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›› Société

La « société civile » joue t-elle un rôle en Chine ?

Cette analyse prend prétexte de la manière nouvelle dont le pouvoir gère les incidents de masse pour s’interroger sur le rôle de la société civile.

Multiplication des incidents de masse. Plus grande souplesse du pouvoir

La presse internationale a amplement rendu compte du phénomène « d’incidents de masse » en Chine. Le terme, qui reprend celui des autorités chinoises « Qun Tixing Shijian », désigne la plupart du temps des échauffourées, souvent violentes, lancées par un groupe de citoyens tentant de défendre leurs droits qu’ils estiment spoliés par des décisions arbitraires.

Pendant longtemps ces incidents avaient pour origine des conflits de la terre réquisitionnée par des autorités locales et revendues à des promoteurs avec des bénéfices très élevés. Ces spoliations étaient source d’amertume et de colère chez les paysans qui ne touchaient que de maigres compensations. Depuis quelque temps cependant, l’origine des incidents de masse se diversifie. La terre reste toujours une cause de conflit dans les campagnes, mais des controverses nouvelles sont apparues, tournant, entre autres, autour de la pollution des rivières et des terres, de la faiblesse du système de santé, de l’incurie des autorités locales et des licenciements économiques, récemment en forte augmentation.

Les conflits ont aussi glissé vers les zones urbaines. Ce fut le cas des conducteurs de taxis en grève qui, les nouveaux moyens de communication aidant, se sont montrés déterminés et solidaires, partout en Chine. La méthode utilisée par le gouvernement pour « gérer » ces troubles de plus en plus nombreux (jusqu’à 250 par jour, dont certains tournent à l’émeute) a elle aussi évolué. La police a reçu des consignes pour se montrer moins brutale, tandis que le pouvoir a, dans certains cas - comme celui des taxis -, résolument privilégié la négociation et la transparence.

Sans aller trop loin dans l’analyse politique et le détail des modifications des structures de la société chinoise, assurément en pleine mutation, on peut faire l’hypothèse que la plus grande souplesse du pouvoir trouve ses origines dans au moins trois facteurs : la crainte d’un dérapage politique initié par un excès de brutalités ; le fait que les émeutes sont dirigées, non pas contre le centre, mais contre les autorités locales ; la prise de conscience par les hautes instances du régime que la société change, avec la naissance d’une classe moyenne de plus en plus exigeante, composée des intellectuels, des techniciens et spécialistes, des employés de bureau et des patrons des petites et moyennes entreprises.

Dans la société chinoise, souvent traversée par beaucoup d’arbitraire, ces catégories nouvelles de Chinois aisés se voient aujourd’hui comme une référence d’honnêteté, attachée aux valeurs anciennes d’une société policée et « harmonieuse », par opposition aux dérapages des « folies capitalistes », des nouveaux riches corrompus et de leurs alliés de la bureaucratie.

En corollaire, ces secteurs de la société, mieux informés, plus réactifs, solidaires grâce à Internet, commencent à générer l’embryon d’une société civile moins passive, qui s’exprime au travers d’associations professionnelles ou de réseaux d’anciens élèves des universités, et donne de la voix dans la presse et sur le net.

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Le rôle de la société civile vue par la presse chinoise

Ces thèmes - « incidents de masse » dirigés contre les autorités locales, plus grande souplesse du pouvoir, rôle de la société civile - font l’objet d’un article publié en janvier 2009 par l’hebdomadaire de Canton Nanfang Zhoumou, dont l’audience en Chine du Sud ne cesse d’augmenter, précisément parce qu’il concentre ses analyses sur des faits de société - que le pouvoir tente souvent d’occulter - et sur leurs conséquences politiques. L’article est intitulé « Pourquoi les incidents de masse prennent-ils toujours pour cible le gouvernement ? - qu tixing shijian maotou wei he cong zhi xiang zhengfu ? ».

Après avoir rappelé que le style de « gestion » des incidents par le pouvoir avait changé, soulignant la plus grande souplesse et l’ouverture nouvelle des autorités à des solutions de compromis, l’auteur, Xiao Shu, regrette que le pouvoir traite chaque cas isolément, sans analyser les responsabilités du « système - tizhi » dans la multiplication des incidents.

Il explique notamment que, faire comme si le « système » n’était pas en cause, alors que les incidents de masse ont toutes les chances de se multiplier à l’avenir, générés par des conflits d’intérêts de plus en plus nombreux, conduira tôt ou tard à de graves déconvenues. Celles-ci seront d’autant plus dangereuses que les révoltes sont presque toujours dirigées contre les autorités locales. Que ces dernières soient systématiquement la cible des émeutes traduit une excessive concentration des pouvoirs, dans un système qui se croit omnipotent, mais dont l’efficacité est en réalité réduite. Les autorités locales n’ont tout simplement pas les moyens de gérer tous les conflits.

Dans un gouvernement moderne et efficace, poursuit l’auteur, l’autorité devrait être partagée, notamment avec la société civile, qui devrait être partie prenante de la gestion du pays. Il s’agit non seulement de contrôler l’administration publique, mais également d’alléger les charges qui pèsent sur elle. Ce mécanisme de partage du pouvoir entre les gouvernements et les forces indépendantes de la société, qui disposeraient d’un espace d’initiative et d’expression, serait un pas significatif vers la solution apaisée des incidents de masse. L’auteur conclut son article en indiquant que « le degré d’implication de la société civile dans la gestion des crises sociales est un indicateur important du niveau de modernisation d’un pays ».

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A quand une société civile réactive et dynamique ?

Voici donc un intellectuel issu de la classe moyenne essentiellement urbaine - dont l’importance est estimée à 200 millions de Chinois par l’Académie des Sciences Sociales - qui met directement en cause le fonctionnement trop centralisé du pouvoir et plaide pour la naissance d’une société civile réactive et dynamique. Beaucoup d’observateurs font cependant remarquer qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

Ces derniers soulignent en effet que, pour l’heure - mais les choses pourraient changer si la crise économique se prolongeait, - beaucoup d’enquêtes indiquent que les « Chinois moyens » sont au fond encore plutôt conservateurs et méfiants à l’égard des remises en cause du « système » existant, par crainte des risques de désordres qui y seraient associés. Même s’ils sont souvent critiques à l’égard des autorités et le font savoir sur le net et dans la presse. En même temps, le pouvoir paraît encore très loin d’accepter le partage prôné par l’auteur.

Il n’empêche que la publication de telles idées, mettant en cause le monopole du pouvoir, n’aurait pas été possible il y a seulement dix ans. Aujourd’hui, il est clair qu’une partie de la presse incite l’opinion à devenir une force de proposition, voire à jouer un rôle de contrôle des politiques publiques. Dans ce contexte la naissance d’une société civile plus réactive n’est peut-être pas si éloignée.

 

 

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