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›› Politique intérieure

Branle bas de combat au cœur du Parti

A quelques six mois du 18e Congrès, la situation politique de la Chine se décrypte toujours autour de deux réalités complémentaires.

1.- Le parti unique, qui n’envisage pas d’abandonner le pouvoir, est traversé par des tendances contradictoires, parfois violemment opposées et placées sous la pression de profonds changements de la société. Il en résulte une exigence d’évolution graduelle vers un système de démocratie interne, d’où est exclue toute contestation externe au Parti, mais que les tenants du schéma traditionnel de développement perçoivent comme menace.

2.- Une montée des tensions qui s’arc-boutent autour de la lutte pour le pouvoir et contre les avantages acquis et les prébendes de l’oligarchie, désignés par les réformateurs comme des obstacles à la modernisation. Les crispations provoquent d’importantes rivalités de personnes retranchées dans les alliances de clans et les fiefs de pouvoir et d’influence, que sont les administrations publiques, elles-mêmes connectées aux grands secteurs de l’économie.

La nature et les motivations des divisions au sein du Parti évoluent au fil du temps, mais reflètent de plus en plus la contradiction majeure d’un pouvoir confronté aux attentes de la société moderne, véhiculée par la société civile, la classe moyenne, les médias et les nouveaux moyens de communication – internet et réseaux sociaux. Dans ce contexte, le régime est à la fois contraint de s’ajuster pour moderniser le pays, et soucieux de ne pas fragiliser son magistère.

Un Parti à deux faces.

Initialement on pouvait distinguer, homothétique du schéma géographique de la modernisation née dans la partie orientale de la Chine, une faction « élitiste » centrée sur l’est du pays et une autre plus sociale, plus enracinée à l’intérieur. Les uns soucieux de modernisation et de progrès économiques, jugés indispensables pour maintenir la croissance ; les autres, attachés aux intérêts de l’intérieur, représentant les paysans, les travailleurs migrants et la classe des citadins pauvres.

De cette dichotomie entre les deux faces du même Parti - dont on voit bien que l’une est technique et attachée à la performance et l’autre centrée sur l’aspect humain, social et politique, avec, en arrière pensée pour les deux faces, la nécessité du contrôle de la société - sont nés des retranchements administratifs qui dessinent aussi des querelles de personnes et de pouvoir. Les uns proches des ministères des finances, de la Banque de Chine, de l’industrie et du commerce, les autres de la Commission pour la Recherche et Développement, de l’appareil de sécurité, du renseignement, du département de la propagande, de la police et de l’armée.

Mais cette division politique classique au sein du Parti Communiste apparaît aujourd’hui perturbée par l’émergence, depuis le début des années 2000, d’une pensée réformatrice plus politique se superposant à l’ancienne vision d’une réforme technique, économique, financière et industrielle, dont les tenants, qui mettaient aussi l’accent sur l’éducation et la R&D, avaient été Jiang Zemin et Zhu Rongji, prédécesseurs de l’actuelle équipe.

Depuis 2007 est également apparu un mouvement néo-maoïste, aujourd’hui affaibli par l’éviction de Bo Xilai. Surgeon extrémiste de la faction populiste, il se nourrit des considérables injustices de la société et propose de les réduire, non pas par une réforme politique moderne, mais par le retour à une redistribution des revenus primaires, grâce à un système idéalisé de cogestion socio-économique, dont l’expérience de Chongqing prétendait être un exemple, mais a en réalité abouti à une forte aggravation de la corruption de l’oligarchie.

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Les réformes politiques clés de la modernisation.

Les réformateurs appuyés par la Ligue de la Jeunesse, dont est issu l’actuel Secrétaire Général, n’avaient à l’origine pas vocation à s’opposer à l’une ou l’autre des factions. Leur objectif étaient au contraire d’en assurer la synthèse au travers des concepts de « développement harmonieux » et de « développement scientifique », qui entendaient introduire à la fois plus de rationalité et plus d’équité dans la modernisation du pays.

Mais les attaques dont ils furent l’objet les conduisirent à éliminer leurs plus sérieux opposants d’abord de la faction élitiste, puis récemment ceux du clan néo-maoïste.

