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›› Chronique

Le rêve chinois de Warren Buffet

Warren Buffet, le célèbre milliardaire américain - dont la fortune a été diminuée de 50% suite à l’effondrement des cours de Wall Street, ce qui fait qu’il n’est plus aujourd’hui que le 2e homme le plus riche du monde après Bill Gates - a manifesté son intérêt pour un entrepreneur chinois de Shenzhen, dont l’un des projets est la commercialisation de voitures électriques aux Etats-Unis. En dehors de son travail, Warren Buffet est l’adepte de principes simples qu’il exprime par de célèbres aphorismes, qui, pour la plupart, traduisent un solide pragmatisme. L’un deux semble avoir guidé son intérêt pour la Chine : « Je choisis pour mes business des managers qui aiment ce qu’ils font et qui ne sont pas en train de se construire un curriculum vitae ou font ça seulement pour l’argent. Ils sont mariés avec ce qu’ils font et ils continuent à le faire même quand ils ont beaucoup d’argent ».

La rencontre d’un jeune entrepreneur privé chinois de talent avec un multimilliardaire américain connu pour sa prudence et son pragmatisme est éclairante à plus d’un titre. Elle montre d’abord l’intérêt qu’éprouvent les grands patrons américains pour ceux des Chinois qui, au fond, leur ressemblent, par leur goût du travail, leur sens de l’opportunité, leur sensibilité pour les bonnes affaires, leur attachement à la simplicité de l’entreprise. Warren Buffet a en effet coutume de dire : « On ne devrait investir que dans les affaires assez simples pour être gérées par un idiot. Car un jour il se trouvera qu’un idiot en prendra vraiment la tête ».

Elle éclaire aussi la manière chinoise qui repose sur la maîtrise d’une technologie souvent étrangère, mais habilement assimilée (les 10 000 ingénieurs du groupe qui intéresse WB sortent des meilleures écoles chinoises), le goût du risque, la justesse des choix, la persévérance et la faiblesse des coûts de production (le salaire mensuel d’un ingénieur ne dépasse pas 1000 dollars par mois, celui des « petites mains » est en moyenne inférieur à 200 dollars).

Wang Chuan Fu, 42 ans, ingénieur chimiste de formation a créé la société BYD (En Chinois Bi Ya Di) en 1995, avec un investissement initial de 300 000 dollars prêtés par des amis, dans l’intention de fabriquer des piles rechargeables, capables de concurrencer les piles japonaises importées, trop chères et aux délais de livraison prohibitifs. Sept ans plus tard BYD était devenu l’un des plus gros producteurs mondiaux de piles pour téléphones portables. Wang avait bien été inquiété par Sony et Sanyo qui l’accusaient de contrefaçon, mais l’affaire n’a pas eu de suite. Mis en confiance, il décida, en plus des piles, de fabriquer en sous-traitance des pièces pour les géants du portable Nokya, Sony, Ericsson et Samsung. En 2003, il s’intéresse à l’industrie automobile et rachète un constructeur à la dérive appartenant à l’Etat. Quelques mois plus tard, il sortait un modèle - la BYD F3 - dont les ventes dépassent aujourd’hui celles des deux enfants chéris du secteur - la Wolkswagen Jetta, et la Toyota Corolla -.

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Dans la foulée Wang, qui travaille 18 heures par jour et ne possède qu’une Mercédès et une Lexus - mais c’est, dit-il, « pour démonter les moteurs et étudier leur fonctionnement » - se lance dans l’une des grandes affaires de sa vie (l’autre est le panneau solaire) : la voiture électrique équipée de batteries rechargeables. Les 2 modèles hybrides qu’il produit, la BYD E3 et la BYD E6, ont, en mode électrique, une vitesse de pointe qui dépasse à peine les 100km/h, ce qui les place tout de même au niveau de la Toyota Prius, la n°1 incontestée du secteur, avec cependant de graves lacunes de finition et une qualité très en deçà des modèles japonais. Wang doit en effet encore faire la preuve qu’il est capable de produire une voiture fiable et de bonne qualité, dont l’argument de vente ne serait pas seulement son prix, il est vrai très compétitif. Wang tire en effet ses coûts de production vers le bas grâce au faible coût de la main d’œuvre qui, dans ses usines chinoises, remplace les robots et les chaînes de montage et en fabriquant chez lui tous les composants de ses voitures.

