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›› Politique intérieure

Congrès du Parti. Ruades militaires et perspectives pour la CMC

Le Parti commande à l’Armée.

Il est vrai que l’Armée Populaire de Libération fut le plus important acteur de l’épopée maoïste. Nombre de ses généraux occupèrent de très hautes fonctions y compris à la tête de l’état, depuis Zhu De (1975 – 1976) jusqu’à Yang Shankkun (1988 – 1993), en passant par Ye Jianying (1978) et Li Xiannian (1983 – 1988). Pendant longtemps, son influence interférait dans la sélection des élites politiques.

Mao connaissait bien ce pouvoir et s’en méfiait. « Le pouvoir est au bout du fusil » répétait-il, lors de la guérilla contre le Japon en 1938. Mais, fidèle aux préceptes communistes, il veilla toujours à être du bon côté de la crosse et à encadrer l’APL par des commissaires politiques. Les généraux Peng De Huai et Lin Biao avaient contesté son pouvoir. Le premier fut brutalement purgé et le deuxième a trouvé la mort dans un accident d’avion trouble alors qu’il prenait la fuite vers l’URSS.

Aujourd’hui ces rivalités paraissent éteintes à la suite d’un long processus de normalisation, marqué par la professionnalisation qui rapproche la hiérarchie de la technique et de la tactique en l’éloignant de la politique. A quoi s’ajoutent l’abandon partiel de l’affairisme, compensé par l’augmentation très sensible des budgets, et le clivage grandissant entre les élites civiles et militaires.

Jusqu’à ce jour, hormis quelques exemples d’insubordination, vite mises sous le boisseau lors de la répression de Tian An Men en 1989, toutes les prédictions ou analyses qui spéculaient sur le retour du poids de l’APL dans l’équilibre politique interne ne se sont pas vraiment matérialisées.

Effervescences nouvelles.

Pourtant, alors que le pouvoir politique donne quelques signes d’hésitation, sinon d’affaiblissement, nombre d’analyses attribuent à l’APL un rôle accru à la fois en politique intérieure et dans l’élaboration des stratégies extérieures.

De fait, depuis 2008, la Chine a durci ses positions dans son environnement proche, vis-à-vis du Vietnam, des Philippines, de l’Inde et du Japon. A l’intérieur de l’APL apparaissent quelques rares figures, mais dont la voix porte, pour dénoncer les scléroses, les clientélismes et la corruption, non seulement au sein de l’armée, mais également dans le fonctionnement du Régime.

De proche en proche, avec les spéculations sur l’influence grandissante des militaires, resurgit l’interrogation existentielle sur le degré de fidélité de l’APL au Parti. Répondre à cette question, qui touche au fondement même du Régime, est une entreprise complexe, compte tenu de l’opacité du système et de la sensibilité du sujet. Il y faudrait une longue enquête effectuée au cœur même des unités.

Mais le fait est qu’au printemps dernier, en pleine affaire Bo Xilai, le Quotidien de l’Armée mettait en garde contre la sensibilité de la période en amont du 18e Congrès et stigmatisait les idées occidentales qui prônent « les trois erreurs » que sont la « séparation » entre le Parti et l’Armée, la « dépolitisation » de l’APL et de sa « nationalisation. » Ces idées courent cependant dans les plus hautes sphères de la hiérarchie militaire.

Tel est le contexte plutôt tendu qui a entouré la nomination, en juillet dernier, par la Commission Militaire Centrale de 6 nouveaux généraux, dont l’un, Liu Yazhou, très atypique, s’exprime abondamment et de manière très critique sur des questions politiques, rompant régulièrement les habitudes de grande discrétion des chefs militaires.

A côté de ces prises de position parfois clairement iconoclastes d’un officier général qui vient pourtant d’être promu au plus haut grade de l’APL, quelques indiscrétions ont aussi révélé une violente rancœur visant directement le Secrétaire Général Hu Jintao, de la part d’un plus hauts responsables de l’Etat-major général, connu pour ses idées prônant une prise de distance des militaires vis-à-vis du Parti.

