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›› Politique intérieure

Le défi d’outre-tombe de Zhao Ziyang menace-t-il le Parti ?

Les mémoires posthumes de l’ancien Secrétaire Général du Parti, démis de ses fonctions en 1989 par Deng Xiaoping et les conservateurs du Parti, qui l’accusaient de « fractionnisme » et de « favoriser les troubles », surgissent dans le paysage politique chinois comme un nouveau défi au Parti qui tente depuis 20 ans d’effacer la mémoire des événements de Tian An Men.

Le livre « Prisonnier de l’Etat », publié par une maison d’édition de Hong Kong est une compilation de 30 heures de conversation secrètes enregistrées avec Zhao Ziyang dans sa résidence où il avait été assigné jusqu’à sa mort en 2005. Son contenu confirme certaines révélations faites il y a quelques années par les « Tian An Men Papers » et une première série de conversations avec Zhao Ziyang publiées en 2007 sous le nom de « conversations captives - ruanjinzhong de tanhua ».

Nous le savions donc déjà, Zhao Ziyang s’inscrit en faux contre la thèse officielle d’éléments extérieurs cherchant à renverser le parti communiste. Les étudiants dit-il - voulant peut-être minimiser la gravité des troubles - n’étaient pas animés d’intentions révolutionnaires, mais souhaitaient seulement corriger les « failles » du Parti. En réalité rien n’est moins sûr. Plus que dans d’autres documents rendus publics ces dernières années, Deng Xiaoping qui ne faisait pas mystère de ses intentions de « punir sévèrement ceux qui prônaient la libéralisation du Parti », est présenté comme un patriarche omnipotent, autour duquel se pressaient des courtisans « flagorneurs » et « hypocrites », adeptes de « coups bas » pour conserver le pouvoir.

Après avoir rappelé que la décision d’instaurer la loi martiale et de faire intervenir l’APL contre les étudiants avait été prise sans lui et en violation de la discipline interne du Parti, il donne une tonalité plus radicale à son discours et se fait sans ambiguïté l’avocat de la démocratie : « si un pays veut se moderniser, il ne doit pas se contenter de mettre en œuvre l’économie de marché, il doit également adopter la démocratie parlementaire... Sans quoi il reproduira les schémas que connaissent de nombreux pays en développement : la marchandisation du pouvoir politique, une corruption rampante et la polarisation de la société entre riches et pauvres ».

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Après la Charte 2008, qui était elle aussi un appel pour la démocratie signé par des milliers de Chinois qui mirent à profit la brève période où il était resté en ligne, voilà qu’un fantôme que le Parti croyait avoir réduit au silence, rétablit quelques vérités occultées par l’histoire officielle et rappelle de manière récurrente que, sans ouverture politique, la Chine serait inéluctablement vouée à la régression. C’est peu dire que le Parti se méfie de la mémoire des morts. Il se souvient en effet que les émeutes de Tian An Men avaient été initiées par l’hommage des étudiants au souvenir d’un autre Secrétaire Général du Parti (1980 - 1987) aux idées réformistes, Hu Yaobang, également écarté du pouvoir par Deng et décédé en avril 1989. C’est pourquoi à la mort de Zhao, le 17 janvier 2005, le pouvoir avait déployé un réseau de surveillance inédit, contrôlant les trains en provenance de la province vers Pékin, bloquant l’accès aux chaînes de télévision étrangères et aux sites internet qui commentaient l’événement, interdisant l’accès du cimetière de Babaoshan aux étrangers et aux cadres du PCC.

Dans ce contexte à tendance paranoïaque, on peut se demander ce que craint vraiment le Parti. Interrogé sur ce point, Bao Tong, ancien homme de confiance de Zhao Ziyang, qui fut également directeur de la Commission pour la réforme politique du Comité Central et premier ministre de 1980 à 1985, a répondu que le livre de Zhao Ziyang allait initier de profondes réflexions au sein de l’appareil qui s’interrogera sur les moyens de sa survie, mais que les révélations, qui circuleront sous le manteau en Chine, n’avaient aucune chance de provoquer une scission politique du Parti.

Il a peut-être raison. Les efforts consentis par l’équipe Hu Jintao - Wen Jiabao pour contrôler la cohésion du PCC en ces temps de crise économique ponctuée de fréquentes flambées de contestation du monopole du Parti, sont en effet considérables. Un exemple parmi d’autres est la campagne nationale d’étude déclenchée immédiatement après le 17e Congrès et qui se prolongera jusqu’en 2010. Supervisée par le Vice-Président Xi Jinping lui-même, assisté par Li Yuanchao, directeur de la Commission d’organisation du Parti et mise en œuvre à l’intention des cadres de tous niveaux, dans toute la Chine, son but est d’abord de démontrer la clairvoyance de l’équipe dirigeante et de lui assurer le soutien de l’ensemble de l’appareil.

