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›› Société

Le tonneau des Danaïdes des revenus occultes

Wang Xiaolu, Directeur adjoint de l’Institut de recherches économiques de la Fondation Nationale pour la réforme vient de publier un article dans la revue Caixin sur une question à la fois socialement douloureuse et politiquement sensible. Le sujet est le revenu occulte des Chinois, dont l’ampleur considérable reflète, selon lui, la dimension effrayante de la corruption et de la zone grise de l’économie chinoise.

Pour l’auteur, qui suggère quelques réformes techniques de l’administration fiscale et d’alourdir encore la lutte contre la corruption, cette situation est essentiellement due au fait que les réformes politiques n’ont pas été à la hauteur des bouleversements socio-économiques en marche depuis trente ans.

L’article pointe d’abord du doigt la faiblesse des statistiques officielles, dont les chiffres modestes tranchent avec le niveau astronomique de l’épargne et la frénésie immobilière qui s’est emparée des zones urbaines et périurbaines ces dernières années. Les données de 2008 indiquent en effet que le revenu annuel moyen serait inférieur à 16 000 Yuans (1835 euros), tandis que le revenu moyen des 130 millions de Chinois les plus riches ne dépasserait pas 44 000 Yuans (5000 euros).

L’écart entre ces statistiques et la réalité est à la fois impressionnant et préoccupant. Selon les études conduites en 2009, auprès de 4000 familles en milieu urbain, dans 64 villes et 19 provinces, le revenu annuel moyen des 10% les plus riches serait en réalité de 139 000 Yuans (16 000 euros). La différence, de plus du triple, donne une idée des revenus souterrains, dont le journal souligne que 62% - échappant à la comptabilité officielle -, tombent dans la poche des 10% les plus fortunés.

Dans les zones urbaines, la somme des revenus globaux serait de 23 000 milliards de Yuans (2600 milliards d’euros), soit 5000 milliards de plus que les statistiques officielles (570 milliards d’euros), qui donnent une autre idée du revenu caché des citadins.

En levant un coin du voile jeté sur un aspect des zones grises de l’économie chinoise, l’étude met aussi à jour un écart entre riches et pauvres bien plus alarmant que celui avoué par les statistiques du pouvoir. Alors que, pour le gouvernement, la différence moyenne entre les plus riches Chinois et les plus pauvres est de 1 à 26, l’enquête de Caixin l’estime de 1 à 65.

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Wang ajoute que la dimension de l’écart révèle un enrichissement obtenu, pour sa plus grande part, au moyen de pratiques illégales telles que les détournements de l’argent ou des biens publics qui s’apparentent à une rente illégale et nourrissent massivement la corruption.

Cette part obscure puise notamment dans les avoirs financiers et les biens immobiliers des entreprises publiques et se nourrit de la spéculation sur les terrains appartenant à l’Etat. Les dérives, auxquelles se laissent aller les membres de la bureaucratie, montrent que, quand le pouvoir s’exerce sans contrôle ni restrictions, il développe une tendance naturelle à s’arroger des avantages économiques. L’effet direct des privilèges et des rentes dont bénéficie la nomenklatura est l’étroite collusion entre la classe politique et les affaires.

Un autre facteur facilitant l’escamotage des revenus est la faible part des activités salariées dans les revenus des ménages, tandis les activités non salariées, plus difficiles à contrôler, gagnent en importance. Au point que l’ampleur de ces profits dissimulés - qui sont souvent des rentes ou des prébendes - représenterait environ 300 milliards d’euros soit 15% du PIB (30% selon une étude du Crédit Suisse).

Le diagnostic du professeur Wang est aussi une mise en garde. « La richesse publique, de plus en plus mal répartie, a été pillée par des particuliers, provoquant des éruptions de violence sociale toujours plus fréquentes. Les statistiques macro-économiques officielles montrent clairement que les revenus occultes augmentent plus vite que PIB. Il s’agit là d’une situation qui met en danger la stabilité sociale et constitue la plus grande menace pour l’avenir de la Chine. Elle démontre aussi à quel point les réformes politiques ont été négligées. »

Passant en revue les remèdes destinés à corriger ces dérives, Wang évoque l’urgence des réformes politiques et insiste sur les mécanismes techniques destinés à contrôler les finances et la propriété publiques.