En 2006, une année avant le 17e Congrès, ils ont brutalement écarté le Secrétaire Général de la métropole économique de Shanghai, Chen Liangyu, condamné à 18 ans de prison pour corruption et abus de pouvoir. Ce dernier avait alors été remplacé par Xi Jinping, venant du clan des « fils de princes – Taizi - », un autre pôle de pouvoir dont l’influence est parfois affaiblie par la réputation de parvenus collant à l’image de ces enfants de l’aristocratie maoïste. L’épisode Shanghai n’en avait pas moins été la dernière étape du parcours de Xi Jinping vers le pouvoir suprême.

En mars 2012, la charge des réformateurs éliminait Bo Xilai, principale figure de la faction néo-maoïste, dont la disparition, secoue le Parti, mais a l’avantage de clarifier le paysage politique et de faciliter l’action des réformateurs dans un contexte où il devient urgent de réajuster le schéma de développement du pays.

Aujourd’hui la crise économique globale révèle en effet à la fois les limites de la mondialisation, dont le système chinois a beaucoup profité, et la nécessité impérieuse non seulement de répondre aux attentes de la société chinoise en voie d’urbanisation rapide, mais également de réduire la dépendance de l’économie à l’export et à l’investissement public, ce dernier injecté dans l’économie au détriment des obligations sociales de l’état.

L’urgence conduit une partie des responsables à faire la promotion, parfois de manière alarmiste, de réformes politiques jugées indispensables pour bousculer les freins aux réformes et à désigner, de plus en plus clairement, les obstacles au changement, identifiés, dans de nombreux écrits officiels, comme les « défenseurs égoïstes des intérêts acquis ».

Dès lors, surgit au sein même du sérail, véhiculée par Wen Jiabao, Li Keqiang, son successeur, et Wang Yang, le Secrétaire Général de la province de Canton, appuyée par des chercheurs, avocats et journalistes, une vision politique visant à promouvoir en Chine les principaux marqueurs de la démocratie à l’occidentale, en dehors du multipartisme, que sont des élections libres ailleurs que dans les villages, l’indépendance de la justice et le contrôle des politiques publiques par les assemblées.

Il faut alors admettre que se construit un mouvement d’une nature nouvelle, puisqu’il surgit de l’intérieur même du Parti et qu’il y survit. Echappant aux clivages traditionnels, auxquels il se superpose, il est porté par un sentiment d’urgence, encore exacerbé par le ralentissement de l’économie, la stagnation des réserves de change et les premiers signes d’une baisse des excédents courants.

Poussé au bout de sa logique, il porte en lui une menace directe pour les prébendes et les intérêts acquis, qu’il vise expressément. Cette réalité fonde les analyses qui anticipent de sévères batailles de personnes et de factions.

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Bousculer les conservatismes. Ménager le Parti. Xi Jinping et Hu Jintao en première ligne.

Evidemment rien ne dit que la tendance nouvelle constitue les prémisses d’une marche vers un système démocratique à l’occidentale, et encore moins vers le multipartisme. Tout indique en effet que le Régime tente de mettre en place une « démocratie aux caractéristiques chinoises », augmentant les débats internes, élargissant le scope des élections compétitives avec plus de candidats que de postes - Cha’e Xuanju 差额选举 - et accordant un rôle de contrôle accru aux assemblées locales, sans cependant remettre en cause le « rôle dirigeant du Parti ».

En revanche, ce dernier semble se mettre en ordre de bataille pour affaiblir les citadelles qui protègent les intérêts acquis et les prébendes. L’offensive est menée à partir de la tête du gouvernement, avec l’appui de Wen Jiabao, Li Keqiang son successeur, Wang Yang, le Secrétaire Général de Canton et de Liu He, n°2 du Centre de Recherche du Conseil des Affaires d’Etat, ayant rang de ministre et cosignataire du rapport Chine 2030, préparé avec la Banque Mondiale.

Cette mouvance, fermement décidée à réformer les entreprises publiques en dépit des blocages conservateurs, reçoit l’appui de la Banque de Chine, ainsi que des ministères de la santé et de l’éducation.

Mais, forcée d’affronter des intérêts retranchés derrière la Commission de Surveillance et d’administration des Actifs Publics (SASAC), le complexe militaro-industriel et la mouvance très conservatrice regroupée autour de Zhou Yongkang, elle aura fort à faire pour répondre au défi posé par la nécessité de l’ouverture politique.

