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›› Chronique

Hong-Kong. Ambiguïté et contradictions des « deux systèmes. »

A mesure que le temps passe et que s’approchent les échéances démocratiques auxquelles les Hong-Kongais se sont désormais attachés, notamment celle de l’élection du « Chief Executive » au suffrage universel dont Pékin a évoqué la mise en œuvre en 2017, apparaissent des signes de fracture dans le montage institutionnel « d’un pays deux systèmes ». En même temps, montent les craintes que la transition démocratique, si elle a lieu, sera, quoi qu’il arrive, manipulée par le gouvernement de Pékin et la mouvance des hommes d’affaires qui le soutient.

Lors du 15e anniversaire de la rétrocession, le 1er juillet, coïncidant avec l’intronisation du nouveau Gouverneur Leung Chun-ying (58 ans), candidat de rattrapage imposé par Pékin, élu au suffrage censitaire dans la controverse et la méfiance en mars 2012, la visite du Président Hu Jintao a été le théâtre de contestations, jusque là inédites en présence du Secrétaire Général du Parti. Une manifestation regroupant plusieurs dizaines de milliers de personnes – probablement entre 100 000 et 120 000 - dans le quartier de Central a, durant toute l’après-midi et jusque tard dans la nuit, réclamé plus de démocratie et exprimé la colère des Hongkongais contre Pékin et son choix impopulaire.

Les téléspectateurs chinois des télévisions publiques, qui n’eurent droit qu’à la retransmission des cérémonies officielles réglées comme du papier à musique et aux images du grandiose feu d’artifice de clôture au-dessus de la baie, n’auront certes pas pu mesurer le fossé entre ces deux aspects d’une situation de plus en plus fortement contrastée.

Le premier, gouvernemental et protocolaire, préservant le mythe de deux systèmes politiques séparés, mais aux relations harmonieuses ; l’autre, populaire montrant une foule pacifique et bon enfant, mais alarmée par la dégradation de ses conditions de vie et la hausse du foncier, exaspérée par le fossé grandissant entre ses revenus et ceux de l’oligarchie, et de plus en plus indignée par la perpétuation du modèle politique élitiste et affairiste si peu différent de celui de la règle britannique, où le peuple n’a jamais eu la parole.

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« Un pays 2 systèmes », un arrangement au profit du « business. »

Concocté par Londres et Pékin, appuyé par l’oligarchie des affaires qui leur étaient inféodé, à la fois pour protéger la Région Administrative Spéciale d’une marée d’immigrants du Continent attirés par la différence de niveau de vie et sauvegarder sa réputation du droit des affaires et d’une société civile dynamique, relativement plus libre, l’arrangement hybride insolite, imaginé par Zhou Enlai et qui existait déjà dans la constitution chinoise pour la question taïwanaise, devait garantir que Hong Kong serait géré par ses résidents.

Selon la Loi Fondamentale - « Basic Law » -, la constitution locale élaborée après la déclaration conjointe sino-britannique de 1984, approuvée par l’Assemblée Nationale Populaire chinoise en mars 1990, Pékin n’interviendrait pas dans les affaires de l’ancienne colonie, excepté dans les relations internationales, la défense et les questions impliquant la sécurité de la Chine.

Il reste qu’examiné dans le détail, le poids politique de Pékin est considérable. La Chine peut en effet, à tout moment, abroger les lois de la RAS, (article 159 de la Loi), tandis que le « Chief Executive » et les membres du Conseil Législatif sont, à ce jour, toujours choisis selon des critères imposés par Pékin et relayés par la mouvance des affaires.

Plus encore, s’il est vrai que la Loi prévoit dans ses articles 45 et 68 que le « but ultime » est l’élection du Chief Executive et du Conseil Législatif au suffrage universel direct, les conditions de cette démocratisation restent strictement contrôlées. Les mêmes articles précisent en effet que « les dispositions destinées à désigner le Gouverneur seront arrêtées en fonction de la situation réelle à Hong Kong, et dans le cadre d’un processus ordonné et graduel ».

L’espoir d’une évolution démocratique, que la population prend de plus en plus au sérieux, est donc forcément tempéré par le réalisme inflexible des textes qui, en dernière analyse, donnent toute latitude à Pékin pour bloquer les réformes politiques, impossibles à mettre en œuvre sans l’accord de l’Assemblée Nationale Populaire chinoise.

Il faut se rendre à l’évidence, l’autonomie inscrite dans la loi ne permet pas à la Région Administrative Spéciale de modifier elle-même son système politique. Au demeurant, depuis 1997, Pékin a plusieurs fois montré sa tendance à peser lourdement sur Hong Kong. Le plus souvent pour réduire la liberté d’expression.

