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Le rêve céleste des Africains

Que fait la Chine en Afrique ? s’interrogent doctement les experts et les « think tanks », attentifs à la débauche d’énergie et de moyens déployée par Pékin ces derniers temps en direction du Continent noir.La réponse est on ne peut plus simple : Ayant aujourd’hui de gros moyens, en même temps que de gros besoins, profitant du vide laissé par l’Occident désabusé, elle y développe son influence stratégique et économique, tout en s’efforçant d’isoler Taiwan (qui n’est plus reconnu que par 5 pays africains) ; elle y fait des affaires de toutes sortes, surtout avec les gouvernements, se spécialisant souvent dans les travaux d’infrastructures ; elle y développe un marché de plus en plus large pour ses produits toujours moins chers, y compris les équipements militaires et les armes et, bien sûr, elle y exploite les ressources à son profit, en sécurisant ses approvisionnements en énergie, notamment en pétrole.

Comment s’y prend-elle ? A sa manière : en cassant les prix, pour conquérir des positions privilégiées et des concessions d’exploitation diverses (forêts, centrales électriques, zones de pêche), avec parfois des avantages importants obtenus par d’incessants marchandages, assortis de promesses de moratoires sur les dettes. Le tout accompagné d’une riche panoplie d’aide humanitaire, de stages et de formations, tous frais payés pour - entre autres - les fonctionnaires, les diplomates, les militaires et les médecins. Cet élan est gentiment enrobé dans un discours rassurant sur la « coexistence pacifique entre les Etats », le « respect mutuel et la non-ingérence ». Inutile de dire que ce langage, qui s’accompagne d’une aide substantielle, plaît beaucoup. En particulier quand on le compare à celui des anciens pays colonisateurs, ou à celui de la Banque Mondiale et du FMI qui attribuent leurs aides au compte-gouttes, en fonction du critère de bonne gouvernance, à la mode depuis une quinzaine d’années.

Comment est perçue la Chine en Afrique ? Mais en général très bien, surtout par les élites, -dictateurs ou démocrates confondus-, qui voient dans ce partenaire nouveau un modèle de développement réussi, dont les politiques commerciales sont moins pesantes que celles des pays occidentaux, qui pratique des prix incomparablement plus bas et n’assortit ses aides d’aucune contrainte politique. Les enquêtes d’opinion auprès des élites africaines et de la population montrent que 62% des sondés pensent que la Chine joue un rôle très positif dans le monde et que les pays africains ont beaucoup à apprendre du modèle de développement qu’elle propose.

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Prenons l’exemple type de l’Angola : En 2002, à la faveur d’une accalmie de la rebellion, une occasion se présentait de reconstruire les services sociaux délabrés et les infrastructures pétrolières à l’abandon. Le FMI était parvenu à convaincre Luanda de mettre en place un dispositif de surveillance de la corruption pour s’assurer que les revenus du pétrole, à nouveau disponibles grâce aux aides internationales, seraient au moins en partie dédiés à l’aide sociale. C’est à ce moment que Pékin proposa des prêts sans conditions d’une valeur totale de 5 milliards de dollars.

La lune de miel dure toujours. Pékin s’est taillé dans le pays une influence de premier ordre, intervenant même dans la politique locale. Les compagnies de travaux publics chinoises, qui raflent 70% des contrats, toujours en échange de nouveaux prêts (encore 2 milliards de dollars en 2004), reconstruisent l’infrastructure (ce que les Occidentaux ne font plus depuis plusieurs dizaines d’années) en partie payée par des livraisons massives de pétrole, au point que l’Angola est devenu en 2006 le 1er fournisseur de la Chine avec 750000 barils/jour (en augmentation de 70% par rapport à 2005).

Les mêmes schémas de relations pourraient se renouveler au Tchad, où CNPC -la première société pétrolière chinoise- a, en janvier dernier, racheté pour 202 millions de dollars 50% des droits d’exploration du groupe pétrolier canadien EnCana, tandis que N’djamena abandonnait en août 2006 sa relation avec Taïwan pour se tourner vers Pékin. Une initiative immédiatement rentable puisque la Chine a aussitôt octroyé au Tchad un prêt de 20 millions de dollars et signé un protocle d’annulation de la dette de N’Djamena à hauteur de 27 millions. La stratégie est la même partout, y compris au Soudan (2 milliards de dollars d’investissements pétroliers, assorties de ventes d’équipements militaires) et au Zimbabwe (moratoire sur la dette de 350 millions, vente d’équipements militaires). Ces deux derniers pays sont, avec l’Angola, parmi les plus surveillés au monde par les organisations de droits de l’homme qui ne se privent pas d’épingler Pékin.

