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›› Lectures et opinions

L’expérience de Chongqing, modèle du « socialisme de marché »

Le site « La vie des idées » a récemment mis en ligne un intéressant article d’Emilie Frenkiel qui rapporte un entretien avec Cui Zhiyuan. Ce dernier, diplômé en Sciences Politiques de l’Université de Chicago, aujourd’hui rentré en Chine où, dit-il, « on trouve d’avantage de flexibilité et où les choses ne sont pas déterminées de façon irrévocable », participe personnellement à l’expérience politique et sociale tentée par Bo Xilai à Chongqing.

L’article éclaire d’abord la méthode pragmatique de l’actuel système politique chinois, basée sur l’expérience tentée localement, - héritée du « traverser la rivière en tâtant les pierres » de Deng Xiaoping -, avec l’appui de chercheurs et de spécialistes des grandes Universités ou des Centres de recherche.

Les thèmes des expérimentations touchent à des domaines parfois aussi complexes que la mise en œuvre de « l’économie socialiste de marché », qualifiée par Cui Zhiyuan de « mélange original de biens publics et d’économie de marché, distinct de la social-démocratie, en ce sens qu’il se situe au niveau de la distribution des revenus primaires et non de la redistribution ». C’est bien cette direction qu’explore le Secrétaire du Parti de Chongqing, conseillé par Cui. L’expérience vise en effet à redistribuer les revenus primaires par un système idéal de cogestion socio-économique à grande échelle.

Ce dernier valoriserait au mieux de nombreuses interactions qui vont des coopérations entre les dirigeants des entreprises et leurs ouvriers aux synergies socio-économiques et financières entre les entreprises publiques bénéficiaires (c’est l’un des points clé, dont rien de dit qu’il soit toujours possible), la société urbaine en quête de services de plus en plus chers et toujours plus sophistiqués, et les villageois, habituellement laissés pour compte, mais qui, grâce à l’expérience en cours peuvent tirer le meilleur prix de leurs terres agricoles reconverties.
L’expérience semble ainsi rechercher une troisième voie entre, d’une part les appels pour une ouverture démocratique qui se rapprocherait des systèmes politiques occidentaux, comportant cependant des risques importants pour la pérennité du pouvoir du Parti, et d’autre part la fermeture politique sans nuance exprimée par le 5e plenum du Parti en octobre dernier, qui porte en elle de graves menaces d’affrontements entre un pouvoir rigide et une société civile plus réactive. (Voir notre article)

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Le défi est d’importance puisqu’il renvoie aux caractéristiques particulières d’une voie chinoise originale et consensuelle, jusqu’ici introuvable, qui serait tout à la fois plus proche du peuple et capable de supprimer les abus, en réduisant les écarts de niveau de vie, tout en réussissant à opérer un ajustement durable du schéma de développement, dont le moteur reste toujours l’investissement public massif et l’export.

En même temps elle se tiendrait prudemment éloignée des systèmes démocratiques qui supposent l’existence d’une opposition, elle-même organisée pour l’affrontement politique et la conquête alternative du pouvoir. Si elle réussissait, l’expérience, suivie de près par Pékin, offrirait au Parti une solution bienvenue, dans un contexte général où de nombreuses voix, dont celle du Premier Ministre lui-même, ont expliqué que les blocages et contradictions actuelles ne sauraient être résolus sans une réforme démocratique.

A ce jour, la politique menée par Bo Xilai à Chongqing a surtout attiré l’attention pour sa lutte emblématique et spectaculaire contre les mafias et la corruption ainsi que pour la marque révolutionnaire imprimée par le Secrétaire Général, qui - peut-être sous l’influence de Cui Zhiyuan - va jusqu’à tirer des leçons positives du passé maoïste de la Chine, pourtant renié par la presque totalité des intellectuels chinois. (Voir notre article)

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Mais Emilie Frenkiel montre que l’expérimentation va bien plus loin et que les références révolutionnaires ne sont pas un simple artifice politique. Le chantier en cours n’est ni plus ni moins qu’un laboratoire destiné à explorer une voie originale de répartition plus équitable de la richesse et des bénéfices du développement accéléré du pays. Il touche aux difficiles questions de la gestion des entreprises, du développent social, et de la répartition des revenus de la terre.

