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›› Chronique

Han Han, le provocateur

Toute la classe moyenne chinoise et les 380 millions d’abonnés à Internet connaissent Han Han, jeune écrivain provocateur, pilote de rallye amateur, vainqueur du championnat de Chine des rallyes en 2007 et « blogueur » à succès (200 millions de visites depuis la création de son site en 2006).

« Provocateur » est peut-être bien le qualificatif qui caractérise le mieux ce jeune homme de 27 ans, fils d’un éditeur de Shanghai, dont les études se sont arrêtées au Lycée, avec la bénédiction des parents, moins angoissés que leurs pairs pour l’avenir de leur progéniture. Récemment, à la fin d’un rallye automobile, auquel il avait pris part sur un circuit de la banlieue de Shanghai, il défila en combinaison de pilote devant la tribune officielle en adressant ostensiblement un doigt d’honneur au jury.

En dépit de la pénalité qui lui a été infligée, il jubile : « j’aurais bien voulu en faire deux, (un avec chaque main, NDLR), mais j’avais justement un coup de fil à donner ». Il a continué ses diatribes sur son blog « ce sont des amateurs, incapables de faire respecter leurs propres règles qui interdisent les reconnaissances avant la course ». Interrogé sur l’impact que son geste obscène pourrait avoir sur la société, il répond, sarcastique, « les seuls dont je me soucie sont les enfants, mais je suppose que la censure anti-pornographique (« le grand barrage vert », NDLR) imposée sur Internet les en aura protégés ». 

Le premier de ses 14 romans, « la triple porte » (San Zhong Men), a été publié en 2000 et est devenu un best-seller vendu à un million d’exemplaires. Il avait 17 ans. Il y décrit le malaise des adolescents au lycée et développe une critique acerbe et iconoclaste du système éducatif chinois, allant jusqu’à traiter de prostituées les professeurs qui « vendent » les heures supplémentaires et acceptent des pots de vin. Mais écrit-il, « les prostituées gagnent leur argent en procurant du plaisir à leurs clients, tandis que les professeurs, même s’ils sont plus cultivés, les ennuient ».

Lorsqu’en février 2009 un feu d’artifice, tiré imprudemment par la Direction, a mis le feu à l’immeuble de CCTV dans le quartier Est de Pékin, les réflexions sur son blog ont mis le net chinois en ébullition et déclenché une réaction immédiate de la censure qui a fait disparaître ses commentaires. Mais c’était trop tard. Ils avaient déjà fait le tour de la Chine comme une trainée de poudre : « il y a un sérieux problème, dont le gouvernement devrait se préoccuper. Ses truchements ont esquinté l’image de ceux qui se disent leurs maîtres. Même quand ils disent la vérité, elle paraît trafiquée. La jeune génération, qui gagne en maturité, tournera de plus en plus en ridicule tout ce que les médias nationaux produiront. Ne soyez pas surpris s’ils (les médias) sont constamment dépassés par les événements ».

Interrogé sur les raisons du refus opposé par les autorités à son projet de création d’un magazine littéraire au titre éloquent « Renaissance de l’Art et de la Littérature », il s’étonne : « Ils ont l’esprit confus. Personne ne sait ce qu’ils pensent ».

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Mais on aurait tort de croire que Han Han est un écervelé superficiel. Ses réflexions sur la vie, le travail, ou le bonheur sont étonnement matures et tranchent avec le matérialisme ambiant : « la popularité ne dure pas si vous n’êtes pas vertueux », ou « la réussite et le bonheur c’est être au bon endroit, à faire ce qu’on sait faire avec la bonne personne ». Lors du tremblement de terre du Sichuan en mars 2008, il s’est rendu sur place incognito pour participer aux secours et distribuer des vêtements collectés par lui et ses amis. Peu après, sur son blog, il n’hésitait pas à prendre la défense de Sharon Stone, insultée par des milliers d’internautes chinois pour avoir lié le tremblement de terre au « karma », et incitait ses compatriotes, qui le prirent également pour cible, à s’intéresser aux « vrais problèmes, comme celui des constructions trop fragiles construite en béton frelaté (ciment dofu) et trop vite effondrées lors du sinistre.

Accepté par ses fans et plusieurs de ses pairs écrivains comme un critique des pouvoirs publics, qui dose habilement ses diatribes pour éviter de se faire épingler par les autorités, il est aussi reconnu par la génération des écrivains plus anciens et la presse contestataire en vogue. Ai Wei Wei, artiste et activiste des droits de l’homme, 52 ans, dit de lui qu’il a l’esprit clair, et qu’il est dynamique et plein d’humour : « il sera le fossoyeur des écrivains de la vieille garde ».

L’hebdomadaire Xin Zhoukan de Canton juge sa pensée « juste et ordonnée » et le désigne comme l’espoir de la génération née après l’ouverture de la Chine, dont on considère en général qu’elle est gâtée, égoïste et socialement irresponsable.

Ces commentaires élogieux, dont certain vont jusqu’à comparer Han Han à Lu Xun (excusez du peu) et à en faire l’écrivain moderne le plus célèbre de Chine, contredisent les appréciations plus critiques et bien sévères de Lynda Liu, professeur de littérature chinoise à l’université de Columbia : « ses rebellions calculées n’expriment que la connivence non dite entre le pouvoir communiste et la jeune génération : - laissez nous nous amuser et nous ne remettrons pas en cause votre pouvoir -. Il s’est taillé une réputation de critique brutal du gouvernement et des pouvoirs en place. Mais en réalité il n’en est rien. Il participe au contraire à la canalisation des jeunes énergies vers la société de consommation. La langue et le style de ses œuvres, comme les histoires qu’il raconte, sont très faciles à lire. En gros c’est toujours le même livre ».

Attendons de voir. Et à cette appréciation, peut-être un peu trop cinglante, préférons pour l’instant celle d’une jeune auteur de nouvelles, Zhang Yueran, de la même génération que Han Han : « le succès et la fortune n’ont pas altéré son honnêteté ni la précision de ses critiques. Pour moi, il est comme l’enfant dans « Les habits neufs de l’Empereur », dont la réflexion provocante - le Roi est nu - nous empêche d’être trop satisfaits de nous-mêmes ».

 

 

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