L’analyse évoque aussi le fils de Liu Shaoqi le Général Liu Yuan, promu en 2009, qui fait beaucoup parler de lui, à la fois par ses prises de position politiques très iconoclastes, son nationalisme anti américain exacerbé, sa ferveur pour l’élimination de la corruption et sa proximité avec le futur secrétaire général.

Enfin, la revue d’effectifs se termine par un inventaire de quelques candidats possibles pour la prochaine Commission Militaire Centrale.

La Commission Militaire Centrale en attente de sang neuf.

Cinq des généraux de la CMC sont âgés de 68 ans et plus. Parmi eux, se trouvent les titulaires de 4 postes clés de la Défense : le premier Vice-président de la CMC et plus haut gradé de l’APL, Guo Boxiong 70 ans, membre du Bureau Politique, officier des forces, ancien commandant des Régions Militaires (RM) de Pékin et Lanzhou, le Ministre de la défense, Liang Guanglie, 72 ans, officier des forces, ancien chef de l’état-major général, le Chef de l’Etat-major général, Chen Bingde, 71 ans, officier des forces, ancien commandant de la RM de Jinan, et Xu Caihou, Commissaire politique de l’APL, membre du Bureau Politique, 69 ans.

Auxquels il faut ajouter les généraux Jing Zhiyuan 68 ans, commandant la 2e artillerie, Li Jinnai, 70 ans, directeur du département général politique, Liao Xilong, 72 ans, responsable de la logistique.

Wu Shengli, commandant la marine, 67 ans, Chang Wanquan, chef du Département de l’armement, 63 ans, et Xu Qiliang, commandant l’armée de l’air, 62 ans pourraient être maintenus à la CMC. Parmi eux, le Général Wu Shengli, le plus âgé des trois, pourrait prendre le poste de Ministre de la défense. Le 18e Congrès verra donc un profond remaniement de la haute hiérarchie militaire, avec les départs à la retraite d’au moins 7 généraux sur 10.

Mais la relève dans les armées n’est pas plus apaisée que celle de la classe politique. Elle est en effet placée sous la pression de plusieurs controverses qui touchent à la corruption, au népotisme, à la gestion non transparente des ressources humaines ainsi qu’à la question ultra sensible de la séparation du Parti et de l’armée.

Quand, en juillet dernier, le Parti a promu 6 généraux trois étoiles, le rang le plus élevé de l’APL, dont 5 commissaires politiques et un officier général des forces, chacun savait que les chances des heureux élus d’accéder à la CMC étaient minces. Le seul remplissant les critères serait le général Tian Xiusi, 田修思, 62 ans, depuis 2009 commissaire politique de la Région Militaire de Chengdu et membre du Comité Central depuis 2007.

Mais le tableau d’avancement ayant sélectionné le Général Liu Yazhou, un des officiers les plus volubiles en analyses politiques, catalogué comme un libéral convaincu, force est de constater que les sujets de la bonne gestion des ressources, la controverse sur la séparation du Parti et de l’armée et les débats sur la démocratie, non seulement dans les armées mais également au Parti, sont revenus au premier plan.

La grogne des officiers des forces, dont certains prônent le concept d’une armée, non plus inféodée au Parti, mais à la Nation, s’est peut-être exprimée lors d’un l’incident survenu au moment d’un banquet en août dernier, en présence du Secrétaire Général Hu Jintao, également n°1 de la CMC.

A cette occasion, le Général Zhang Qinsheng, 64 ans, membre du Comité Central, ancien commandant de la région militaire de Canton, n°2 de l’Etat-major général, responsable de l’instruction et des opérations, promu trois étoiles en 2010, aurait « sous l’empire de la boisson », violemment apostrophé le Secrétaire Général, l’accusant de vouloir, par le truchement des promotions de juillet, lui barrer la route de la CMC. Dans sa colère, il aurait même bousculé un autre général qui répondait au toast du n°1 du Parti.

Selon plusieurs témoins, dont les comptes-rendus ont été rapportés par un article du New-York Times du 7 août 2012, Hu Jintao aurait quitté le banquet, « écœuré ».

