient, par des ganbei euphoriques, à vider son verre alors qu’elles ne faisaient que tremper leurs lèvres dans le leur... A ce rythme, Mimille avait déjà son compte. Il venait de baver dans le décolleté d’une charmante jeune fille en essayant de deviner sa marque de soutien-gorge, et avait encore aggravé son cas, en essayant de réparer les dégâts...
Grodaeg, pour détendre l’atmosphère, venait d’entamer « l’artilleur de Metz », accompagné par Huang qui tapait sur son verre et par une dizaine de petites qui dansaient le french cancan en levant la jambe, en rythme, sur les paroles...

C’était vraiment une très belle fête... fine et légère...

Et c’est là, à ce moment précis, que j’eus l’illumination : le flash, l’éclair, la révélation !

Je tapai un grand coup sur la table. Mimille en profita pour glisser de sa chaise et pour s’écrouler sous la nappe.

- J’ai trouvé !

- Qu’est-ce qu’il dit ? demanda Grodaeg, l’œil globuleux.

- C’est sur le DVD, la vue du village !

Faudrey me regardait l’air inquiet :

- Mon brave homme, si vous nous expliquiez calmement de quoi il retourne, peut-être comprendrions-nous mieux votre excitation.

- Laissez-moi deux minutes pour que je recoupe mes hypothèses et je reviens vers vous ! Mais je suis sûr que c’est ça ! D’ailleurs, ça ne peu pas être autre chose ! Sinon, tout ça n’aurait aucun sens !

Il me fallut tout de même une bonne demi-heure et trois coups de téléphone avec la France, pour m’assurer que mon intuition était bonne, puis un aller-retour chez Piedritti pour m’assurer que j’avais bien raison.

L’excitation m’avait complètement dessaoulé et je revins triomphant vers mes compagnons d’infortune, dont l’état, durant mon absence, ne s’était guère amélioré :

- Je sais pourquoi Cucchini a brûlé les tableaux : il s’agissait de faux ! Et je sais où sont les vrais...

Weng et le général me regardaient sans comprendre.

- Keskidi ? demanda Grodaeg la bouche pâteuse.

- Quand j’ai regardé le DVD du Journal télévisé ce matin, le conservateur du musée Fabre de Montpellier parlait d’un tableau, assez célèbre, de Bazille, « La Vue du village », qui était parti pour l’exposition de Pékin. Pendant qu’il parlait, un petit carré représentant le tableau est venu se rajouter sur l’image. Je connais bien ce tableau et j’ai cru, bien sûr, que c’était lui qui me rappelait tout un tas de souvenirs, je ressentais quelque chose que j’ai pris pour de la nostalgie... Mais maintenant, je sais ce qui me chagrinait : ce n’était pas le tableau qui s‘affichait, mais celui qui se trouvait derrière le conservateur qui me chiffonnait ! C’était « Les Baigneuses » de Courbet ! Or ce tableau est dans le fichier des toiles qui sont censées avoir brûlé...

Je viens de joindre le musée de Montpellier : ils m’ont confirmé que le tableau devait partir, mais qu’au dernier moment, le conservateur a changé d’avis et en a envoyé un autre... Manque de pot ! C’était trop tard pour les copies que Cucchini et Piedritti avaient déjà dû commander à des faussaires. Le cinquantième tableau, celui qui n’était pas accroché et qui, selon Dupalet, attendait un coup de vernis sur son cadre, en fait, c’était un faux mais l’original n’avait jamais quitté la France !

Ça m’intriguait, quelque chose clochait ! Je me demandais pourquoi Piedritti avait tout ce matériel d’encadrement et pourquoi il conservait les chalcographies du Louvre chez lui. Maintenant je comprends. Il a reçu des copies, probablement de Russie - ce qui expliquerait les caisses en trop à l’arrivée -, et il a dû les accrocher à la place des vrais tableaux. Personne n’a eu accès à l’exposition, nous a confirmé Dupalet. Même si les copies n’étaient pas rigoureusement identiques, personne n’a pu s’en apercevoir. Piedritti a planqué les originaux sous les chalcographies... Je viens de les voir, je peux vous assurer qu’ils y sont bien... Weng, ne le prends pas mal, mais comme tu m’as parlé de complicités possibles, je me suis permis de téléphoner en ton nom à Daphné et à Lili pour qu’elles arrivent avec des renforts sûrs, parce que, si mon intuition est toujours bonne, je pense que Cucchini devrait avoir envie de récupérer ses toiles, chez Piedritti, au plus vite...

