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›› Chronique

Les nouveaux hussards du Parti

Les Secrétaires du Parti des provinces sont des hommes à la fois puissants et fragiles. Puissants, car l’expérience montre que ce poste à hauts risques et aux responsabilités étendues peut-être l’antichambre du pouvoir suprême. Depuis le 17e Congrès en effet trois quarts des membres du Bureau Politique ont une ou plusieurs expériences de gouverneur de province. Quatre d’entre eux sont encore en fonction comme Secrétaires du Parti à Chongqing, Canton, Tianjin, Shanghai.

En charge de territoires vastes, souvent très peuplés, au poids économique considérable (la population de cinq des plus grandes provinces chinoises approche ou dépasse les 100 millions d’habitants), ils doivent gérer au mieux la mise en œuvre des campagnes politiques du Centre, l’amélioration des services publics (éducation, santé, transports publics), les tensions créées par l’urbanisation rapide de la Chine et la répartition des investissements d’infrastructure. Surtout, il leur appartient de contenir le plus habilement possible les effervescences sociales ou ethniques.

De plus en plus en vue, ils sont aussi très exposés. Placés sur une trajectoire de pouvoir, ils sont, par la force des choses, entraînés à la recherche de réseaux et d’alliances, pour promouvoir leur politique, polir leur image, ou se protéger contre des revers de fortune. En cas de faux pas politique leurs jours sont comptés.

Les deux plus importantes purges politiques de ces 15 dernières années ont ciblé des Secrétaires du Parti en fonction. En 1995 et 2006, Chen Xitong, et Chen Liangyu, respectivement n°1 du Parti à Pékin et à Shanghai, furent démis de leur charge. Officiellement, ils étaient accusés de corruption. Mais tous les experts s’accordent à dire qu’ils furent également victimes d’une purge politique, qui permit aux deux derniers présidents Jiang Zemin et Hu Jintao, de consolider leur pouvoir face à leurs adversaires.

Cheng Li, Shanghaïen émigré aux Etats-Unis en 1985, Docteur en sciences politiques de l’Université de Princeton, l’un des plus méticuleux analystes de la politique intérieure chinoise vient de lancer un cycle d’étude sur les prétendants au pouvoir suprême chinois en 2012, en commençant par les actuels secrétaires généraux des provinces.

S’inspirant entre autres de ses travaux, Question Chine a choisi de focaliser son attention sur deux responsables politiques de province, qui ont, ces derniers temps, beaucoup défrayé la chronique en Chine et dans quelques médias internationaux. Il s’agit de Wang Yang et de Bo Xi Lai, respectivement Secrétaire du Parti du Guangdong et à Chongqing. L’un et l’autre ont, dans un genre et sur des sujets différents, beaucoup fait parler d’eux.

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Wang Yang

54 ans, il a d’abord été Secrétaire du Parti de Chongqing, et est aujourd’hui le n°1 politique de la puissante province du Guangdong, peuplée de 100 millions d’habitants, dont le PNB peut-être comparé à celui de la Turquie ou de l’Indonésie. Il s’est signalé par son plaidoyer pour la remise en cause du schéma de développement de la Chine, qu’il juge intenable, et pour plus de réformes politiques, grâce à ce qu’il appelle « l’émancipation de la pensée ». Une formule qui incite les cadres sous ses ordres à modifier leur approche des problèmes, et dont le thème est souvent repris par la presse nationale et étrangère, ainsi que dans les forums Internet. Il y a quelques années, elle avait attiré l’attention de l’Ecole Centrale du Parti.

Quand il était à la tête de la municipalité autonome de Chongqing, il avait focalisé l’attention des médias nationaux et internationaux par le doigté avec lequel il avait réglé des problèmes fonciers, principales causes des « incidents de masse », qui sont souvent de graves tumultes populaires, que le pouvoir central et les grandes académies d’études en sciences sociales surveillent comme l’huile sur le feu. Tous les journalistes avaient alors prisé son habileté politique et cité en exemple son souci de transparence à leur égard.

Au cours de son mandat, il avait initié une réforme des médias, demandant par une circulaire, « que les reportages et enquêtes soient réalisés, non pas au gré du niveau hiérarchique des fonctionnaires, mais en fonction de l’intérêt des sujets ». Récemment, alors que le pouvoir central était confronté aux tensions ethniques au Xinjiang, il avait fait sensation en indiquant que les « politiques ethniques du pays devaient être réajustées pour éviter d’autres problèmes dans un avenir proche ».

Récemment, un surgeon du Quotidien du Peuple, le Dadi Zhoukan, (Magazine de la Planète), a publié sur lui un article élogieux, très rare dans les habitudes de la presse chinoise contemporaine, révélant qu’il avait été tiré de l’anonymat à 37 ans par Deng Xiaoping lui-même, lors d’une de ses tournées en province. Il ne fait pas de doute que la révélation a posteriori d’une « consécration » par le « Petit Timonier », dont l’esprit pèse toujours sur la nomenklatura politique du pays, suggère le soutien appuyé de Hu Jintao.

Ce dernier, qui avait lui-même été « sélectionné » par Deng Xiaoping, mesure le poids de cette caution historique, à une époque où - contrairement à la période précédente - plus personne ne peut s’en prévaloir. L’épisode pourrait indiquer que le Président identifie Wang Yang, technocrate ouvert et pragmatique, ayant une solide expérience de terrain, courtisé par les médias internationaux, membre avec lui des Jeunesses Communistes, comme un candidat de choix aux plus hautes instances du pouvoir politique chinois.