On ne saura peut-être jamais les vraies raisons du coup de sang du n°2 de l’Etat-major général, dont la rumeur court qu’il aurait été rappelé à l’ordre au printemps 2012 par le secrétaire général, précisément pour s’être fait l’avocat de la séparation entre l’Armée et le Parti.

Cette tension s’ajoute à celles liées aux attaques directes et très virulentes contre la corruption lancées par général Liu Yuan, fils de l’ancien président Liu Shaoqi qui ont secoué la haute direction militaire en 2011 et 2012, et dont les idées politiques antioccidentales prennent le contre pied de celles du Général Liu Yazhou.

Enfin on peut se demander si l’APL restera indéfiniment et sans sourciller le garant du Parti, dans un contexte où la situation politique devient à la fois insaisissable et heurtée.

Il est vrai que l’armée figure parmi les bastions les plus conservateurs du régime, d’abord parce qu’elle est le garant ultime du magistère du Parti, dont certains militaires estiment qu’il pourrait être menacé par des réformes politiques, ensuite parce que la Commission Militaire Centrale, elle-même traversée par un tissu de connexions affairistes corrompues liées au complexe militaro industriel, n’est pas prête à remettre en cause l’essence de son pouvoir économique et politique, qui se nourrit en partie des prébendes attachés à la maîtrise des hautes technologie, toutes contrôlées par l’armée.

Mais les rapports de forces ne sont jamais immuables. Même si les nouveaux venus n’ont que très peu de chances d’intégrer la CMC, l’arrivée dans les parages des plus hautes strates du pouvoir militaire de personnalités aussi extraverties, déterminées et prolixes que les généraux Liu Yuan et Liu Yazhou pourrait bien signaler que les plaques tectoniques des anciennes féodalités sont en train de bouger.

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Liu Yazhou 刘亚洲, 60ans, le Général écrivain aux idées iconoclastes.

Né en 1952, dans l’Anhui, et entré dans l’APL à 16 ans, le Général Liu est le Commissaire politique de l’Université de la Défense Nationale. Gendre de l’ancien président de la République (1983 – 1988), Li Xiannian, qui fut également Commissaire Politique de l’APL et ministre de la défense, Liu Yazhou n’est pas seulement connu pour ses fonctions à l’UDN qu’il occupe après avoir été Commissaire Politique adjoint de l’Armée de l’air, puis Commissaire Politique de la RM de Chengdu.

En Chine, il est aussi célèbre pour ses romans, dont certains paraissaient faire l’apologie de la démocratie à l’occidentale, et surtout pour ses déclarations fracassantes ciblant directement les lacunes de l’état de droit, l’autocratisme opaque du parti unique, la corruption généralisée y compris dans l’APL, les prébendes, le favoritisme et les trafics d’influence. Lire aussi Le Parti est-il prêt pour une plus grande ouverture politique ?. Maîtrisant bien l’Anglais, à la suite d’un séjour à Stanford aux Etats-Unis, comme lecteur au département des études asiatiques, il est aussi très influencé par les idées libérales.

Le fait que, malgré ses prises de position radicalement critiques, Liu Yazhou n’ait jamais été inquiété en dit long sur l’effervescence politique qui règne dans les hautes strates du pouvoir. Le journal du Parti « Qiushi », cité par John Mulvenon dans le n°39 de China Leadership Monitor, lui avait même ouvert ses colonnes en 2004, pour un article, où il expliquait que la corruption était consubstantielle du système qui l’encourageait.

L’analyse était une charge impitoyable et sans concession sur le fonctionnement trouble de l’armée et du Parti, peuplés de courtisans et de chapelles, tous solidaires et secrets, qui sont autant d’obstacles à la compétition transparente pour la sélection des meilleurs. Pour finir, il appelait à la promotion de la démocratie, dont il considérait qu’elle était le seul moyen de progresser vers l’excellence.

Encore plus sensible, Mulvenon signale aussi quelques prises de position de Liu sur les relations entre l’armée et le Parti, n’hésitant pas à réveiller le traumatisme de Tian An Men. Il cite à cet égard, un article de Liu, publié en 2009 dans « l’Open Magazine » de Hong Kong, dans lequel le Général disait approuver les généraux Xu Qinxian et He Yanran qui avaient refusé d’ouvrir le feu sur les manifestants le 4 Juin 1989.

