Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Lectures et opinions

Le hérisson chinois

Christian Sautter est polytechnicien, membre du Conseil de Paris, ancien ministre de l’économie et des finances. Question Chine publie sa « Lettre à nos amis 462 » datée du 3 juin 2011.

Après les succès éclatants des Jeux Olympiques de Pékin et de l’Exposition universelle de Shanghai, la Chine fait le hérisson. Elle se roule en boule pour écarter les mauvaises influences extérieures qui pourraient menacer la stabilité de son équilibre fragile.

Équilibre politique. Avec toute l’application d’un appareil policier despotique, elle lutte, individu par individu, contre une bactérie bien plus dangereuse que celle qui inquiète l’Allemagne et l’Europe : la « democratia coli ». Depuis que le printemps arabe est apparu de façon si imprévue, depuis qu’une jeunesse diplômée et sans emplois a bousculé des régimes vermoulus, l’appareil bureaucratique qui dirige l’immense continent chinois s’inquiète.

Quand le feu prend dans une broussaille sèche, il devient très difficile de le contenir. C’est pourquoi, avec une méthode minutieuse venant de soixante ans de communisme - et la police existait antérieurement -, les autorités et leur police pas si secrète piétinent méthodiquement les étincelles qui jaillissent ici et là du courage d’avocats, d’artistes, d’intellectuels et de simples citoyens.

On ne peut dire que cette répression systématique émeuve les pays démocratiques d’Europe et des Amériques. Même la disparition d’un artiste aussi connu qu’AI Weiwei, qui avait été exposé à la New Tate et en d’autres lieux prestigieux, n’a pas déchaîné un flot de pétitions et de manifestations. Le Tibet et son despote religieux seraient plus dignes d’attention que ces mille bourgeons démocratiques dévastés !

Les nouvelles technologies de l’information viennent, involontairement, prêter main forte à la répression. Même si le fondateur richissime de Facebook a déclaré au récent E-G8, convoqué par notre Président dans le jardin des Tuileries, que le rôle des réseaux avait été surestimé dans le printemps arabe, il n’empêche qu’ils permettent le meilleur et le pire.

Le meilleur, c’est l’agora virtuelle où les citoyens peuvent se rencontrer pour débattre de la chose publique. Le pire, c’est la traçabilité des pensées et des déplacements, à partir d’un portable. Reportons-nous aux temps de la Résistance. Aurait-elle été possible si Barbie avait disposé d’un relevé des conversations et des mouvements de chacun, ainsi que d’un fichier ADN de toute la population ?

Quand un participant au E-G8 a osé dire que la vie privée était un concept périmé, j’ai frémi. En pensant à chacun d’entre nous. En pensant aussi aux Chinois qui militent pour la liberté, dont le premier étage est le respect de la vie privée.

++++

Équilibre économique. La Chine donne toutes les apparences d’une croissance enviable, qui permet de disséminer partout des gains de pouvoir d’achat, inégaux mais effectifs. Si ce pays est devenu le premier marché mondial de l’automobile, devant les Etats-Unis, c’est bien parce qu’il y a une classe moyenne qui grandit en nombre et en revenu. Le commerce extérieur est moins excédentaire que par le passé mais continue à tirer l’expansion, avec la consommation et l’investissement qui fait de grands bonds en avant.

Côté croissance, pas de problème donc, si ce n’est qu’elle est trop forte plutôt que trop faible, comme c’est le cas en Europe. Le souci est double : l’inflation et le développement durable.

L’inflation dépasse 5%, ce qui est peu en apparence, mais elle se révèle subversive. Elle pèse sur le revenu des plus faibles, travailleurs nomades des villes et paysans pauvres des campagnes, qui voient à la télévision que d’autres, les sédentaires des villes, s’en sortent beaucoup mieux qu’eux.

Et, même au sein des villes, elle creuse un fossé entre la classe moyenne supérieure qui vit grand train (tout est relatif) et la classe moyenne inférieure des employés et techniciens qui ont de plus en plus de mal à trouver des loyers accessibles. L’inflation est dangereuse dans un pays non démocratique. D’où vient-elle ? Elle a trois origines.

La planche à billets a tourné à plein pour passer le creux de la crise occidentale de 2008-2010 : le crédit a coulé à flots à des taux ridiculement faibles. D’où un serrage de vis par la Banque Centrale mais, même en Chine, les banques locales n’obéissent pas au doigt et à l’œil, tant elles sont liées à des systèmes économiques régionaux qui mènent leur vie autonome.

Les importations de matières premières deviennent plus chères, qu’il s’agisse de l’énergie, des minerais, de l’alimentation. La Chine en est en grande partie responsable, avec sa sidérurgie la plus grande du monde, qui n’est pas particulièrement sobre. Elle pourrait réévaluer sa monnaie, mais elle n’y songe pas.