C’est Wen Jiabao qui a récemment le plus clairement exprimé les enjeux, quand, lors de la dernière session de l’ANP, en mars dernier, il appelait à « promouvoir à la fois les réformes économiques et politiques, notamment au sein de la direction du Régime », conditions indispensable, ajoutait-il, de la solution des problèmes de la société chinoise et du réajustement des structures industrielles. Sans quoi, prévenait-il, la Chine pouvait de perdre les bénéfices des trente années de croissance rapide, et courrait le risque d’une nouvelle « révolution culturelle », allusion à l’affaire Bo Xilai qui lui fut reprochée.

Dans ce paysage où s’entrecroisent les rivalités d’intérêts et les ambitions politiques, le Secrétaire Général désigné Xi Jinping s’est déjà exprimé en appui des réformes et, sans surprises, pour conforter l’unité du Parti. A l’automne dernier, pendant la procédure de préparation du 12e Plan, il avait été l’auteur d’une série de suggestions au Parti recommandant de procéder à des « réformes de grande ampleur, globales et coordonnées par le pouvoir central », dans lesquelles Barry Naughton (China Leadership Monitor N°37, mai 2012), voit la main de Liu He (54 ans).

Spécialiste de macro économie, des structures industrielles et des techniques de l’information, formé à Harvard et à l’Université du Peuple. Aujourd’hui, n°2, avec rang de ministre, du Centre de recherche du Conseil des Affaires d’État, Lie He fut la cheville ouvrière chinoise du rapport « China 2030 » de la Banque Mondiale.

Ce dernier comporte une attaque directe contre les obstacles aux réformes, identifiés comme « des groupes, qui profitent de rentes de situations découlant de leurs relations privilégiées avec les décideurs politiques et protègeront résolument leurs intérêts grâce à leur pouvoir, leurs ressources et leurs connexions. » (p.65 su rapport).

Futur n°1, naturellement soucieux de la cohésion du Parti, Xi Jinping a, au moment de la destitution de Bo Xilai, publié un article dans le magazine Qiushi, insistant sur la nécessité pour les cadres de faire abstraction de leurs intérêts personnels et de se soumettre au consensus pour le bien commun. Démarqué d’un discours qu’il avait fait à l’Ecole du Parti, le texte de l’article est devenu un objet d’étude pour l’ensemble des cadres, ayant pour but de désamorcer l’impact de la purge du Secrétaire Général de Chongqing.

Tel est le contexte qui préside aux luttes de pouvoir en amont du Congrès. Un parti qui resserre les rangs après la secousse Bo Xilai et tente de se mettre en ordre de bataille pour lancer des réformes cruciales, en dépit des factions favorables au statuquo, que les réformateurs accusent de vouloir protéger leurs intérêts acquis et leurs prébendes. C’est aussi sous cet angle qu’il convient d’analyser les rumeurs qui courent depuis mai sur un possible report de la date du Congrès et les intentions du Secrétaire Général sortant de réduire à 7 l’effectif des membres du Comité Permanent du Bureau Politique.

Après avoir éliminé l’hypothèque populiste Bo Xilai à Chongqing, sérieux obstacle sur la route de la modernisation du Parti, Hu Jintao et son successeur, qui ne semblent pas nourrir de différends majeurs, pourraient vouloir resserrer la structure de décision suprême en prévision des batailles qui s’annoncent.

Rien ne dit qu’ils parviendront à leurs fins contre ceux qui, précisément, entendent bien faire valoir leur voix pour freiner les réformes ou les bloquer. Ces derniers proposent au contraire de faire passer le nombre de membres du Comité Permanent de 9 à 11 membres.

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Batailles pour la Commission Militaire Centrale.

L’APL n’est pas un faiseur de roi en Chine. Mais ses priorités nationalistes, ses références patriotiques et son rôle de dernier recours en cas de dérapage de sécurité interne provoqué par la lutte de factions en font la cible des convoitises politiques dans le processus de succession. L’armée, en effet, constituerait une position de repli en cas de crise politique majeure et, éventuellement, une solide base de contre attaque pour reprendre le contrôle d’une situation chaotique.

En mars dernier, des rumeurs avaient couru d’une possible collusion de Zhou Yongkang, n°9 du Comité Permanent, Président de la Commission des Affaires juridiques du Parti, avec des éléments militaires en vue d’un coup de force destiné à stopper les attaques du Parti contre Bo Xilai, avec l’appui de la mouvance néo-maoïste. Mais, le 27 mars dernier, se référant au rôle de l’armée, soutien à la stabilité politique du pays et réagissant aux rumeurs, le quotidien de l’APL publiait un article réaffirmant l’allégeance des militaires au Président Hu Jintao, n°1 de la CMC.

