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›› Lectures et opinions

Cinq livres pour analyser la situation politique en Chine

Le 23 octobre dernier, dans la revue littéraire « Five Books », Richard Baum, l’un des sinologues les plus en vue aujourd’hui, a présenté les cinq livres, tous écrits par des chercheurs chinois émigrés aux Etats-Unis qui, selon lui, décrivent le mieux la situation politique de la Chine.

Celle-ci est toujours sous l’emprise politique d’un système léniniste, mais dont l’opportunisme, l’intelligence réactive et la flexibilité ont à la fois réussi à séduire la classe des entrepreneurs, noyau de la bourgeoisie naissante, et à contenir les ennemis potentiels, soit en désarmant leur agressivité par de vraies réformes sociales lancées depuis 2002, soit par des promesses de rétributions individuelles, prix de l’allégeance politique, et, si nécessaire, par le harcèlement et la répression des meneurs.

Pour beaucoup d’analystes aujourd’hui, la plasticité du Régime, qui réussit à tenir sous le boisseau les mécontents, dont l’impatience et les frustrations s’expriment au travers de plus de 300 « manifestations de masse » quotidiennes à travers la Chine, constitue, avec la cooptation des hommes d’affaires et de la bourgeoisie, l’une des clés de la longévité du pouvoir.

La collusion entre, d’une part, une partie de la classe moyenne composée de nouveaux riches et, d’autre part, un pouvoir politique autocrate refusant de remettre en jeu son magistère, crée en Chine une situation inédite, à contre courant des expériences historiques connues, où l’émergence d’une bourgeoisie fortunée, principal moteur du développement économique, a toujours constitué une menace contre les despotes. « Il n’y a tout simplement pas de précédent historique à ce qui se produit aujourd’hui en Chine. A ce jour, il n’y a pas eu d’exemple d’une transition post-léniniste réussie. ».

S’étant gardé contre le risque d’une révolution bourgeoise par une habile politique de privatisation des entreprises d’état transférées à une classe d’entrepreneurs théoriquement libérés des contraintes des sociétés publiques, mais, en réalité, toujours étroitement liés au régime, le Parti s’applique aujourd’hui à désamorcer les frustrations et rancœurs des laissés pour compte de la modernisation.

Depuis les 16e et 17e Congrès (2002 et 2007), une série d’ajustements socio-économiques, qui vont de la mise en place de régimes sociaux et d’un système de santé publique, au relèvement massif des salaires, en passant par la suppression des taxes à la paysannerie et le droit d’hypothéquer la terre pour emprunter, le Parti a clairement montré qu’il plaçait la question sociale au centre de ses préoccupations, au même niveau que le rythme de la croissance et immédiatement derrière l’objectif sacro-saint du maintien de la stabilité politique interne.

Pour Richard Baum, tous ces éléments seraient de nature à favoriser le pouvoir du Parti dans un système politique se réclamant du paternalisme confucéen, à la fois autocratique et empreint de sagesse, mais n’obéissant à aucun des standards des démocraties occidentales.

Sa conclusion est cependant teintée du doute instillé par les effets de l’émergence d’une société civile, en partie décalée de la bourgeoisie traditionnelle et étrangère aux alliances avec le Parti, et dont l’influence, difficilement contrôlable, se propage par le biais d’une génération de nouveaux journalistes plus audacieux et par le truchement fulgurant d’Internet.

Les capacités d’ubiquité et de communication instantanée du net sont en effet devenues le principal vecteur de l’engagement d’une classe d’activistes, intellectuels, avocats et juristes, dont les cibles sont précisément les injustices sociales et les atteintes à l’environnement, conséquences de trente années de développement effréné, favorisé par les étroites connections entre les affaires et la politique, principal creuset de la corruption, dont le Parti, trop impliqué ne parvient pas à se débarrasser.