Le moyen est une longue et minutieuse pédagogie autour du thème du « développement scientifique de la Chine » -thème central du 17e Congrès- dont l’objet essentiel est de rééquilibrer la tendance du tout économique de l’ère Jiang Zemin par une attention nouvelle portée à l’environnement, aux hommes et aux méthodes de gouvernement. Ce dernier point étant abordé sous l’aspect très médiatisé de « l’émancipation de la pensée », qui, dans l’esprit des concepteurs de l’étude, devrait conduire à la rectification des erreurs des cadres locaux et centraux -entendez par là la réduction du nombre des accrocs et fautes de comportement dans la relation des cadres avec la société -.

Les résultats sont sensibles. La poigne du pouvoir ne faiblit pas, les dissidents sont toujours surveillés, censurés et incarcérés et le processus de décision au sein du Bureau politique toujours aussi opaque. Mais les relations du pouvoir et de la société se font plus subtiles, des critiques souvent très sévères sont autorisées dans la presse ou dans les « think tanks » officiels, les crises sociales sont réglées avec plus de discernement, tandis que des efforts, largement médiatisés, sont consentis pour la rénovation du système de santé et la création de filets sociaux plus efficaces - assurances maladie et retraites -.

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Enfin les sondages et études conduites par l’Académie des Sciences Sociales qui rendent compte régulièrement de l’état de la société montrent que, pour l’instant, le taux de mécontentement reste plutôt faible. Ajoutons enfin que la Chine a radicalement changé depuis 1989. Sortie de son isolement diplomatique, elle est devenue la troisième économie mondiale, a organisé des Jeux olympiques qui furent un succès fracassant et expérimenté la première sortie dans l’espace d’un astronaute, tandis que la plupart des Chinois sont plus riches et plus libres qu’il y a 20 ans.

Mais, à côté des objectifs de pédagogie et de cohésion, ce qui frappe dans ces vastes campagnes d’étude, c’est la méthode. Systématique, minutieuse, répétitive, allant au plus loin, jusque vers les endroits les plus reculés de Chine, relayée par une armée de cadres rompus à la propagande et à la démarche en trois points mise au point par l’Ecole Centrale du Parti : 1) étude et investigation, destinées à collecter les données, phase qui renvoie à l’injonction de Deng « rechercher la vérité à partir de la réalité des faits ». Il s’agit, entre autres, de lutter contre les habitudes de manipulation des chiffres et des statistiques ; 2) Inspection et analyse, qui comprennent des séances dites de « démocratie directe », cependant plus proches des réunions d’autocritique, consistant pour les cadres à rendre compte publiquement de leurs manquements -une manière comme une autre d’obliger les cadres locaux à plus de rigueur et à lutter contre la corruption- ; 3) rectification, amélioration et mise en œuvre, ayant pour but de « résoudre les problèmes les plus graves » et de « perfectionner les structures et les mécanismes de l’administration », - entendez par là tuer dans l’œuf les crises potentielles et alléger les tendances kafkaïennes du système -.

Personne ne jurerait que ces campagnes éloigneront la quête récurrente de démocratie chez les intellectuels qui s’expriment de plus en plus souvent sur le sujet en Chine. Mais force est de reconnaître que le pouvoir ne ménage pas ses efforts pour resserrer les rangs autour de lui et tenir sous le boisseau la mauvaise humeur de la société chinoise. Enfin, quand on analyse les perspectives de stabilité du pays et la cohésion du PCC, il convient d’ajouter à cet endoctrinement pédagogique à grand échelle des cadres du parti, qui sont au demeurant les premiers bénéficiaires du statu quo politique, les efforts déployés par l’appareil sécuritaire, également chapeauté par Xi Jinping, cette fois secondé par Zhou Yongkang dont l’organisation tentaculaire enserre la société dans un filet très dense de policiers en civil et d’auxiliaires de sécurité.

Dès lors, on comprendra pourquoi Bao Tong ne croit pas que la cohésion du Parti sera menacée par les « mémoires posthumes » de Zhao Ziyang. On pourrait ajouter qu’ayant purgé 7 ans de prison pour « divulgation de secrets d’Etat et propagande révolutionnaire », il sait de quoi il parle. Il reste que les messages critiques d’ouverture de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang ne meurent pas.

En évoquant le drame de Tian’anmen, ils pointent aussi du doigt l’avenir du système politique chinois, qu’ils désignent aux nouvelles générations. C’est d’ailleurs Bao Pu, le fils de Bao Tong qui a traduit et édité les mémoires de l’ancien patron de son père qui, selon Roderick Mac Farquhar, sinologue bien connu et professeur à Harvard, a été le véritable artisan de l’ouverture économique de la Chine. Et s’il est vrai que le virage à 180° de l’idéologie marxiste vers le marché fut très largement une réussite, dont le Parti tire aujourd’hui une part importante de sa crédibilité, il est aussi vrai que les conséquences sociopolitiques d’un grave recul économique, touchant aussi les classes moyennes et les cadres du Parti, constitueraient peut-être une menace plus directe que les critiques posthumes de Zhao Ziyang.

 

 

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