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›› Société

Où va le système de santé chinois ?

Que le système de santé, en cours de rénovation, soit devenu une priorité de l’équipe au pouvoir, c’est une évidence, confirmée par la somme des investissements publics consentis et les déclarations répétées du Parti, fixant les échéances de la réforme et le niveau de prise en charge.

Le plan quinquennal en cours d’approbation par l’ANP prévoit une première phase d’investissements publics de 125 Mds de $ d’ici la fin 2011, où 90% des citadins seraient pris en charge. En 2020 plus d’un milliard de Chinois seraient couverts, et leurs frais médicaux remboursés à plus de 70%.

Aujourd’hui la plupart des patients doivent encore payer 40% de leurs frais médicaux, tandis que les soins lourds et de longue durée (40 000 euros pour le traitement d’une leucémie par exemple) sont encore hors de portée de la majorité de la population, dont les salaires mensuels dépassent rarement 300 euros. Même une fois mise en place la couverture à 70%, beaucoup de patients atteints de maladies graves devront avoir recours à la solidarité familiale pour se soigner.

Nombre d’experts chinois doutent que les objectifs très ambitieux du 12e Plan seront atteints, essentiellement parce qu’en dépit des efforts de rattrapage récents, l’engagement de l’état reste insuffisant. Le ministre Chen Zhu lui-même s’en plaint et répète que les buts fixés constituent un défi considérable. Une manière de dire qu’il n’a pas les moyens de sa mission. Il est un fait que la part du PNB que la Chine consacre à la santé est entre 2 et 3 fois inférieure à celle des pays de l’OCDE.

La situation est donc marquée à la fois par l’urgence sociale et politique d’améliorer la couverture médicale des Chinois et le handicap de ressources financières trop chichement allouées. D’autant que ces dernières doivent aussi pourvoir aux salaires des médecins et assurer le fonctionnement d’hôpitaux publics de plus en plus chers, alors que le contrôle des prescriptions, décidé récemment par le ministre, privera les praticiens des moyens d’arrondir leurs fins de mois.

Tel est le fond de tableau compliqué des actuelles réflexions des planificateurs chinois, articulées autour de deux directions majeures. Il est prévu d’une part d’ouvrir le système de santé aux investissements privés, y compris étrangers, et d’autre part de transférer aux provinces une partie du fardeau de l’assurance maladie, que l’état central hésite à prendre totalement à sa charge.

Entre service public et médecine privée

Ces nouvelles orientations décidées pour palier l’insuffisance chronique de ressources financières, inquiètent une partie des responsables politiques qui craignent une dérive affairiste du système, au détriment des patients.

Les pouvoirs locaux, en collusion avec les investisseurs, pourraient en effet tirer profit des opportunités d’enrichissement offertes par cette réforme très gourmande en capitaux, dans un contexte où les financements privés de l’assurance maladie pointent à nouveau leur nez, tandis que Pékin ne pourra pas faire autrement que d’abonder les budgets santé, forcément déficitaires des provinces.

Alors que le ministre s’ingénie à limiter les dépenses à la base - consultations, prescriptions, prises en charge - le nouveau schéma de développement décentralisé de l’assurance maladie pourrait créer une multitude de canaux de détournement de fonds publics et privés, d’autant moins contrôlables qu’ils seront mis en place à l’échelon local, où la culture de la confusion entre l’argent public et privé est un fléau que Pékin n’a jamais réussi à éradiquer.

Déjà, dans l’administration des provinces et des districts, nombre de réflexes opportunistes lorgnent, en connivence avec des hommes d’affaires, le vaste programme d’équipement des hôpitaux de districts à construire au rythme de 1000 par an, doté de 4 Mds d’euros, mais pour lequel le gouvernement a également autorisé l’intervention de fonds privés. (Voir à ce sujet notre article).

C’est bien le manque de ressources publiques qui pousse aujourd’hui le pouvoir à faire appel au secteur privé. Dans son rapport à l’ANP en mars 2010, Wen Jiabao signalait déjà que le gouvernement apporterait son soutien à l’injection de capitaux privés, y compris étrangers, dans le système de soins du pays, notamment pour augmenter les ressources des hôpitaux, dont l’équilibre budgétaire sera menacé par la disparition programmée des commissions perçues sur la prescription des médicaments.

Le choix de la décentralisation

Quand au deuxième axe majeur du programme, il est encore plus novateur, et, pour certains hauts responsables à Pékin, sensibles aux risques sociaux, encore plus inquiétant, puisqu’in fine, il accorde une très large liberté de gestion aux cadres locaux, à la suite d’un étonnant mouvement décentralisateur qui, dans certains cas, irait jusqu’aux municipalités.

Cette orientation d’essence fédéraliste, aurait été décidée après d’âpres négociations avec les pouvoirs locaux opposés à la création d’un système national où les provinces les plus riches abonderaient les budgets des plus pauvres. En renonçant sous la pression des administrations régionales et des lobbies d’affaires à l’utopie de solidarité nationale en matière de santé publique, Hu Jintao et Wen Jiabao accepteraient, à leur corps défendant, de favoriser la création d’obstacles majeurs à l’une de leurs priorités visant à réduire les écarts de développement entre les régions.