Insérée dans les régions cibles du projet de « développement de l’Ouest », destiné, entre autres, à garantir la stabilité politique des régions non Han, Chongqing a été autorisée à diminuer le taux d’imposition appliqué aux entreprises locales (15% au lieu de 33%) - ce qui a attiré nombre d’entreprises étrangères privées -. Dans le même temps, la municipalité s’est efforcée de promouvoir des entreprises publiques bénéficiaires.

Les revenus dégagés par le secteur public, qui permettent de baisser les taxes aux entreprises privées, sont aussi redistribués sous forme de services publics ou de programmes de logements sociaux - une des grandes réussites de Bo Xilai, qui n’a cependant pas attiré l’attention des médias -.

La municipalité a pourtant fixé, qu’à terme, 35 à 40 % du parc locatif devraient être constitués par des appartements à loyers modérés, alors que, selon Cui, ailleurs en Chine, le taux des logements à faible prix plafonne en moyenne à 5%. Cui Zhiyuan rajoute qu’à Chongqing, « 40 millions de m2 de logements sociaux sont construits dans ce but par des entreprises publiques gérées par la commission des biens publics (...). Ailleurs, les promoteurs immobiliers sont réticents à participer à ces programmes moins lucratifs ».

Un autre volet crucial de la réforme est la gestion des terres et de leurs plus-values, dans le contexte où l’urbanisation - et les hausses des prix fonciers qu’elle induit -, est en contradiction directe avec l’impératif d’indépendance alimentaire qui impose de freiner l’érosion des surfaces cultivables. Cette aspect complexe et contradictoire renforce la pertinence de la région de Chongqing comme zone expérimentale, puisque, selon Cui, 70% de la population y vit à la campagne, au milieu d’un mouvement d’urbanisation rapide.

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Cui Zhiyuan explique que le concept de partage des revenus primaires utilisé pour les questions foncières est directement inspiré des « Trois Principes du Peuple » de Sun Yat Sen, le Père de la Révolution chinoise, qui avait été lui-même influencé par la théorie du penseur américain Henry Georges.
Ce dernier défendait le principe que la hausse des prix des terrains dépendait moins des efforts des propriétaires que des infrastructures de transport et de l’environnement (adductions d’eau, électricité) résultats directs des investissements consentis par l’Etat. On voit bien à quel point la théorie de Georges appelée à la rescousse, qui prend à contrepied le principe de la propriété individuelle, s’insère à point nommé dans le concept « d’économie socialiste de marché ».

Dans cette logique, les plus-values de la terre ne devraient donc pas profiter aux seuls propriétaires, mais à l’ensemble de la société. Cui Zhiyuan explique que cette théorie a « inspiré l’élaboration à Chongqing d’une méthode originale de captation de la valeur de la terre (...) en créant une bourse aux baux ruraux ».

« Les sommes récoltées lors des enchères (le prix du bail d’un Mu - 666 m2 - a été fixé à 16 000 euros, lors des enchères d’avril 2010 au centre financier de Chongqing), est ensuite redistribuée aux villages. C’est par ce biais que les paysans peuvent profiter de la plus-value des terres due à l’urbanisation (...).

A Pékin, par exemple, seuls les résidents des zones limitrophes tirent profit du processus en cas de confiscation de leurs terres (...). A Chongqing, même ceux qui résident loin de villes peuvent bénéficier du processus d’urbanisation et recevoir une rétribution pour les terres qu’ils ont reconverties (...). L’argent est ensuite versé à l’ensemble du village qui le réutilise comme il le souhaite, selon les décisions du comité villageois, qui doivent recueillir 2/3 des voix pour être applicables. »

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Commentaires :

L’exemple de Chongqing éclaire le fonctionnement pragmatique et la réactivité du système politique chinois. Dans un contexte où le Parti est aujourd’hui placé sous la pression des critiques qui plaident pour plus d’ouverture politique, dont beaucoup redoutent cependant les effets politiques déstabilisants, la réussite, même partielle, d’une expérience proposant des solutions aux nombreuses contradictions qui plombent le développement du pays, constituerait une marge de manœuvre politique inestimable.

