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›› Taiwan

Les forces armées sur la sellette

Les armées taïwanaises ont commencé l’année 2011 par une très désagréable période de tension et de remise en question, alors que les alertes se multiplient sur la détérioration de l’équilibre des forces dans le Détroit au profit de la Chine.

Récemment les analystes alarmistes ont entouré la présentation du J-20, premier avion de combat furtif chinois dévoilé à Chengdu le 22 décembre dernier, et dont le premier vol d’essai n’a pourtant eu lieu que trois semaines plus tard. D’autres informations tout aussi anxiogènes ont circulé sur les progrès en furtivité des avions de combat chinois à partir de l’épave d’un F 117 abattu par un missile serbe au-dessus de l’ex Yougoslavie en 1999. (Rappelons qu’aux Etats-Unis, le F117 est opérationnel depuis 1983 et le F-22 Raptor depuis 2005).

Ces craintes faisaient suite à une série d’évaluations pessimistes de la balance des forces dans le Détroit (dont le rapport 2010 du Pentagone ; « The balance of forces continues, however, to shift in the mainland’s favor », page 6 du rapport).

Elles accompagnent et renforcent les demandes répétées de Taïwan pour des livraisons d’équipements militaires modernes par les Etats-Unis (F.16, missiles sol-air, hélicoptères d’attaque, sous marins), dans un contexte où de nombreux experts estiment que le déséquilibre des forces est de nature à mettre en danger le statu quo politique entre Taipei et Pékin.

C’est dans cette ambiance, encore aggravée par les doutes de certains cercles américains sur la pertinence du Taïwan Relations Act et l’implication militaire des Etats-Unis dans le Détroit, que les armées taïwanaises ont récemment fait, à deux reprises, la une des journaux de l’Ile, chaque fois sur un sujet mettant en jeu la sécurité.

Le 30 janvier, le China Post publiait un article très critique pointant du doigt les insuffisances de l’armée de l’air après le semi-échec d’un exercice à tir réel contre des drones, organisé le 18 janvier en présence de Ma Ying Jeou.

On y lisait que six des 19 missiles sol-air tirés avaient manqué leur but. Tous les types de missiles étaient concernés, des missiles MICA achetés à la France aux missiles Tien-Chien II fabriqués sur l’Ile qui ratèrent leur cible, en passant par un missile américain Sparrow, abîmé en mer 6 secondes après le tir.

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L’auteur de l’article a même saisi l’occasion pour mettre en cause la fiabilité générale des armées : « pour être franc, ce n’est un secret pour personne que les forces armées taïwanaises sont loin d’être performantes ». Il est vrai que, face à la menace des 1200 missiles déployés par la Chine dans le Détroit, la capacité sol-air et anti-missiles est un des points clés de la défense de l’Ile, techniquement parmi les plus complexes.

Circonstance aggravante, qui fut l’objet de plusieurs articles ironiques, l’exercice raté avait lieu alors que le commandant de l’armée de l’air Lei Yu-chi venait d’être démis de ses fonctions par Ma Yin Jeou pour avoir employé des militaires appelés lors du mariage de son fils.

Pour finir, le journal appelait à une mise à plat publique de l’entraînement et des équipements, soulignant que la plupart des missiles en service dataient de la fin des années 90 et qu’il fallait songer à les remplacer. Ce qui renvoie aux pressions taïwanaises pour que les Etats-Unis ne cessent pas leurs livraisons d’armes à l’Ile.

La fin janvier était également marquée par une série d’articles sur l’arrestation à Taïwan du général Lo Hsien-Che, convaincu d’avoir livré des secrets militaires à la Chine depuis 2004. Alors Attaché militaire en Thaïlande, le général Lo, plus haut gradé jamais impliqué dans une affaire d’espionnage à Taïwan, a été « piégé » par une jeune femme d’origine chinoise, titulaire d’un passeport australien, qui faisait de fréquents voyages d’affaires entre la Thaïlande, la Chine et les Etats-Unis.

A son retour à Taïwan en 2005, Lo, affecté au bureau des affaires internationales du Ministère de la défense, puis à la tête du service des transmissions de l’armée, a continué à voir la jeune femme et aurait au total touché 1 million de $ contre des renseignements transmis à la Chine.

Ces derniers concernaient un projet de vente d’hélicoptères d’attaque « Apache » par les Etats-Unis, les plans d’une série de stations de transmissions, et ceux du réseau sous terrain de fibres optiques du système de commandement des forces, acheté à Lockheed Martin pour le prix de 1,5 Mds de $, et relié au « Pacific Command » américain.

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L’affaire n’a à ce jour pas remis en cause les relations entre Taipei et Washington, mais elle a suscité quelques craintes aux Etats-Unis sur la sécurité des informations sensibles, et sur ses effets négatifs dans la relation avec Pékin. A Taïwan, elle a provoqué un tollé de plusieurs députés de l’opposition qui réclament la démission du ministre de la Défense, au moment où le Président Ma est poussé par l’opinion publique et le parti indépendantiste à durcir sa position vis-à-vis de la Chine sur les questions militaires.

Selon Ting Yu-chou, ancien secrétaire général du Conseil National pour la sécurité, il est possible que la totalité des plans d’opérations de l’armée de terre soient compromis.

Le général Lo risque la peine de mort ou, au mieux, la prison à vie. Des deux côtés du Détroit les affaires d’espionnage militaire n’ont pas manqué depuis 1949. La Chine a une longue histoire d’espionnage technologique et militaire dans les pays occidentaux et à Taïwan, compromettant parfois des personnalités de haut niveau.