A l’occasion, cependant, le Commissaire politique de l’UDN, qui ne se prive pas de critiquer l’entrisme militaire américain sur les marches immédiates de la Chine tout en conseillant un rapprochement avec le monde arabe, ne manque pas de se repositionner dans l’axe du pouvoir.

C’est bien ce qu’il a fait à propos de l’affaire Bo Xilai, quand en avril 2012, il a publié, toujours dans le journal du Parti, un article intitulé : « Promouvoir le renforcement de la conscience politique, tenir compte de la globalité des situations et faire preuve de discipline », dans lequel il écrivait « l’esprit immuable de l’APL a toujours considéré que le Parti devait commander à l’armée ».

Les autres récents bénéficiaires d’une troisième étoile n’ont pas la même faconde que Liu Yazhou. Parmi eux, le Général, Wang Jianping, 王建平, 59 ans, Commandant la Police Armée Populaire (PAP), est le seul officier des forces promu dans cette fournée. Il est membre non permanent du Comité Central depuis 2007 et a longuement commandé la PAP au Tibet. Les quatre autres sont des généraux politiques.

Il s’agit de Du Jincai, 杜金才, 60 ans, Xu Yaoyuan, 许耀元, 60 ans, Tian Xiusi, 田修思, 62 ans et Du Hengyan, 杜恒岩, 61 ans. Ils sont respectivement n°2 du Département Général Politique de l’état-major, commissaire politique de la PAP, et Commissaires Politiques des RM de Chengdu et Jinan. Parmi eux, seul le général Tian Xiusi, commissaire politique de la RM de Chengdu depuis 2009, est membre permanent du Comité Central (2007). En théorie, il est donc le seul à être éligible à la Commission Militaire Centrale.

Général Liu Yuan 刘源, 61 ans, le fils radical de Liu Shaoqi.

Déjà promu 3 étoiles en 2009, membre du Comité Central depuis 2007, et Commissaire politique du Département logistique de l’Etat-major, le Général Liu, entré au Parti à 31 ans et dans l’armée 10 ans plus tard, s’est aussi récemment signalé pour son franc-parler contre la corruption des cadres.

A la fois nationaliste et très anti-américain, lui, dont le père Liu Shaoqi, martyrisé par Mao pendant la révolution culturelle, en même temps que sa mère Wang Guangmei, a, pourtant, à l’occasion, et contre toute vérité historique, fait l’éloge de « l’esprit démocratique » qui régnait au Parti dans les premières années du Maoïsme.

Le courant politique dans lequel évolue Liu Yuan a été baptisé « Nouvelle démocratie ». Selon Mulvenon, il rassemble aussi le Général Liu Weiwei, n°2 de l’Académie des Sciences Militaires, le Général Zhu Chenghu (Université de la Défense Nationale), auteur en 2005 d’une menace nucléaire contre les Etats-Unis si ces derniers attaquaient la Chine, le vétéran Hu Guangzheng, et Qiao Liang, co-auteur avec Wang Xiangsui de « la guerre hors limites » (1999) (fichier pdf),

12 années avant le 11 septembre, ces deux officiers de l’armée de l’air théorisaient les guerres asymétriques, du faible au fort dans lesquelles tous les moyens sont autorisés et légitimes – non seulement diplomatiques, économiques, commerciaux, mais également ceux qui contreviennent au droit international et aux lois de la guerre comme le terrorisme de masse contre des populations civiles -.

Depuis 2007, ce groupe de penseurs militaires rejette l’idée d’une démocratie à l’occidentale, selon eux génératrice de conflits par la compétition politique qu’elle induit. A cette occasion le mouvement s’est rapproché de la « 3e voie », proposée par Bo Xilai à Chongqing, prônant une « démocratie nouvelle, à la chinoise », théorisée par Mao, dans certains de ses écrits d’avant la conquête du pouvoir. Ce dernier faisait l’apologie, non pas de la lutte des classes, mais du consensus entre « le prolétariat ouvrier », les « paysans », la « petite bourgeoisie » et les « capitalistes d’état ».

