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›› Editorial

L’année du Tigre sera « complexe »

L’année du Tigre a commencé le 14 février et, s’il est vrai que les vacances officielles durent une semaine, à compter de ce premier jour de l’année lunaire - « chu yi » pour les Chinois -, les migrations annuelles du plus grand regroupement familial de la planète s’allongent sur une bonne quinzaine de jours. Elles mettent plus de 30% des citadins en mouvement et lancent 200 millions de Chinois à l’assaut des gares et des trains bondés, envahis par d’interminables bousculades et piétinements. Quelques centaines de milliers d’entre eux, dont le village natal est mal desservi par le rail, se déplacent à moto - souvent à trois sur même engin - bravant les intempéries, tandis que les plus fortunés prennent l’avion dans l’un des 220 aéroports modernes, dont la moitié a été construite au cours de ces 15 dernières années.

Pour le peuple, comme pour le pouvoir c’est l’heure de la « bénévolence » confucéenne, le moment de l’attention portée à son clan et à sa famille, celui des bonnes résolutions, du retour des rites familiaux et des promesses de droiture. On fait le bilan de ses succès en essayant de minimiser ses échecs, on examine l’état de ses affaires et, si possible, on règle ses dettes, sans oublier de sacrifier à la tradition et aux superstitions qui recommandent la modestie et la prudence. Une résolution qui, pour la classe des nouveaux riches, grisés par le succès de leurs affaires et de la Chine, ne dure jamais bien longtemps.

A l’avant-veille de la soirée festive du 13 février, ponctuée par les craquements jubilatoires de millions de feux d’artifice au travers toute la Chine, dont le ciel s’est illuminé pendant des heures, le Premier Ministre n’a pas failli à la tradition. C’est en effet à lui que revenait la charge du discours officiel devant les huit autres membres du Comité Permanent, entourés de 4000 invités, triés sur le volet. L’année 2009, a-t-il dit, « a été une année tonique, au cours de laquelle, le pays, réagissant avec calme et détermination à une crise financière internationale sans précédent, a rapidement redressé la situation et pris la tête du redémarrage de l’économie mondiale, grâce à des mesures fermes et résolues ».

Au passage constatons que les succès de la gestion chinoise dans la crise commencent d’ailleurs à porter leurs fruits en termes d’influence. On parle de plus en plus du « modèle chinois », opposé au libéralisme dangereux de l’Occident. Certains louent l’implication lourde de l’Etat dans le pilotage de l’économie et le contrôle des capitaux. A Dubai, au Brésil, en Malaisie, qui furent, il y a peu, des économies de marché, la leçon chinoise a porté. On y installe des « zones économiques spéciales » à la Chinoise, contrôlées par l’Etat, assorties d’avantages fiscaux substantiels.

Ailleurs on souligne même que le défaut de démocratie est un « avantage », notamment quand il s’agit procéder à des réformes impopulaires, mais nécessaires. Les pays libres sont moins bien lotis, puisque les gouvernements sont régulièrement placés sous la pression des élections. « La Chine fait ses choix stratégiques dans le secret du Bureau Politique, puis les met en œuvre sans coup férir, uniquement préoccupée des procédures techniques », dit Victor Chu, Président d’une société d’investissements à Hong Kong.

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Puis, après avoir mis l’accent sur la « fierté et la confiance » que le peuple chinois éprouvait devant les « glorieuses réalisations de la Nation », passées en revue lors du 60e anniversaire de la RPC, Wen Jiao a exhorté à l’effort et à la vigilance : « il n’est pas difficile de gagner, mais il est difficile de continuer à gagner ». Ajoutant qu’en 2010, le pays affrontera une situation plus complexe, à l’intérieur, comme à l’extérieur, il a incité chacun à « rester sérieux et concentré, tout en gardant au cœur l’angoisse que le pays ne se laisse distancer ». Une réflexion qui en dit long sur l’état d’esprit des dirigeants et pourrait être de nature à tempérer un peu les appréciations qui taxent la Chine d’arrogance.

Les exhortations et les promesses de Wen Jiabao ont surtout visé l’économie, la situation sociale et l’éducation. La priorité restera, sans faiblir, au développement et à la croissance rapide et stable, à l’ouverture de l’économie et à ses réformes structurelles pour mieux réagir à la crise financière mondiale. Ce qui, au passage, indique que Pékin ne croit toujours pas que la crise soit terminée.

Puis, revenant aux priorités sociales définies lors du 17e Congrès, passées au second plan dans le tumulte de la crise, il a promis de créer de nouveaux emplois et de relever le niveau de vie à la campagne comme à la ville, « de sorte que chacun puisse, à sa place, donner le meilleur de lui-même ». L’accès au logement, à la sécurité sociale et aux retraites sera élargi. Enfin, le premier ministre, qui avait en tête la récente crise avec les parents d’élèves, soldée par la mise à pied du ministre de l’éducation, a insisté pour la mise en place, coûte que coûte, d’un système scolaire et universitaire plus égalitaire et de meilleure qualité.

