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›› Chronique

Une vision chinoise du monde

Quelle sera l’orientation de la politique extérieure chinoise à l’ère de Hu Jintao ? Un certain flou entoure encore le sujet, d’autant plus que les bruits des bottes en Irak ont détourné quelque peu l’attention des observateurs du récent changement de gouvernement à Pékin. Un point semble néanmoins certain, c’est qu’il ne faut pas s’attendre à des bouleversements spectaculaires en la matière avec la nouvelle équipe en place.

Restons encore un moment sur l’Irak. La position chinoise est apparemment classique et prévisible. Elle soutient les efforts visant à désarmer le régime de Bagdad, sans pour autant être favorable à une logique de guerre. Pékin s’est-il vraiment aligné sur l’axe Paris-Berlin-Moscou ? Rien n’est moins sûr. Notons que dans les dernières déclarations du ministère chinois des affaires étrangères, on parle des « opérations militaires » menées par la coalition anti-Saddam, en évitant soigneusement le terme de « guerre ». En même temps, des contacts téléphoniques se multiplient entre le gouvernement chinois et la plupart des capitales occidentales. Face à des fissures apparues entre les deux rives de l’Atlantique, la Chine s’efforce de jouer le jeu d’équilibre et de garder sa liberté d’action. Dans l’immédiat, si les Chinois ne voient pas d’un bon œil l’unilatéralisme américain, ils entendent conserver leurs immenses intérêts commerciaux aux Etats-Unis (105 milliards de dollar US d’excédents commerciaux en 2002) et éviter les querelles sur la question épineuse de Taiwan.

Le jeu d’équilibre se justifie pleinement aussi sur le plan intérieur car la divergence des vues traverse également l’opinion chinoise sur la crise d’Irak. Des déclarations contradictoires opposent les différents groupes d’intellectuels, tandis que les chercheurs en géopolitique tentent, souvent en vain, de donner une vision un tant soit peu cohérente aux lecteurs de journaux avides d’informations et d’analyses en la matière. C’est devant un certain degré de confusion d’esprit que les économistes ont fait une entrée en scène fracassante avec à leur tête, Wang Jian. Son article, publié par un journal de Shanghai a fait de lui le chef de file d’un nouveau courant de pensée qui place le découplage entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique au centre de la dynamique mondiale. « L’économie libérale a réalisé en moins de quinze ans, selon son auteur, l’objectif dont l’Union soviétique avait rêvé sans pouvoir l’atteindre pendant quarante ans. »

La rivalité entre les deux rives de l’Atlantique s’inscrit nécessairement dans la durée, d’après Wang Jian, car les deux économies sont structurellement concurrentes et non complémentaires. L’Europe continentale est la seule entité géopolitique en mesure de défier la puissance américaine en matière de technologie, de marché intérieur et de capacité financière. Jusqu’à maintenant, les Etats-Unis disposent de deux atouts pour s’assurer une avance sur le Vieux continent, la force de leur monnaie et une relative abondance énergétique. Or avec l’apparition de l’euro, la suprématie du dollar est sérieusement menacée.

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Afin de maintenir la prédominance de leur économie dans le monde, les Américains ont tout intérêt de déstabiliser l’Europe, aussi bien en matière monétaire qu’en celle de sécurité. De ce point de vue, la guerre du Kosovo avait pour but de prolonger la dépendance des Européens à une forme de protection américaine et les Américains y ont marqué un point. Cependant, avec l’éclatement de la « bulle internet » et les scandales financiers, les capitaux internationaux ont de nouveau tendance à fuir les Etats-Unis. La montée régulière de la monnaie unique face au dollar atteste ce mouvement en marche. Les réponses des Américains ne se font pas attendre. Elles sont à la fois d’ordre économique, politique et militaire.

Dans les domaines où ils sont en concurrence frontale avec l’Europe, les Américains ont tout fait pour favoriser leurs producteurs et n’hésitent pas à brandir l’arme du protectionnisme en cas de besoin. C’est le cas pour la sidérurgie et les produits agricoles. En matière aéronautique, les pressions s’exercent au niveau gouvernemental de différents pays européens pour qu’ils renoncent à l’achat des avions de transports militaires A-400M au profit de Boeing. La dernière ventes de F-16 à l’armée de l’air polonaise porte elle aussi un coup dur à l’industrie européenne.

En matière énergétique, le contrôle militaire de l’Irak apporterait aux Etats-Unis un avantage considérable sur l’approvisionnement en brut, bien que le but de la guerre en Irak dépasse largement le cadre du pétrole. On peut aussi déceler l’ombre de l’Oncle Sam dans les troubles politiques vénézuéliens et dans certains pays d’Afrique noire.

Sur le plan politique, les Etats-Unis ne souhaitent pas voir une Europe unie autour de l’axe Paris-Berlin. La puissance financière des Américains leur permet de rallier à leur cause un certain nombre des anciens pays de l’Est, candidats à l’adhésion à l’UE. Dans une Europe désormais élargie, le mécanisme de décisions risque d’être de plus en plus grippé par l’oppositions des petits pays.

Enfin, le remodelage du paysage politique du Moyen-orient constitue une pièce maîtresse dans la politique mondiale des Etats-Unis. Si la région passe effectivement sous contrôle américain, elle fera un rempart efficace à l’expansion européenne vers le sud et formera la tête de pont d’une conquête américaine en Asie centrale et dans la région de Caucase. Avec une Angleterre fidèle à la solidarité atlantique et peut-être une Espagne acquise au rêve américain à l’Ouest du continent, et un Moyen-orient docile aux directives de Washington, l’Europe ne pourrait alors tout au plus prétendre qu’à un titre de puissance régionale.

Et la Chine dans tout cela ? l’économiste de Shanghai préconise une politique de « neutralité active » dans ce conflit atlantique. La stabilité politique du pays reste prioritaire car elle constitue la meilleure des conditions pour attirer les flux de capitaux. La Chine entend aussi accroître son rôle dans l’économie asiatique et poursuivre ses efforts d’expansion dans le Sud-est asiatique et en seconde étape dans l’Océan indien. Pour son approvisionnement en pétrole (la Chine importe chaque année environs 30% de ses consommations), la Chine comptera sur la construction d’un pipeline transsibérien ainsi que l’exploitation des gisements en Mer de Chine méridionale. Afin de sécuriser les routes maritimes d’approvisionnement énergétique, les Chinois auront tout intérêt à développer une force d’intervention capable d’intervenir en haute mer.

Wang Jian sera-t-il un Huntington à la chinoise ? Pour l’instant, son analyse semble être entendue dans les hautes sphères politiques de Pékin. Il ne faut pas prendre ses paroles à la légère car nous pouvons peut-être y apercevoir l’ébauche de la politique extérieure de la République populaire dans les vingt ans à venir.

 

 

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