Mais rien n’y fait. La Chine répond que les pays occidentaux ont bien plus exploité l’Afrique qu’elle et que sa politique, respectueuse de la souveraineté des Etats, est à l’avantage de tous : elle y construit des écoles, des cliniques et des hôpitaux, y dépêche des médecins, propose des prêts sans intérêts, efface les dettes, supprime les taxes à l’import pour les 25 Etats les plus pauvres et offre des stocks de médicaments. A son dernier voyage en Afrique, début 2007, le Président Hu Jintao, qui a visité 7 pays en 12 jours a promis 5 milliards de prêts au continent, qui s’ajoutent à la promesse de doubler l’aide au développement faite au sommet Chine-Afrique de l’autome dernier (l’aide chinoise, 3 milliards de $, a dépassé celle du Japon en 2004).

Ces entreprises de séduction sont d’autant plus actives que Pékin est conscient des risques qui guettent ses relations, souvent déséquilibrées (à l’exception de quelques unes comme l’Afrique du Sud ou l’Egypte). Les petits Etats négocient la plupart du temps en position de faiblesse, tandis que l’âpreté au gain des entreprises chinoises, parfois peu respectueuses du droit du travail, induit des conflits parfois sévères, comme en Zambie (accident mortel dans une mine de cuivre appartenant à des Chinois). Au point qu’à la fin octobre 2006 un « vade-mecum des investissements à l’étranger en 9 points », édité par le Conseil des Affaires d’Etat, était assorti d’un véritable « guide des bonnes manières », surtout à l’usage des sociétés chinoises en Afrique.

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La Chine avance donc sur le Continent sans vraiment cacher son jeu. Elle est aussi consciente des effets pervers de son approche, souvent trop lourde, parfois cynique et n’ignore pas les quelques alertes qui expriment un potentiel de menaces à terme (Mozambique, Zambie, Libéria, Nigeria, où l’image de la Chine a été dégradée par la cupidité de certaines sociétés).

Pour beaucoup d’Africains, déçus de la coopération avec l’Occident, la Chine offre des perspectives nouvelles débarrasées des contentieux de l’histoire. Les attirances et les intérêts réciproques, souvent vitaux (survie des régimes fragiles d’une part et quête d’énergie et de débouchés d’autre part), créent de puissants appels d’air. En dépit des malentendus et des intentions cachées, il n’est donc pas impossible que les succès déjà enregistrés fassent boule de neige. Mais Pékin, déjà critiqué pour le dérapage de ses sociétés exploiteuses, peu familier des instabilités chroniques et des rivalités africaines, pourrait aussi se mettre en porte à faux en n’acceptant de ne traiter qu’avec le canal unique de régimes fragiles souvent menacés à terme, mis au ban de la communauté internationale et ostracisés par les institutions d’aide au développement.

C’est pourquoi, au lieu de pointer du doigt Pékin en l’accusant de bloquer l’évolution démocratique du Continent par des pratiques, dont les Européens et les Américains s’étaient rendus coupables bien avant elle (soutien à des régimes corrompus et à des dictateurs, exploitation des ressources primaires), les Etats-Unis, le Japon et l’EU devraient plutôt l’aider à réorienter son action pour la rendre moins vulnérable aux aléas politiques et plus viable à long terme.

La synergie idéale entre l’Afrique avide de capitaux et d’infrastrures de base, la Chine dévoreuse d’énergie, grisée par sa puissance nouvelle, et le reste des pays développés, désabusés et tentés par le dénigrement, ne sera pas facile à créer. Mais le pire n’est jamais sûr. Pékin a déjà initié une stratégie visant à diversifier ses canaux d’entrée en Afrique, en créant un Fonds de Développement des Ressources Humaines pour le Continent, en installant ici et là des Instituts Confucius et en envisageant la mise sur pied d’une structure spécialisée dans le soutien au tiers-monde, comparable à l’USAID américaine. L’objectif est de rééquilibrer les relations en tentant de prendre quelque distance par rapport aux structures officielles. Parallèlement la Chine participe plus activement aux conférences de coordination sur les aides au tiers monde pour se familiariser avec les mécanisme d’aide au développement. Il ne fait pas de doute qu’elle continuera dans cette voie qui ouvre des relations avec des acteurs non étatiques.

Mais pour garder deux fers au feu aussi longtemps que possible, ataviquement attachée aux relations d’Etat à Etat, elle cultivera toujours les liens officiels bilatéraux traditionnels qu’elle affectionne, quitte à ajuster son approche si ses intérêts directs le commandaient. D’ici là, s’efforçant de perpétuer le rêve des Africains, elle tentera, par des entreprises de séduction, d’étouffer les crises qui ne manqueront pas de surgir.

 

 

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