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›› Politique intérieure

Catastrophes

Le 14 avril dernier, alors qu’une partie du pays souffrait encore de la plus grave sècheresse depuis un siècle, un nouveau séisme d’une magnitude voisine de 7 frappait la province désolée et glacée du Qinghai, en majorité peuplée de Tibétains. Cette tragédie, qui a conduit le Président Hu Jintao à écourter un voyage au Brésil et à annuler ses visites au Chili et au Vénézuela, survenait alors que le Parti venait à peine de faire face au dernier d’une longue série d’accidents survenus dans les mines de charbon.

Les catastrophes naturelles ou industrielles, où qu’elles surviennent, déchirent les familles, sèment la désolation et induisent presque toujours, chez les proches des victimes, un sentiment d’injustice et une rancœur tournée contre l’autorité. La Chine n’échappe pas à cette règle. L’hostilité des populations contre les cadres locaux y est souvent décuplée par un lourd passé de dissimulations et de mensonges.

Mais il arrive que, le temps et les circonstances aidant, la vindicte populaire soit désarmée et ne se manifeste plus qu’en sourdine, par des rumeurs. Celles-ci, incontrôlables, continuent pourtant de circuler longtemps après les drames. En dépit des efforts de plus en plus soutenus consentis par le pouvoir pour retrouver sa légitimité, elles en disent long sur le déficit de confiance dont souffre encore le système parmi les populations laissées pour compte ou rebelles à l’assimilation.

Le 4 avril dernier, 115 mineurs sur 153 ont été sauvés de justesse de la noyade, après qu’une inondation les ait, à la fin mars, bloqués au fond d’un boyau de leur mine du Shanxi, à 700 km au sud-ouest de Pékin. Tous les observateurs s’accordent à dire que les efforts déployés par les sauveteurs, encouragés par une visite du Premier Ministre et une mobilisation sans faille des autorités, ont été exemplaires. La gratitude des familles des victimes et des rescapés s’est exprimée à la télévision officielle retransmise aux heures de grande écoute sur toutes les chaînes, et dans toute la Chine. L’accident, qui a tout de même fait 31 victimes, s’est donc mieux terminé que d’autres, au bilan bien plus désastreux.

Et pourtant, d’aberrantes et improbables rumeurs se propagent sur le net, laissant entendre que le miracle n’était que propagande, et le sauvetage une mise en scène. Une paranoïa malveillante qui traduit le scepticisme et les soupçons, fond de tableau de la relation entre cette catégorie de la population en situation précaire et le Parti. Peut-être, la manière dont les familles ont d’abord été tenues à l’écart du drame, privées d’information et empêchées de s’approcher du site, y est-elle pour quelque chose. La propagande aussi, qui affirmait sans pudeur, dans le Quotidien du Peuple, que le sauvetage était une « manifestation évidente de la supériorité du système chinois et montrait l’esprit héroïque de la Nation chinoise », a également contribué à alimenter les commentaires cyniques et les ironies.

Car les mineurs et tous ceux qui suivent leur lutte pour plus de sécurité savent bien l’état réel des mines chinoises, de loin les plus dangereuses du monde, avec un taux de décès six fois supérieur à celui de la Russie, qui n’est pourtant pas un modèle de sécurité, et au moins 100 fois plus lourd que celui de n’importe quel pays développé. Après chaque accident, le Centre impute invariablement les désastres aux cadres locaux et aux propriétaires des mines. Pour enfoncer le clou de la responsabilité des cellules locales du Parti, souvent de mèche avec les exploitants, Luo Lin directeur à Pékin du bureau de la sécurité du travail et responsable de l’enquête, a précisé que « l’accident aurait pu et aurait du être évité ».

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Pour l’heure, le gouvernement, qui, du fait du système de propriété et de taxes applicables dans les mines, n’est cependant pas complètement étranger à la situation catastrophique du secteur, a engagé une vaste opération de restructuration et d’assainissement. Celle-ci a déjà commencé à porter ses fruits puisque le nombre des victimes a notablement diminué, passant de 6000 victimes annuelles avant 2002, à 3000 en 2008. (cf l’article « le Parti, les soutiers du miracle et leurs enfants »).

1800 km à l’ouest, après le séisme survenu au Qinghai, une province de ce « Grand Tibet » revendiqué par le Dalai, Lama, située à plus de 4000 m d’altitude et peuplée en majorité de Tibétains, on pouvait craindre des heurts ethniques graves. En mars 2008, la ville de Yushu, à 30 km de l’épicentre, avait en effet été le théâtre de sévères troubles interethniques. Mais la région est restée calme.