En janvier 2009, un membre du cabinet de Ma Ying Jeou et un attaché parlementaire, accusés d’avoir transmis des informations confidentielles à la Chine avaient été arrêtés. En novembre dernier, c’était au tour d’un colonel de l’armée taïwanaise de tomber dans les filets du contre espionnage taïwanais pour les mêmes raisons.

Durant des années, Taïwan et la CIA ont, de leur côté, rémunéré des milliers d’hommes d’affaires pour fournir des renseignements sur la Chine et son système militaire. Des centaines d’entre eux ont été pris en flagrant délit et mis au secret sur la Grande Terre, où ils sont toujours.

En novembre 2003, par exemple, lorsque Chen Shui Bian avait, dans un discours public, dénoncé l’augmentation du nombre de missiles chinois braqués sur l’Ile - une information qu’il tenait de ses réseaux de renseignement en Chine -, Pékin avait immédiatement répliqué en arrêtant 36 « espions » taïwanais. 24 autres avaient connu le même sort en 2004. Fin 2008, la Chine avait même exécuté Wo Weihan, un Chinois du continent, accusé d’avoir vendu des secrets militaires à Taïwan.

Le pouvoir à Taipei estime que le maintien des capacités militaires reste un volet indispensable de la politique d’ouverture, dès lors que Pékin, qui craint une déclaration unilatérale d’indépendance sous la pression de l’opinion et de l’opposition, n’a pas abandonné ses menaces militaires. Pour les experts, ces deux affaires, l’une liée à la qualité des équipements et de l’entraînement des forces, l’autre à la sécurité des informations sensibles, dans le contexte de la multiplication des contacts entre les deux rives, sont des signes de la fragilité du système de défense de l’Ile.

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En bref

Vulnérabilité de Taïwan

 

Le 31 décembre dernier, le Sankei Shimbun, l’un des 5 journaux nationaux japonais, publiait un long article sur la menace croissante des sous-marins nucléaires chinois, révélant qu’en février 2009 un submersible chinois avait réussi à se faufiler par le détroit de Taïwan puis le long des côtes philippines et jusqu’aux côtes de Sumatra sans jamais être détecté. Songeant d’abord à la menace que l’incident représentait pour le Japon, le journal en déduisait que Taïwan était, dans ce théâtre, le maillon faible de la détection anti-sous-marine.

L’analyse du rapport des forces dans le Détroit est un sujet complexe, qui doit prendre en compte les évidentes fragilités de l’Ile, ainsi que l’équilibre des forces évoluant en effet inexorablement en faveur de la Chine. Il faut aussi mentionner les atouts du système insulaire considérablement fortifié qui compliqueraient une attaque directe, dont les enjeux et les risques sont considérables, ainsi que les lacunes persistantes de l’APL, à quoi s’ajoutent une série de facteurs aléatoires.

Parmi ces derniers on mentionnera le consensus politique et l’esprit de défense des Taïwanais, difficilement mesurables, ou encore la situation géostratégique de la région, marquée par le face à face dissuasif sino-américain, les promesses imprécises de soutien du Pentagone à Taïwan, dans un contexte général en évolution rapide, caractérisée par les fragilités politiques du PCC et la dépendance économique accrue de l’Ile à l’égard de la Chine.

Sondages

Selon une enquête d’opinion rendue publique par la chaîne TVBS, proche du KMT, seulement 39% des sondés font confiance au gouvernement pour protéger les intérêts de Taïwan dans le contexte de l’Accord Cadre et du rapprochement économique avec la Chine. 53% expriment leur méfiance. Le même pourcentage estime que les politiques de Ma Ying Jeou sont biaisées en faveur de la Chine.

61% des sondés sont en faveur du maintien du statu quo et 21% expriment leur préférence pour l’indépendance de l’Ile. 9% seraient favorables à la réunification. S’ils avaient le choix (c’est-à-dire si la Chine cessait ses menaces militaires), 68% des Taïwanais opteraient immédiatement pour l’indépendance. 18% pour la réunification, 14% n’ont pas d’opinion. 43 % se considèrent comme Taïwanais, 50% comme Taïwanais et Chinois, et 3% comme Chinois.

Incident avec les Philippines

La Chine, Taïwan et les Philippines sont actuellement englués dans un imbroglio diplomatique suite au renvoi le 2 février dernier de 14 ressortissants Taïwanais et 10 Chinois par un vol charter vers la Chine, affrété par Pékin.

Les 24 indésirables (14 Taïwanais et 10 Chinois), dont le départ a été surveillé par l’ambassade de Chine à Manille, avaient été arrêtés en 2010 pour avoir floué des intérêts Chinois aux Philippines (fraude électronique de grande ampleur, kidnapping).

L’incident est préoccupant pour Taipei qui, outré par l’amalgame avec la Chine, a rappelé son représentant à Manille. Le coup est d’autant plus sévère que la première réponse des autorités philippines avait évoqué la « politique d’une seule Chine », pour expliquer leur décision de se conformer aux injonctions chinoises. Ces dernières réclamaient l’extradition des coupables, tous considérés par Pékin comme des « citoyens chinois ».

La presse Taïwanaise s’est enflammée pour l’affaire, critiquant à la fois les méthodes du Parti Communiste Chinois et le manque d’égards des diplomates taïwanais pour les Philippines, peut-être à l’origine de l’incident. Quant au gouvernement philippin il était accusé de céder sans restriction aux mises en demeure de Pékin. A Taïwan, le gouvernement a commencé à mettre en œuvre des mesures de représailles sous forme de tracasseries administratives, ciblant les quelques 40 000 travailleurs philippins immigrés dans l’Ile.

 

 

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