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›› Editorial

La politique étrangère de Pékin : un « soft power aux caractéristiques chinoises »

La politique étrangère chinoise a connnu depuis 1949 de profondes évolutions. Marquée sous Mao par un réel isolationisme et une volonté de propager le vent de la révolution contre l’ordre mondial existant, elle s’est progressivement ouverte et developpée sous Deng Xiaoping.
Mais depuis quelques années on assiste à l’émergence d’un diplomatie plus sophistiquée et d’un « soft power » chinois. Cette évolution peut faire penser que Pékin, confiant dans sa puissance, entend être plus visible sur la scène internationale et ce faisant abandonner progressivement la strategie du profil bas ordonnée par Deng Xiaoping dans sa fameuse stratégie des 24 caractères. [1]
Pékin se serait-il converti à la « proactivité » diplomatique pour se consacrer au façonnement d’un monde harmonieux ? [2]
Surement pas, et le premier ministre Wen Jiabao soulignait récemment que c’était précisement en restant discret que, ces dernieres années, la Chine avait été capable d’accroître son espace de manoeuvre sur la scène internationale.
L’ouverture accrue de la RPC sur la scène diplomatique et sa participation plus active aux affaires du monde sont cependant des realités inconstestables. Mais elles sont davantage motivées par la nécessité que par une pure volonté politique des autorités chinoises pour qui la priorité des deux décennies à venir est encore très « domestique ».

Fidelité et flexibilité vis-à-vis des grands principes.
Bien sûr, la RPC affirme rester fidèle aux principes qui ont guidé sa politique étrangère depuis sa création : les 5 piliers de la coexistence pacifique et le concept selon lequel « la périphérie est la priorité, les grandes puissances sont la clé et les PVD constituent la base » de la politique étrangère chinoise.

Pour autant la Chine développe depuis quelques années une diplomatie plus responsable et a su faire preuve à plusieurs reprises de flexibilité dans l’application des principes afin d’être plus crédible dans la gestion de certaines crises. C’est le cas notamment du principe de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Sans aller jusqu’à remettre en cause les regimes du Myanmar, du Zimbabwe ou du Soudan, Pékin a joué un rôle de médiateur actif pour encourager, avec un succès et un enthousiasme variables, ses alliés traditionnels à coopérer davantage avec la communauté internationale. Ce faisant, la Chine commence à abandonner une stratégie démodée de soutien systématique du tiers monde contre les grandes puissances, manifestant davantage de pragmatisme et démontrant aussi l’évolution de son statut dans la communaute des Nations, la Chine ne se voyant plus comme un opposant à l’ordre mondial mais comme un leader de celui-ci qu’elle veut influencer de l’intérieur.

Cette évolution vers une participation plus pragmatique et responsable de la Chine ne peut être mieux illustrée que par la gestion de la crise nord-coreenne surtout en comparaison avec la passivité de la RPC lors de la crise coréenne de 1993-1994. Sans que le rôle de la Chine dans les Pourparlers à 6 suffise à envisager une résolution rapide et satisfaisante de la crise, il n’en demeure pas moins que Pékin est davantage engagé et actif dans la crise et que des prises de position inimaginables par le passé ont été constatées notamment lors des votes des résolutions au CSNU contre la Coree du Nord à l’été et à l’automne 2006. [3]
Pragmatique, la Chine s’est efforcée de l’être aussi dans la gestion de différends dans lesquels elle est partie comme le contentieux en Mer de Chine du Sud avec le code de conduite d’octobre 2002. [4]

Par ailleurs, la Chine est de plus en plus engagée et active, voire « pro-active » dans les enceintes multilatérales. La RPC a progressivement realisé que c’était son intérêt de participer à des organisations telles que l’ASEAN, auprès de laquelle elle vient d’accréditer une ambassadrice, et au sein de laquelle elle développe une stratégie de coopération aussi large que diversifiée.
Elle a même pris des initiatives pour développer de nouveaux mécanismes tels que l’Organisation de Cooperation de Shanghai ou le sommet d’Asie de l’Est.
Au-delà même de ce nouveau penchant pour le multilatéralisme, elle a démontré sa volonté de sortir de la sphère exclusivement économique et elle ose désormais développer des coopérations multilatérales en matière de sécurité. [5]La participation d’une délégation de haut niveau de l’APL aux sessions 2007 et 2008 du dialogue du Shangri-La organisé à Singapour par l’IISS est significative à cet égard.

