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›› Editorial

La difficile quête de légitimité et d’harmonie

Confronté aux difficultés économiques et aux risques d’instabilité sociale qui menacent sa légitimité, le Parti se crispe et vilipende l’étranger, réagissant aux mises en cause extérieures dont il est souvent l’objet. Pourtant cette année, sur plusieurs fronts et peut-être pour la première fois depuis des lustres, les critiques venant de l’ONU, et d’Amnesty International sur la question des droits de l’homme et celles des grands acteurs du monde évoquant la stratégie de relance économique chinoise, ont adopté une tonalité moins agressive que par le passé.

Comme chaque année, le rapport d’Amnesty International, qui, cette fois reconnaît clairement les progrès réalisés par la Chine, pointe tout de même du doigt les manquements aux droits de l’homme, tels que la répression au Tibet, le poids du système de sécurité au Xinjiang, l’usage abusif de la peine de mort, de la détention préventive et du Hukou, qui limite les droits des personnes à se déplacer, la répression des groupes religieux souterrains, la faiblesse de l’appareil judiciaire et le harcèlement de journalistes et d’intellectuels. Cette année la Chine était aussi, comme tous les quatre ans, passée à la loupe de la Revue Périodique Universelle des droits de l’homme par l’ONU, dont les 47 membres du Conseil des Droits de l’Homme se sont montrés conciliants, énonçant des recommandations que Pékin a même accepté.

Sur le front économique également, les critiques occidentales à l’égard de la Chine se sont adoucies à Davos et lors de la conférence du G7 à Rome. Dans un virage à 180° par rapport à ses précédentes déclarations qui accusaient la Chine de manipuler sa monnaie, Timothy Geithnern, le nouveau secrétaire d’Etat au Trésor américain, a, à plusieurs reprises, félicité Pékin pour son plan de relance et ses efforts pour générer une demande intérieure durable.

Mais, en dépit ce changement d’ambiance, le Parti et les Chinois, qui ne détestent rien plus que de se sentir rejetés ou mal compris, alors qu’ils sont confrontés à de graves difficultés qu’ils tentent de résoudre, ont le sentiment, qu’au-delà des bonnes paroles diplomatiques, leurs efforts ne sont pas concrètement payés de retour et montrent clairement leur exaspération vis-à-vis de l’étranger. Il est vrai qu’en dehors des belles déclarations, les points de friction entre Pékin et l’Ouest restent nombreux, tandis que la montée en puissance de la Chine - qu’elle soit militaire, économique ou culturelle -, accompagnée par de fréquentes tensions nationalistes, continue à susciter des craintes.

La proposition de rachat, le 1er février dernier, de 12% des parts du géant multinational de l’industrie minière Rio Tinto en difficulté, par Chinalco, qui a déboursé plus de 14 milliards $ (certaines informations parlent de 19 milliards), tandis que l’Américain Alcoa (n°3 mondial de l’aluminium), également partie prenante de l’opération, ne mettait que 1,2 milliards $ sur la table, induit des inquiétudes face aux nouvelles capacités de la Chine à peser sur le marché des ressources mondiales.

Nombreux sont en effet les analystes qui indiquent qu’en accordant à un de ses plus gros clients une part aussi importante dans le portefeuille du groupe, Rio Tinto prend le risque de ne plus maîtriser le prix de vente du minerai de fer, qui lui serait imposé par Pékin. Pour être tout à fait complet, il faut cependant préciser que l’énorme trou de trésorerie de Rio Tinto, qui attire aujourd’hui la convoitise de la Chine, est d’abord l’effet néfaste de la mauvaise gestion antérieure, qui, par cupidité et ambition de puissance, avait, aux temps des vaches grasses, continué d’investir au lieu d’éponger les dettes du groupe.

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Il reste que la Chine est sur la sellette. Dans un article du 2 février, le Daily Telegraph écrivait notamment : « la Chine défend avec agressivité ses intérêts économiques et politiques partout dans le monde. Nous devons nous attendre à des initiatives tout aussi agressives dans d’autres secteurs clé et sur d’autres théâtres. Par les temps qui courent, dans la bataille pour les ressources mondiales, la force de frappe financière est plus efficace que la puissance militaire. L’agent « cash » est Roi et ce sont ceux qui disposent des plus grandes réserves qui gagneront ».

Parfois ce sont la faible qualité des produits chinois et une sécurité alimentaire aléatoire qui fondent un autre volet du concert des récriminations contre la Chine, sur fond de crispation récurrente à propos du Tibet (dans les dix premiers jours de février, pendant les fêtes du calendrier lunaire, le Dalai Lama a été fait citoyen d’honneur de Rome et a reçu le prix 2008 des médias allemands). Les voyages en Afrique de Hu Jintao (c’est son quatrième depuis 2002) et du Vice-Président Xi Jinping en Amérique Latine sont aussi l’occasion pour les Occidentaux de pointer du doigt l’activisme chinois dans la quête des ressources, principale motivation des avancées de Pékin en Afrique et en Amérique latine. Dans ce contexte, la Chine est, de manière récurrente, accusée, non sans raison, d’offrir des « politiques d’aide sans contrepartie » qui ne sont qu’une manière habile de se ménager un accès privilégié aux ressources de la planète.