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La transition piégée ou le pragmatisme économique et social

Les livres suggérés par Baum peuvent se diviser en deux groupes. Dans le premier groupe, deux ouvrages présentent les visions opposées de la situation politique chinoise. L’une, celle de Pei Minxin, Shanghaïen émigré au Etats-Unis, ancien professeur de sciences politiques à Princeton et actuel directeur des études chinoises de la Fondation Carnegie pour la Paix, estime que la transition chinoise est piégée dans ses contradictions : «  The trapped transition. The limits of developmental autocracy  ».

L’autre, «  Remaking the Chinese Leviathan : Market transition and the Politics of Governance in China.  », par Yang Dali, Docteur en Sciences Politiques et professeur à l’université de Chicago, est plus optimiste. L’ouvrage dénonce la « théorie du piège » de Pei Minxin en montrant que le Parti, bien qu’emprisonné dans un enchevêtrement de réseaux d’allégeance et de corruptions, a, à plusieurs reprises, fait preuve de souplesse, de capacité d’adaptation et d’une grande aptitude à corriger ses propres erreurs.

Il a notamment privatisé celles des entreprises d’État capables de s’adapter au mouvement d’ouverture et démantelé les autres, restées sclérosées et inefficaces. Des centaines de sociétés devenues des « friches industrielles » ont ainsi été mises en faillite, tandis que les autres ont été transformées en entreprises dynamiques, vendues à des actionnaires et capables de générer des profits.

L’appareil du parti qui s’adapte avec une grande habilité aux évolutions de la société, a également réagi aux troubles sociaux. D’abord dans les campagnes, en supprimant totalement les taxes à la paysannerie (2003) et en assouplissant l’usage de la terre (2006 et 2010), ensuite dans les zones urbaines en promulguant une nouvelle loi du travail (2008), imposant la semaine de six jours, le paiement des heures supplémentaires, la réduction des périodes d’essai et instaurant le droit pour un employé d’intenter un procès à l’entreprise.

Le développement atypique de la Chine.

Le deuxième groupe de 3 ouvrages examine des secteurs particuliers du développement de la Chine, en apportant de l’eau au moulin de l’une ou l’autre des deux théories ; celle de Pei qui spécule sur le « piège » dans lequel le Parti s’est enfermé, ou celle de Yang qui insiste au contraire sur ses capacités d’adaptation et sa réactivité.

Dans «  Capitalism without democracy. The private sector in contemporary China  », Kellee Tsai, professeur de sciences politiques à l’Université de Columbia, explique que la nouvelle bourgeoisie chinoise n’a jamais manifesté d’intérêt pour une démocratie à l’occidentale.

En cela, la situation politique en Chine est en contradiction avec les théories politiques, selon lesquelles l’émergence d’une classe moyenne serait un des moteurs principaux de la démocratisation des systèmes autocratiques où le pouvoir était resté aux mains de l’aristocratie terrienne traditionnelle.

En Chine l’État Parti a coopté la bourgeoisie d’affaires, offrant aux entrepreneurs qui acceptaient de jouer le jeu du loyalisme politique, un accès privilégié aux ressources financières du pays, aux opportunités d’affaires et même aux institutions représentatives du système, comme la Conférence Consultative du Peuple.

Si certains entrepreneurs, accusés de corruption, ont été lourdement sanctionnés par la justice, c’est qu’ils s’étaient rendus coupables d’abus trop voyants, impossibles à cautionner. Mais, souligne Pei Minxin, jamais le Parti ne s’est attaqué à la matrice du système, construit autour de l’alliance entre les affaires et la bureaucratie et dont l’ébranlement pourrait, de proche en proche, menacer le Parti lui-même.

Mais, tout en décrivant l’habileté assimilatrice du Régime qui, grâce à la théorie des « Trois Représentativité » de Jiang Zemin, a donné aux entrepreneurs capitalistes la possibilité d’intégrer le Parti, Kellee Tsai rejoint les doutes de Pei sur la capacité de survie du Régime, quand elle examine l’écart de revenus, encore aggravé par la corruption qui fait de la Chine une des sociétés les plus inégalitaires au monde.

Au bas de l’échelle : la misère et le harcèlement des cadres.

