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Corée du Nord : Misères du dialogue à six

Pékin est en général crédité d’avoir joué un rôle positif dans la réduction des tensions avec la Corée du Nord. Il est vrai que ses réticences à infliger des sanctions, ou sa tendance à en minimiser l’importance, voire à ne les appliquer que de manière partielle, ont probablement évité la montée aux extrêmes, en interdisant d’acculer le régime nord-coréen. Sa contribution à la mise sur pied et à la tenue du dialogue à six est pour l’instant toujours reconnue par la communauté internationale comme l’initiative la plus opérationnelle pour la solution de la crise.

Pour autant, elle n’est pas récompensée. Non seulement la Corée du Nord, dont 90% de l’énergie, 80% des biens d’usage courant et 45% de produits alimentaires qu’elle consomme, viennent de Chine, n’a jamais suivi les conseils que lui prodiguait le PCC - réformes économiques et encadrement strict des réformes politiques -. Mais encore, elle a, en octobre 2006 et mai 2009, procédé à deux tests nucléaires, que l’élite du régime chinois a ressenti comme de sérieux camouflets. Entre temps, Pyongyang avait, en décembre 2008, fait capoter le processus de négociations pour le démantèlement de son programme nucléaire et vidé de sa substance le dialogue à six. Du point de vue chinois, comme de celui de ses partenaires russes, américains, sud-coréens et japonais du dialogue, tout est à refaire.

Mais pour Pékin qui, s’applique à jouer un rôle stratégique plus large, pour balancer l’influence des Etats-Unis, au moins dans son environnement direct, il y a plus grave. Alors que les questions resurgissent sur le rôle réel de la Chine, critiquant son manque de fermeté et ses réticences à augmenter la pression sur Pyongyang, c’est une nouvelle fois vers Washington que se tournent tous les regards. En favorisant la naissance d’un dialogue de sécurité à six, Pékin avait au moins deux objectifs : se tailler une posture internationale de médiateur sur des questions de sécurité complexes, y compris celles liées à la prolifération nucléaire ; et se mettre en mesure de peser sur l’évolution des situations dans la péninsule nord-coréenne, tout en prenant, au moins formellement, ses distances avec Pyongyang, devenu un allié rétif et encombrant.

Aujourd’hui, la Chine constate que ses conseils de patience et de conciliation n’ont pas donné les résultats escomptés, tandis que ce sont les Etats-Unis qui détiennent toujours une part importante des clés de la sécurité en Asie du Nord-est. Pour se rendre compte à quel point Washington est aujourd’hui encore un élément déterminant de la question nord-coréenne, il suffit de lire les notes écrites par les représentants de Pyongyang et de Séoul, lors d’une des dernières réunions du CSCAP - Council for Security Cooperation in the Asia-Pacific -, un des nombreux forums informels de sécurité en Asie. Dans leurs papiers, les « frères ennemis », séparés par la longue et douloureuse cicatrice de la ligne de démarcation datant de la guerre, aucun ne dit un seul mot de la Chine. En revanche, l’un et l’autre accordent une place et un rôle presque exclusifs aux Etats-Unis. Ils ne se privent cependant pas de les critiquer. Séoul le fait de manière feutrée, exprimant quelques doutes sur la stratégie de Washington. Pyongyang, en revanche, vilipende sèchement son pire ennemi, qui est aussi son incontournable partenaire de dialogue.

Le Sud-coréen soupçonne Washington, il est vrai en termes choisis, de ne se soucier que de la prolifération - notamment vers Rangoon -, et lui reproche de donner l’impression, qu’à la rigueur, il pourrait s’accommoder d’une arme nucléaire nord-coréenne sur la péninsule. Il accuse aussi l’administration Bush d’avoir manqué de fermeté et de s’être laissée aller à récompenser l’attitude sans scrupules de Pyongyang. Le Nord-coréen cible aussi Washington, mais il est nettement plus agressif. N’évoquant jamais Séoul dans son papier, pas plus que la Chine, il accuse sans détours les Etats-Unis d’être brutaux, méprisants, provocateurs et impérialistes. Les suspectant de vouloir résoudre la question par la force, il leur attribue l’entière responsabilité de l’échec du processus de dénucléarisation.