Voulant à la fois parer au risque de militarisation du régime et tirer profit d’une situation qui confère à la fois recul et influence, dans une tradition où les anciens restent longtemps des pôles d’attraction et de rayonnement, Jiang Zemin avait conservé le poste de n°1 de la CMC encore deux années après l’avènement de Hu Jintao. Il agissait ainsi à l’instar de Deng Xiaoping, longtemps resté à la tête de la Commission Militaire Centrale sans autre fonction officielle.

Dans ce contexte, la vingtaine de chefs militaires proposables pour occuper les 7 postes de la CMC qui se libèrent cette année ont commencé à réajuster leurs positions pour se rapprocher de la future direction du Parti, tandis qu’il est possible que Hu Jintao restera, pour un temps encore, le n°1 de la CMC. Enfin, la destitution de Bo Xilai a mis en difficulté ceux des généraux qui lui étaient proches, dont certains sont déjà éliminés, tandis que d’autres tentent de tirer partie de l’appel d’air créé par le départ des disgraciés.

Cheng Li, l’un des meilleurs experts des luttes politiques internes au Parti, originaire de Shanghai, émigré aux Etats-Unis en 1985, Docteur en Sciences Politiques, a récemment identifié quelques unes de ces figures de l’APL, futurs chefs des armées chinoises, ou victimes des luttes de pouvoir. Les premières cibles semblent être les généraux « fils de prince » (Taizi), fragilisés par les errements de Bo Xilai, fils de Bo Yibo. Leur destin est cependant tenu en balance du fait que le futur Secrétaire Général est lui-même issu de cette lignée.

Sur la sellette Zhang Haiyang, Commissaire politique de la 2e Artillerie (Forces nucléaires stratégiques), dont la famille, proche de Bo Xilai, avait des intérêts d’affaires à Chongqing qui profitèrent de la campagne très discriminée de l’ancien SG contre les mafias. Le général Zhang Youxia, Commandant la région militaire de Shenyang, candidat pour la CMC est également accusé d’avoir évolué dans la mouvance de la famille Bo.

En revanche Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi, et n°2 du Département de logistique de l’Etat-major général, connu pour son nationalisme radical, qui s’est récemment signalé par la dénonciation pour corruption du Général Gu Junshan, son Commissaire politique, pourrait être épargné, en dépit de ses prises de position très proche des néo-maoïstes, car il a habilement réussi à se ménager l’appui de Xi Jinping, lui-même « fils de prince » (Lire nos notes sur le néo-maoïsme de Liu Yuan).

Liu a également vertement dénoncé la corruption massive, le clientélisme et la vente des charges, au sein de l’APL, dont l’ampleur affaiblit jusqu’à la capacité opérationnelle des armées chinoises. Le 29 décembre 2011, lors d’une adresse à 600 officiers de son département il avait asséné : « aucun pays ne peut battre militairement la Chine, mais votre corruption peut conduire l’APL à la défaite sans combattre ».

Le malaise installé dans l’armée par la brutale offensive anticorruption de Liu Yuan que certains traitent de fou illuminé, l’accusant d’être sans expérience militaire réelle (il n’est dans l’armée que depuis une dizaine d’années), constituera un autre grand défi à relever par le nouveau Secrétaire Général. La réalité est que le pouvoir et les privilèges de l’APL dans le système politique chinois et la société, constituent un terreau favorable à la perpétuation des pratiques corrompues. Tandis que le nouveau secrétaire général du Parti hésitera peut-être à attaquer de front la forteresse militaire.

D’autres fils de prince, comme l’amiral Liu Xiaojiang, commissaire politique de la marine, gendre du libéral Hu Yaobang, Secrétaire Général du Parti démis en 1987 par Deng Xiaoping, ou le Général Liu Yazhou, commissaire politique de l’Université de la Défense nationale, gendre de l’ancien président de la République Li Xiannian, qui s’est signalé en 2010 par ces critiques acerbes du fonctionnement du Parti, ont de meilleures chances d’entrer à la CMC. Voir notre article « Le Parti est-il prêt pour une plus grande ouverture politique ? ».

 

 

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