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›› Taiwan

Détente dans le Détroit. Réalités et illusions

Les relations dans le Détroit de Taiwan sont clairement à la détente. L’évolution de la situation est même spectaculaire. Alors que Pékin reste inflexible sur la question tibétaine, refusant de considérer le Dalai Lama autrement que comme un dangereux séparatiste, sa position à l’égard de Taiwan s’est considérablement assouplie depuis le retour au pouvoir du Kuomintang.

Il est vrai que la victoire de Ma Ying-Jeou contre le candidat du DPP, par ailleurs gêné par des scandales de corruption, a semblé marquer un recul des idées indépendantistes les plus radicales à Taiwan.

L’année 2008 aura été marquée par le rétablissement, le 15 décembre dernier, des « trois liens directs » entre la Grande Terre et Taiwan. Interrompus depuis près de 60 ans les liaisons maritimes aériennes et postales ont été rétablies à peine 7 mois après l’accession au pouvoir de Ma Ying-Jeou, qui en avait fait une des clés de sa politique dans le Détroit.

Pour ne mentionner que les effets les plus spectaculaires de cette restauration qui apparaît comme une victoire du Parti Communiste Chinois, ayant enfin réussi à contourner les réticences taiwanaises, signalons que Taiwan et la Chine sont maintenant reliées par plus de 160 vols hebdomadaires sans escale au départ de 21 villes chinoises et 8 villes taiwanaises.

Plus de 60 ports chinois et 21 taiwanais sont également ouverts à la navigation directe. Ces dispositions, qui mettent fin à des arrangements hérités de la guerre civile, obligeant les transporteurs et les voyageurs à d’importants détours, permettront aux compagnies aériennes et maritimes d’économiser au moins 30% de leurs coûts logistiques. Il va de soi qu’elles seront aussi un puissant facteur de développement des relations économiques et commerciales et le vecteur d’une meilleure connaissance réciproque.

Mais il y a plus : lors de son adresse de nouvel an le Président chinois a lancé deux importantes ouvertures politiques allant dans le sens des « gestes » attendus par Ma Ying-Jeou, en retour de sa politique qui tourne franchement le dos au radicalisme séparatiste de Chen Shui Bian. L’avenir dira si ces ouvertures contribueront - comme l’espère le PCC - à renforcer la position du Président taiwanais sur la scène politique de l’Ile.

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La première proposition touche aux questions militaires avec, en filigrane, le poids de la menace missiles régulièrement mise en avant par Pékin en réponse au développement des tendances indépendantistes. Celles-ci avaient été facilitées dans l’Ile par l’évolution démocratique qui, en 2000, avait conduit le DPP au pouvoir.

Hu Jintao, semble maintenant tenir compte de ce que la persistance des risques militaires et du chantage aux missiles ferait obstacle aux apaisements. Il propose que les deux parties mettent sur pied une structure d’échange entre les forces armées, destinée à « instaurer la confiance » et, partant, à réduire les risques de dérapage militaire dans le Détroit. A défaut du démantèlement des missiles réclamé par Ma Ying-Jeou, ce geste, s’il est suivi d’effets, constituera déjà un effort important pour la faction dure le l’APL, dont la modernisation et les exercices sont, depuis une dizaine d’années, calibrés en vue d’un conflit dans le Détroit.

La seconde ouverture renvoie à la quête des élites taiwanaises pour une plus grande marge de manœuvre diplomatique. Pour le Secrétaire Général du PCC, la question des attentes taiwanaises pour plus de liberté diplomatique pourrait être résolue par la négociation.

A cet égard la plupart des observateurs anticipent que Pékin autoriserait bientôt l’accession de Taiwan à l’Organisation Mondiale de la Santé sous le nom de « Chinese Taipei ». Une initiative sans grands risques pour la Chine, puisque l’Ile est déjà représentée sous ce nom au sein du Comité International Olympique et de l’Organisation Mondiale du Commerce.

C’est peu dire que ces évolutions positives tranchent avec la rigidité du Parti sur les autres questions liées à l’unité du pays, au Xinjiang et au Tibet. Il est vrai que dans ces deux cas les divergences sont compliquées par de lourdes fractures culturelles, alors que dans le cas de Taiwan le conflit est essentiellement historique et politique. En tous cas la souplesse chinoise a fait surgir chez les hommes d’affaires taiwanais des espérances nouvelles.