Les deux derniers ouvrages décrivent les conditions de vie des « soutiers du miracle », laissés pour compte de la modernisation, ouvriers et migrants aux salaires très bas, privés de filets sociaux et n’ayant qu’un accès limité au système de santé trop cher pour eux.

Dans «  Will the boat sink the water. The life of China’s peasants  », interdit en Chine, le couple Chen Guidi et Wu Chuntao, décrit la vie quotidienne des paysans dans la province de l’Anhui, harcelés par une bureaucratie cupide qui leur impose des taxes illégales. Sans appuis, ni moyens, à la merci de cadres locaux incultes et brutaux, ils risquent leur liberté et parfois leur vie s’ils portent plainte.

Le pouvoir inquiet.

Le tableau suggère que la montée des frustrations dans les campagnes est devenue une source majeure d’inquiétude pour les élites politiques. En 2004, par exemple, faisant référence à ces abus, Hu Jintao lui-même, alors Secrétaire Général depuis deux ans, avait incité les cadres du Bureau Politique à s’interroger sur les capacités du Parti à garder le pouvoir : « Si nous ne prenons pas cette crise au sérieux, nous pourrions être rejetés par l’histoire ».

En 2008, les dernières statistiques disponibles sur les « incidents de masse » montrent que la tendance aux révoltes est à la hausse, avec 127 000 manifestations de paysans, que le pouvoir réussit cependant à cloisonner localement.

Après le séisme du Sichuan, en mars 2008, les protestations des parents d’élèves ayant constaté que leurs enfants avaient été écrasés par l’effondrement des écoles construites en ciment frelaté, ont été étouffées par la mise au secret des meneurs et la consigne de silence donnée à la presse, tandis que les avocats des victimes étaient harcelés par les cadres corrompus.

Pei Minxi explique que l’État, victime de son propre système, a créé enchevêtrement d’alliances, d’allégeances et de clientélisme à ce point imbriqué, que s’il s’avisait à tirer le fil de la corruption, il mettrait probablement en danger le Parti lui-même. Ces réflexions renvoient à l’inertie du 5e Plenum face aux récentes prises de position publiques pour plus de transparence et de démocratie.

Elles illustrent la contradiction d’une situation que Pei juge sans issue, où le régime, paralysé par l’imbrication des intérêts, est incapable d’engager les réformes politiques qui corrigeraient les désordres, dont l’ampleur menace pourtant à la fois la pérennité du développement et la survie du Parti. Notons que Wen Jiabao, le Premier Ministre, n’a pas dit autre chose dans son discours à Shenzhen et son interview à CNN, l’un et l’autre censurés par le Parti.

Dans «  Out of Mao’s shadow  », Philippe Pan, journaliste d’investigation au Washington Post, propose des portraits émouvants de victimes des abus des cadres ou des entrepreneurs sans scrupules, et dévoile l’action courageuses d’avocats, journalistes, intellectuels, membres du Parti qui dénoncent les dérapages de la bureaucratie locale et l’omerta qui pèse sur ses agissements. A cet égard l’appareil est, au fil du temps, passé maître dans le jeu subtil de « l’intimidation - séduction » qui finit par décourager ou démobiliser les plus convaincus des activistes.

La survie politique du Parti en question

La longue analyse de Richard Baum, appuyée par les ouvrages qu’il conseille, est assez proche de celle de la plupart des chercheurs, qui ne voient pas la Chine secouée par des graves tumultes internes, mais plutôt placée sous la pression montante d’une société civile de plus en plus réactive, que le pouvoir s’applique à canaliser tant bien que mal.

Il n’en reste pas moins que sa dernière phrase est marquée par le scepticisme : « Il n’est pas impossible qu’une version adoucie du paternalisme néo-confucéen puisse alléger la main de fer du Léninisme et prolonger le monopole du Parti à la tête de la Chine. Mais je doute que l’actuelle connivence entre le Léninisme politique et le capitalisme bureaucratique puisse durer longtemps ».

 

 

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