Le tout, au nom de la lutte contre l’occupant japonais et, surtout, des « trois principes du Peuple » de Sun Yat Sen. Il est évident que la référence au Père de la révolution de 1911, présente, de surcroît, l’avantage d’un appel aux « compatriotes taïwanais » du KMT, dont les références politiques originelles identiques constitueraient, selon les théoriciens chinois, un terrain favorable à un consensus réunificateur et en tous cas une base de départ pour des négociations politiques avec Taipei.

Les théoriciens de l’APL sont d’autant plus intéressés par la question que, depuis des lustres, la réunification avec l’Ile constitue l’un des ferments du nationalisme militaire, tandis que la dissuasion armée qui vise à tenir à distance toute tentative séparatiste, est l’épine dorsale de la modernisation de l’APL.

Il reste que l’ouverture ainsi proposée ignore dangereusement qu’à Taïwan le concept politique en vigueur est bien celui de la démocratie à l’occidentale et non pas celui de la « nouvelle démocratie » de Liu Yuan et de ses amis. Lire aussi : Chine – Taïwan dialogue politique. Dialogue de sourds sur un terrain miné.

Enfin, Liu Yuan se donne des allures de justicier impitoyable et sans états d’âme - « la lutte contre la corruption dans l’APL est un affaire de vie et de mort. Je préfèrerais perdre mon poste que de renoncer au combat. Je le poursuivrai, quels que soient les risques et les obstacles » -.

C’est avec cet état d’esprit qu’il fut, en janvier 2012, directement à l’origine de la mise en accusation de son chef direct, le général Gu Junshan, 56 ans, chef du département de Logistique, impliqué depuis plusieurs années dans une vaste affaire de corruption immobilière, avec son jeune frère à la tête d’une agence de développement immobilier au Henan.

Liu Yuan pourfendeur des corrompus, proche de Xi Jinping.

Sur le fond, l’approche franchement iconoclaste du Général Liu Yuan va même jusqu’à envisager de remettre en cause l’obédience inconditionnelle à la pensée de DengXiao Ping. Par là, il suggère que la référence au patriarche est de nature à fermer le débat politique et la cause de la faiblesse des avancées idéologiques durant les périodes Jiang Zemin – Hu Jintao.

Son appel à plus d’échanges de vues et à une plus grande liberté d’expression s’inscrit dans la démarche réformiste prônée par beaucoup, de Wen Jiabao à Li Keqiang et Li Yuanchao, en passant par Wang Yang. S’il est vrai que Leur objectif n’est pas de remettre en cause le magistère du Parti, il vise au moins à installer plus de transparence et plus de compétition interne, pour au moins garantir la qualité du recrutement des hautes strates du Régime.

Il reste que la thèse politique qui rapproche Liu Yuan de la mouvance néo-maoïste sent le souffre. Cette proximité aurait déjà coupé les ailes de quelques prétendants à la CMC comme Zhang Haiyang, Commissaire politique de la 2e Artillerie (Forces nucléaires stratégiques), dont la famille, proche de Bo Xilai, avait des intérêts d’affaires à Chongqing qui profitèrent de la campagne très discriminée de l’ancien SG contre les mafias. Le général Zhang Youxia, Commandant la région militaire de Shenyang, candidat pour la CMC est également accusé d’avoir évolué dans la mouvance de la famille Bo.

Mais ces généraux de l’APL, victimes collatérales du scandale Bo Xilai, n’avaient ni la probité morale, ni la protection occulte du futur Secrétaire Général Xi Jinping, qui considère Liu Yuan comme un de ses plus solides appuis dans l’armée. Lire : Branle bas de combat au cœur du Parti

Le fait est que Xi et Liu ont souvent avancé les mêmes références maoïstes révolutionnaires des années 40, comme symbole de la pureté non corrompue du Parti des origines, dont les luttes internes impitoyables sont cependant édulcorées. Lire : Schizophrénie maoïste.