La main lourde de Pékin, face à l’inexorable désir de démocratie.

Une première crise, discrète et feutrée, se traduisit par la démission, en avril 2001, d’Anson Chan, la très respectée Secrétaire Générale de l’administration qui s’insurgeait contre les constantes interventions de Pékin pour limiter la liberté d’expression.

En avril 2000, elle fit un discours de 4 heures, pour souligner l’importance de la liberté de la presse, en réponse aux propositions de Wang Fengchao, directeur adjoint du bureau de liaison chinois à Hong Kong, de limiter la liberté d’expression par l’Article 23, visant à « protéger la Chine contre les actes de trahison et de subversion ».

L’échange marquait l’apogée d’une querelle commencée en 1999 lorsque la Radio Télévision de Hong Kong produisait une émission discutant librement des relations de la Chine avec Taïwan, une initiative défendue par Anson Chan, mais placée sous le feu des critiques officielles chinoises à Hong Kong et Pékin. La deuxième crise fut violente et aboutit, deux années après son déclenchement, à la relève en 2005 par Pékin, du premier Chef de l’exécutif Tung Chee Hwa nommé en 1997.

La controverse de 2003 avait elle aussi pour objet l’Article 23 sur la sécurité, inacceptable pour la majorité des Hongkongais. Ces derniers descendirent en masse dans la rue pour dénoncer les menaces contre la liberté de presse et d’information. Le calibrage serré de la Loi Fondamentale et les harcèlements de Pékin contre la liberté d’expression sur certains sujets jugés sensibles, n’augurent donc pas d’un avenir démocratique radieux pour la RAS.

Pour autant, les nouveaux moyens de communication aidant, ajoutés à la promesse démocratique formellement inscrite dans la « Basic Law », l’évolution des mentalités, la naissance d’une classe moyenne de plus en plus exigeante, l’activisme des mouvements démocratiques, dont certains expriment une position radicale, la peur de Pékin de brouiller son image à Hong Kong qui reste le laboratoire de la réunification avec Taïwan, ont contribué à déclencher un mouvement de plus en plus difficile à contrôler.

Dans ce schéma, qui mêle attentes sociales et exigences politiques, le Parti est d’autant moins à l’aise que son dernier poulain accusé d’être une de ses marionnettes, est aujourd’hui l’objet des mêmes soupçons de corruption immobilière qui avaient écarté son rival en mars dernier. Une contingence néfaste dans le voisinage de la Chine, elle-même traversée par une sévère crise éthique de son système politique, à l’égard duquel les frustrations économiques et sociales aidant, une partie de la population de la RAS commence à éprouver un rejet.

Le tout dessine une situation politique en passe de se crisper sérieusement, marquée par la tension entre les réticences de Pékin, confortées par la Loi Fondamentale, qui lui donne toute latitude pour freiner les avancées démocratiques et les espoirs frustrés des Hongkongais, de moins en moins prêts à accepter des dirigeants choisis par d’autres, membres de l’oligarchie affairiste, elle-même étroitement connectée au pouvoir chinois.

En 2007, en réponse à une requête du Chef de l’exécutif Donal Tsang, le Comité Permanent de l’ANP à Pékin avait accepté d’envisager le suffrage universel pour l’élection du Gouverneur en 2017 et en 2020 pour celle du Conseil Législatif (Legco). Mais à Hong Kong, les militants démocrates font remarquer que Pékin doit clarifier les procédures de nomination des candidats. Enfin, l’article 45 de la Loi Fondamentale confère à Pékin « un droit de nomination ».

En effet dans l’éventualité, pour l’heure improbable, de l’élection d’un candidat contraire au choix du Parti, ce dernier peut, selon l’Art 45 de la Loi, purement et simplement refuser de le nommer. Mais on voit bien que cette toute puissance est contrebalancée par la perspective du déficit d’image catastrophique qui en résulterait pour le Parti, notamment face à l’opinion publique à Taïwan où la jeune et très turbulente démocratie est très attachée au respect du jugement des urnes.

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Note de contexte.

La démocratie n’a jamais été le souci n°1 de la règle britannique à Hong Kong. Ce n’est que dans les dernières années avant la rétrocession que le gouverneur Chris Patten, qui n’était pas un diplomatique et dont tout le monde loue le caractère extraverti et le double souci des hommes et de la connaissance exacte des situations, a, au grand dam de Pékin, modifié le système électoral pour donner au vote populaire plus d’impact dans la gestion du territoire.

Une machine économique et commerciale.

