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›› Editorial

Défis, avantages et déboires de l’ouverture

La Chine, qui a longtemps bénéficié de l’ouverture, en mesure aujourd’hui le prix.

Que l’intégration au monde ait été bénéfique pour le pays est une évidence. Le commerce extérieur, les investissements étrangers, les coopérations sur les hautes technologies et leur corollaire le piratage ont poussé l’économie et l’industrie chinoises en avant, tout comme le font encore aujourd’hui les considérables investissements consentis par le pouvoir pour développer les infrastructures de transport et d’énergie. Ce mouvement, qui est aussi pollueur, dévoreur d’énergie et de matières premières, et dont les effets pervers sont considérables, au point qu’on se demande s’il serait assez durable pour bénéficier à la grande majorité de la population rurale, a tout de même tiré vers une vie meilleure plus d’une centaine de millions de Chinois.

C’est aussi grâce à l’ouverture, aux échanges avec la France et d’autres membres de l’UE comme l’Allemagne, aux coopérations avec le Brésil, l’Inde, la Russie et les Etats-Unis, que le pays est devenu une puissance spatiale, qu’il maîtrise aujourd’hui de mieux en mieux l’énergie nucléaire civile et s’affirme comme une des nations en pointe pour les sciences de la vie et les biotechnologies. On connaît les succès des lanceurs chinois dérivés des fusées russes et les progrès de l’aventure spatiale de Pékin. Récemment, c’est l’industrie aéronautique qui vient d’effectuer une percée spectaculaire. Nourrie elle aussi par l’ouverture et les coopérations technologiques habilement intégrées par les grands constructeurs chinois qui commencent à avoir pignon sur rue, elle vient en effet de vendre son avion régional ARJ 21 à une société de leasing américaine filiale de General Electric qui, il est vrai, fournit à AVIC - le constructeur - les réacteurs de la série ARJ. Que la Chine prenne ainsi pied dans le cercle étroit des constructeurs d’avions capables de vendre leurs appareils sur le marché occidental de l’aéronautique si pointilleux sur les questions de sécurité, rend bien compte des progrès effectués grâce à la coopération internationale et l’ouverture.

L’appel du large fut aussi une nécessité induite par la voracité de la croissance, grande consommatrice d’énergie et de matières premières. A bien des égards l’exigence énergétique, la quête de matières premières et de marchés nouveaux, comme de solutions alternatives aux zones à risques que sont l’Afrique et le Moyen Orient, conditionnent aujourd’hui la politique étrangère de Pékin à l’égard - entre autres - de l’Asie Centrale, de l’Amérique latine et de Moscou. Coup de théâtre, fin octobre, Wen Jiabao obtenait, lors de son voyage à Moscou, un accord sur la construction d’une bretelle vers Daqing de l’oléoduc Sibérie - Mer du Japon, espérée depuis dix ans par les Chinois et toujours retardée par Moscou, qui, voyant la quête chinoise, jouait de ses avantages de grand fournisseur d’énergie en exagérant ses conditions financières. La baisse du brut, le tassement de la demande mondiale, et probablement quelques désordres financiers au sein de Transneft et Rosneft, gestionnaires de l’oléoduc, ont eu raison des exigences exorbitantes des Russes, sauvés par un prêt chinois de 25 milliards de dollars, remboursable par des livraisons de 300 millions de tonnes de brut échelonnées sur 20 ans.

Mais l’ouverture se déploie aussi dans des zones du monde plus troublées. Alors que la Chine concluait son accord inespéré avec les Russes, presque au même moment, elle mesurait au Soudan les conséquences de son engagement massif, à la fois politique et industriel, qui fait d’elle le plus grand client et le principal soutien politique du régime de Khartoum, à qui elle achète, en association avec l’Inde et la Malaisie, 60% de son pétrole.

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Le 27 octobre dernier en effet, trois otages travaillant pour CNPC (Petrochina est le premier opérateur étranger au Soudan) étaient exécutés par un groupe terroriste hostile à la présence chinoise. Pékin en était d’autant plus dépité que la diplomatie chinoise s’était engagée, au prix de son image en Occident, pour tenter d’alléger les charges de génocide et de crime contre l’humanité pesant contre Omar el Béchir.

Les risques liés à l’aventure africaine de la Chine et à sa quête de ressources ne se limitent pas au Soudan. Ils pourraient également surgir - pour des raisons politiques ou crapuleuses - au Tchad ou au Niger voisins, où les sociétés chinoises accélèrent leurs prospections et créent des convoitises. A côté des menaces directes contre des ressortissants chinois, commencent aussi à émerger les premiers mécomptes de l’engagement industriel de Pékin en Afrique. Début novembre, le Nigeria mettait en veilleuse un contrat de plus de huit milliards de dollars signé avec la compagnie de construction ferroviaire chinoise CRC pour la réhabilitation d’une voie ferrée 1300 km. Crise économique ou décision politique qui viserait les intérêts chinois, l’incident, qui survient dans une conjoncture mondiale très déprimée, jette une lumière crue sur la fragilité croissante des grands contrats d’infrastructure, fleurons de l’engagement chinois en Afrique.

Ailleurs sur le Continent Noir, les méthodes parfois agressives des entreprises chinoises, pressées par l’appât du gain et la quête de ressources, commencent à créer des tensions (non respect du droit du travail et des contrats, importation de main d’œuvre chinoise pal payée) qui, ajoutées aux déboires sur la qualité des produits exportés, dessinent une image moins positive d’une Chine qui apparaît aujourd’hui surtout préoccupée par la résolution de ses difficultés intérieures. S’il est vrai que celles-ci ne sont pas toutes un effet de la crise mondiale, la récession globale entraîne avec elle l’économie chinoise en révélant nombre de ses fragilités, installant un climat d’inquiétude au sein du parti.

