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›› Editorial

La cinquième modernisation

Le 5 mars, commentant les élections démocratiques organisées à Wukan les 3 et 4 mars derniers, Wang Yang, le Secrétaire Général de la province de Canton, qui s’exprimait en marge de la réunion annuelle de l’Assemblée Nationale Populaire, expliquait que l’événement n’avait rien d’extraordinaire. Il s’était en effet déroulé conformément à la constitution qui prévoit des élections villageoises.

Wang Yang ajoutait cependant que la vraie nouveauté était que le scrutin avait pleinement respecté la loi électorale. Disant cela, il faisait allusion à l’ambiguïté des élections des comités villageois, dont moins de 5% proposent des candidats multiples réellement indépendants, tandis que seulement 40% des scrutins sont organisés de manière satisfaisante avec de véritables compétitions politiques. (Voir notre article).

La démocratie aux caractéristiques chinoises.

La remarque lancée par l’un des responsables les plus influencés par les idées politiques libérales, promoteur des syndicats indépendants, partisan de l’intégration rapide des migrants, pourfendeur des corporatismes protégeant des intérêts particuliers et soucieux de la sincérité de la presse et de l’allègement du protocole formel de l’ANP, touche à l’une des plus immuables contradictions du système, habitué à ne pas respecter l’esprit de sa propre constitution, sous le prétexte toujours répété de la spécificité chinoise.

Ces paradoxes concernent systématiquement quelques uns des leviers essentiels de la démocratie, allant de l’organisation des élections villageoises à la liberté d’expression ou d’association, en passant par l’indépendance des juges et des syndicats. Ils évoquent aussi l’affabulation du pluralisme politique affiché en façade, mais en réalité maquillage du centralisme et du rôle dirigeant du PCC, sous le vocable du « Front uni ».

Ils sont enfin au cœur de la problématique tibétaine puisque les troubles prennent précisément racine dans le reniement par le Parti des accords signés en 1951. A cet égard, il n’est pas anodin de rappeler que, le 30 juillet 2009, le même Wang Yang expliquait, après les troubles graves au Tibet en 2008 et à Urumqi en 2009, que le pouvoir devrait réajuster sa politique des minorités « sous peine de nouveaux problèmes ».

Mais la route est encore longue et chaotique depuis les petites élections locales de Wukan jusqu’à la « 5e modernisation », réclamée dès 1978 sur les dazibaos du mur de la démocratie à Pékin par Wei Jingsheng, qui déjà dénonçait les réformes comme l’habillage trompeur de la dictature du Parti. La raison essentielle en est que la Chine en transition est toujours un état-parti, abrité derrière l’intangibilité de son système de gouvernement par le seul Parti Communiste.

S’il est vrai qu’aujourd’hui le discours politique chinois accepte la notion de démocratie, celle-ci est considérée non comme un absolu articulé autour des critères de séparation des pouvoirs et du multipartisme, mais comme un procédé politique destiné à améliorer la « gouvernance » et les rapports entre la société, l’état et le parti, à ce jour toujours confondus, en dépit des efforts du régime pour accréditer l’idée d’une séparation.

Résistances, défis et sollicitations.

Regardant en arrière l’histoire du mouvement démocratique en Chine après 1978, un moment matérialisé par le Parti Chinois pour la Démocratie, déclaré illégal en 1998, on constate en effet qu’il a constamment été tenu sous le boisseau et systématiquement réprimé, soit sous le prétexte récurrent de la spécificité chinoise et des risques de désordre social, soit par le truchement d’un discours régressif évoquant « la dictature populaire ».

Plus près de nous, les déclarations officielles autour du 60e anniversaire et des plénums du Comité Central qui l’ont suivi, ne se sont pas écartées de cette ligne. Tout en prônant la poursuite des réformes, elles ont fermement rejeté le multipartisme et la séparation des pouvoirs. La condamnation à 14 ans de prison de Liu Xiaobo, pourfendeur des scories du maoïsme et du parti unique, chantre de la liberté de parole et d’un état fédéral, s’inscrit dans cette ligne.

