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Chine-Myanmar : le dilemme birman

Depuis un peu plus de deux mois l’armée birmane s’est engagée le long de la frontière du Yunnan pour « reprendre en main » ses provinces mal contrôlées du nord et du nord-est, dominées par plusieurs « armées privées ». Il s’agit à la fois de mettre fin à une situation de semi dissidence, vieille de plusieurs décennies et de préparer au mieux les élections de 2010 que, cette fois, la Junte entend ne pas perdre, au besoin en manipulant le scrutin.

Le moins que l’on puisse dire est que l’assaut brutal de l’armée, qui a formellement mis fin à un cessez-le-feu en vigueur depuis 20 ans et les flots de réfugiés d’origine chinoise fuyant les combats vers le Yunnan ont durement secoué une zone déjà instable, où l’armée birmane exerçait régulièrement de féroces répressions. Dans un rapport datant de 1998, la Jane’s Intelligence Review écrivait : « la région de l’état de Chan est devenue une zone de tir libre où les militaires birmans tirent à vue sur les paysans déplacés revenus pour la récolte (...). Depuis 1997, le nombre des atrocités commises par l’armée birmane qui semble avoir carte blanche de Rangoon, a fortement augmenté ».

La Chine n’aime rien moins que les brusques changements du statu quo, surtout quand ils surgissent à sa frontière et qu’ils concernent des populations chinoises immigrées. Elle l’a donc fait savoir le 28 août par un message laconique à Naypyidaw, son meilleur allié en Asie du Sud-est : « La Chine demande au Myanmar de régler au mieux (sic) ses problèmes intérieurs et d’assurer la stabilité de ses régions frontalières avec la Chine ».

La région de l’Etat Chan, à l’Est de Mandalay, compte une forte densité de Chinois, commerçants récemment émigrés et de Birmans d’origine chinoise, héritiers des immigrations ayant suivi la chute des Ming (XVIIe siècle). Pékin, sur le qui-vive, a mis en alerte ses troupes frontalières dans le sud Yunnan et assuré la logistique et le soutien sanitaire de plus de 40 000 réfugiés, pour la plupart des ressortissants chinois fuyant l’incursion de l’armée birmane en territoire Chan.

L’action de la Chine ne s’est pas arrêtée à la déclaration lapidaire du porte parole du Waijiaobu. Pékin a aussi dépêché un envoyé spécial, puis un responsable militaire, et - selon certaines sources proche du Conseil d’Etat - elle a également exprimé sa colère de n’avoir pas été prévenue par la junte, d’autant que parmi les réfugiés se trouvaient plusieurs centaines de « rebelles » appartenant à « l’armée de Kokang », objectif principal de l’attaque de l’armée birmane. Ces derniers ont été désarmés par les forces de sécurité chinoises et placés sous bonne garde dans un camp fermé.

Mais l’ironie de la situation est très embarrassante pour Pékin, aux prises avec des mouvements autonomistes au Xinjiang et au Tibet : ces minorités frontalières d’origine et de culture chinoises, appuyées par la Chine qui leur fournissait jadis des armes, transitant encore en contrebande, se battent pour conserver une autonomie acquise après la signature d’un cessez-le-feu à la fin des années 80 avec la Junte, aujourd’hui meilleur allié de Pékin en Asie du Sud-est.

Dans ce pays peuplé d’un tiers de minorités, dont certaines alimentent leur combat pour garder leurs distances avec Naypyidaw par le trafic de drogue et de bois sur la frontière avec le Yunnan, la situation s’était alors figée. A l’époque, le cessez-le-feu était loin de faire l’unanimité. Les rebelles, longtemps soutenus par la Chine, voulaient en découdre avec le régime militaire ; tandis que certains responsables de l’armée birmane, excédés par les dissidences et l’ombre portée de Pékin, acceptaient mal cet arrangement avec un ennemi qu’ils avaient toujours combattu.

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Quand on s’interroge sur les motivations et les contraintes du Parti Communiste Chinois face à Naypyidaw, son allié de longue date qui pourrait montrer quelques velléités d’émancipation, il n’est pas inutile de rappeler que les dissidences larvées avaient été mises sous le boisseau et tenues en respect grâce à l’entremise de Deng Xiaoping lui-même, après sa décision de couper les vivres et le soutien aux guérillas communistes d’Asie du Sud-est.

