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Les incertitudes de la reprise économique

Alors que les rapports des agences de l’ONU continuent à être pessimistes sur la situation de l’économie globale (croissance réduite à 1% en 2009, augmentation générale du chômage, baisse massive des échanges commerciaux à un taux jamais observé depuis la crise de 1929, baisse de la production sur toute la planète), l’économie chinoise donne des signes de reprise, du moins si on en croit les statistiques.

Plus encore, même si la Chine n’est pas encore capable de désembourber l’économie mondiale, comme certains veulent le croire, il est indéniable que le redressement observé depuis avril 2009 a largement contribué à diffuser un peu d’optimisme dans une atmosphère générale de grande morosité, virant parfois à la panique. Dans l’univers financier sujet aux réactions en chaîne grégaires et aux brutales variations de confiance, les bons chiffres publiés par la Chine depuis le printemps ont agi comme un euphorisant sur un grand déprimé.

Notons au passage l’ironie de ce retournement, où se dessine l’image d’une Chine, critiquée il n’y a pas si longtemps pour la mauvaise gestion de ses finances et de son économie, et obtenant aujourd’hui le label inattendu d’élève modèle de la crise. Il est vrai que la réaction chinoise, autorisée par les formidables ressources financières du pays et appuyées par un système politique très volontariste, habité par la crainte d’une crise systémique de grande ampleur, a été rapide et efficace.

Pour autant, s’il est vrai que l’annonce d’une croissance proche de 8% au deuxième trimestre 2009 a été perçue comme une bonne surprise, le sentiment dominant des spécialistes chinois et étrangers reste la prudence. Quelques observateurs reconnaissent sans arrière pensée le rétablissement économique assez spectaculaire de la Chine. C’est le cas de Goldman Sachs qui, soulignant l’éveil de la consommation intérieure (+14.8%), vient de relever ses prévisions de croissance du PNB pour 2009 à 8,5%. Son optimisme partagé par la Standard Chartered. CLSA, une société d’investissements en bourse basée à Hong Kong, dont 65% des actions sont détenues par le Crédit Agricole, est sur la même ligne : « C’est un redressement étonnant, dont l’argent public n’est pas l’unique ressort. Le point clé est en effet que le secteur privé progresse également ».

Mais à y regarder de plus près, on constate qu’à côté de beaucoup d’observations optimistes, les recommandations qui incitent à la vigilance sont encore nombreuses. Au-delà des doutes récurrents sur la fiabilité des statistiques chinoises, on pointe aujourd’hui du doigt les effets pervers à moyen et long termes du plan de relance. Ce dernier est certes à l’origine du redressement de la croissance, mais il a aussi contribué à accentuer les disfonctionnements majeurs de l’économie et ses fragilités, renforçant, à un point jamais vu jusque là, la tendance excessive à nourrir l’activité et la croissance par l’allocation facile de capitaux publics, distribués par les banques d’Etat, elles-mêmes fragilisées par d’importantes créances douteuses.

Une propension que les autorités s’efforçaient précisément de contrôler depuis une dizaine d’années, avant que le spectre de la crise ne bouscule les bonnes intentions du régime. En juin 2009, les prêts bancaires parallèles au plan de relance avaient augmenté de 33% par rapport à 2008, pour atteindre plus de 1000 milliards de dollars. A ce rythme explosif, les prêts consentis par les banques chinoises pourraient, à la fin de l’année, atteindre l’équivalent de 50% du PNB. Un expert chinois d’UBS, éberlué par un afflux de capitaux aussi massif s’inquiétait ouvertement : « il est impossible de consentir autant de prêts sur une aussi brève période, sans se créer de graves problèmes ».

Ce raz de marée de capitaux a trois conséquences majeures : il déstabilise à nouveau l’équilibre financier des banques avant même que le processus d’assainissement, commencé il y a dix ans, soit achevé ; il induit une reprise mal contrôlée de la production industrielle, créant des surplus difficiles à écouler dans un contexte où les marchés américains et européens restent atones ; enfin, il dérape presque mécaniquement vers la création de bulles spéculatives en bourse (hausse de 90% de la bourse de Shanghai depuis janvier 2009) et dans l’immobilier (+ 30%).

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Wei Jianing, économiste au centre de recherche du Conseil d’Etat, explique que, depuis le lancement des mesures anticrise, 175 Milliards de dollars ont été illégalement investis par des entreprises d’Etat très en vue bien connectées avec les banques, pour l’achat d’actions et d’actifs immobiliers à des fins spéculatives. Ce constat est confirmé par un analyste de la Morgan Stanley : « les marchés financiers et immobiliers chinois sont surévalués de 50% ». Un autre expert d’une société d’investissement prévient que « cette situation pourrait déraper vers une catastrophe économique, sociale et politique, si l’Etat décidait de corriger trop brutalement ces tendances ».

