Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Politique intérieure

A propos du Livre Blanc 2008 sur la Défense

Le 20 janvier 2009, jour de l’investiture du nouveau Président des Etats-Unis (les amateurs de coincidences apprécieront), la Chine a publié son 6e Livre Blanc sur la Défense - le premier ayant été publié en 1998 (China’s National Defense in 2008 est disponible en anglais).

Sensé poursuivre un effort d’explication du processus de modernisation de l’Armée Populaire de Libération afin d’apaiser les soupçons de la communauté internationale vis-à-vis de la puissance chinoise, ce document reprend bien sûr sur les invariants du discours officiel dans ce domaine : politique de défense purement défensive, dépenses modestes comparées aux pays occidentaux, efforts financiers justifiés par la nécessaire amélioration des conditions de vie et de travail des militaires. Mais ce Livre Blanc se veut un document plus complet, plus large par les thèmes abordés et plus riche d’analyses et de comparaisons que les éditions précédentes (1998, 2000, 2002, 2004 et 2006).

Après une analyse succincte de la situation sécuritaire globale et régionale, dans laquelle l’anti-américanisme, passé sous silence en 2006, semble de retour, ce Livre Blanc aborde pour la 1re fois les armées et services dans des chapitres distincts et indique avec une précision variable l’historique de chaque composante, les progrès réalisés durant les 30 ans de réformes d’ouverture et les axes d’effort actuels. Ainsi on apprend que l’Armée de Terre a développé ses capacités en matière de précision des feux, du génie et de sa capacité aéromobile. Mais on comprend aussi que ce sont encore des axes à développer en priorité surtout dans leur aspect « emploi en temps de paix » en vue de la constitution d’une force de réaction en cas de catastrophe naturelle notamment.

La Marine pour sa part doit développer ses systèmes de combat ainsi que son soutien logistique et la formation, conditions essentielles d’une extension des distances de déploiement des bâtiments de guerre chinois.

Pour l’armée de l’air, c’est la priorité accordée à l’édification d’une force de projection stratégique qui retient l’attention.

Un souci commun aux armées dans leur ensemble est accordé aux ressources humaines (recrutement, fidélisation) ainsi qu’à la formation et l’entraînement.

++++

Après avoir, en 2004 et 2006, souligné l’engagement des forces de l’APL dans les opérations de maintien de la paix, les rédacteurs du Livre Blanc 2008 insistent particulièrement sur les actions des armées en temps de paix. Cette préoccupation montre combien les autorités chinoises ont compris que cette expertise est indispensable à une force armée moderne. Cette nouvelle priorité, qui consiste à mettre au service de la protection civile des moyens militaires de haute technologie là où par le passé l’armée chinoise déployait essentiellement des « bras », porte sans aucun doute aussi la marque des enseignements des récentes interventions qui ont démontré les limites des capacités de l’APL, en particulier celles de 2008 (intempéries dans le sud en janvier et tremblement de terre au Sichuan en mai). Enfin, la ligne du gouvernement chinois actuel en matière de politique intérieure (développement d’une société harmonieuse et effort sur le bien être et le bien vivre des populations) rendra dans l’avenir cette mission « défense territoriale et protection civile » de plus en plus prégnante pour l’APL.

Le Livre Blanc 2008 se veut « plus complet et plus large » car, pour la première fois, la Chine aborde dans un document public ses exportations et importations d’armement sous la forme d’un tableau très simple où sont regroupés les 9 importateurs d’armement chinois et la Chine, unique fournisseur aujourd’hui.

Enfin, s’agissant du budget qui soulève chaque année des interrogations, le Livre Blanc profite du 30e anniversaire des réformes de Deng Xiaoping pour livrer un tableau synoptique des dépenses de défense de la RPC depuis 1978. On y découvre sans surprise que l’augmentation du budget de la défense récemment annoncée pour 2009 (+14.9 %) est la 19e augmentation à deux chiffres consécutives. Mais le tableau est surtout sensé montrer la modestie des efforts de défense au regard du PIB. En période de crise et tandis que la modernisation de la défense a toujours été subordonnée au développement économique, ce tableau peut aussi être un message à usage interne pour les décideurs chinois afin de leur démontrer que la crédibilité de l’APL et, partant, de la Chine nécéssite un effort conséquent qu’il convient de ne pas relacher.

S’il est indéniable que la Chine s’adapte lentement à une certaine obligation de transparence vis-à-vis de la communauté internationale, ce Livre Blanc reste un document de relations publiques de portée très générale dont l’analyse ne peut satisfaire les experts.

Tout d’abord cela reste un document superficiel. Comment avoir une idée claire des perceptions sécuritaire de la Chine quand ce chapitre, dénué de carte, reste très général et se limite à quatre pages et demie !
Par ailleurs, le Livre Blanc ne comporte aucun organigramme alors que précisément les chaînes de commandement et les mécanismes de prises de décision sont au cœur des interrogations internationales sur le système de défense chinois.
S’agissant des différentes armées et services, la partie historique, plutôt superflue pour les trois armées est au contraire éludée pour la Police Armée Populaire alors que la façon dont cette structure s’est développée depuis les années 80 et progressivement integrée aux armées en passant pour partie sous la coupe de la Commission Militaire Centrale est précisément mal connue. Le chapitre relatif à la Deuxième Artillerie est quant à lui purement simpliste et n’apporte rien aux éléments déjà connus.

