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Le gigantisme et la démesure. Un défi à l’esthétique

S’il est un aspect qui symbolise le développement accéléré, souvent démesuré, de la Chine ce sont bien ses équipements d’infrastructure aux aspects futuristes et aux dimensions colossales et ses réalisations architecturales d’un avant-gardisme parfois tapageur qui surgissent dans la capitale chinoise en amont des JO. Le futur siège de la télévision chinoise est de ceux-là : sortant de terre à l’est de la ville, il se présente sous la forme penchée de deux Z entrecroisés, reliés au sommet et à la base, hauts de 230 m, qui donnent le vertige. Il sera sans doute le siège de télévision le plus oblique et le plus cher du monde.

Pékin, qui a nettoyé une partie de la ville de ses « hutong » pittoresques et insalubres et relogé en banlieue toute une société de retraités déboussolés, présente, au milieu de sa circulation embouteillée et polluante, sur un enchevêtrement de plus en plus dense de voies rapides superposées, bien d’autres « merveilles d’architecture ». L’ensemble donne parfois l’impression d’un laboratoire futuriste, terrain d’expérience des créateurs du monde entier.

Les deux réalisations les plus emblématiques sont sans doute le « nid d’oiseau », stade olympique de 90 000 places, achevé il y a quelques semaines, étonnante construction aux structures apparentes qui s’entrecroisent pour donner l’impression d’un nid d’oiseau herculéen, dont les « brindilles » d’acier emmêlées, qui pèsent chacune plusieurs tonnes, auraient été entassées là par un fabuleux phoenix. L’autre réalisation, œuvre du Français Paul Andreu, à la fois insolite et gigantesque dôme en titane à l’allure glabre et épurée, qui semble flotter doucement sur un plan d’eau, est le nouveau théâtre national, en face de Zhongnanhai, à deux pas de l’Assemblée Nationale Populaire et de Tian’anmen. Les Pékinois, un peu désarçonnés par la forme lisse et ronde, l’ont baptisé « l’œuf ». Une véritable ville intérieure fonctionnelle et esthétique se développe déjà sous la voûte qui accueille un théâtre de 6000 places et de nombreuses autres salles de concert.

La puissance et le modernisme de ces réalisations futuristes expriment à n’en pas douter la volonté des élites chinoises de donner de leur pays, longtemps relégué par l’Occident dans une catégorie arriérée, une image flamboyante de modernité, d’énergie et de confiance en soi. Mais la démesure et l’affichage ne plaisent pas à tout le monde. Yin Zhi, docteur en design et aménagement urbain de l’université de Qinghua aurait préféré moins d’outrance dans les formes et plus d’attention accordée aux transports urbains, dans une ville déjà asphyxiée aux heures de pointe, tandis que le nombre de véhicules particuliers qui circulent à Pékin augmente chaque jour de plus de mille.

L’hypertrophie et le gigantisme ne se limitent pas à la capitale, ni à l’architecture urbaine. Toutes les grandes villes et notamment Shanghai se couvrent de gratte-ciels aux formes conquérantes, tandis que les infrastructures - routes, autoroutes, aéroports et viaducs, ponts suspendus, installations portuaires -, aux allures révolutionnaires et aux performances inédites surgissent partout en Chine (le 11e plan prévoit la construction de 35 aéroports dans l’ouest du pays), comme si le pays tout entier était engagé dans une vaste compétition de la démesure. Il y a deux mois l’aéroport n°3 a été mis en service à Pékin. Construit dans le temps record de 4 années par Norman Foster, qui avait déjà dessiné l’aéroport de Hong Kong, c’est le plus grand et le plus fonctionnel terminal du monde, capable d’accueillir annuellement plus de 45 millions de passagers sur une surface totale couverte de plus de 150 hectares.

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Mais la palme du gigantisme revient sans conteste au nouveau port de Shanghai, construit sur l’île de Yangshan, au large de l’embouchure majestueuse du Fleuve Bleu. En terme de tonnage, le terminal place déjà Shanghai en tête des ports de conteneurs devant ses concurrents de Singapour, Rotterdam et Hong Kong, avec une capacité annuelle estimée de 2,2 millions de TUE. Lorsqu’il sera complètement achevé en 2020, il pourra accueillir simultanément 50 porte conteneurs, le long de quais hérissés de grues hérculéennes, et sa capacité sera portée à 20 millions de tonnes. Cet ensemble qui comportera aussi une ville portuaire (Luchao), au design réalisé par des architectes allemands située à 30 km de Yangshan, sera relié à la terre par le pont de Donghai long de 32 km. Suspendu à deux piles monumentales, le tablier principal large de 31 m surplombe la mer de 40 m.

Cet ouvrage n’est d’ailleurs pas le seul de la région de Shanghai. Le pont en pleine mer destiné à relier Shanghai à Ningbo et éviter le détour par Hangzhou vient d’être terminé. Avec 38km, c’est le plus long pont du monde.

Ailleurs ce sont aussi les viaducs qui enjambent le Yangzi et les autoroutes qui modifient totalement le paysage. La région entre Shanghai et le lac Taihu, au sud du Grand Fleuve, n’est plus qu’un vaste échangeur, réseau inextricable et enchevêtré de bretelles tournantes hélicoïdales se surplombant les unes les autres. Dans les espaces laissés libres par cette marée de béton, hideusement pavoisée d’une multitude de panneaux publicitaires arrogants et incultes, on aperçoit de temps à autre, réminiscence d’un passé noyé dans la brume, la barque d’un pêcheur qui glisse lentement le long des vieux canaux, au milieu des bambous et des vieilles maisons de pierre.

Insolite et improbable vision surgie de l’histoire immémoriale, au milieu d’une campagne saccagée, hérissée de lignes à hautes tension qui voisinent aujourd’hui avec les grands relais acérés et sans grâce de la téléphonie mobile. Ceux-là, larges tubulures métalliques entrecroisées, surchargées d’antennes et de disques, n’ont même pas épargné le centre du vieux Suzhou, puisqu’une de ces repoussantes excroissances domine aujourd’hui la vieille ville, surplombant de sa silhouette heurtée et laide les méticuleux et gracieux jardins, joyaux de la vieille Chine, heureusement protégés.

 

 

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