Que l’actuelle direction du régime ait un tropisme social marqué, qui tranche avec la tendance très « macroéconomique » de la génération précédente, est une évidence. Depuis leur arrivée au pouvoir en 2002, Hu Jintao et Wen Jiabao ont mis en chantier une série de réformes sociales (droit de propriété, aide fiscale aux paysans, retraites, assurances sociales, accès à la santé, services publics dans les campagnes), tout en instillant l’idée que, pour survivre, le Parti devait s’adapter aux changements d’une société civile toujours plus réactive et mieux organisée.

Les campagnes de mobilisation et les directives politiques se sont succédées à un rythme accéléré, contre la corruption, pour plus de transparence, en faveur d’un traitement moins brutal des dizaines de milliers « d’incidents de masse » (on avance le chiffre de 100 000 incidents, dont 30% seraient liés à la propriété de la terre), pour plus de mansuétude des juges et pour la réduction du nombre de peines capitales. Le tout, dans un contexte caractérisé par la lente émergence d’une conscience juridique de plus en plus marquée, au point que beaucoup de nouvelles élites ne sont plus des ingénieurs, mais des diplômés de droit. Dans le même temps, l’Assemblée Nationale Populaire se défait lentement de son image de chambre d’enregistrement, osant de plus en plus contester les politiques publiques, par ailleurs souvent mises en cause par les grands « think tanks » du régime, dont la liberté de parole est étonnante, même à l’aune des critères occidentaux.

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Même si les réformes sont incomplètes ou mises en œuvre de manière heurtée, avec notamment d’importantes lacunes dans l’application du droit au sein de tribunaux, dont l’indépendance reste handicapée par la corruption, le népotisme et les ingérences politiques, le vaste mouvement d’ouverture lancé par le régime pour préserver sa légitimité et raviver ses liens avec le peuple, entraîne de fortes attentes pour de nouvelles libertés politiques. Celles-ci se manifestent y compris au sein du Parti, avec plus ou moins de virulence, et se cristallisent publiquement par le truchement d’une nouvelle forme d’activisme relayée par Internet et quelques organes de presse qui construisent leur réputation sur leur image d’indépendance incorruptible.

Face à ces développements, qui donnent une image moins rigide que par le passé des relations entre le pouvoir et la société, mais dont les conséquences pour la pérennité du Parti sont imprévisibles, le régime a tendance à avoir la main lourde. L’exemple le plus récent est la condamnation de LIU Xiaobo à 11 années de prison pour avoir lancé la « Charte 08 », préconisant l’adoption de la démocratie en Chine et proposé le passage à un système fédéral. Le jugement, critiqué de l’intérieur par quatre vétérans du Parti, anciens du Quotidien du Peuple, de Xinhua et de l’Académie des Sciences Sociales, était d’autant plus inflexible que l’initiative prônait non seulement la fin du rôle dirigeant du Parti et de son monopole, mais aussi l’abandon, pour l’heure improbable, du dogme d’un pouvoir politique centralisé imposant sa férule sur les provinces.

Récemment plusieurs autres activistes des droits de l’homme ont été harcelés. Parmi eux Huang Qi, qui militait pour obtenir des réparations au profit des parents des enfants morts lors du tremblement de terre du Sichuan, suite aux accusations de malfaçon des écoles construites en béton frelaté, a été condamné à trois ans de prison ; juste avant le Chun Jie, Tang Zuoren, qui travaillait sur le même sujet a écopé de cinq ans pour subversion. L’impression de beaucoup d’observateurs est que la tendance répressive se durcit à mesure que le Parti identifie des menaces directes contre son pouvoir, ou quand les ramifications des corruptions risquent de discréditer les hautes strates du régime.

Conséquence directe du fait que certains effets non désirés de l’ouverture sont de plus en plus considérés comme un défi au système, le nombre des accusations pour « menace contre la sécurité de l’Etat » a quintuplé depuis 2005. Une part de cette augmentation est directement liée aux troubles survenus au Tibet en 2008 et au Xinjiang en 2009. Quoi qu’il en soit, l’augmentation brutale de ce type d’accusation dessine les limites des capacités d’ouverture politique du pouvoir et donne une idée des contradictions auxquelles il est confronté.

Alors que la société chinoise s’organise, devenant de plus en plus réactive et capable d’autonomie, tandis que l’augmentation des niveaux de vie entraîne une demande pour plus de libertés et de droits, sur fond d’instabilité ethnique au Tibet et au Xijiang, le Régime, qui ne reste pas statique, s’adapte pour préserver sa légitimité. Mais sa marge de manœuvre, à l’intérieur du dogme du rôle dirigeant du Parti, est forcément réduite. Il est probable que, pour conserver son monopole, le PCC continuera tant bien que mal sur la voie des réformes politiques prudentes et limitées. Ces dernières ne supprimeront pas les conflits, au contraire. La tendance à la libéralisation, même partielle, entraînera une recrudescence des conflits entre la société et le pouvoir. C’est probablement parce qu’il a conscience de ces défis que le Premier Ministre a, dans son discours, anticipé que l’année du Tigre sera « plus complexe ».

 

 

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