Face à ce défilé d’appréciations divergentes, on peut risquer une première synthèse. Les optimistes se souviennent de la manière dont la Chine avait déjà surmonté les crises antérieures (y compris les problèmes sociaux liés à la privatisation des entreprises d’Etat dans les années 90) et rappellent la solidité de quelques fondamentaux (réserve de devises importantes, équilibre budgétaire, capacité industrielle, capacité d’intervention de l’Etat, reprise de la production, éveil du marché intérieur, souplesse et faible coût de la main d’œuvre, accroissement régulier des recettes fiscales).

Quant aux tenants de la prudence, ils indiquent tous que l’injection massive de capitaux a renforcé la tendance des planificateurs à privilégier les investissements d’infrastructures (45% du plan de relance était consacré aux infrastructures et au bâtiment), accumulant les projets parfois mal ficelés et à l’utilité contestable. En libérant le crédit à l’automne 2008 (suppression des quotas), le pouvoir a aussi relancé la production de manière parfois désordonnée, reconstituant des stocks invendables dans des secteurs déjà encombrés. Enfin, l’injection de capitaux dans l’économie et dans le système bancaire a aggravé les appétits spéculatifs qui nourrissent presque automatiquement les créances douteuses des banques.

Une fois retombée la poussière de la relance et de la libération massive du crédit, l’économie chinoise risque donc d’apparaître encore moins équilibrée que par le passé, traversée par des tensions spéculatives nourries par les placements financiers massifs des grands groupes d’Etat, et reposant essentiellement, 1.- sur l’export chargé d’écouler une production industrielle moins en phase avec un marché extérieur en fort recul (hausse de la production de 28% à comparer avec une baisse des exportations de 26%), et 2.- sur l’investissement, pas toujours bien ciblé (trop d’infrastructure, pas assez d’investissements sociaux) qui, selon les meilleurs experts représentera, en 2009, au moins 4 points de croissance.

Ce premier bilan laisse entrevoir qu’au lieu de tirer partie de la crise, l’économie chinoise se comporte comme celle du reste de la planète. Elle reprend, parfois en les accentuant, les schémas de ses principales fragilités. L’effet stabilisant et rassurant des plans de relance a en effet partout favorisé le retour des habitudes les plus dangereuses. Si l’on dresse la liste des symptômes néfastes qui resurgissent aux Etats-Unis, en Europe et en Chine, ainsi que dans la planète finance, on obtient en effet un catalogue impressionnant d’errements réapparus aux premiers signes de détente : spéculations financières, utilisation inconsidérée du crédit, déficits budgétaires, emprunts massifs, utilisation de la « planche à billets », séparation dangereuse du capital et du travail, gonflement des bulles spéculatives.

En Chine, ces tendances s’accompagnent d’un renforcement encore plus marqué qu’ailleurs de l’intervention de l’Etat, d’autant plus impliqué que la légitimité du Parti dépend en grande partie des bonnes statistiques de l’économie. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, dans cette ambiance de crise, les choix du régime se soient portés en urgence vers des investissements aux effets sur la croissance bien plus directs et plus rapides que ceux dont l’incidence à court terme sur les statistiques est plus aléatoire.

Ces tendances à privilégier l’affichage et le court terme dans la répartition des efforts de l’Etat, sont régulièrement dénoncées par le Professeur Zhou Tianyong, Directeur du centre d’analyse politique de l’Ecole Centrale du Parti (cf. article de QC du 19 décembre 2008).
Critiquant la priorité accordée aux travaux d’infrastructure, il écrit notamment : « les dépenses publiques chinoises sont très en deçà de celles des pays développés et leurs priorités sont chaotiques (...). Les investissements dans les secteurs de la santé et de l’éducation sont parmi les plus faibles du monde (...) Le taux de scolarisation décline. Dans certaines régions la situation de la santé et de l’éducation est pire qu’en 1978. Plus de 70% des Chinois sont exclus du système de pensions et les 100 millions qui en bénéficient dépendent d’une caisse en faillite, dont les dettes s’élèvent à 1300 milliards d’euros (...). Le poids de l’administration engloutit 24,7% des dépenses de l’Etat, - un record du monde à comparer avec les Etats-Unis (10%), la France (6,5%)- ». La question n’est donc pas de savoir si l’économie de la Chine va mieux. Elle va mieux. Du moins en apparence. Il reste à savoir si cette embellie est durable.

 

 

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