Des informations ont, il est vrai, circulé sur des incidents entre sauveteurs et moines, brutalement écartés des décombres par la police locale, ou sur la rancœur des parents, accablés par l’effondrement des écoles mal construites, tandis que des rumeurs accusaient les autorités de tricher sur le nombre des victimes, qui serait en réalité supérieur à 10 000.

Il reste qu’en général les reportages indiquent que les populations sinistrées et les sauveteurs ont travaillé en harmonie, tandis que rien ne confirme la rétention des informations sur le bilan réel du séisme qui a frappé une des régions les plus désolées de Chine, patrie des grands nomades et des moines du Bouddhisme lamaïque, dont la culture et le mode de vie sont à mille lieues de ceux des Han.

A Jiegu, épicentre du désastre, à 4500 m d’altitude et à 400 km au sud-est de Golmud, le nombre de victimes est pour l’instant évalué à plus de 2000 morts par l’agence Xinhua, qui dénombre également 193 personnes ensevelies sous les décombres, 12 500 blessés et 100 000 personnes déplacées. Il est probable que le chiffre des morts augmentera encore sensiblement dans les jours qui viennent.

La réaction du pouvoir après le sinistre a été rapide et empreinte de compassion. Trois des plus hauts dirigeants, dont le président, le premier ministre et Li Changchun, responsable de la propagande ont annulé ou écourté un voyage à l’étranger pour se rendre sur les lieux du sinistre dans les jours qui ont suivi la secousse.

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Le 21 avril, le pays tout entier a observé un jour de deuil national. A côté des efforts du gouvernement, soulignés par la visite, le 17 avril, de Hu Jintao à Jiegu, où près de 90% des bâtiments, y compris les temples, se sont effondrés, des milliers de moines, venus parfois de très loin, ont participé aux secours, procédant à l’enterrement ou à la crémation des corps des victimes.

Le 17 avril, ils ont organisé une grande cérémonie autour de la crémation de plus d’un millier de corps. Les officiels du Parti et de la Police Armée Populaire, dominant leur crainte de troubles organisés, ont laissé faire, observant de loin les autels de fortune dressés dans la neige, écoutant dans la nuit les sutras chantés autour des foyers de fortune, à la lueur des lampes à beurre. Et quand des moines se mirent à prier la photo interdite du Dalaï Lama, personne non plus n’a réagi.

Certains veulent voir dans cette tolérance née du désastre, le signe que Pékin est désormais disposé à mieux tenir compte de la culture tibétaine pour le développement à venir de la région. Ces espoirs renvoient au très inhabituel éloge public de Hu Yaobang rédigé par Wen Jiabao, le 15 avril dernier dans le Quotidien du Peuple, le jour même de l’anniversaire de la mort de l’ancien Secrétaire Général. Ce dernier avait été limogé par Deng Xiaoping pour avoir témoigné un esprit d’ouverture jugé dangereux pour la survie du Parti.

On se souviendra en particulier que Hu Yaobang, dont Wen Jiabao, alors n°2 du Secrétariat du Comité Central, était un des collaborateurs directs, prônait une politique tibétaine, dont certains points, tels que la réduction du nombre de Han installés au Tibet et l’autonomie réelle de la région, étaient proches des actuelles revendications du Dalai Lama.

Mais il faudra attendre encore longtemps avant que la communauté des moines retrouve confiance, alors que, comme chacun s’y attendait, le Parti a refusé au Dalai Lama, pourtant né au Qinghai, l’autorisation de se rendre sur les lieux du sinistre. Dans le même temps, Pékin tente de promouvoir son propre chef religieux, le Panchen Lama, choisi par le Parti en 1995. Mais ce dernier, seulement âgé de 19 ans, est encore très loin de susciter la même ferveur que le chef religieux exilé en Inde.

Enfin, comme pour faire contrepoids au style bénévolent de Wen Jiabao, et contredire les espoirs d’une meilleure approche culturelle de la question tibétaine, le pouvoir, inquiet des rassemblements de moines venus du Tibet et du Sichuan voisins, se raidit à nouveau. Le 19 avril, 5 jours seulement après le désastre, Jia Qinglin, n°4 du régime, appelait à la vigilance pour « garantir, l’unité et la stabilité de la zone du sinistre contre des forces hostiles étrangères qui tentent de saboter les secours ». Dans la foulée, les représentants du Parti ont demandé aux moines non originaires de la région de rentrer chez eux. Une décision qui a immédiatement fait surgir de profondes frustrations au sein de la communauté des moines.

 

 

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