++++

- Qu’est-ce qu’il dit ? redemanda Grodaeg tandis que Mimille faisait glisser la nappe, avec tous les couverts, les verres, les bouteilles et les reste des plats, en essayant de remonter en rappel, de dessous de la table...

Nous partîmes illico et à quatre, après avoir confié Grodaeg et Mimille aux mains secourables de toutes ces demoiselles... Dans l’état où nous les laissions, il était difficile de les faire participer à une quelconque opération...

Nous étions à peine installés dans l’appartement de Piedritti que le général recevait la nouvelle de son évasion. Cucchini avait recruté une quinzaine de mercenaires, - des Russes, semblait-il - et avait subtilisé le prisonnier au sein même de la résidence de l’ambassade, où Piedritti était en garde à vue en attendant son rapatriement. Pour ne pas être en reste, le portable de Weng se mit à grésiller au même moment.

Il resta à l’écoute durant un long moment, se contentant de hocher la tête et d’émettre des “ shi ”, qu’il susurrait à intervalles réguliers...

- Je le savais, vos types ont vraiment des complicités à haut niveau dans l’appareil d’État ! Il n’y a eu aucune résistance de la part des gardes chinois des ambassades. Les assaillants sont arrivés en uniforme avec du matériel lourd... Heureusement, ils n’ont pas eu besoin de s’en servir... Je comprends mieux maintenant la facilité avec laquelle nous avons accepté que votre prisonnier soit transféré dans votre ambassade plutôt que dans une prison chinoise... Ils avaient préparé leur plan... Néanmoins, c’est gonflé ! Pour s’attaquer à une ambassade étrangère, il ne faut pas avoir froid aux yeux ! A mon avis, il va falloir que nous nous tenions sur nos gardes ; ils doivent être pressés maintenant et ils ne devraient pas tarder à rappliquer ici...

- Je voudrais bien voir la gueule de l’autre Tarzan qui roulait hier des mécaniques quand on va lui ramener son prisonnier et les peintures avec... s’esclaffa Huang en imaginant le nombre de dents qu’il pouvait encore lui rester après cette deuxième attaque...

- Tu devrais peut-être appeler de nouveaux renforts, souffla le général à l’oreille de Weng ; s’ils se pointent avec quinze sbires, on va avoir du mal à leur tenir tête... et cela serait bête qu’on se fasse une nouvelle fois avoir si près du but...

- J’ai cent cinquante hommes, tous de ma meilleure troupe, nous répondit Weng en souriant. Daphné a suivi les conseils de Delamarne ; elle a ramené ma meilleure équipe. Je les ai planqués à l’étage du dessus, à celui du dessous et le reste dans la résidence... Il leur faudrait deux mille hommes pour espérer en venir à bout, surtout qu’a priori, ils ne nous attendent pas...
Et puis, il y a nous ! Je propose qu’on fasse rentrer les gardes qui sont à la porte, histoire de laisser croire qu’on a levé le dispositif et aussi pour qu’ils ne se fassent pas descendre bêtement par des gars trop pressés... J’appelle Daphné pour qu’elle nous fournisse un peu plus de matériel et on éteint toutes les lumières... Ça vous va comme plan ?

++++

Nous étions dans le noir, assis sur le sofa, curieusement complètement dégrisés...

- Qu’espéraient-ils faire de ces peintures ? Murmura Huang. C’est trop connu pour être vendable sur le marché.

- Il y a un marché de collectionneurs privés. Des gens immensément riches, qui sont prêts à tout pour acquérir ce genre de marchandises...

- Vous avez éteint vos portables ? Demanda Faudrey, en se rappelant qu’il avait oublié de mettre le sien sur le mode vibreur, c’est toujours au plus mauvais moment que ces saletés d’engins se mettent à sonner... J’ai comme le sentiment qu’ils ne sont plus très loin

Nous attendîmes tout de même plus d’une heure... Cucchini était un homme prudent et il avait sans doute, préféré renifler l’atmosphère avant de se jeter dans la gueule du loup... Nous étions sur le point de nous endormir quand nous entendîmes le bruit caractéristique de la carte magnétique s’insérant dans la serrure électronique.