Enfin, comme souvent, la Chine a saisi les opportunités qui se sont présentées. Ainsi, elle a analysé la perte d’influence des Etats-Unis et le déclin du « soft power » americain sous l’administration Bush. Elle est arrivée à la conclusion qu’il lui fallait développer son propre « soft power » pour, d’une part contrer la théorie de la menace chinoise et d’autre part progressivement « occuper » le creneau abandonné par l’administration américaine.
Ainsi, au-dela d’une participation plus ouverte aux affaires du monde jusque dans les domaines de la sécurité, la Chine a aussi fait effort sur sa communication et la propagation de son influence par la culture et la langue, notamment via les instituts Confucius, concept inauguré en 2004 à Séoul et qui compte désormais près de 300 établissements dans plus de 70 pays.

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Pourquoi cette évolution ?

Ces changements dans la politique étrangère de la Chine s’expliquent par divers facteurs qui les ont rendus d’une part nécessaires et d’autre part possibles.
Ces évolutions devenaient inévitables compte tenu de la puissance de la Chine qu niveau mondial et les nouveaux defis auxquels elle devait faire face après 2000. Rester dans une stratégie consistant exclusivement à garder un profil bas ne convenait plus à une RPC dont les aspirations imposent une implication plus importante sur la scène internationale. Par ailleurs, la défense de ses intérêts nationaux et les impératifs liés à son développement économique, notamment les besoins en ressources, ont obligé la Chine à s’investir de manière accrue à l’étranger. Cette politique de défense des intérêts nationaux, terme apparu pour la première fois dans les textes officiels dès 1982, est bel et bien aujourd’hui une nouvauté.

Ces évolutions ont aussi été rendues possibles grâce aux réformes et à l’ouverture qui ont renforcé la confiance de la Chine dans ses capacités. De même, les programmes de formation de diplomates et autres experts en relations internationales lancés par Deng Xiaoping ont fourni à la RPC une génération de bureaucrates expérimentés qui a permis la mise en œuvre d’une politique étrangère plus ambitieuse tant à l’étranger dans son réseau d’ambassades qu’à Pekin au sein des groupes interministeriels d’experts qui favorisent l’élaboration d’une politique étrangère en cohérence avec le monde actuel.

Enfin, la confiance chinoise se fonde sur un sentiment relativement nouveau de relative sécurité. Comme l’explique Wu Jianmin, ancien ambassadeur de la RPC en France, pour la première fois de son histoire, la Chine ne perçoit aucune menace dans les 4 « sphères » traditionnelles de sa diplomatie [6] et elle est de ce fait davantage encline à s’ouvrir sur le monde.

Nouveaux defis, notamment dans le secteur de la défense et la sécurité.

Ces nouvelles orientations impliquent de nouveaux défis dont certains non négligeables pour la politique de défense et l’Armée Populaire de Libération - APL. Ces défis bousculent quelque peu les agendas et les priorités initiales dans le processus de modernisation de la défense chinoise.

La Chine comprend peu à peu qu’il n’est pas de puissance mondiale sans partenariats de défense forts. En effet, une Chine plus visible sur la scène internationale ne peut faire l’économie d’une coopération militaire et d’une ouverture accrues en contrefeux aux appréhensions et aux suspicions de la communauté internationale.
Par ailleurs, en interne, l’APL devra aussi progressivement sortir de sa « coquille » et s’imposer davantage dans une coopération active avec le Waijiaobu, ministère des affaires étrangères tant les questions de sécurité et défense font desormais partie des dossiers majeurs de la politique extérieure des Etats au même titre que les affaires economiques.

La Chine devra aussi développer et diversifier ses capacités en termes d’opérations de maintien de la paix et d’intervention à l’extérieur de ses frontieres [7] pour agir conformement au rang de grande puissance, qu’en dépit des discours officiels, elle estime être le sien. Le récent engagement de la marine chinoise dans le golfe d’Aden, qui s’est imposé à Pekin plus qu’il n’a été librement consenti, reflète cette nécessité.

La défense des intérêts nationaux impose aussi aux armées chinoises d’urgentes priorités telles que la securité des lignes de communication maritimes, elles aussi au coeur de l’implication de la marine chinoise au large de la Somalie, mais aussi les capacités d’évacuation de ressortissants chinois à l’étranger dont le nombre croît chaque année y compris, voire essentiellement, dans les zones de crises potentielles (80 000 Chinois environ vivent en Afrique).

