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›› Politique intérieure

Xinjiang : Accusations de provocation. Silence de la haute direction et spéculations sur les luttes de pouvoir

Les émeutes d’Urumqi, début juillet, continuent de préoccuper la direction du pays, qui semble divisée. Alors que les déclarations officielles, notamment celles du gouverneur du Xinjiang, affirment que les autorités ont pris les meilleures mesures possibles pour faire face à la crise, le 30 juillet dernier, Wang Yang, le gouverneur du Guangdong, 54 ans, exprimait une opinion très nettement discordante. Il affirmait en effet qu’il était « devenu évident que la manière dont le pouvoir gérait les minorités ethniques allait devoir être ajustée, sous peine de nouveaux problèmes ».

La proximité de Wang Yang avec le président Hu Jintao, explique la liberté de ton et de parole, dans un contexte général où la voix officielle du Parti présente encore la situation de manière univoque, rejetant la responsabilité des troubles sur les « trois forces maléfiques » que sont « l’extrémisme, le séparatisme et le terrorisme », déjà mises en avant lors des émeutes au Tibet. Mais chacun sait bien que dans cette région de marches, l’enchaînement des causes et des effets est bien plus complexe que ce raccourci péremptoire de la propagande. S’il est vrai que les journalistes occidentaux ont assez vite été autorisés à se rendre au Xinjiang, tandis que, peu après les émeutes, l’agence officielle chinoise diffusait les images des troubles, la grande majorité des reportages des médias chinois, repris par les grandes agences d’information internationales, était consacrée aux attaques, souvent très violentes, menées par les Ouïghours contre les populations Han.

Les comptes-rendus laissaient cependant dans l’ombre toute une part de la réalité, dont la relation a commencé à percer, en dépit d’un important black-out entretenu par les autorités chinoises et malgré la très grande discrétion des médias internationaux, y compris ceux du monde arabe et, plus largement, de la communauté des Musulmans du Moyen Orient aux grands Etats musulmans d’Asie, à l’exception notable de L’Iran, de la Turquie et d’un groupe radical lié à Al Qaida en Algérie. En Asie Centrale, où la minorité Ouïghour est fortement représentée, les Etats membres du Groupe de Shanghai, tous proches de Pékin et de Moscou, qui craignent la contagion radicale islamiste, se sont abstenus de la moindre critique à l’égard de Pékin. Ce silence montre au passage à quel point le poids économique et diplomatique de la Chine pèse lourd dans ces régions dominées par l’Islam, non seulement au Moyen Orient, mais également en Asie.

A l’intérieur, la promptitude et l’ouverture des organes d’information chinois, loués par la presse internationale, ne se sont pas appliquées à la répression très indiscriminée qui a suivi le retour au calme imposé par la police armée populaire, après les interventions hésitantes d’unités de cadets inexpérimentés. Elles n’ont pas non plus approfondi les circonstances et n’ont rien dit du bilan réel - peut-être plus lourd que les 2 morts et les 118 blessés annoncés officiellement - du lynchage des ouvriers Ouïghours par des Han dans une usine de jouets de la province de Canton, le 26 juin, véritable étincelle, transmise par le téléphone portable, ayant déclenché la colère de la communauté Ouïghour à Urumqi.

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La presse reste aussi muette sur le nombre de Ouïghours emprisonnés ou disparus depuis les troubles ; tout comme elle élude le débat sur les raisons pour lesquelles, dans une région aussi explosive, étroitement surveillée par un réseau très dense de militaires, de paramilitaires et de forces de réserve, récemment renforcées par plus de 20 000 hommes, il a pu être possible que se développent des rixes ethniques de cette ampleur et de cette violence, pendant un laps de temps aussi long. Jusqu’à la nuit du 7 au 8 juillet, soit pendant près de 48 heures, des bandes de jeunes Ouïghours, pour la plupart issus des 70% de la population mal intégrés, parlant un Chinois approximatif et ayant le sentiment d’être laissés pour compte, ont agressé et incendié des bus empruntés par les Han, brûlés des voitures particulières et mis à sac des magasins Han ou appartenant à des Ouïghours, accusés de connivence avec les Han, entraînant, en retour, les féroces représailles des Chinois.

Ces questionnements sont repris par quelques rares médias internationaux et par le Congrès Mondial des Ouïghours (CMO) - une des nombreuses organisations représentant le mouvement très divisé des Ouïghours à l’étranger -. Ce dernier va jusqu’à dénoncer une manœuvre des Chinois radicaux et de leurs alliés issus de la mouvance Ouïghour sinisée, qui tient une partie des rênes du pouvoir dans la province. Ceux-là, partisans de la manière forte, auraient, dit-on, tout à perdre d’un assouplissement, pour l’instant d’ailleurs peu probable, du joug de Pékin.

Rebiya Kadeer, la Présidente du CMO, femme d’affaire Ouïghour, philanthrope en rupture de ban depuis 1997, mais qui fut un temps membre de la Conférence Consultative du Peuple au Xinjiang (1993) avant d’être emprisonnée (2000-2005), puis libérée grâce à l’entremise de Washington, dénonce les répressions indiscriminées de la Police Armée Populaire, en même temps que la brutalité des Ouïghours et dément que son mouvement ait incité à la violence. Rien ne dit cependant qu’elle soit en mesure de contrôler les dérapages de ses troupes, ni qu’elle ait une influence sur les autres mouvements, dont certains sont bien moins pacifiques que le sien.

Quant au président Hu Jintao, rentré précipitamment d’Italie, il aurait été pris de court par ce que certains assimilent à une provocation et un complot pour le fragiliser. Dans la même veine, on évoque aussi les prémisses de la lutte de succession, déjà ouverte pour 2012, entre le clan de Shanghaï, partisans de l’ancien président Jiang Zemin et les proches de Hu Jintao. Il reste que le retour des spéculations sur les arcanes compliqués et cyniques de la politique intérieure chinoise, coïncide avec le silence de plomb de la haute direction du régime.

C’est dans ce contexte trouble que s’inscrit la déclaration de Wang Yang, membre du Comité Central, nommé secrétaire général du parti de la province de Canton après le 17e Congrès du Parti et considéré comme un proche de Hu Jintao et Wen Jiabao. Sa sortie, qui prône une approche plus à l’écoute du peuple et des minorités n’est pas une première. En juillet 2008, participant à une séance de formation des cadres du PPC, il avait longuement prôné la démocratie au sein du Parti et insisté sur l’obligation de tolérance et la nécessité d’être à l’écoute de l’opinion publique.

Même s’il prend la précaution d’inscrire l’exercice de la démocratie dans le cadre du Parti, sans envisager une seconde une remise en cause de son pouvoir, son approche de la question du Xinjiang tranche avec la rigidité du discours officiel dans lequel a baigné la crise depuis le 5 juillet. Elle appelle, dans le sillage de nombreux intellectuels chinois qui critiquent le pouvoir, à une refonte drastique de la politique des minorités. Dans ce contexte, on peut comprendre le mutisme prolongé du Comité Permanent du Bureau Politique. Ce dernier, qui mesure les risques mortifères des dissensions internes, a donc, après les premières ouvertures médiatiques, cédé à ses vieilles habitudes d’opacité qui laissent dans l’ombre à la fois son analyse des causes réelles des troubles et ses intentions.

 

 

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