La porte s’ouvrit sans bruit et une main actionna l’interrupteur. Nous clignâmes des yeux quelques secondes, le temps de nous acclimater à la lumière crue du lustre... mais la vue de nos armes braquées sur eux, avaient de quoi les refroidir...

- Vous prendrez bien un verre avec nous ? Proposa le général à Cucchini et à Piedritti paralysés au seuil de l’appartement, en leur montrant la cinquième bouteille de cognac miraculeusement sauvée du Karaoké. Seul un militaire en uniforme, qui les accompagnait, jugea préférable de prendre la fuite... Bien mal lui en pris car nous entendîmes distinctement les sommations et les tirs qui suivirent sa cavalcade...

Quelques coups de feu éclatèrent encore ensuite, au dehors, accompagnés des ordres et des cris des agents chinois qui s’occupaient du reste de la troupe... Des commandos casqués venaient de prendre position derrière nos deux bandits...

Toute retraite coupée et toute tentative de résistance vouée irrémédiablement à l’échec, Cucchini préféra faire contre mauvaise fortune bon cœur :

- Ça ne sera pas de refus, répondit il, en posant son manteau ; nous risquons de ne plus en boire beaucoup dans les mois qui vont venir...

Une sacrée bouffée de fierté nous gonflait la poitrine. Nous avions retrouvé nos peintures et la bande était sous les verrous... Le Président pouvait venir, s’empiffrer de quelques holothuries et serrer des mains, tranquille...

Faudrey téléphonait à l’ambassadeur pour lui communiquer la bonne nouvelle. Il tomba sur Mademoiselle Josette Laperde, une des secrétaires de la chancellerie.

- Je suis désolée de ne pouvoir vous passer Monsieur l’Ambassadeur, s’écria t’elle, la voix émue ; Ici vous savez, tout est dessus dessous ! Nous venons d’avoir une attaque à l’ambassade ! Une troupe armée vient d’enlever le prisonnier qui était en garde à vue à la chancellerie ! J’étais en train de préparer un plan de table pour le déjeuner de demain, où nous devons recevoir le Chef de la Sécurité Publique Chinoise ! C’est épouvantable... Écoutez, Monsieur l’ambassadeur était en route pour Paris. Il vient d’annuler son vol et devrait être de retour dans quelques minutes ; souhaitez-vous rappeler ou bien le joindre dans sa voiture ?

Faudrey nota scrupuleusement le numéro du chauffeur.

- Ce n’est plus à moi qu’il faut vous adresser mais à mon successeur, lui répondit Jacques Hobedeux. Je suis rappelé à Paris, voilà... On m’avait fait miroiter la perspective de finir ma carrière comme Secrétaire Général du Quai d’Orsay... On m’a fait comprendre qu’il ne fallait plus y compter... et avec cette histoire supplémentaire d’enlèvement dans les murs même de l’ambassade, ne va sûrement pas arranger mes affaires ! Si l’on ne me met pas directement à la retraite anticipée, c’est que j’aurai eu de la chance dans mon malheur... Monsieur l’Ambassadeur Louis Gaix, mon successeur sera sur place dans deux jours. C’est avec lui que vous devrez voir les questions concernant la prochaine visite du Président de la République et les suites à donner à votre affaire.

- Ce n’est pas vraiment pour cela que je vous appelle, Monsieur l’ambassadeur... Et si vous le voulez bien, laissez-moi vous appelez Monsieur le Secrétaire Général... Mais non, ne vous emportez pas, ce n’est pas de l’humour noir... Je vais vous expliquer...

Et Faudrey se lança dans un résumé des récentes péripéties :

- Oui, Monsieur l’Ambassadeur, les tableaux sont intacts... Oui, Monsieur l’Ambassadeur, ils sont sous bonne garde... Oui, Monsieur l’Ambassadeur, nous avons récupéré les malfaiteurs... Oui, Monsieur l’Ambassadeur, la bande est sous les verrous... Non, Monsieur l’Ambassadeur, vous pouvez compter sur nous...

Voilà...

Vous aviez dit ... “Has Been” ?

FIN
••••••••••
« PEKIN, CE N’EST PAS DE LA TARTE » est un roman de pure imagination, dont le seul but est de vous distraire et, si possible, de vous faire sourire. Les personnages sont fictifs et les faits relatés n’ont jamais eu la moindre réalité.

 

 

La comédienne et réalisatrice Jia Ling, « star » des réseaux sociaux

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