« Pour modifier ces tendances, il sera nécessaire d’accélérer les réformes politiques et de tout mettre en œuvre pour éliminer la corruption sous toutes ses formes. La différence croissante des revenus entre les riches et les pauvres ne pourra être réduite qu’en améliorant l’efficacité de l’administration des taxes et impôts. Enfin, la première priorité consisterait à promouvoir la transparence des finances de l’Etat. Les citoyens chinois ont le droit de contrôler les politiques publiques et devraient pouvoir participer à l’élaboration des décisions ».

On en est encore loin. S’il est vrai qu’il y a quelques mois, plusieurs ministères ont, pour la première fois dans l’histoire du pays, publié les chiffres de leur budget, cet essai de transparence n’intervenait qu’après coup et de manière si peu détaillée qu’il était impossible de vérifier l’adéquation des chiffres avec les priorités affichées par le pouvoir.

L’élimination des zones grises de l’économie est une vieille préoccupation du pouvoir. Elle ne sera possible qu’en réformant de fond en comble les sources de financement des administrations locales, dont 40% dépendent de la commercialisation du droit d’usufruit de la terre, propriété de l’Etat, en partie consacrée à des projets immobiliers.
Quant à la participation des citoyens aux affaires, elle reste étroitement bridée, même si elle est aujourd’hui bien plus active que par le passé. (cf l’article de QC « L’année du Tigre sera complexe », du 16 février 2010).

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En bref :

Internautes : Selon les statistiques chinoises, à la fin juin, le nombre d’utilisateurs d’Internet atteignait 420 millions, en augmentation de 36 millions par rapport à la fin de l’année 2009. La proportion des Chinois abonnés au net est maintenant de 31,8%. Selon les plus récentes statistiques d’Internet World Stats, elle est de 82,5% au Royaume Uni, 81% en Corée du Sud, 79,1% en Allemagne, 78,2% au Japon, 73,3% aux Etats-Unis, 77% au Canada et 68,9% en France.

Immigration : Selon le dernier rapport de l’OCDE publié à la mi-juillet, la Chine, origine de 10% des migrants dans le monde, est le pays qui envoie le plus d’immigrants à l’étranger. C’est aussi le pays où l’augmentation du nombre des départs est la plus forte. Dans 15 des 31 pays de l’OCDE, les Chinois sont la première communauté d’immigrés en nombre. Leurs destinations privilégiées sont l’Europe (20%) et les Etats-Unis (15%). 11% vont vers l’Australie, le Canada ou la Nouvelle Zélande. Les responsables chinois s’inquiètent de la fuite des cerveaux, toujours importante. Depuis 1979, sur les 220 000 chinois partis étudier à l’étranger seulement 30% sont revenus.

Selon un responsable des droits de l’homme des NU, à l’avenir, les prochains flux migratoires venant du tiers monde se dirigeront vers la Chine, attirés par le développement économique. La sécurité publique compte déjà 200 000 Africains, officiels ou clandestins, dont plusieurs milliers sont en prison. Les autres origines de l’immigration vers la Chine seront la Corée du Nord et l’Asie Centrale.

Urbanisation : Alors que le taux officiel d’urbanisation est évalué à 1% par les autorités chinoises, Jean-François Doulet, maître de conférences à l’Institut d’urbanisme de Paris et responsable du Programme Chine de l’Institut pour la ville en mouvement, interrogé par « Aujourd’hui la Chine » estime le taux de croissance annuel des villes chinoises entre 2,5% et 3%. Un des plus importants du monde, qui génère un flux migratoire vers les villes de 16 à 19 millions de ruraux par an. La Chine qui estime qu’une partie de cet exode rural n’est que temporaire, conteste ces chiffres. Ce mouvement de population, associé au développement économique, favorise la naissance de zones fortement peuplées autour de mégalopoles qui sont aussi de puissants pôles économiques, situées dans le delta de la Rivières de Perles, avec Canton et Zhuhai, à l’embouchure du Yangzi avec Shanghai, et le long du golfe de Bohai avec Pékin et Tianjin.

Vieillissement de la population : Fin 2009, le nombre de personnes de plus de 60 ans a atteint 167 millions, soit 12,5% de la population. Les séniors de plus de 60 ans seront 200 millions en 2015 (14,8% de la population). Seulement 47 millions de personnes âgées touchent une retraite.

 

 

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