Ces nouveaux défis pour les armées chinoises dans un contexte budgétaire somme toute contraint risque de forcer la Commission Militaire Centrale du Parti à modifier certains choix dans le processus de modernisation. Pour ne citer qu’un exemple, la mécanisation des forces terrestres non immédiatement concernées par le théatre de Taiwan pourrait être reportée au profit de la marine qui utilise à plein son engagement actuel dans le golfe d’Aden pour faire avancer ses dossiers, notamment celui du porte-avions. [8]

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Conclusion.

Entre contrainte et retenue, la RPC s’est toujours efforcée d’évaluer au plus juste son rôle sur la scène internationale afin d’éviter au mieux les écueils de la proactivité et de la passivité.
Les autorités chinoises, prudentes par nature, ont jusqu’ici developpé une politique étrangère réactive selon les opportunités ou les nécessités et les accès de proactivité relèvent plus d’une obligation que d’un luxe que s’offrirait la Chine.

La globalisation et le nouveau statut de la Chine imposent à Pékin de prendre désormais une part plus active aux affaires du monde mais il n’en demeure pas moins que cette participation se veut limitée et la stratégie du profil bas reste la base de l’engagement extérieur chinois tout en consentant davantage de « modestes contributions » (terme consacré) aux affaires du monde.

Pour autant, ces modestes contributions suffiront-elles dans l’avenir à la Chine pour faire valoir ses ambitions ? La communauté internationale qui demandera toujours « plus de Chine » dans les relations internationales s’en satisfera-t-elle ? Rien n’est moins sûr.
Par ailleurs, une Chine de plus en plus reconnue comme une grande puissance pourra-t-elle conserver ce statut unique d’ami « des grands et des petits » du monde. La RPC pourra-t-elle encore longtemps se considérer à sa place dans le monde en voie de developpement en tant qu’ami, en Asie en tant que leader regional et parmi les grandes puissances en tant que pair ?

Ces questions sont au coeur de débats parmi les élites chinoises, de l’Ecole Centrale du Parti (qui en 2005 organisait un séminaire sur la stratégie que devait choisir la Chine sur la scène internationale) à l’université de diplomatie dont plusieurs experts travaillent actuellement à la conceptualisation de la « nouvelle politique étrangère chinoise ».
La Chine, un peu à l’instar des Etats-Unis dans sa politique chinoise, pourrait peu à peu mettre en œuvre une « hedging » politique étrangère et passer d’une retenue nuancée par de modestes contributions à une politique d’engagement voire de prise de risques moyennant certaines précautions.

Enfin, la part croissante des questions de défense et de sécurité dans les relations internationales impose aux militaires de prendre une part plus importante et substantielle (au-delà d’un simple affichage) à cette nouvelle politique extérieure. L’avenir dira si les mentalités d’une APL qui peine à trouver sa place entre son héritage révolutionnaire et sa quête de modernité sont prêtes à s’impliquer de la sorte et à conserver ou développer la crédibilité de l’outil de défense chinois en interne comme vis-à-vis de l’extérieur.

Note(s) :

[1Stratégie dite « tao guang, yang hui » : « Observons avec calme, garantissons nos positions, gérons les affaires avec sang froid, cachons nos capacités et attendons notre heure, savoir garder un profil bas et ne jamais prétendre au leadership » (4 caractères completent la formule pour souligner l’intérêt porte par la Chine aux relations multilaterales).

[2Concept qui a vite remplacé celui de l’ascencion pacifique de la Chine et a été devoilé officiellement par Hu Jintao au sommet Asie-Afrique en avril 2005.

[3Tout en restant cependant hostile à tout regime de sanction à l’encontre de Pyongyang.

[4Meme si cette flexibilité est assortie d’une précondition implicite, à savoir la souveraineté chinoise sur les territoires contestés.

[5Acceptant ainsi ce qu’elle rejetait dans le passé en l’assimilant aux relations internes a une alliance militaire.

[6Relations avec les grandes puissances, avec sa périphérie, avec les PVD et les organisations multinationales.

[7La Chine se targue d’être le 1er ou second contributeur du CSNU aux OMP de l’ONU mais elle déploie quasi exclusivement des unités de soutien (sanitaires ou de reconstruction). Elle devra tôt ou tard déployer aussi des unités de combat comme elle fait au Liban.

[8Dans une interview qui sonnait comme une déclaration, le général Qian Lihua, directeur du bureau des affaires extérieures du ministère de la défense, déclarait au Financial Time il y a quelques semaines que nul ne devrait être étonné de voir la Chine se doter d’un porte-avions dans un proche avenir.

 

 

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