Au temps de la Couronne, le gouvernement de la colonie était assuré par une structure triple. Le législatif n’était pas élu, mais nommé par le Gouverneur, qui, en liaison avec Londres, désignait un appareil judiciaire, dont il faut souligner qu’il était plutôt indépendant, ce qui, après les années 70, fit l’efficacité du territoire et constitua la base de la confiance des affaires. Quant au Conseil Exécutif, il était, c’est le cas encore aujourd’hui, l’expression de la mouvance des patrons et actionnaires des sociétés industrielles et commerciales.

Il en résulte que le Territoire était administré et piloté comme un grand groupe où, de surcroît, à l’intérieur, ainsi que dans les relations avec l’extérieur, prévalait la culture chinoise de l’influence et des relations (guanxi) pouvant très facilement devenir des groupes de pression. Le pouvoir britannique était propriétaire du foncier, contrôlait le marché financier par les taxes et l’immobilier dont il fixait les prix. Cette situation perdure aujourd’hui. Elle n’est pas sans lien avec les déboires de la classe politique accusée de corruption.

Effet de l’irruption de l’opinion publique et de la nouvelle conscience politique du peuple, véhiculée par les moyens de communication et d’information modernes échappant à la censure et aux institutions, le nouvel environnement sociopolitique qui scrute la fortune et le comportement de l’oligarchie, est à l’origine des scandales qui frappèrent le rival de Leung, intronisé par Hu Jintao, le 1er juillet et éclaboussèrent récemment Leung lui-même, également accusé de corruption immobilière.

Sur le plan social, il est juste de dire que la fortune de Hong Kong, qui doit beaucoup à un droit des affaires rigoureux, s’est aussi construite grâce au travail intensif faiblement rémunéré des Hongkongais, descendant des immigrés chinois, d’abord accueillis à bras ouverts, puis repoussés dès que se fit sentir, dans les années 60, le besoin de monter en gamme qualitative. Pendant toute la période de la guerre froide, l’instrumentalisation de la peur du communisme contribua à justifier l’interdiction par Londres des syndicats et le contrôle de l’information.

Pékin et le défi de la démocratie.

Cet ordre efficace au profit des affaires et de l’oligarchie qui convenait assez bien à Pékin et avait été amendé à la marge après 1984, fut bousculé par Chris Patten, le dernier gouverneur de la colonie, qui s’appliqua à augmenter le poids du vote populaire dans la désignation du Conseil Législatif et du Gouverneur, en modifiant la carte électorale et en élargissant la définition des circonscriptions électorales.

L’initiative fut vertement critiquée par certains journaux chinois sur un ton qui rappelait les pires heures de la révolution culturelle et par la mouvance des affaires à Hong Kong qui y voyait une menace contre son influence.

A Hong Kong la popularité de Chris Patten grandit en même temps que les critiques de Pékin et de l’oligarchie se faisaient plus acerbes contre lui. Il n’est pas exagéré de dire que son initiative joua un rôle important dans le développement de la conscience démocratique à HongKong.

La prochaine élection du Conseil Législatif aura lieu en septembre 2012. Désormais 70 sièges seront à pourvoir (10 de plus que précédemment, depuis la réforme de 2010, acceptée par l’ANP), dont 35 seront élus dans les circonscriptions à découpage géographique au suffrage direct, et 35 autres dans des circonscriptions dites socioprofessionnelles, dont les tenants seront en majorité sélectionnés par des groupes d’intérêt proches de l’oligarchie.

Dans un contexte où le système électoral très complexe est fortement critiqué - certains juristes considérant même qu’il ne respecte pas la Convention des NU sur les droits civiques et politiques – tandis que d’autres mettent en garde contre l’érosion constante des libertés, y compris par une tendance grandissante à l’autocensure, l’alliance démocratique est fortement divisée entre les tenants du dialogue avec Pékin et ceux partisans d’une action plus radicale.

Face à cette paralysie de l’opposition, une nouvelle donne se fait jour : la rue a compris que, par ses protestations, elle est de plus en plus en mesure d’exercer une pression sur le pouvoir à Pékin, qui, pour des raisons d’image et d’efficacité politique, hésite à alourdir la répression. Celle-ci aurait comme premier effet psychologique et économique catastrophique de provoquer l’exode des résidents déjà titulaires de passeports étrangers, en majorité canadiens, dont le nombre dépasse le million.

Elle ruinerait pour longtemps les espoirs de Pékin d’une réunification avec Taïwan selon le schéma « un pays deux systèmes », même amendé. Enfin, à l’intérieur, elle enverrait un signal très négatif à la classe moyenne, aux intellectuels, avocats et journalistes, dont les attentes pour une « gouvernance » plus sophistiquée ne cessent de croître.

 

 

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