C’est peu dire que Wang Chuan Fu a tapé dans l’œil de Warren Buffet. S’il est vrai qu’il a un gros retard par rapport au ténor de la voiture hybride qu’est Toyota, notre jeune Chinois est cependant déjà en avance par rapport à bien d’autres constructeurs occidentaux qui tardent à se mettre dans la course de la voiture hybride. Aujourd’hui, moins de 15 ans après le démarrage de sa première usine de piles, Wang est à la tête d’un petit empire de 130 000 personnes employées dans 11 usines, dont 8 en Chine (les 3 autres sont en Inde, Hongrie et Roumanie). Ses revenus ont augmenté de 45% par an depuis 2004 - la croissance a très peu faibli pendant la crise - et ont atteint 4 milliards de dollars en 2008. La valeur de BYD, introduite en bourse à Hong Kong, est aujourd’hui cotée à 3,8 milliards de dollars.

Les conseillers techniques de Warren Buffet tentent de garder la tête froide. Il est vrai que la voiture électrique, économe et peu polluante, pourrait être la solution d’avenir. Mais elle est chère et plus difficile à construire ; sa vitesse et son autonomie restent limitées, les opérations de recharge sont longues, les infrastructures logistiques permettant la recharge presque inexistantes, tandis que la capacité de BYD à produire des piles rechargeables plus efficaces et moins chères que celles de la concurrence reste à prouver.

En dépit de ces inconvénients, le succès des voitures vendues en Chine (à l’administration des postes et à quelques compagnies de taxis), commence à attirer l’attention des Européens. En 2008, un distributeur hollandais a signé un accord pour proposer les BYD dans cinq pays de l’ancienne Europe de l’Est. En Chine même, la réussite crée, comme à l’habitude, une concurrence, qui pourrait bien devenir sauvage et casser les prix.

D’autres constructeurs, jusque là inconnus, pointent en effet leur nez, y compris sur le marché international. Une société du Shandong - Shandong Zheren New Energy Technology Development Co.,Ltd - produit des modèles deux places très semblables aux SMART allemandes, qui pourraient être commercialisées à 7000 dollars l’unité aux Etats-Unis. Il est probable que, dans un contexte de crise économique, où l’engouement pour les « grosses américaines » appartient au passé, ces modèles réduits, très économiques et faciles à garer, finiront par trouver preneurs dans les grandes agglomérations, dès que le marché et sa logistique se seront ajustés à ce nouveau mode de propulsion.

Les mises en gardes des conseillers, techniciens et stratèges, n’ont pas réussi à freiner l’enthousiasme de Warren Buffet. Dès le départ ce dernier avait été séduit par une autre caractéristique de Wang : l’attachement qu’il témoigne à son entreprise. Alors que beaucoup d’entrepreneurs chinois, qui sont plus des « raiders » spéculateurs que des industriels, ne cherchent qu’à vendre leur société au plus offrant, une fois l’introduction en bourse réalisée, Wang a refusé de céder plus de 10% du capital à W. Buffet. « Voilà un homme qui ne veut pas vendre sa société » s’est exclamé ce dernier. « C’est effectivement un très bon signe ». Enthousiaste, W.B est décidé à aider Wang. Il devra cependant encore s’accommoder d’un risque caractéristique des entreprises chinoises privées en pleine expansion : la fragilité d’un management qui dépend beaucoup des qualités et de l’énergie d’un seul homme ou d’une équipe très réduite.

En attendant, BYD hésite encore à se lancer sur le marché américain, où l’attrait pour les véhicules propres est, pour l’heure, moins vif qu’en Europe. Peut-être Wang reviendra t-il à son intuition initiale : produire des batteries rechargeables pour les grands constructeurs qui se battront sur les marchés mondiaux de la voiture électrique. Ce qui lui permettra de se concentrer sur son autre grande idée : la fabrication de panneaux solaires équipés de batteries pour stocker l’énergie.

 

 

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