En visite officielle au Mexique, le vice-président Xi Jinping était manifestement excédé par cette atmosphère de critiques permanentes contre la Chine, qui souffre d’une dégradation de son image. S’adressant aux Chinois d’outre mer rassemblés pour l’occasion, il a vertement dénoncé « ces étrangers bien nourris, qui n’ont rien de mieux à faire qu’à montrer la Chine du doigt, alors qu’elle n’exporte ni la révolution, ni la pauvreté et ne cause de troubles à personne ».

Mais rien n’est simple. On aura compris qu’il n’y a pas d’un côté une Chine monolithique, unie derrière le parti et, de l’autre, l’étranger critique et hostile. Les mises en cause viennent aussi de l’intérieur. Et elles sont nombreuses, provoquant l’inquiétude du pouvoir, au moins autant que la récession économique. Au moment où Xi Jin Ping exprimait son énervement à l’adresse des « étrangers », le parti et sa propagande étaient en effet placés sous les feux de nombreuses attaques venant de Chinois de l’intérieur, véhiculées sur Internet, par le biais des « blogs », dont le nombre atteint aujourd’hui près de 70 millions.

En dépit de la lourde censure, ces véritables pamphlets électroniques passent assez souvent entre les mailles des contrôles, soit que les « blogs » hébergés à l’étranger sont moins faciles à bloquer, soit que l’ingéniosité sans limites des Internautes parvient à déjouer, pour un temps, l’attention des dizaines de milliers d’agents qui tentent de contrôler cette circulation électronique de plus en plus dense.

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Cette fois le sujet était tout trouvé. Le récent incendie de l’hôtel Mandarin en construction, causé par un feu d’artifice imprudemment tiré, au mépris des consignes de sécurité de la ville de Pékin, par les responsables de CCTV, depuis leur nouveau siège à la forme penchée grandiloquente et insolite, dans le nouveau quartier des affaires à l’Est de la capitale, a déchaîné un avalanche de critiques sarcastiques. Ces dernières stigmatisaient, en vrac, la vanité dispendieuse du nouveau bâtiment, la volonté de paraître, le contrôle de l’information (dans le cas de cet incendie, la censure était d’autant plus efficace que la chaîne nationale en était elle-même la cause), l’irresponsabilité du pouvoir qui arrêta l’enquête au niveau de petits responsables, devenus les boucs émissaires du sinistre.

Citons, entre autres, le « blog » de Han Han, inaccessible en Chine, mais toujours disponible à partir du site « Bullog International » domicilié aux Etats-Unis : « L’agence d’information d’Etat CCTV n’a ni moralité, ni éthique professionnelle. Combien de forfaits a-t-elle perpétrés par le passé, combien de mensonges présentés au peuple comme la vérité, combien de manipulations de l’opinion, combien de persécutions d’intellectuels, combien de maquillages de la réalité, combien de forfaits camouflés, destinés à faire croire à une société harmonieuse ? CCTV doit s’efforcer à un sérieux retour sur soi-même. Alors que les nouvelles technologies de l’information et la société civile progressent, la crédibilité des médias officiels chinois et de CCTV est tombée au-dessous de zéro ».

Diffusées par millions sur le net, les critiques stigmatisent aussi les dépenses somptuaires de la TV d’état, au service de la propagande du parti, qui s’offre un siège extravagant, accolé à un hôtel 5 étoiles avec piscines et centres commerciaux de luxe construits dans un des quartiers les plus chers de Pékin. Les internautes n’ont pas manqué de souligner que l’argent des contribuables aurait été bien mieux utilisé pour la réforme du système de santé et la création d’un filet social. Ce volet des critiques renvoie à l’absence de transparence des finances publiques et d’entités telles que CCTV qui se sont arrogé des pouvoirs exorbitants, tant politiques qu’économiques, qu’à ce jour personne n’a contestés.

Décidément le chemin vers l’harmonie, si souvent mise en avant par l’actuel pouvoir, est difficile et chaotique. Il faut se rendre à l’évidence : à l’extérieur, en dépit des efforts consentis depuis près de 20 années par le pouvoir chinois et les grands acteurs de la communauté internationale pour faciliter l’ouverture de la Chine et son intégration dans les affaires du monde, sa puissance démographique, sa capacité d’influence, son poids économique et stratégique en augmentation rapide, sa quête obsessionnelle de ressources, de même que ses raidissements nationalistes récurrents, continuent à susciter des craintes. Et la rumeur qui court selon laquelle le Parti prépare un défilé militaire monstre pour le 1er octobre prochain - 60e anniversaire de la RPC - apporte encore de l’eau au moulin des critiques qui glosent sur la menace chinoise.

A l’intérieur, et malgré le changement parfois radical de style et la progression des libertés socio-économiques, il faut craindre que la volonté inflexible du parti de ne pas partager le pouvoir politique induira des répressions récurrentes qui généreront en retour des frustrations de plus en plus lourdes dans une partie de la classe moyenne montante, parmi les intellectuels et chez les jeunes, à la recherche de nouveaux repères moraux et politiques.

Les nouvelles technologies de l’information (Internet et téléphones portables), dont l’usage a explosé en Chine au cours des 15 dernières années, s’affirmeront de plus en plus comme des relais efficaces capables de fédérer rapidement et souvent hors de portée des systèmes de contrôle de l’Etat, des solidarités anti-gouvernementales qui pourraient à terme, et surtout en période de crise, gêner considérablement le pouvoir, s’il tardait trop à prendre la mesure de ces nouveaux défis.

 

 

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