L’arrangement promettait également un accès facile aux investissements chinois dans les régions frontalières et devait permettre plus tard l’ouverture d’un point d’appui portuaire sur le Golfe du Bengale et le passage d’un oléoduc vers le Yunnan.

En échange, la Chine s’engageait à armer massivement la Junte et à lui apporter son appui politique. Le pragmatisme froid du patriarche, dont le pouvoir chinois s’inspire encore aujourd’hui, était passé par là : gel des situations sous couvert de non ingérence, avantages économiques, contre un appui politique inconditionnel.

Aujourd’hui, Pékin craint que l’incursion des militaires birmans dans les zones rebelles ne détruise ce bel ordonnancement et ne mette le feu aux poudres.

Certaines zones, comme celles des Wa, possèdent une armée forte de 20 000 hommes (United Wa States Army), commandée par des barons de la drogue et des seigneurs de la guerre de pure tradition chinoise. Le souhait le plus vif de la Chine serait de calmer le jeu pour éviter de graves troubles sur ses marches méridionales et, si possible, perpétuer les vieilles habitudes, dont elle tire largement profit. C’est pourquoi elle propose ses bons offices pour tenter de revenir aux équilibres mis en place sous l’égide de Deng.

L’armée birmane ne l’entend évidemment pas de cette oreille. Son objectif, que Pékin cherchera à contrecarrer, n’est pas aisé, mais il a le mérite d’être clair : mettre fin aux incongruités d’une situation de semi anarchie sur ses frontières Nord et Est, qui foule aux pieds l’autorité de Naypyidaw.

Si, en dépit des pressions chinoises et des risques, la Junte décidait de poursuivre son action, il est probable qu’elle prendra le prétexte tout trouvé de la lutte contre les narcotrafiquants. Pour Pékin, qui s’inquiète de la stabilité du sud Yunnan, les conséquences pourraient être dramatiques avec un nouvel afflux de réfugiés et des risques importants de pertes civiles sur la frontière.

On rappelle à Pékin, que la Chine est proche des milices Wa, très militarisées, qui sont peut-être le prochain objectif de la Junte. Ce qui complique lourdement l’équation du Bureau Politique, écartelé entre ses anciennes traditions de soutien aux minorités chinoises et leurs trafics éparpillés sur la frontière.

Les projets de Pékin d’aide à la junte heurtent bien sûr son principe de non ingérence, déjà largement bafoué en sous main par les unités frontalières chinoises parties aux commerces illicites poumon économique des « rebelles ».

Mais ils visent les avantages économiques de l’ouverture du Sud-ouest de la Chine vers la mer, et ses intérêts stratégiques supérieurs que sont les facilités portuaires birmanes dans le Golfe du Bengale et l’oléoduc vers le Yunnan.

Sans compter que, condamner Naypyidaw pour son action visant à renforcer l’autorité centrale dans les provinces excentrées, serait en contradiction directe avec la politique chinoise qui, au Xinjiang et au Tibet, s’inspire du même principe centralisateur.

Dans ce contexte politique où la « raison d’État », protégée par le principe chinois de non ingérence et l’alliance avec Naypidaw, dérape vers nombre de violations du droit des individus ; où les réminiscences de l’histoire et l’enchevêtrement des facteurs locaux et ethniques, sur fond de trafics frontaliers plus ou moins licites, compliquent encore la donne, on voit bien que la marge de manœuvre de la Chine est étroite.

Elle l’est d’autant plus que la Junte semble vouloir s’émanciper de son mentor et se rapprocher de Washington.

Mais les équilibres stratégiques de la région ne basculeront pas aussi facilement et il coulera encore de l’eau sous les ponts de l’Irrawaddy avant que les États-Unis s’affichent ouvertement aux côtés des dictateurs birmans.

Mais le fait est que, récemment, Rangoon avait déroulé le tapis rouge et réservé une réception de Chef d’Etat au Sénateur américain Jim Webb, en tournée en Asie du Sud-est.

Au même moment, le Myanmar Times publiait un article sur la venue du Dalai Lama à Taïwan. Les spécialistes de la Birmanie interrogés par « Asia Times » observaient que c’était la première fois depuis 20 ans que la presse birmane, étroitement contrôlée par la Junte, faisait allusion au Chef religieux tibétain en exil. Il est certain que cette rupture de l’omerta sur la question bouddhiste par la Junte n’était pas fortuite.

 

 

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