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Affaires en Chine : un peu de réalisme ne nuirait point

Les relations commerciales avec la Chine sont parfois heurtées. Certaines entreprises françaises qui font ces temps-ci la une de la presse en savent quelque chose. Encore les affaires avec Danone et Schneider ne sont-elles que les prémices des déboires ou de tensions qui se multiplieront. Mais on aurait tort de s’étonner. Les incidents étaient prévisibles dans le contexte actuel de la Chine. De nombreux hommes d’affaires, pour la plupart anglo-saxons, ont décrit par le menu leurs expériences dans ce domaine. Un des plus connus est un banquier, Tim Clissold, qui raconte dans son livre Mr China, publié en 2004 au Royaume Uni par Constable & Robinson Ltd, comment des investiseurs américains imprudents ont perdu 400 millions de dollars détournés par des sociétés parallèles et pirates, abritées dans les méandres et les enchevêtrements complexes du monde des affaires et de la bureaucratie.

Les plus touchés par le nationalisme économique qui monte - et qui n’est pas seulement l’apanage des Chinois - sont ceux dont les produits - le lait, les yaourts ou les équipements électriques, mais il y en aura d’autres - s’appuient sur des techniques et des savoir-faires que les sociétés locales maîtrisent aujourd’hui très bien. D’autant plus que l’implantation des étrangers en Chine s’était faite par le biais de « joint-ventures » avec des partenaires, dont la volonté d’apprendre n’avait d’égale que leur rêve de supplanter un jour ou l’autre leur mentor.

Les contentieux sont toujours les mêmes. Ils concernent le droit de propriété (copies illégales ou utilisation frauduleuse de la marque pour la vente en Chine par des réseaux parallèles). Puis, la meilleure défense étant l’attaque, le partenaire chinois mis en cause se rebiffe et prend les devants, avec une bonne dose de mauvaise foi, drapée dans des envolées aux accents nationalistes, sans grand rapport avec le sujet. Ces derniers mobilisent les esprits, déjà travaillés par un chauvinisme, parfois à contretemps, conséquence de l’incessante propagande d’auto-promotion du pouvoir.

Quand Schneider est arrivé en Chine, il y a près de 30 ans, juste après la révolution culturelle, le pays était dans une fort mauvaise passe. Comme le reste, les disjoncteurs chinois fonctionnaient mal (trop tôt ou pas du tout) et le groupe Schneider, qui a investi le marché en quelques années, n’a pas eu de mal à se tailler une réputation de qualité et de fiabilité qui fondèrent son succès dans un pays où les équipements électriques étaient au cœur de la modernisation.

La condamnation de Schneider par un tribunal de Wenzhou à verser 33 millions d’euros à la société chinoise Chint qui l’accuse de contrefaçon, sonne évidemment faux. Elle n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais doit être considérée comme une contre-attaque du partenaire chinois, lui-même poursuivi pour contrefaçon par Schneider en Chine et à l’étranger. Après cet échange assez brutal, les positions ont été redéfinies et Chint s’est redonné de la « face », concept cardinal en Chine. La société Chint, soupçonnée de tricherie, peut dès lors se poser en défenseur des intérêts chinois spoliés par un groupe étranger trop gourmand.

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Après cette escarmouche initiale, le Français devra composer. Mais, ayant de solides arrières sous la forme de brevets déposés en France il y a plus de 10 ans, il est peu probable qu’il ait, in fine, à payer une aussi forte amende. Il reste qu’il doit se préparer à de longues arguties pseudo-juridiques, sur fond xénophobe et nationaliste, ponctuées d’arguments qui évoqueront pêle-mêle les dangers des monopoles, contre lesquels la Chine vient de légiférer et, sans rire, les pertes subies par la société chinoise suite aux violations du « copyright » par le groupe Schneider.

Le schéma est à peu près le même pour l’affaire Danone qui accuse son partenaire de commercialiser pour son compte exclusif la marque de la Joint-Venture Wahaha en Chine. Dans ce cas, la contre attaque chinoise s’appuie non pas sur une contrefaçon - dont il serait difficile d’accuser Danone - mais sur le flou, réel ou fabriqué par la partie chinoise, du processus de montage de la JV d’origine qui, selon le partenaire de Danone, ne comprenait pas les sociétés lui appartenant, ce que Danone conteste. Pour faire bonne mesure, la riposte chinoise a aussi mis en cause la qualité de l’eau des bouteilles d’Evian commercialisées en Chine.

Le pire serait que les dérapages nationalistes de ces contentieux, repris par les médias, produisent des crispations qui pèseraient sur les relations globales entre la Chine et les pays développés. Car Danone et Schneider ne sont pas les seules sociétés objet de ces coups bas du marché chinois qui visent à discréditer un opérateur étranger solidement implanté. Procter and Gamble, Nestlé et d’autres ont déjà fait l’objet de campagnes similaires.

Il faut se rendre à l’évidence, le marché chinois a parfois l’aspect d’une jungle. C’est d’ailleurs aussi le cas pour les sociétés chinoises, victimes de concurrences, elles aussi brutales et sans scrupules. Les contentieux de ce type se multiplieront à l’avenir, dans un contexte où - les transferts de technologie et de savoir-faires aidant -, les sociétés chinoises voudront logiquement se libérer des tutelles de leurs partenaires étrangers. De proche en proche les secteurs concernés seront de plus en plus sophistiqués. De nouvelles sociétés parallèles, toutes plus ambitieuses les unes que les autres, se créeront en marge des JV. Utilisant l’expérience apprise auprès des groupes étrangers elles chercheront à prendre leur place sur le marché chinois, si possible en situation de monopole. L’orgueil qui pointe à nouveau son nez après 30 années de croissance et le nationalisme économique des élites dessineront le fond de tableau de cette reconquête de leur propre marché par les Chinois.

Schneider, Danone et d’autres essuient les plâtres de cette évolution irréversible que les sociétés opérant en Chine devront intégrer dans leur stratégie, pour tenter de s’en prémunir au mieux, en se souvenant que les avantages déterminants dans ce marché seront toujours la sophistication technologique et la qualité, pour l’instant hors de portée de la plupart des sociétés locales.

Ajoutons que les déconvenues des étrangers sont parfois d’autant plus lourdes que beaucoup abordent la Chine avec en tête un fatras de considérations culturelles assez peu pertinentes qui brouillent l’efficacité de l’approche commerciale. L’heure n’est plus à « l’approche oblique » ou aux subtils non-dits, apanages des élites apaisées et semi-oisives de la Chine ancienne. La République Populaire qui a émergé il y a moins de trois décennies de plus de cent années de troubles, n’a qu’un lointain rapport avec ces époques, où d’ailleurs seule la bureaucratie privilégiée avait accès aux délicatesses raffinées et sophistiquées de la culture de l’empire du milieu, immobile et sûr de lui. Aujourd’hui, se modernisant à marche forcée, le pays cherche sa voie au milieu d’infinies contradictions, dans un contexte général où « l’esprit des lois » fait encore défaut, en dépit d’un arsenal juridique de plus en plus pléthorique et complexe.

Il est temps que les sociétés considèrent le marché chinois en gardant la tête froide, débarrassée du sentimentalisme culturel et prennent des décisions en plaçant au centre de leurs réflexions leurs intérêts directs sonnants et trébuchants et l’idée, au fond très logique, que les Chinois chercheront par tous les moyens à rester ou à redevenir les maîtres chez eux, dans le plus grand nombre de secteurs possibles.

 

 

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