Dans ce schéma qui, pour des raisons politiques et financières, lâche un peu plus les rênes aux autorités locales, le Centre conserverait le contrôle du plan national de santé publique - définition du taux de couverture minimum, gestions des hôpitaux d’état, restructuration hospitalière, construction et équipement des hôpitaux de district, politique salariale de santé dans les établissements publics civils et militaires, établissement de la liste des médicaments exemptés de commission aux médecins et aux hôpitaux, réforme des intermédiaires de la santé et du secteur pharmaceutique -.

Les provinces auraient le loisir de moduler à leur guise les taux de remboursement au-dessus du taux minimum, et, pour équilibrer leurs budgets, elles seraient autorisées à jouer sur le coût des traitements ou des médicaments (flexibilité du ticket modérateur). La stratégie s’accompagnerait d’un désengagement financier de l’état qui transfèrerait aux administrations locales une partie, aujourd’hui évaluée à 5 ou 7%, des recettes de la TVA.

Mais il y a plus. Après avoir accepté le principe de la décentralisation, Pékin a, après de rudes controverses, également cédé aux pressions des provinces et promis de combler, à partir de 2012, les déficits des budgets de santé locaux en cas de dépassement. Une concession politique, dont nombre de responsables à Pékin considèrent qu’elle sera à l’origine d’une perversion affairiste du système, manipulé par les spéculateurs et au détriment des malades.

En 2009, un rapport interne de l’Académie des Sciences Sociales avait déjà analysé les risques liés à ces choix. Il insistait déjà sur les inégalités entre les provinces et les probables dérives des coûts, favorisées par les promesses de l’Etat de combler les déficits. En même temps, le dispositif, qui prévoit que 25% des prises en charge seraient assurés par des taxes aux particuliers, allait peser sur le pouvoir d’achat des familles. (En France, la part des prélèvements aux particuliers dans la prise en charge est de 11% des revenus. Elle est environ de 8% au Japon.).

Par ailleurs, la réforme conduirait à une baisse de la qualité des soins, conséquence de la formation décentralisée des personnels médicaux, tandis que l’injection des capitaux privés allait recréer une médecine à deux vitesses et creuser les inégalités. Le tout sur fond de conflit entre Pékin et les pouvoir locaux pour le respect des directives du centre et les dépassements budgétaires que les provinces, assurées des compensations de l’état central, ne feraient aucun effort pour enrayer.

Résistances centrales.

A Pékin, alertés par les mises en garde du constat, certains hommes politiques violemment opposés à la réforme imaginent déjà les scénarios catastrophes d’une dérive franchement mafieuse.

Ayant pris conscience des inquiétudes des pouvoirs locaux dont les recettes seraient diminuées par les nouvelles ponctions fiscales de la réforme, les financiers et les assureurs étrangers de Taïwan, Singapour et Hong Kong, leur proposeraient un partage des bénéfices, tandis que les administrations provinciales ou municipales et les sociétés financières aux comptes off-shore, spécialistes de l’évasion fiscale, s’arrangeraient pour ne jamais équilibrer leurs comptes, en attendant la manne de l’Etat.

Si cette évolution se confirmait en 2011 et 2012, accompagnée de ses effets pervers à tendance mafieuse, elle signerait un constat d’échec pour l’équipe Hu Jintao - Wen Jiabao, dont la philosophie sociale penche plutôt pour une solution de solidarité nationale où, dans l’idéal, les provinces riches auraient accepté d’équilibrer le budget des plus pauvres.

Le schéma qui se dessine illustre les vieilles rivalités pouvoir central - administrations locales et la difficulté de mettre en œuvre une politique sociale centralisée. Il risque de créer une santé publique à trois vitesses, avec un important décalage entre les régions nanties et les autres, accolé à une nébuleuse de médecine privée réservée aux citoyens les plus aisés ayant les moyens de payer de fortes primes d’assurance maladie.

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En bref :

Salaires Hukou et emploi : Si on en croit la fréquence des articles dans les journaux chinois, les questions sociales seront, avec l’environnement, au cœur des débats de la réunion annuelle de l’ANP qui doit débuter cette semaine. Les sujets principaux seront les salaires, l’emploi et le passeport intérieur ou « Hukou ». Toutes les analyses confirment que les salaires ont augmenté en 2010, avec un record de + 20% du salaire minimum dans le delta de la Rivière des Perles. Le mouvement de hausse se poursuivra en 2011.

Parallèlement, les symptômes de pénurie de main d’œuvre dans le sud et le sud-est apparus en 2009 persistent avec des fortes tensions qui mettent les entreprises en difficultés.

Les critiques des experts et chercheurs continuent de pointer du doigt les effets discriminatoires du Hukou qui créent une population de seconde zone, exploitée (payée entre 30 et 40% de moins que la population enregistrée), et socialement instable. Mais la situation est inextricable. La capacité de logement et les infrastructures des grandes villes chinoises, - plus de 160 villes ont déjà plus d’un million d’habitants - ne sont pas prêtes à accueillir une migration de cette ampleur (entre 150 à 200 millions).