Le fait que Pékin s’y intéresse de près et que le futur n°1 du Parti y ait apporté sa caution est une preuve supplémentaire des attentes soulevées par l’expérience.

Il reste qu’à bien des égards le projet, qui touche aussi à des aspects institutionnels liés, par exemple à la gestion foncière, tient de l’utopie. Sa réussite supposerait que soient éradiqué l’enchevêtrement des réseaux d’affaires et de la politique, principal terreau de la corruption et des luttes de pouvoir, et que soit mis en place un système crédible de critique des politiques publiques, s’appuyant sur une justice indépendante du pouvoir.

Sans compter que le prix des enchères du bail pour un Mu, cité par le professeur Cui lui-même, paraît faible pour constituer une compensation équitable pour les villages. Qu’on le veuille ou non ces opérations ont en effet lieu dans le contexte général de l’urbanisation rapide de la Chine, soumise à de très forte spéculations immobilières, sources de plus-values qui échapperont aux paysans, et que la municipalité de Chongqing tentera, comme ailleurs, de partager avec les promoteurs.

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En bref.

Les Références politiques du Parti : Dans un article publié en première page du QDP, le 27 octobre dernier, le Parti faisait l’inventaire des indicateurs de la viabilité d’un système politique, vus par Deng Xiaoping, et classés dans l’ordre d’importance : 1) Stabilité ; 2) Facteur d’unité et de progrès social ; 3) Facteur de meilleure productivité.

Fort de ces critères, il en concluait que la voie chinoise était la bonne, dans une formule compliquée faisant allusion à des réformes politiques, mais confirmant cependant que le Parti n’abandonnerait pas son rôle dirigeant : « la Chine doit suivre sa propre voie, telle qu’elle est apparue au travers de ses expériences et de ses vicissitudes (...). Ce n’est qu’en maintenant une orientation politique correcte, tout en mettant en œuvre de vigoureuses réformes sociales et démocratiques, que le peuple de Chine sera en mesure de construire une société moderne et harmonieuse, dotée d’un haut degré de civilisation et d’avancer sur la voie du socialisme aux caractéristiques chinoises ».

Licenciement d’un journaliste. Le 27 janvier dernier, Chang Ping, journaliste du groupe des « Quotidiens du Sud », a été licencié pour voir défié la censure et publié un reportage sur la corruption et les réformes politiques. Par le passé le journaliste avait déjà publié plusieurs articles sur les erreurs politiques au Tibet, la démocratie et la censure. Depuis 2008, il avait été dépouillé de plusieurs de ses fonctions. Il attribue lui-même son licenciement au durcissement de la censure depuis l’attribution du Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo.

Les abus fonciers des gouvernements locaux. Dans un long reportage publié le 26 janvier dernier, le journal Caixin met le doigt sur les pratiques des cadres locaux, contrevenant souvent aux directives du Centre. Ces malversations sont rapportées dans une étude publique préparée par le Ministère des questions foncières et qui stigmatise plusieurs régions (Tongcheng au Yunnan et Chongqing) pour avoir illégalement vendu des terrains publics - forêts, zones agricoles - à des développeurs privés.

Souvent les autorités locales prennent le prétexte du développement économique pour céder des terres à bas prix à des sociétés immobilières qui en retirent de lucratifs bénéfices. Mais pour Pékin - précise le rapport - ces projets sont illégaux dès lors que les terres ont été obtenues par des expropriations ou par le biais d’arrangements illicites du bail souscrit par les paysans. Ces pratiques sont particulièrement courantes dans des régions pauvres où les cadres jouent « la carte foncière » pour attirer les investisseurs. Les paysans lésés n’ont que peu de recours.

 

 

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