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›› Economie

La sècheresse chronique, les embarras du Mékong et la misère des réserves d’eau

Selon les climatologues chinois, la sècheresse qui frappe les quatre provinces du Yunnan, du Sichuan, du Guangxi et du Guizhou depuis au moins 6 mois est la plus grave depuis un siècle. Le 31 mars dernier Liu Ning, vice-ministre des ressources hydrauliques estimait que 24 millions de personnes n’avaient plus d’eau et que l’économie de ces régions avait déjà perdu plus de 3 milliards de $. Plus de 1600 puits ont été creusés en urgence dans toute la zone et, à la mi-mars, le premier ministre s’est rendu sur place pour évaluer les dégâts.

Quelques jours plus tard, Liu Ning admettait que les quatre provinces septentrionales du Shanxi, du Hebei, du Gansu et du Ningxia souffraient également de pénurie d’eau. 155 millions de Yuan ont été débloqués (17 millions d’euros) et 200 000 hommes de l’APL ont été dépêchés dans les régions sinistrées.

Mais le gouvernement démentait la nouvelle d’un exode rural au Guangxi, qui, selon le South China Morning Post, aurait poussé tous les hommes et femmes valides à aller chercher un travail temporaire dans les provinces voisines, laissant derrière eux personnes âgées et enfants qui souffraient du manque d’eau. Dans un effort pour relativiser cette nouvelle calamité qui frappe la Chine, les économistes à Pékin précisaient que, observée d’un point de vue macro-économique, la catastrophe ne concernait que 6% des terres cultivées chinoises et une faible part de la population. La sècheresse, ajoutaient-ils n’aurait qu’un impact négligeable sur l’inflation.

Il reste que la pénurie d’eau a initié une double controverse, non seulement en Chine, mais également avec les pays voisins. A l’intérieur d’abord, des scientifiques de l’Académie des Sciences Sociales dénonçaient le développement anarchique des cultures industrielles qui « modifient le climat et assèchent les nappes phréatiques », tandis qu’une polémique naissait sur la mauvaise gestion des ressources hydrauliques du pays, laissant entendre qu’elle pourrait être en partie responsable de la sècheresse.

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Dans les pays limitrophes, tous également victimes de la baisse du niveau d’eau des grands fleuves, dont le Mékong, des voix se sont élevées pour pointer du doigt les effets asséchants des barrages construits par la Chine en amont. Le 8 avril l’ambassade de Chine à Bangkok a organisé une réunion d’information pour tenter de désamorcer les critiques provenant des sociétés civiles des pays de l’organisation du Mékong - à laquelle la Chine ne participe pas, mais avec qui elle a accepté d’échanger des informations -.

A cette occasion, les échanges furent plutôt rudes. Alors que Yao Wen, conseiller politique de l’ambassade, s’efforçait de montrer que la sècheresse dont se plaignaient la Thaïlande et les pays de l’Indochine était un aléa climatique dont la Chine souffrait également, les reproches fusèrent : « Comment pouvez-vous décider sans nous consulter ? ». La question faisait allusion aux deux barrages encore en construction sur le Mékong au Yunnan et aux trois autres prévus d’ici 2030. Auxquels s’ajouteront trois ouvrages à construire par les ingénieurs chinois, dont deux au Laos et un autre dans le Nord-est du Cambodge. Les débats enflèrent même jusqu’aux critiques politiques : « Nous avons bien conscience qu’il est difficile pour vous de parler librement et que, si vous le faites, vous risquez d’être renvoyé ».

Mais là s’arrête la capacité de résistance des voisins très divisés de la Chine. A part la Thaïlande, la parole est en effet strictement contrôlée en Birmanie, dans les régimes communistes du Laos et du Vietnam, ou dans la démocratie de façade du Cambodge, économiquement et politiquement de plus en plus inféodée à Pékin qui lui a déjà injecté plus d’1 milliard de $ d’investissements et lui prodigue chaque année 200 millions de $ d’aide directe pour abonder son budget.

D’autant que la polémique ne semble pas reposer sur des bases scientifiques solides. Que l’aménagement du fleuve ait une incidence sur les migrations des poissons, source importante d’alimentation pour les populations riveraines au Laos et au Cambodge est une évidence. Mais la plupart des experts sont aujourd’hui d’accord pour dire que les basses eaux de l’aval sont plutôt dues à la sècheresse et aux changements climatiques qu’aux barrages chinois. Il n’empêche que Pékin, à qui les ONG travaillant sur le bassin du Mékong reprochent sa réticence chronique à la transparence, est devenu le bouc émissaire des désastres de la sècheresse en aval. Dans un de ses éditoriaux du début mars, le Bangkok Times écrivait en effet : « Dans l’actuelle crise du Mékong, la Chine est en train d’échouer à son examen de bon voisinage ».

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La presse américaine fait grand cas des frictions chinoises avec les Organisations Non Gouvernementales des pays situés sur la frange méridionale de la Chine. Gageons cependant que le Bureau Politique, qui depuis une dizaine d’années a mis les bouchées doubles pour asseoir l’influence économique et politique de la Chine en Asie du Sud-est, n’y verra qu’une péripétie de moindre importance.

Ses véritables soucis sont ailleurs et concernent la situation alarmante de ses ressources hydrauliques, l’état de ses systèmes d’irrigation, la sècheresse chronique du Nord et les difficultés, qui commencent à percer dans la presse chinoise, rencontrés par le creusement du triple canal d’acheminement de l’eau du bassin du Jiangzi vers celui du Fleuve Jaune (Lire à ce sujet l’article « Pénurie d’eau au Nord et projets pharaoniques » du 24 septembre 2009).

Le ministère des ressources hydrauliques lui-même reconnaît la misère des réserves d’eau chinoises. Selon lui, 40% des 80 000 barrages chinois sont ensablés et ne peuvent plus remplir leur rôle régulateur, alors que plus de la moitié des agriculteurs n’ont aucun système d’irrigation et dépendent des aléas du climat. Quant à ceux des exploitants qui ont accès à un réseau d’irrigation, ils se plaignent que 60% de l’eau est gaspillée avant d’atteindre les zones agricoles.

La Banque Mondiale souligne que l’absence de recyclage des eaux usées ou polluées fait que la totalité des ressources hydrauliques utilisées par l’industrie est déversée sans aucun traitement dans les fleuves et rivières, alors que dans les pays développés, 85% des eaux industrielles sont retraitées.

Récemment Ma Jun, Directeur d’une ONG autorisée par le Parti, et spécialisée, entre autres, dans l’environnement, lançait un cri d’alarme : « Nous ne prêtons pas assez attention à la destruction de l’écosystème de nos rivières et fleuves, qui aura un effet à long terme sur nos ressources hydrauliques ».

Se référant aux difficultés de la partie Ouest du projet de grands canaux Nord Sud (la plus courte, mais également la plus tourmentée, dont le trajet traverse des zones sismiques), le même Ma Jun exprimait son scepticisme après une vague de critiques de plusieurs experts, dont les premières datent d’ailleurs de 2004 : « Nous ne devrions pas célébrer les grands projets comme une victoire sur la nature, mais nous interroger humblement sur les raisons pour lesquelles nous nous trouvons aujourd’hui dans un tel cul-de-sac ». De fait, après le séisme de 2008, la partie ouest du projet, dont le premier coup de pioche devait être donné en 2010, a été arrêtée.

 

 

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