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›› Politique intérieure

Le ministre de l’éduction sacrifié à la grogne des parents d’élèves

Le ministre de l’éducation Zhou Ji (63 ans), en poste depuis 6 ans vient de perdre sa place le 3 novembre dernier, victime des tensions qui traversent le système éducatif chinois. Pour beaucoup d’observateurs étrangers, qui se réfèrent aux élogieux bilans publiés dans les plus récents rapports de l’UNICEF repris par le Parti, cette sanction est une surprise. L’agence de l’ONU souligne en effet les progrès considérable de l’alphabétisation en Chine, peuplée de 80% d’illettrés en 1949 et qui affiche aujourd’hui un taux d’alphabétisation de 99%, chez les jeunes chinois de 15 à 24 ans, grâce aux progrès de l’enseignement et à une durée de scolarisation obligatoire portée à neuf ans depuis 1949.

La réalité est cependant plus complexe. Les chiffres élogieux ne tiennent en effet pas compte de la situation des campagnes pauvres et de celle des migrants. Il serait plus exact d’écrire que le taux d’analphabètes est proche 10% pour les hommes et de 15% pour les femmes. Cette proportion est particulièrement élevée chez les filles en milieu rural.

Quant aux statistiques chinoises, elles soulignent surtout les succès quantitatifs des réformes, avec près de 500 000 ingénieurs diplômés chaque année, et la multiplication par trois du nombre d’élèves admis dans l’enseignement supérieur entre 1999 et 2004, avec aujourd’hui environ 20 millions d’étudiants (les statistiques sont imprécises et contradictoires), répartis dans près de 2500 universités et établissements d’enseignement technique et professionnel. Le nombre de doctorats accordés a, durant cette période, été multiplié par sept.

Mais c’est bien là que le bât blesse. Les moyens alloués - pourtant en augmentation rapide depuis 2008 - et la qualité de l’enseignement hors des niches d’excellence, n’auraient pas suivi l’explosion des effectifs dans l’éducation primaire et secondaire, comme dans les universités. Nommé en 2003, Zhou avait, dit-on, pris la mesure des problèmes, qui existaient bien avant sa prise de fonction, notamment dans les zones rurales, où le niveau des écoles est encore faible (enseignants très mal payés, fréquentation aléatoire, discrimination des filles et des handicapés, infrastructure indigente).

Mais les parents d’élèves accusent l’ex-ministre d’avoir manqué d’énergie pour résoudre ces problèmes et d’avoir laissé subsister les inégalités, les passe-droits et la corruption des enseignants, incontournables pour changer d’école, ou entrer à l’université. Le Parti, sensible aux critiques, lui fait également payer le retard pris par la Chine pour aligner le niveau des universités à hauteur de celles de l’Occident.

Zhou était sur la sellette depuis la session annuelle de l’ANP, en mars dernier, puisqu’il avait été parmi les ministres ayant recueilli le moins de votes favorables à son maintien, dans un secteur traditionnellement très sensible pour les familles chinoises, qui tiennent par-dessus tout à la réussite scolaire de leur enfant unique. La rumeur court aussi de l’implication de Zhou dans les affaires de corruption, alors qu’il était maire de Wuhan, après avoir dirigé une des universités de la ville.

Il ne fait cependant pour l’instant l’objet d’aucune accusation officielle, et on parle même de son affectation à l’Académie des Sciences Sociales, ce qui alimente la « contre rumeur » qu’il n’aurait été qu’un bouc émissaire ou un « fusible », pour apaiser les rancœurs des parents d’élèves, alors même que les budgets, toujours insuffisants, en dépit de récents efforts, ne lui laissaient qu’une faible marge de manœuvre. Son successeur Yuan Guiren (59 ans) - le n°2 du ministère - est un ancien président de l’Université Normale de Pékin, connue pour son style moins conventionnel, en contraste avec le conservatisme ambiant. Mais si les budgets continuent à rester aussi faibles, il aura du mal à faire mieux que son prédécesseur.