Le discours narratif qui manipule la pensée de Mao, est à l’évidence un effort pour retrouver des repères démocratiques non occidentaux acceptables en cette période de désarroi idéologique, où la mouvance populiste continue à dénoncer violemment les dérapages affairistes et la corruption, tout en rejetant les solutions démocratiques à l’occidentale.

Hormis cette préférence pour une troisième voie politique non occidentale, un autre terrain d’entente entre Liu et le futur Secrétaire Général Xi Jinping est que le fils de Liu Shaoqi n’a – contrairement à Liu Yazhou qui se plait à évoquer les désobéissances militaires à Tian An Men - jamais exprimé le moindre doute sur la nécessité de l’allégeance de l’APL au Parti, en échange d’un minimum d’autonomie sur les questions de défense.

Mulvenon souligne que cette connivence pourrait conduire la nouvelle direction du Régime à impliquer plus l’APL dans la définition des stratégies du Parti à l’intérieur, comme à l’extérieur, domaines où beaucoup de militaires pensent que son influence a été brimée dans la période Jiang – Hu.

Il restera à vérifier si la proximité entre les deux hommes n’entraînera pas la Chine vers plus de crispation antioccidentale, portant le risque de durcissement contre la présence militaire américaine, sur le théâtre Taïwanais et sur les approches maritimes orientale et méridionale de la Chine, lieux de fortes tensions nationalistes.

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Candidats possibles à la Commission Militaire Centrale.

Général Zhang Qinsheng, 64 ans. n°2 de l’état-major général.

Membre du Comité Central depuis 2007, ancien commandant de la RM de Canton (2007 – 2009), le Général Zhang, aujourd’hui n°2 de l’Etat-Major général, en charge des opérations et de l’instruction, est un des hommes les plus puissants et les plus influents de l’APL. Né à Xiaoyi dans la province du Shanxi, entré dans l’APL à 20 ans, il a également été directeur de l’instruction et de la recherche à l’Université de la Défense nationale.

En août dernier il a été sélectionné avec tous les membres de la CMC, ainsi qu’avec les généraux Liu Yuan et Liu Yazhou, pour être l’un des 251 délégués de l’APL au 18e Congrès. Pourtant Zhang est également un officier général controversé qui sent le souffre puisque la rumeur insistante court qu’à plusieurs reprises il aurait été sur la sellette pour avoir, contre la doctrine officielle et le dogme du Parti, prôné le concept d’une « armée nationale ».

De fait son profil public s’est depuis quelques temps considérablement abaissé. Le site China vitae qui répertorie les apparitions des membres du Parti ne signale plus aucune activité du Général Zhang depuis le 22 novembre 2011 où il s’était rendu à Canton avec le Général Xu Caihou, membre du Bureau Politique et n°3 de la CMC pour présider « une activité artistique ».

Si, en dépit des solides inimitiés et méfiances politiques, récemment apparues contre lui, le Général Zhang entrait malgré tout à la CMC, il serait un candidat naturel pour le poste de Chef de l’Etat-major général, en remplacement du Général Chen Bingde.

Dans le saint des saints militaire, les moins âgés, qui sont les Généraux Xu Qilang, 62 ans, Chang Wanquan, 63 ans, et l’Amiral Wu Shengli 67 ans resteraient en place, éventuellement promus vice-présidents pour les deux premiers et ministre de la défense pour le troisième.

Une liste possible des nouveaux venus comprendrait les généraux Hou Shusen, 62 ans (logistique), Fang Fenghui, 61 ans (armement), Ma Xiaotian 63 ans, (armée de l’air, si Xu Qilang était promu vice-président), Wei Fenghe, 58 ans (2e artillerie) et Tian Xiusi, (Politique).

Enfin pour le commandement de la marine, qui se libèrerait si l’Amiral Wu Shengli était nommé ministre ou vice-président, on parle beaucoup du Vice-amiral Sun Jianguo, 60 ans, ancien Commandant en second d’un sous-marin nucléaire d’attaque, actuellement adjoint à l’état-major général et, depuis 2007, membre non permanent du Comité Central.