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Bo Xilai

61 ans, Secrétaire du Parti de la municipalité autonome de Chongqing (32 millions d’habitants), successeur de Wang Yang à ce poste et membre comme lui du Bureau Politique, ne bénéficie à l’évidence pas de l’appui de l’équipe au pouvoir, qui se méfie de lui et de son ascendance de « fils de prince », même si son adolescence fut, comme celle de beaucoup de cadres de sa génération, perturbée par la Révolution culturelle. Une période sombre durant laquelle sa famille fut déplacée à la campagne, sa mère emprisonnée et son père gravement malmené par les Gardes Rouges pendant presque toute l’année 1967.

La notoriété de cet homme élégant, au profil photogénique, jouant avec talent des médias, mais que les intellectuels chinois soupçonnent de ne « rouler que pour lui-même » et de « s’attacher plus à l’apparence qu’au fond des choses », vient d’une double campagne d’auto promotion conduite sur les deux thèmes de la corruption et de ses racines familiales. Ces dernières le rattachent en effet aux sources même du régime par le truchement de son père, Bo Yi Bo, l’un des « Huit Immortels », proches de Mao.

L’homme ne manque pas d’expérience. Non seulement sur le terrain, en province, comme maire de Dalian et gouverneur du Liaoning, puis à la tête de la municipalité de Chongqing, mais également comme ministre du commerce, où sa maîtrise de l’Anglais et son aisance avec les médias nationaux et étrangers ont beaucoup contribué à sa popularité et son efficacité. Aujourd’hui, par une formule ramassée dont les Chinois ont le secret, il est désigné par la vox populi comme l’homme qui « casse du noir et chante le rouge », « Dahei, Changhong ». Une double référence à son action contre les mafias corrompues locales et à son goût pour les chants révolutionnaires, en hommage à son père.

A Chongqing, sa renommée doit autant aux résultats concrets de sa campagne anti-corruption qui a mis sous les verrous plus de 3300 personnes, y compris au sein de sa propre administration et dans les rangs de la police, qu’à son style ouvert et médiatique qui tranche avec les vieilles habitudes de secret de la nomenklatura. Les procès des responsables des clans mafieux et des fonctionnaires corrompus, diffusés dans toute la Chine, avec reportages et interviews en marge des audiences, et comparutions à la barre d’une profusion de témoins aux histoires parfois pittoresques, ont été suivis comme un feuilleton par des centaines de millions de chinois et abondamment relayés par la presse. En 2009, une enquête réalisée par le Quotidien du Peuple en ligne l’a consacré comme « homme de l’année ».

Que Bo Xilai cherche la célébrité, en vue d’une promotion au sein du Comité Permanent du Bureau Politique en 2012 est une évidence. Mais sa stratégie pour y parvenir est, c’est le moins qu’on puisse dire, peu orthodoxe, notamment si on la compare à d’autres, comme celle de Wang Yang. Ce « fils de prince », dont le père a été victime de la folie maoïste, n’hésite pas, en effet, à adresser des « textos » aux 13 millions d’abonnés de la municipalité, expliquant son action et demandant à la population de Chongqing et à son administration de chanter des chants révolutionnaires pour rehausser le moral de la province.

Faisant cela, il soulève les critiques des caciques et des intellectuels qui l’accusent de populisme. Mais, en même temps, il rallie l’appui du petit peuple, dont une partie des références restent accrochées aux mythes de la révolution, dans un contexte où la corruption massive des fonctionnaires et les écarts criants de revenus restent les principales pierres d’achoppement entre la société et le pouvoir. Pour faire bonne mesure, il s’applique à gagner la sympathie de la population en distribuant à l’occasion des centaines de millions de Yuan « d’enveloppes rouges » destinées aux cadres retraités, aux handicapés et aux plus démunis.

Récemment, pourtant, les rapports de Bo Xilai avec la presse se sont tendus, comme le suggère un épisode récent où, en marge de la session de l’ANP, il a rabroué un journaliste qui lui demandait si sa campagne anti-corruption était une bonne affaire pour sa carrière : « ce n’est pas le moment ni le lieu de faire le malin ». Peut-être Bo Xilai, dont l’ascension avait été bloquée par Jiang Zemin et, qui comparé aux meilleurs de ses rivaux, n’est plus tout jeune, a t-il conscience de la fragilité de sa position, dans un contexte où le pouvoir, cautionne son action anti-corruption, mais se méfie beaucoup du culte de la personnalité.

Le 18e Congrès qui verra le renouvellement en 2012 de 7 des membres du Comité Permanent et de 60% des membres du Bureau Politique, est encore éloigné, mais les manœuvres politiques en amont de l’échéance ont déjà commencé. Elles se profilent sur un mode où percent à la fois le pragmatisme politique, le souci d’apaiser les frustrations du peuple, et un fort parfum de populisme, laissant présager qu’elles gagneront en intensité et en férocité dans les mois qui viennent. Peut-être est-ce la conséquence du fait que, pour la première fois depuis 1982, le Congrès se déroulera sans l’ombre portée de Deng Xiaoping, arbitre suprême qui avait adoubé tous ses successeurs, de Hu Yaobang à Hu Jintao en passant par Zhao Ziyang et Jiang Zemin.

 

 

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