Les entrepreneurs de l’Ile qui, en 30 ans, ont investi 100 milliards de dollars en Chine, lient toujours leur destin au faible coût de la main d’œuvre sur la « Grande Terre » et aux dimensions du marché chinois. En dépit des critiques sur l’Ile qui craignent l’avalanche des produits chinois bon marché à Taiwan et l’aggravation du déficit commercial, (déjà très lourd dans l’agriculture, puisque la Chine vend déjà 6 fois plus de produits agricoles à Taiwan que l’Ile n’en exporte vers la « Grande Terre »), il est probable que les liens directs accélèreront encore le rapprochement économique et commercial entre les deux rives.

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Beaucoup d’analystes taiwanais soulignent cependant que la facilité de ces développements, qui suivent la « ligne de plus grande pente » commerciale, contraste avec la complexité des questions politiques que les deux parties, tout à leurs espoirs de détente durable, s’appliquent à éluder. On rappelle dans plusieurs « think tanks » que ce contraste entre le progrès des relations commerciales et la persistance des divergences politiques, dans un contexte d’ambiguïtés et de non-dits, fera le lit des tensions à venir. Ces dernières seront, à n’en pas douter, alimentées par l’activisme du DPP en recherche d’une nouvelle crédibilité après les débâcles politiques de 2007.

Pour prendre la mesure du malaise sous-jacent, il suffit de repérer les déclarations de Ma Ying-Jeou destinées à rassurer ceux de ses compatriotes qui sont inquiets des récentes initiatives faisant bouger les lignes des anciennes confrontations. Le Président Taiwanais, dont la popularité s’est effondrée (66% d’opinions favorables en mai, contre 33% à la mi-novembre) ne manque en effet pas une occasion de rappeler - sans bien sûr convaincre ses plus ardents détracteurs du DPP - que la multiplication et l’approfondissement des relations économiques « ne mettront pas en danger la sécurité, la souveraineté ou la dignité de l’Ile ». A l’occasion, et pour rassurer les plus inquiets ou les plus radicaux, il insiste sur l’importance de la défense de l’Ile pour dissuader une « attaque militaire ennemie ».

Ces rappels récents font écho aux déclarations antérieures du Président sur le rôle essentiel du peuple taiwanais dans le choix de son avenir, sur les différences d’interprétation du consensus de 1992 entre les deux rives, ou encore sur sa politique des « trois NON » - pas de conflit militaire, pas d’indépendance et pas de réunification -. Autant de points qui indiquent la persistance des désaccords de part et d’autre du Détroit et tracent la limite des rapprochements en cours.

Les Taïwanais, dont la maturité politique se renforce au fil des ans, se montrent aujourd’hui moins frileux envers la Chine, et prêts à cautionner un rapprochement économique et commercial, dont ils perçoivent les intérêts pour la santé économique de l’Ile.

Mais en même temps ils sont de plus en plus déterminés à défendre leur identité face à la Grande Terre. S’il est vrai que tous ne sont pas sur la ligne de radicale du DPP, qui vient d’ailleurs de rejeter la proposition de Hu Jintao d’ouvrir des contacts, sous condition d’abandonner la revendication d’indépendance, une proportion de deux Taiwanais sur trois tient toujours fermement à préserver l’identité historique et politique de l’Ile par rapport à la Chine.

La période qui s’ouvre jusqu’en 2012 mettra peut-être sous le boisseau les positions tranchées qui exigeaient soit une « réunification urgente », voulue par un PCC trop pressé, soit la rupture avec la Chine et l’histoire, souhaitée par les radicaux du DPP.

Dans ce contexte on peut, dans le meilleur des cas, s’attendre à une « normalisation » des relations focalisées autour des échanges économiques, touristiques et culturels.

Il reste qu’aucun Président Taiwanais, quel que soit son bord politique, n’acceptera jamais de reconnaître la « politique d’une seule Chine » selon les exigences univoques de Pékin qui, selon ses détracteurs, conduirait à une solution politique inspirée du principe « un pays deux systèmes » qui régit la relation entre la Chine, Hong-Kong et Macao.

Rien ne dit enfin que le DPP, dont les positions de fond n’ont pas changé, ne reviendra pas au pouvoir en 2012.

 

 

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