Aujourd’hui, l’épisode des élections modèles de Wukan après la mise à l’écart des cadres corrompus du village, cohabite avec une tendance du parti à isoler l’événement pour éviter la contagion politique. Réprimant des mouvements similaires de protestation dans la province de Canton et dans la région de Shenzhen, le parti adopte une tactique différenciée, jetant à l’occasion du lest, pour reprendre ailleurs une stratégie de suppression, emprisonnant les leaders et récompensant ceux qui, sous la pression des défis économiques quotidiens ou, par peur des représailles, finissent par rejoindre les rangs du pouvoir.

Pour autant, l’évolution politique de la Chine doit aussi être mise en perspective de l’environnement socio-économique du pays, aujourd’hui confronté, sous peine d’accident, au lourd défi d’un ajustement du schéma de développement, impossible sans une réforme politique capable d’écarter les obstacles corporatistes nourris par les enchevêtrements entre la politique et les affaires. Elle doit également être confrontée aux sollicitations de la lame de fond plaçant les exigences individuelles au-dessus de celles du groupe, arrière plan de l’évolution des sociétés du Monde depuis 1945.

Ces réalités présagent peut-être une rupture entre, d’une part, l’idéal de permanence d’un système qui, en dépit de sa souplesse et des capacités d’adaptation, peinera de plus en plus à résoudre les tensions économiques, sociales et politiques qui le traversent et, d’autre part, la réalité des évolutions portées par des forces à la fois internes et externes que les solutions totalisantes et centralisatrices ne parviendront plus à canaliser.
(Lire aussi).

Notes de contexte

Comités villageois.

Le principe de l’élection des comités villageois considérés comme des entités administratives pouvant se gouverner elles-mêmes a été inscrit dans la constitution en 1982. La loi sur l’organisation des scrutins a été promulguée en 1987. L’Assemblée Nationale Populaire l’a rendue permanente en 1998.

Les membres du Comité (3 à 7 personnes, avec un président et un vice-président) sont élus pour trois ans. Il n’y pas de limite aux nombres de mandats. Le Comité qui ne se réunit que quelques fois par an est en charge de toutes les questions liées à la vie du village (budget, services publics, résolution des conflits, sécurité publique, santé, économie). Il est responsable devant l’assemblée villageoise composée de 20 à 50 personnes. Dans près de la moitié des villages, le chef du parti communiste local est également le chef de village.

Le processus concerne près de 900 millions de Chinois. En dépit des difficultés, il constitue une expérience à forte valeur pédagogique qui s’inscrit en faux contre l’argument parfois évoqué d’une population trop arriérée pour voter. Mais, contrairement aux promesses de Wen Jiabao faites en 2009 et 2010, le Parti qui envisage seulement une démocratie interne étroitement pilotée par le centre, n’a pas l’intention d’étendre ces expériences aux échelons administratifs des districts et de préfectures.

Schéma de développement.

Confirmant les analyses de maints experts chinois le rapport de Banque Mondiale sur l’économie chinoise, intitulé Chine 2030, réalisé en coopération avec le Centre de recherches du Conseil des Affaires d’Etat a réitéré la nécessité de procéder à des réformes de structures dans les 20 prochaines années.

Globalement le document de 448 pages suggère à la Chine d’améliorer l’économie de marché, d’assouplir le système financier, de réformer le système fiscal, d’augmenter ses investissements dans le potentiel humain (éducation, santé), d’améliorer l’efficacité énergétique et les capacités high-tech, de rehausser l’efficacité de l’outil productif, tout en associant le public aux processus de réformes, en multipliant les indicateurs pour mesurer la situation sociale, l’impact des réformes et les performances des gouvernements locaux. Ces points ont été repris par le Premier Ministre lors de son rapport d’ouverture des travaux annuels de l’ANP.

A noter, page 65, un paragraphe intitulé « surmonter les obstacles aux réformes », qui identifie les corporatismes fortement liés au pouvoir comme les plus sérieux freins aux réformes. Le rapport précise que l’élimination de ces obstacles nécessitera détermination, courage et habileté politiques.

 

 

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