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›› Taiwan

Signature de l’accord cadre économique avec la Chine

Les premiers « dommages collatéraux » après la signature à Chongqing, le 29 juin dernier de l’accord cadre économique entre la Chine et Taïwan ont eu lieu le 8 juillet au Yuan Législatif. Dès les premiers instants du débat pour la ratification de l’accord, le député du KMT Wu Yusheng a du être hospitalisé après avoir reçu en pleine tête un petit réveil lancé par le député du Parti Indépendantiste Huang Wei Cher.

L’incident a eu lieu après qu’un autre député d’opposition Kuo Wencheng qui s’était emparé de la tribune ait été malmené, cette fois par des membres de la majorité. Au total quatre parlementaires ont été plus ou moins sérieusement blessés à l’occasion de la séance qui s’est achevée dans le chaos.

L’algarade ponctuée de violences, dont le Li Fa Yuan est coutumier, illustre l’émotion soulevée au sein de l’opposition par le rapprochement économique avec la Chine voulu par le Président Ma Ying Jeou. Un nouvel incident a d’ailleurs eu lieu le 10 juillet, quand les députés indépendantistes ont tous quitté le Yuan Législatif en chantant des slogans stigmatisant la « mort de la démocratie ». Les objections du Parti Indépendantiste et de ses alliés sont connues. Elles tiennent en quelques mots.

L’ouverture du marché taïwanais aux produits chinois portera un coup fatal à l’agriculture, aux entreprises taïwanaises à forte intensité de main d’œuvre et aux fragiles PME, tandis que les facilités accordées par Pékin aux produits et services taïwanais sur le marché chinois cachent une stratégie de réunification rampante. Dans ce contexte, la précipitation du KMT, qui tente de faire ratifier l’accord à la hussarde, sans consultation des Taïwanais, est à la fois dangereuse pour l’avenir de l’Ile et anti-démocratique.

L’un des plus virulents et plus emblématiques opposants à l’accord, l’ancien président de la République Lee Teng Hui, transfuge du KMT et aujourd’hui fervent partisan de l’indépendance de l’Ile, s’était exprimé de manière radicale à la veille de la dernière session de négociations, le 13 juin dernier à Pékin : « l’accord cadre est une conspiration stratégique entre le KMT et le Parti Communiste Chinois pour l’annexion de Taïwan par la Chine (...). La méthode du gouvernement pour faire ratifier l’accord, ignorant les préoccupations du peuple, ressemble à celle d’un régime autoritaire ».

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Pékin, qui redoute le retour du parti indépendantiste au pouvoir, a en effet consenti d’importants efforts pour séduire les hommes d’affaires et apaiser les craintes des plus sceptiques. L’accord, qui marque une étape importante de l’apaisement des relations dans le détroit, est en effet économiquement très à l’avantage de l’Ile.

Avec la suppression ou l’allègement des taxes sur 800 produits, il induira une augmentation annuelle du commerce bilatéral de 100 milliards de dollars, avec, au total, un allègement de 13,84 milliards de taxes sur les produits taïwanais en Chine, contre seulement 2,86 milliards sur les produits chinois exportés à Taïwan.

Au total ce sont 539 produits taïwanais qui bénéficieront des avantages fiscaux en Chine, essentiellement dans les secteurs de la pétrochimie, des pièces automobiles, des machines outils et du textile, contre seulement 267 produits chinois, d’où sont exclus les produits agricoles.

A contre courant des analyses pessimistes qui insistent sur la fragilité des PME et du secteur agricole, un cabinet d’experts indépendant taïwanais a même estimé que l’accord génèrerait 260 000 emplois nouveaux dans l’Ile et induirait une augmentation de 1,7% de son PIB.

Dès l’entrée en vigueur de l’accord - envisagée au 1er janvier 2011 -, 108 produits taïwanais seront totalement exemptés de taxes, tandis que les secteurs des services électroniques, de la maintenance aéronautique, de la banque et des équipements médicaux seront ouverts aux investissements de l’Ile. Les taxes seront entièrement supprimées d’ici 2013, à la satisfaction des exportateurs et investisseurs. Au point que certains analystes estiment que l’accord pourrait rehausser la côte du KMT lors des prochaines élections locales.

Mais les Cassandre - chercheurs et hommes politiques à Taïwan et ailleurs - ne manquent pas qui pointent du doigt les risques économiques et stratégiques du rapprochement qui imbriquera les deux économies de manière irréversible, dans un contexte où 41% des exportations (plus de 60% d’ici 2020) et 2/3 des investissements de l’Ile - soit 159 milliards de dollars - sont déjà dirigés vers la Chine.

Dans un article publié par le journal Le Monde le 2 juillet dernier, Jean-Pierre Cabestan et Tanguy Le Pesant insistent sur la fragilité de l’engagement économique en Chine, alors même que les avantages du marché chinois iront en s’amenuisant avec la hausse des salaires et la réévaluation du Yuan.

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Pire encore, à terme, l’Ile, engluée dans ses relations économiques avec la Chine, prisonnière de la vision dépassée d’un Monde Chinois unifié, prôné à la fois par KMT et le Parti communiste, tous deux héritiers d’un nationalisme chinois d’un autre âge, risquerait une finlandisation, qui, avec l’affaiblissement progressif de l’esprit de défense, conduirait à une dérive « Hongkongaise » de l’Ile.