En outre, la vague de miséreux déclenchée par la suppression du Hukou, bousculerait quelques habitudes et mettrait en cause un schéma de développement, il est vrai assez déséquilibré, mais qui fait les beaux jours de la classe moyenne, principal appui politique du système. Pour l’heure en effet, peu de citadins sont prêts aux sacrifices nécessaires à l’intégration de cette masse de population flottante, déjà installée illégalement dans leur environnement proche.

Confiscations de terres : Selon un rapport de l’Académie des Sciences Sociales, les confiscations de terres mal compensées par les développeurs ou l’Etat sont en augmentation rapide. Dans 1564 villages étudiés les confiscations de terres, qui n’étaient que de 20 en 2000 sont passées à 180 en 2010. Le rapport précise que : « les confiscations illégales menacent directement le droit des paysans à l’usage de la terre et les conflits fonciers sont devenus une menace pour la stabilité du monde rural. »

Campagnes chinoises : Selon les dernières estimations (les résultats du recensement seront connus en avril) la population rurale est de 720 millions, en comptant les migrants, dont la famille reste enregistrée dans les zones rurales. 242 millions de paysans travaillent hors du secteur agricole, dont 153 millions sont des migrants.

En moyenne les familles rurales ont 2 enfants. Au-delà, elles risquent des pénalités et sont souvent forcées à pratiquer un avortement. Depuis 2003, les autorités centrales ont accordé une grande attention aux campagnes (suppression des taxes, subventions au plus pauvres, amélioration de la couverture médicale, aide à l’éducation). Globalement ces aides, ajoutées à la croissance et à l’augmentation des prix agricoles, ont contribué à améliorer notablement le niveau de vie des campagnes.

L’exode rural en cours (le nombre de citadins a été multiplié par 4 depuis 1978) bouleversera le visage de la Chine (on estime que les citadins seront 1 milliard en 2025) et posera d’importants problèmes d’infrastructures, de logement,, de services sociaux aux villes en pleine explosion.

Intoxications chez un sous-traitant d’Apple : A la mi-février le rapport d’Apple sur les conditions de travail dans les usines de ses sous-traitants révélait que 137 ouvriers d’une usine taïwanaise fabriquant des écrans pour son iPhone à Suzhou avaient été intoxiqués par un agent très volatile désigné sous le nom de « n. hexane » efficace dans le nettoyage des écrans. Les symptômes relevés sont tous liés à une atteinte du système nerveux, dus aux propriétés narcotiques du produit.

Suite à ces incidents la direction de Apple aux Etats-Unis a publié le communiqué suivant : « Nous exigeons de nos sous-traitants qu’ils offrent à leurs ouvriers des conditions de travail sûres, qu’ils les traitent dignement et avec respect, et que la fabrication de nos produits s’effectue dans le respect de l’environnement ».

Les ouvriers atteints sont engagés dans un conflit avec la société pour obtenir des compensations. Selon certaines victimes, la direction de l’usine aurait proposé une compensation de 10 000 $ contre une démission et une lettre dégageant la responsabilité de l’usine, qui a nié cette accusation.

Wen Jiabao s’implique dans la lutte contre le kidnapping d’enfants. Après un appel de Yu Jianrong, sociologue à l’Académie des Sciences Sociales, posté sur son Blog, le Premier Ministre a appuyé une campagne de surveillance et de répression des enlèvements d’enfants, utilisés ensuite pour mendier dans les rues. Selon la police chinoise près de 10 000 enfants ont été libérés de leurs ravisseurs entre avril 2009 et janvier 2011, grâce à une campagne lancée sur Internet avec la mise en ligne de 2500 photos d’enfants mendiants.

Le PM qui s’exprimait sur un forum de discussion en ligne, le 27 février a évoqué plusieurs préoccupations du Régime. La stabilité sociale restait la priorité n°1 du pouvoir, non pas parce qu’il craignait une contagion des événements dans les pays arabes, mais du fait de problèmes bien connus en Chine, dont le plus récent était l’augmentation rapide des prix à la consommation. Le pouvoir avait toujours accordé une attention particulière à la stabilité des prix et disposait de réserves stratégiques suffisantes pour contrôler les prix des céréales.

La politique de change du Yuan serait également conduite avec prudence : « Une augmentation brutale du Yuan provoquerait une cascade de fermetures d’usines ». NDLR : le RMB a augmenté de 3,8% depuis juin 2010 et a atteint le 21 février dernier son taux record par rapport au $ contre lequel il se négociait à 6,5654 Yuan pour 1 $ - il était à 8,28 le 21 juillet 2005, quand le gouvernement l’avait laissé flotter une première fois -.

Wen a également stigmatisé la corruption et expliqué que de graves troubles sociaux seraient à craindre si le public faisait un lien entre la hausse des prix et la corruption. NDLR : Selon les chiffres officiels l’inflation est contenue à 4,9% en janvier, avec cependant le prix des denrées alimentaires en hausse de plus de 10%. Le 8 février le gouvernement a relevé pour la 3e fois depuis octobre le taux d’intérêt des banques.

 

 

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