Dès avant la crise financière qui secoue la planète, la Chine avait ressenti les premiers effets des difficultés économiques qui l’assaillent aujourd’hui. En 2007, l’inflation s’était installée à plus de 7% pour culminer à 8% en 2008 ; en février dernier les excédents commerciaux avaient brutalement chuté de 60%, tandis que l’activité industrielle, handicapée par la hausse des prix de l’énergie, le renforcement du yuan et le relèvement progressif du niveau des salaires sur la cote Est, accusait un net ralentissement qui bousculait gravement la plupart des secteurs déjà plombés par les effets des surproductions, des concurrences sauvages du marché et la qualité très inégale des productions. Le tout sur fond de graves dégradations de l’environnement et de heurts sociaux dans les campagnes, traversées par les tensions autour des conflits sur la terre, s’exprimant au travers des « incidents de masse » (en chinois qutixing shijian) - euphémisme utilisé par le Parti pour désigner des mouvements qui sont souvent de véritables révoltes -.

En mars 2008, lors de la réunion annuelle de l’ANP, le premier ministre Wen Jiabao tirait la sonnette d’alarme, prévoyant que l’année 2008 serait difficile. Peu après, la CDRC (Commission pour les Réformes et le Développement) annonçait qu’en 2008 dix millions de Chinois seraient sans emploi, laissant présager des crises sociales. Au point que le 13 juin dernier une réunion extraordinaire du Bureau Politique exhortait les Chinois à resserrer les rangs face à « une série extraordinaires de défis économiques et sociaux à venir ». Aujourd’hui, alors que le pays s’installe dans la crise, les craintes de Wen Jiabao, que l’ensemble de direction du pays a fait siennes, se confirment. Pour la première fois depuis l’ouverture, les élites chinoises qui voient la croissance se rapprocher des 8%, tandis que la bourse et l’immobilier dévissent, ont en effet le sentiment que l’économie et, par corollaire la société, sont confrontées à un marasme, dont ils mesurent encore mal les contours.

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Dans ce contexte, la direction du parti, qui craint des débordements sociaux initiés par une récession, appelle à la solidarité et adopte une série de mesures d’urgence. Alors que la police a reçu des consignes strictes d’éviter à tous prix le durcissement des affrontements qui se multiplient, non seulement dans les campagnes, mais de plus en plus à la périphérie des grandes villes, suite à la fermetures des usines frappées de plein fouet par la baisse des exportations, les gouvernements locaux ont mis en place des fonds de secours spéciaux aux sinistrés de la crise que sont les salariés sans travail.

Le sud de la Chine et la région de Canton, où se sont accumulées des dizaines de milliers d’entreprises de « l’usine du monde » (électronique, textile, jouets, appareils ménagers), principaux fournisseurs des marchés européens et américains, aujourd’hui en très net recul, sont parmi les plus touchés du pays. Les faillites s’y comptent par dizaines de milliers et, dans le seul delta de la rivière des perles, on dénombre déjà près de 3 millions de chômeurs.

Face aux risques de désordres sociaux, le pouvoir réagit avec célérité et dépêche sur place des fonctionnaires les bras chargés de sacoches remplies de « cash » pour désamorcer les rancoeurs qui montent. Des caisses d’urgence sont créées pour maintenir à flot des entreprises en péril. Du coup, les réflexes de la vieille société communiste réapparaissent. Les salaires sont payés alors que les usines végètent, tandis que des industries traditionnelles, à forte intensité de main d’œuvre, que les cadres locaux auraient voulu remplacer par des usines « high-tech » plus modernes, sont maintenues à flot à coups de subventions publiques.

Les solutions avancées par quantité d’experts chinois et étrangers pour sortir la Chine de ce mauvais pas qui menace l’équilibre politique du pays sont multiples. A côtés des tentatives macro-économiques pour relancer la demande, l’investissement et la croissance (facilités de crédit qui viennent après les sévères restrictions opérées en 2006 et 2007, soutiens de l’état à la bourse et appuis publics à l’export, nouvelle tranche de grands travaux d’infrastructure ferroviaire dotés de plus de 250 milliards de dollars de fonds publics), le pouvoir a lancé de profondes réformes socio-économiques annoncées récemment (système de santé, caisses de retraite et vaste réforme agraire). Elles sont destinées à restructurer les campagnes, apaiser la société et doper la demande interne en créant des filets de sécurité sociale qui libéreraient la formidable épargne des chinois, estimée à plus de 500 milliards de dollars. Il reste que leur efficacité sera d’abord limitée par les contraintes politiques et le manque de crédits.

Mais les risques qui se profilent et inquiètent la direction du pays auront au moins un effet positif. Celui d’obliger le Parti, placé sous la pression des risques sociaux, à lancer nombre de réformes indispensables, mais toujours reléguées au calendes grecques, soit parce que leur mise en œuvre est trop complexe, soit parce que l’ambiance de succès dans lequel baignait la Chine depuis de longues années avait quelque peu désarmé la volonté et affaibli l’influence de ceux qui, dans le système, appelaient à un réajustement du mode de développement du pays.

Dans ce contexte difficile et incertain, où les élites craignent d’abord les conséquences sociales et politiques internes d’un ralentissement économique, il est vain de croire que la Chine, d’abord inquiète de ses propres difficultés, s’engagera de manière significative pour venir au secours du système financier international.

 

 

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