« Au lieu de chercher à trouver un terrain d’entente avec l’opposition indépendantiste, afin de renforcer la main de Taipei, le gouvernement de Ma a négocié en grande opacité cet accord (...). Ma Ying Jeou estime qu’il est plus utile d’apaiser la Chine que de continuer à jouer la carte de la démocratie ».

A ces critiques, le Président Ma réaffirme que l’accord ne compromet ni la démocratie ni la souveraineté de l’Ile. Il n’ignore pas les intentions ultimes de Pékin, mais répète en substance que la multiplication des ouvertures vers la Chine crée au contraire de nouvelles opportunités, renforce l’économie de l’Ile et la place en meilleure position pour résister aux pressions de la Chine.

S’il est exact que cette bascule stratégique porte en elle des risques, il est non moins vrai que Taïwan doit les assumer si elle veut rester dans la course d’une région en pleine effervescence, dont les pays ont eux aussi noué des liens commerciaux privilégiés avec la Chine.

Aux Etats-Unis, le rapprochement entre les deux rives commence à soulever d’importantes interrogations. En effet à mesure que l’influence de la Chine grandit en Asie et dans le monde, et que la Maison Blanche recherche systématiquement l’appui de Pékin sur d’autres questions cruciales - Iran, Corée du Nord, gouvernance mondiale, gaz à effet de serre -, la relation spéciale entre Taipei et Washington fait l’objet de controverses, y compris à l’école de guerre américaine : « l’importance stratégique de Taïwan est surévaluée. Son absorption par la Chine n’affaiblira pas la position stratégique des Etats-Unis en Asie », tandis que d’autres appellent à cesser la vente des armes à l’Ile.

A Taïwan on s’en inquiète. Alexander Huang, spécialiste des questions de défense à l’Université de Tamkang indique : « Certains hauts responsables américains, y compris militaires, remettent en question la relation Taipei - Washington. Le gouvernement américain nous assure qu’ils n’expriment pas la position officielle des Etats-Unis. Mais nous prenons ces critiques au sérieux ».

C’est probablement pour tenter de tuer dans l’œuf les flottements apparus depuis quelque temps dans la relation avec l’Ile que le Département d’Etat a, le 9 juillet dernier, fait une mise au point par la voix de David Shear, en charge de l’Asie de l’Est et des Affaires taïwanaises : « Nous n’avons aucune hésitation sur l’utilité de nos ventes d’armes à Taïwan (...) Mon souci est de faire en sorte que la partie taïwanaise se sente rassurée et que les Etats-Unis tiennent leurs promesses (...) Nous nous soucions des besoins de défense de l’Ile et sommes préoccupés par déploiements militaires chinois à proximité du Détroit ».

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En bref

• Le 12 juillet, le Président Hu Jintao a déclaré à Wu Poh Hsiung, président honoraire du KMT, venu en Chine à l’occasion du 5e forum culturel sino taïwanais de Canton, que l’accord cadre montrait comment Taïwan et la Chine pouvaient « surmonter les obstacles à leur développement », ajoutant que « les relations économiques dans le Détroit devaient être développées et institutionnalisées ». Depuis 2005, année de la réconciliation entre le PCC et le KMT de nombreux successeurs de Thang Kai Chek se sont succédé en visite en Chine. A chaque fois, ils ont été reçus par les autorités chinoises au plus haut niveau.

• Du 30 juin au 5 juillet, la marine chinoise a conduit une série d’exercices à tirs réels au large de Zhoushan et Taizhou au Zhejiang, dans une zone située à 230 milles nautiques au nord de Taïwan. La démonstration de force était aussi la réponse chinoise aux annonces par Séoul et Washington de la prochaine tenue en Mer Jaune de l’exercice annuel des forces conjointes américaines et sud-coréennes, dans un contexte de tensions liées au torpillage de la corvette sud-coréenne Cheonan en mars dernier.

Le 14 juillet la Chine a officiellement réagi à cette perspective par la voix de son porte-parole « Nous nous opposons fermement à la participation de tout aéronef ou vaisseau militaire étranger à des activités pouvant menacer la sécurité de la Chine en Mer Jaune et dans ses eaux territoriales ».

L’exercice affirmait la souveraineté chinoise dans un secteur souvent fréquenté par les navires espion américains. Il a permis d’observer les nouveaux catamarans furtifs lance-missiles de Type 022, armés de missiles de croisière anti navires, dont la vélocité et la souplesse d’emploi sont une menace nouvelle pour les porte avions américains.

• Selon le Tapei Times du 10 juillet, la marine américaine aurait récemment déployé à proximité des côtes chinoises 3 sous marins de la classe Ohio, venant des Philippines, de Diego Garcia et de Pusan, équipés de plusieurs centaines de missiles de croisière Tomahawk. Daniel Blumenthal, spécialiste américain des affaires militaires, explique que cette présence est destinée à montrer la continuité de l’implication de Washington dans le détroit de Taïwan.

 

 

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