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›› Technologies - Energie

Les transferts de technologies et l’imbroglio des entreprises publiques et privées

C’est peu dire que la captation des technologies est une obsession chinoise, destinée à appuyer le rattrapage de puissance initié par Deng Xiaoping en 1978. Le secteur des technologies de pointe figurait d’ailleurs en bonne place dans les « 4 modernisations », dont la paternité revient à Zhou Enlai, et reprise par Deng Xiaoping (Agriculture, Industrie, Technologies, Défense).

1. La modernisation par la captation des technologies. Obstacles et contournements.

L’assimilation des technologies et du savoir-faire étranger a été en grande partie réalisée en Chine par le truchement de JV ou de coopérations dans les domaines de l’automobile, du nucléaire civil, de l’aéronautique, de la biologie, de l’espace, de l’industrie pharmaceutique, des télécom et des transports ferroviaires. Ce dernier secteur étant aujourd’hui le théâtre d’une violente controverse avec Kawasaki, qui accuse les chemins de fer chinois de piratage.

Les progrès de la Chine ne sont évidemment pas uniquement dus aux transferts ou à la captation des technologies étrangères. Des sociétés qui commencent à avoir pignon sur rue et un marché partout dans le monde, comme Huawei Technologies, Datang Telecom - en coopération avec Siemens -, ou Zhongxing Télécom (ZTE), consacrent chacune 10% de leur chiffre d’affaires à la R&D.

Il est également vrai qu’en moins de 30 ans la Chine est passée d’une économie planifiée, axée sur l’industrie lourde et l’agriculture, à une économie plus ouverte, stimulée par l’information, le savoir et les qualifications. Ajoutons qu’en moyenne, les 100 plus grosses sociétés chinoises consacrent 3% de leur CA à la R&D. Parmi elles, 37% opèrent dans l’industrie lourde - énergie, aciéries, mines et transformation des minéraux, chimie - et 12% dans les secteurs des télécom et de l’électronique.

Il reste que, malgré les slogans qui affichent la priorité du développement des hautes technologies, la grande majorité des entreprises chinoises ont, aux exceptions près citées plus haut, beaucoup de difficultés à atteindre un réel niveau de sophistication technologique, principalement parce qu’elles manquent de ressources. Une très récente étude chinoise a en effet établi que la part de la R&D chinoise dans le PNB reste inférieure à la moyenne des pays développés (1,7% contre 2,3% - + de 3% aux Etats-Unis).

C’est bien pour cette raison que, devant l’urgence de la modernisation du secteur industriel, la quête de technologies à l’étranger, par la création de centres de R&D dans les pays développés ou le rachat d’entreprises high-tech en difficultés, reste une priorité, aujourd’hui largement appuyée par le gouvernement. Mais en ces temps de déflation économique et de soupçons, où resurgissent les réflexes protectionnistes, les transferts de technologies se heurtent à de sérieux obstacles.

La situation stratégique est en effet marquée par une contradiction de taille. A Pékin, le pouvoir chinois est pris entre les effets pervers du nationalisme chinois, qu’il cultive et dont la contrainte politique interne, encore alourdie par la perspective du 18e Congrès, lui impose de réagir avec fermeté aux pressions extérieures (sur la Corée du Nord, la mer de Chine du Sud, les excédents de sa balance commerciale avec l’UE, ou le taux de change de sa monnaie).

Mais ces raidissements chinois vont à contre courant de « l’injonction de modestie stratégique » prônée par Deng Xiaoping, et initient des réactions en retour des pays occidentaux, dont les effets commencent à gêner la stratégie de captation de technologies.

Le 26 novembre dernier, une dépêche de Reuters signalait la réaction chinoise à ces inquiétudes, en citant une déclaration du n°2 du Parti de la municipalité autonome de Tianjin : « Dans certaines régions politiquement sensibles (traduisez l’UE et les Etats-Unis), les entreprises privées seront mieux à même d’acquérir des actifs que les entreprises publiques (NDLR : soupçonnées de collusion avec l’Etat chinois). Une stratégie potentielle pourrait être que les entreprises publiques s’associent à des sociétés privées, afin de ne pas attirer l’attention ».

En clair, c’est aux entreprises privées chinoises, ou désignées comme telles, plus anodines ou plus discrètes que les grands groupes publics, qui eux, agiraient à couvert, que reviendrait désormais le rôle de capter les technologies, mission dont l’importance avait été définie, il y a près de 20 ans, par Deng Xiaoping.

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2. Public et privé. Mélange des genres.

Ces évolutions conduisent à faire le point sur la réalité des différences entre entreprises privées et publiques en Chine. Au passage, les confusions entre « public » et « privé », entretenues par les dirigeants chinois sont probablement à l’origine de la majorité des déboires des entreprises occidentales en Chine, dont la perception de la situation est souvent troublée par l’illusion d’avoir à faire à une entreprise privée.

Toutes les entreprises travaillant pour l’armée sont publiques, tout comme les entreprises des secteurs de l’énergie, et des matières premières. Il en va de même dans l’électronique et l’informatique, qui dépendent du ministère de l’information, y compris les entreprises montées par les universités, comme à Haidian (quartier high-tech de Zhongguancun au Nord-Ouest de Pékin). Les universités se financent sur les bénéfices, mais le contrôle reste étatique.