Une analyse relative aux capacités montre aussi combien le Livre Blanc 2008 est incomplet.
Le Livre Blanc énonce des expertises à développer et des capacités à acquérir (projection, aéromobilité, logistique, commandement et contrôle entre autres) mais à aucun moment il ne mentionne les grands projets d’équipement nécessaires aux forces pour concrétiser ces priorités (des réseaux de communication aux appareils de transport stratégique ou bien sûr au porte-avions).

++++

Le tableau sur les importations/exportations d’équipements militaire montre la volonté chinoise de développer son industrie de défense et de devenir à terme un acteur qui compte dans le domaine des équipements militaires. A ce propos la réforme de la structure responsable de ce domaine (la commission des industries de défense nationale - COSTIND - est succinctement abordée dans le livre Blanc). Mais ce tableau reste bien superficiel et on peut légitimement penser que les échanges de Pékin dans ce domaine ne se limitent à ces quelque dix pays.

Enfin le détail sur 30 ans du budget ne peut faire taire les soupçons car aucun détail n’est précisé. Il s’agit d’une pure récapitulation des chiffres officiels donnés année après année. La Chine ne pourra se targuer d’une certaine transparence dans ce domaine que le jour où, notamment elle détaillera son budget entre « fonctionnement » et « investissements », et où les parts dédiées aux grands projets et à la R&D seront visibles.

Incertitudes sur le processus de modernisation de l’APL

Si des grandes échéances sont mentionnées (2020 par exemple), la modernisation n’est évoquée que dans ses principes, eux-mêmes très vagues, tandis que rien n’est dit sur les ambitions stratégiques de la RPC. Ainsi, pas plus que les Livres Blancs précédents, l’édition 2008 ne décrit ce que les Chinois appellent une « guerre locale », ni même les fameuses « caractéristiques chinoises » sensées singulariser la modernisation de l’Armée Populaire de Libération. De même si l’armée de l’air se voit assignée la mission de développer une force de projection, rien n’est dit sur les volumes de force à projeter et les distances à prendre en compte.

Au-delà d’une volonté de rester ambigu vis-à-vis du monde extérieur, on peut quand même légitimement se demander si les Chinois eux-mêmes ne sont pas un peu perdus dans une modernisation où l’on ne fait plus vraiment la part de la guerre populaire adaptée aux circonstances modernes, à la mécanisation et à l’informatisation « high-tech ». Dans ce domaine, le Livre Blanc 2008 n’est pas vraiment la récapitulation des cinq éditions précédentes mais un nouvel éclairage. Par conséquent, il ne paraît pas impossible que les Chinois en soient encore à un stade d’expérimentation de diverses stratégies, formats et concepts et qu’ils n’aient pas encore eux-mêmes de nette vision concrète de ce que sera leur outil de défense une fois « modernisé » ? Illustrant cette confusion, un porte-parole du ministère de la Défense estime que le but n’est plus de « remporter des guerres locales dans des conditions de haute technologie » mais de « remporter les guerres informatisées au niveau local » !
Les choix difficiles, alors que les crédits restent limités, et les possibles luttes d’influence au sein des armées et du Parti pourraient expliquer en partie les hésitations et le manque de cohérence du processus de modernisation de l’APL.
De telles incertitudes, mêmes avérées n’enlèveraient cependant rien à la probable réalité des capacités chinoises dans certains domaines qui constituent les principales préoccupations américaines et qui sont bien sûr éludés dans ce Livre Blanc : les capacités spatiales et la place qu’occupe la guerre cybernétique dans la stratégie chinoise.

Au bilan, cette 6e édition du Livre Blanc sur la Défense chinoise montre que la Chine poursuit péniblement son effort de communication sur sa défense. Mais la route reste longue avant de satisfaire les interrogations les plus basiques de la communauté internationale.
A la décharge de la Chine, on peut souligner que cette ouverture ne peut être que progressive car la nature même du système chinois, pour qui la communication est une contrainte récente, s’ajoute à une réelle réticence, elle plus « politique ». De fait, le secret et le cloisonnement sont inhérents à une défense chinoise encore peu familière de l’interarmées. Par exemple, un « terrien » ne sait que peu de choses des programmes de la Marine. Il n’est donc a fortiori pas naturel pour les Chinois de s’en ouvrir aux étrangers.
La question de l’incertitude au sein de l’APL sur la modernisation est en soi plus inquiétante car elle est à même de saper la confiance des militaires chinois dans leur crédibilité et pourrait amener l’APL à radicaliser ses positions. N’est-ce pas déjà ce que l’on peut ressentir sur des sujets de souveraineté sensibles comme le Tibet ou Taiwan alors même que la tendance politique se veut apaisante, du moins pour les relations entre les deux rives.

 

 

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

[17 février 2024] • François Danjou

A Hong-Kong, l’obsession de mise au pas

[2 février 2024] • Jean-Paul Yacine

Pour l’appareil, « Noël » est une fête occidentale dont la célébration est à proscrire

[29 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Décès de Li Keqiang. Disparition d’un réformateur compètent et discret, marginalisé par Xi Jinping

[4 novembre 2023] • François Danjou

Xi Jinping, l’APL et la trace rémanente des « Immortels » du Parti

[30 septembre 2023] • François Danjou