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A la fin des années 90, les autorités avaient lancé une vaste réforme du système éducatif avec au moins trois objectifs : augmenter le pourcentage des élèves admis en université ; rehausser le niveau des universités chinoises pour les rapprocher des standards des plus prestigieux établissements occidentaux ; réformer l’enseignement professionnel désormais ouvert aux adultes. La réforme a réussi à augmenter massivement le nombre des étudiants, ce qui a provoqué des tensions dues à la pénurie de professeurs et a mécaniquement augmenté le nombre de jeunes chômeurs diplômés, qui oscille autour de 30% ; elle a également assoupli la structure de l’enseignement supérieur, devenu moins centralisé, plus dynamique et plus ouvert à l’implication des autorités locales, aux acteurs et aux financements non étatiques.

Pour autant, comme l’atteste le classement annuel des universités proposé par l’université Jiaotong de Shanghai, la réforme n’a pas réussi à rapprocher de manière significative le niveau des universités chinoises de celles des meilleures occidentales. Le haut de ce classement - dont les critères sont parfois contestés - est en effet massivement investi par les établissements américains (56 dans les 100 premières universités mondiales et 8 dans les 10 premières), alors que les premiers établissements chinois (Beijing Daxue, Qinghua Daxue, Nanjing Daxue, Shanghai Jiaotong Daxue, Fudan Daxue) sont toutes classées au-delà du 200e rang mondial. Au passage, signalons que trois établissements français - Paris 6 (40e), Paris 11 (43e), Ecole Normale Supérieure (71e) - sont classés dans le « Top 100 ». La Grande Bretagne en compte 9, dont 2 dans les 10 premiers, et l’Allemagne 5.

La réorganisation a également créé une forte tendance à l’élitisme, dans un tableau très disparate des universités et des établissements d’enseignement supérieur - durée des cursus, matières enseignées et rattachements administratifs nationaux ou locaux -, divisés en trois groupes et favorisant l’émergence d’établissements haut de gamme très prisés par les étudiants et leurs familles, faisant l’objet d’âpres compétitions à l’entrée, assorties de dérives népotistes et de corruption.

Dans ce contexte, près de 60% des étudiants disent ne pas faire les études de leur choix. L’inégalité des chances est encore aggravée par l’augmentation des frais universitaires qui, en 15 ans, ont été multipliés par 30 (entre 300 et 600 euros), tandis que le salaire moyen a à peine doublé. L’Etat tente de corriger la disparité des situations, perçue par les parents comme un arbitraire insupportable, en distribuant des livres gratuitement et en mettant en place des fonds d’aide aux études dans les zones plus défavorisées. Enfin la tendance élitiste a encore accentué le caractère sélectif des examens nationaux d’admission (Zhongkao pour les collèges et Gaokao pour l’université) qui mettent chaque année toute la jeunesse et les familles chinoises en transes.

Les considérables défis quantitatifs et qualitatifs de la formation des ressources humaine en Chine sont une des priorités du plan quinquennal en cours (2006 - 2010). Au-delà du nombre, qui nécessite de formidables ressources qui, en dépit de récentes augmentations, ne sont toujours pas à la hauteur, le gouvernement s’est aussi attaqué à la qualité des enseignants, un des talons d’Achille du système. Une des solutions a été de favoriser le retour des étudiants chinois partis à l’étranger, y compris de ceux ayant changé de nationalité. Ces derniers bénéficient de facilités d’accès aux universités et aux emplois professionnels, de salaires attractifs et de subventions, assortis d’une plus grande flexibilité en matière de permis de résidence (Hukou) et de délivrance de visas.

Il reste qu’en dépit des affichages, les efforts financiers consentis par la Chine restent insuffisants au regard de l’ampleur des problèmes à résoudre. Une première augmentation substantielle du budget, estimée à 45%, a été effectuée pour l’exercice 2008. A la fin de 2008, le premier Ministre Wen Jiabao promettait que la part du budget de l’éducation serait portée en 2009 à 4% du PIB. Si cet objectif était atteint il placerait la Chine au 80e rang mondial des dépenses d’éducation (Etats-Unis 5,7%, France 5,6%. GB 5,3%).

 

 

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