Les secteurs de l’aéronautique, des transports ferroviaires, les chantiers navals, appartiennent soit à l’Etat, soit a l’armée, soit sont sous le contrôle des gouvernements locaux (pour les chantiers navals). Les entreprises de construction n’échappent pas non plus à ce schéma. Elles sont contrôlées soit par l’armée ou l’état central, soit par le bureau des affaires foncières des gouvernements locaux. Seuls les promoteurs immobiliers peuvent être privés, mais ils sont souvent associés à des banques d’état.

A noter que, comme ailleurs, les secteurs de l’immobilier et de la construction donnent lieu à une intense corruption, parfois par le biais de mafias, qui se livrent au blanchiment d’argent sale. Au passage rappelons que la question de la corruption figure au centre des préoccupations internes du régime au point que Hu Jintao lui-même a plusieurs fois signalé qu’elle constituait la menace la plus grave contre la légitimité du Parti et mettait en cause sa capacité à rester au pouvoir.

Toutes les entreprises automobiles sont sous le contrôle de l’Etat, ou des municipalités, ou de grandes corporations, elles aussi étatiques [SDIC par exemple à Shanghai, ou Beijing Investment à Pékin]. Il y a cependant des fournisseurs privés de pièces détachées.


Dans la chimie, la majorité des sociétés sont publiques, à l’exception de joint-ventures montées avant 2000, où on trouve des entreprises, étrangères ou chinoises, privées. Dans les secteurs de la santé (hôpitaux et pharmacologie), tout dépend naturellement du ministère ou des gouvernements régionaux. Le secteur financier est, lui aussi, sans surprise, totalement étatique.


Dans l’industrie légère, il y a probablement plus d’un million de sociétés privées, souvent tenues par des natifs de Wenzhou ou des Cantonnais, particulièrement doués pour les affaires. C’est le seul secteur où les entreprises privées sont plus nombreuses que les publiques. Mais, bien souvent ces sociétés dépendent des banques d’état pour leurs financements et doivent s’appuyer sur les pouvoirs locaux pour se mettre aux normes administratives et fiscales, ce qui ouvre la porte aux trafics d’influence et aux abus de biens sociaux.

Dans le secteur de l’agriculture, les terres appartenant a l’état, on ne peut pas dire qu’il y ait des privés au sens strict. La question ne se pose donc pas stricto sensu. Mais on trouve de petites structures autonomes, de taille modeste. Le secteur des services (banques, assurances notamment) fonctionne entièrement sur le même principe.

Le gouvernement chinois a ouvert les bourses de Shenzhen/Shanghai/Hong Kong, pour « privatiser » ses sociétés, attirer des capitaux, faciliter la mise sur pied de JV et s’ouvrir l’accès aux technologies. Mais les sociétés cotées ne sont que des émanations de sociétés d’état.

Le principe étant de placer les meilleurs actifs dans une structure, cotée en bourse à Shenzhen, Shanghai, Hong Kong, parfois même au New-York Stock Exchange, alors que la maison mère, immense structure tentaculaire, impliquée dans une longue série d’activités diverses, qui peuvent aller de l’hôtellerie aux missiles stratégiques, en passant par l’énergie ou la grande distribution, garde le contrôle.

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3. Un exemple concret.

La presse française et internationale évoque en ce moment l’affaire de la reprise par le Chinois Xinmao, du hollandais Draka Holding NV, dont les produits vont du câble de cuivre à la fibre optique en passant par les câbles sous marins. Le groupe chinois est présenté comme une société non étatique, dont le siège est à Tianjin. En réalité, la maison mère de Xinmao Group est sous le contrôle de la municipalité de Tianjin, et d’un département de l’Armée Populaire, également investi dans l’immobilier et le commerce.

Il y a dix ans, le groupe avait lancé une petite production de câbles de cuivre, aujourd’hui diversifiée en fibres optiques. Selon le schéma classique de privatisation factice, la société de câbles a été introduite en bourse à Shenzhen, mais ne représente qu’une très faible partie des actifs du conglomérat, répartis en terrains, hôtels, immeubles de bureaux, mines de charbon, et quelques activités de distribution.

C’est donc non pas une entreprise privée qui s’apprête à faire l’acquisition de Draka, mais une nébuleuse connectée à la ville de Tianjin, d’où est originaire le premier ministre Wen Jiabao. Par ce biais d’allégeance géographique, le groupe, qui dans l’ombre tire les ficelles de Xinmao, est directement lié au pouvoir central.

Il y a une semaine, le groupe chinois avait renchéri de 20% sur l’offre de l’Italien Prysmian SpA, qui lui-même avait déjà renchéri sur le Français Nexans, après que Draka ait repoussé l’offre française. Il est probable que l’offre surprise chinoise, appuyée par les banques d’état, dont l’ampleur a déjà fait bondir les actions de Draka de 26% sur le marché d’Amsterdam, sera sérieusement prise en considération. La compagnie chinoise est intéressée, non seulement par la technologie du 3e fabricant européen de câbles et fibres (câbles industriels et sous marins, fibres optiques, câbles haut-voltage), mais également par son carnet d’adresses. Le groupe hollandais est déjà implanté en Chine, où il fabrique des fibres optiques.

 

 

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