Enfin, le fait que les représentants de Séoul et Pyongyang adoptent ici ou là un ton menaçant jette une ombre sur les perspectives de reprise du dialogue à court terme. Séoul prévient solennellement, évoquant un improbable recours unilatéral à la force, que son pays ne s’accommodera jamais d’une arme nucléaire à sa frontière nord. Le Nord-coréen, quant à lui, stigmatise la PSI (Proliferation Security Initiative), instaurée par Washington, qui autorise, « sans aucune base légale », - dit le papier - l’arraisonnement de navires en haute mer pour vérifier que leur cargaison ne contient aucune matière ou équipement proliférant. Surtout, le représentant de Pyongyang ajoute que toute interception d’un navire nord-coréen serait considérée par son pays comme une déclaration de guerre. Rappelons que les fondements juridiques de cette initiative, signée par 90 pays - dont la Chine ne fait évidemment pas partie -, sont en effet hésitants. Les commandants des navires qui les mettront en œuvre devront faire preuve d’un grand doigté et de beaucoup de discernement pour ne pas être accusés de violer la convention sur la liberté de navigation en haute mer.

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C’est peu dire que la Chine, qui observe avec un certain désarroi la montée des tensions et « son dialogue à six » en panne, est inquiète. Un développement qui n’est pas fait pour la rassurer est l’arraisonnement par les garde-côtes indiens, le 7 août dernier, à proximité des Iles Andaman, d’un navire nord-coréen au comportement suspect. Cet incident survient quelques semaines après qu’un cargo nord-coréen, suivi par la marine américaine au large des côtes de Chine, et faisant d’abord route vers Myanmar, ait finalement rebroussé chemin.

Dans ce contexte tendu, où les dérapages sont à nouveau possibles, la Chine, qui craint que l’arme nucléaire de Pyongyang bouscule le statu quo stratégique sur la péninsule, entraînant une déstabilisation en cascade de la région aux conséquences incalculables, tentera par tous les moyens de relancer le dialogue à six. Mais rien n’est simple pour elle. La détermination butée du régime de Kim Jong Il et le raidissement des alliés des Etats-Unis au Japon et en Corée du Sud laissent en effet peu de place aux concessions diplomatiques.

La Corée du Nord, qui a renoué avec ses anciennes pratiques de chantage, cherchant à la fois de nouvelles assurances pour son régime aux abois et un dialogue direct avec Washington, hésitera à abandonner son programme nucléaire, qui constitue désormais son seul et très efficace moyen de pression. Critiquée par H.Kissinger dans le New-York Times, la visite, le 4 août dernier, de Bill Clinton, venu libérer les deux journalistes américaines prises en otage en mars dernier, apparaît comme un succès pour la Corée du Nord. Il n’est pas impossible qu’elle complique encore la tâche des négociateurs chinois. Pyongyang, séduit par la perspective d’un dialogue direct avec Washington pourrait, en effet, se montrer réticent à reprendre sa place dans les pourparlers à six.

Mais, une chose est claire. En dépit des déconvenues et rebuffades infligées par le régime de Kim Jong Il, la Chine n’a toujours pas dévié de sa position traditionnelle. Il est vrai que le 12 juin 2009, elle a voté les sanctions de la résolution 1874, sous les dispositions de l’article VII, qui autorise l’emploi de la force. Mais rien n’indique qu’elle se mettra un jour en situation de l’appliquer. Elle a aussi adressé à Pyongyang plusieurs messages fermes, soulignant que ses dernières initiatives n’auraient pour effet que de l’isoler encore plus et de dresser durablement contre elle la communauté internationale.

Le cœur du discours de Pékin s’articule toujours autour des conseils d’apaisement et du souhait que les 4 autres parties « respectent la souveraineté de la Corée du Nord » et « reconnaissent à Pyongyang le droit de développer un programme nucléaire civil ». Enfin, la Chine, qui redoute un effondrement du régime et un chaos sur sa frontière du Yalu, n’envisage pas, en dépit des pressions internationales, de cesser ses livraisons d’énergie et de produits de première nécessité, pour peser sur Kim Jong Il et ses généraux.

Pour toutes ces raisons, Pékin continuera à prôner la reprise du dialogue et la patience. Et il est très improbable que, dans un avenir prévisible, elle accepte de se ranger dans le camp des partisans de sanctions dures qui véhiculent le risque d’acculer Pyongyang au désespoir et aux extrêmes. Il n’est pas impossible que cette position de principe, appuyée par Moscou, mais regardée avec méfiance par l’actuel pouvoir en Corée du Sud et au Japon, rencontre un écho favorable au sein de l’actuelle administration américaine. Là réside, pour l’instant, l’une des seules chances, encore bien ténue, pour une reprise des pourparlers à six.

 

 

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