Et aussi, et surtout, les salaires augmentent ! Cela désole les importateurs américains de textiles et de chaussures « made in China ». Lire les jérémiades de Nike et consorts est du plus haut comique : la Chine est en train de tuer la poule aux œufs d’or : salaires de misère et technologie de pointe faisaient des profits mirifiques. Il est touchant de voir les capitalistes occidentaux rechercher frénétiquement des Chines de substitution au Bangladesh ou au Vietnam. Le néo-colonialisme n’est pas une activité de tout repos !

Pourquoi les salaires augmentent-ils en Chine ? Par la faute de Mister Lewis, un économiste américain, qui a expliqué, il y a plus d’un demi-siècle, que les salaires augmentent quand le surplus de main-d’œuvre s’épuise.

Tant qu’il y a plus de candidats ruraux à l’emploi urbain que de postes de travail disponibles dans les usines, les ouvriers peuvent être payés au salaire de subsistance (de quoi ne pas mourir de faim) avec un bonus pour justifier la migration. Les jeunes japonaises du textile de 1868 à 1960 et les jeunes chinois du même textile de 1979 à 2010 acceptaient ces conditions cruelles. Marx parlait d’une « armée de réserve » qui pesait sur les salaires.

Vient un moment où le réservoir rural s’épuise et où s’ouvre le choix entre un emploi modeste à la campagne et un poste rude à la ville côtière. Pour convaincre des Chinois de se déraciner et faire des centaines de kilomètres pour travailler dur et être mal hébergé, il faut relever les salaires ! CQFD. Merci, Arthur Lewis.

++++

La Chine a donc pris ce virage beaucoup plus vite que prévu, en raison d’une croissance rapide et aussi d’une politique efficace pour développer les industries de métropoles régionales qui retiennent désormais la main-d’œuvre locale.

La Chine n’est plus un pays émergent, c’est une grande puissance économique émergée, qui monte en gamme : adieu textile et chaussures des années 1990 et 2000, salut à l’automobile et aux autres biens de consommation durables des années 2010 et 2020, bon vent aux biens d’équipements qui seront les industries de la décennie 2030.

2030 ! C’est demain pour des Chinois qui ont la patience des héritiers d’une si longue histoire. Laissant de côté la question cruciale de la stabilité politique, la croissance chinoise peut-elle être soutenable jusque-là ? Y aura-t-il suffisamment d’énergie pour alimenter cette formidable chaudière ?

Le potentiel d’économies d’énergie est immense en Chine, si on la compare à son voisin japonais dont l’efficacité en la matière est sans commune mesure. Mais on ne peut imaginer vingt ans de croissance sans une certaine augmentation de la consommation de kilowattheures.

Sur les énergies renouvelables, la Chine met le paquet et dominera le monde en compagnie ou en rivalité avec l’Allemagne. La contribution du nucléaire sera de toute façon marginale, tant les besoins d’énergie sont immenses. Et les autorités se méfieront peut-être de protestations locales (la Mongolie intérieure vient de s’insurger à cause d’usines polluantes de terres rares).

Reste l’inconnue du charbon, dont ni la Chine ni de nombreux autres pays ne pourront se passer dans les décennies à venir. J’imagine une course de vitesse entre la Chine et l’Allemagne pour maîtriser la technologie d’enfouissement du gaz carbonique dans le sol de notre planète. On a sorti du gaz méthane de Lacq près de Pau. Pourquoi ne pas le remplacer par du brave CO2 ?

Je parle de Lacq en France. Il y a, hélas, peu de chance que la France soit en pointe dans les recherches sur les économies l’énergie, sur les énergies renouvelables, sur l’enfouissement du gaz carbonique, tant le pari monomaniaque sur le nucléaire du gouvernement actuel, de l’establishment EDF et de tant de notables politiques obère toute diversification.

Je fais partie du Conseil d’administration de l’École Supérieure de Physique et de Chimie Industrielle de Paris (ESPCI) qui produit, outre des prix Nobel, des étudiants audacieux ignorant les frontières entre les disciplines, entre la théorie et l’expérimentation. Nous avons le potentiel scientifique et industriel de rivaliser avec la Chine sur les nouvelles énergies. Ayons-en la volonté politique !

 

 

Depuis le conflit à Gaza, Pékin confirme son nationalisme antioccidental

[13 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Subjuguer Taiwan : les cinq options de coercition du parti communiste

[23 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Le Parti met en examen Terry Gou, candidat à la présidentielle taiwanaise

[26 octobre 2023] • La rédaction • Louis Montalte

L’impasse énergétique de Tsai Ing-wen

[11 septembre 2023] • Angelica Oung

Un expert japonais de la Chine explore les arrière-pensées stratégiques de Xi Jinping

[20 juillet 2023] • Jean-Paul Yacine