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BREVES

Mo Yan 莫言 : Prix Nobel de littérature

Le 11 octobre Mo Yan, auteur de plus de 80 romans et nouvelles, dont 18 ont été traduits en Français, a reçu le prix Nobel de littérature. C’est la deuxième fois qu’un auteur Chinois reçoit cette distinction. Mais le précédent lauréat, Gao Xinjian (2000), était un dissident, naturalisé français.

Après les prix Nobel de la paix, décernés au Dalai Lama (1989), régulièrement accusé par le Parti de fomenter une dissidence et en 2010 à Liu Xiaobo (condamné à 11 ans de prison pour subversion), Pékin entretenait des rapports tendus avec la commission du Nobel et le gouvernement de Norvège où est décerné le prix Nobel de la paix.

En 2010, à Pékin on accusait même le Comité du Nobel d’être partie d’un complot pour déstabiliser le Parti. Pékin avait même fait pression sur la Norvège en refusant des visas et en gênant les importations de saumon.

Mais cette fois, la presse chinoise a oublié les critiques adressées au Nobel en 2010 pour en tirer gloire au nom de la Chine. Ce qui n’a pas empêché Mo Yan de réclamer la libération de Liu Xiaobo, lors d’une conférence de presse à Pékin.

L’attribution du prix à un auteur qui n’est pas franchement un dissident, et donne même parfois l’impression de courtiser le pouvoir, alors que toute son œuvre fourmille de critiques directes ou allusives contre l’état de la société chinoise moderne, semble aussi une évolution de l’attitude du Comité d’Oslo qui, jusque là, était spécialisé dans la distinction d’auteurs en rupture de ban avec les autorités de leur pays, de Soljenitsyne à Gao Xingjian en passant par Brodsky (poète russe expulsé d’URSS en 1972), Seifert (journaliste, écrivain, poète, dissident tchèque), Liu Xiaobo et d’autres.

On a comparé Mo Yan à Gabriel Garcià Marquez. Il est vrai que « Beaux seins, belles fesses » publié en France en 2004, aux Editions du Seuil rappelle « Cent ans de solitude ». La fresque de Mo Yan, qui mélange le réel, l’imaginaire et le fantastique, est en effet une plongée délirante et truculente dans la Chine rurale et son histoire, vue à travers les péripéties de la famille d’un forgeron du canton de Gaomi, dans le Shandong, dont la mère a donné naissance à huit filles et un garçon, tous de pères différents.

Jin Tong, « l’enfant d’or », seul garçon, avant-dernier de la fratrie, fasciné par le sein maternel, élevé au milieu des femmes d’une famille, dont le père est mort très tôt, est aussi le fils d’un missionnaire américain.

Les souvenirs de Jintong, les récits de ses sœurs aînées, ceux de sa mère, à la fois indomptable et fragile, entraînent le lecteur à travers l’histoire tour à tour cruelle, pittoresque et bouleversante des campagnes du Shandong crucifiées par l’invasion allemande, puis japonaise, et enfin martyrisées par la guerre civile entre le Guomindang et le Parti Communiste chinois. Le style est puissant, d’un réalisme cru et l’œuvre est animée d’un souffle épique incontestable.

Microblogs en Chine.

Les 538 millions d’internautes chinois – qui, à ce rythme, seront 800 millions en 2015 - comptent 274 millions d’abonnés aux réseaux sociaux qui expriment un foisonnement de sentiments et de jugements à chaud. Avec ce chiffre la Chine détient désormais le record mondial des « microblogs », dont le nombre a été multiplié par quatre depuis 2010. Ce moyen est devenu un canal d’expression de plus en plus utilisé sur les questions sociales et souvent politiques. Le gouvernement qui a ouvert plus de 18 000 comptes sur les réseaux sociaux n’est pas en reste.

Face à ce déferlement, le pouvoir tente de garder la main, dans un contexte où les plus habiles des internautes contournent facilement la censure. Facebook et Twitter sont interdits. En décembre 2011, le ministère de la sécurité a introduit l’obligation de s’enregistrer avec son nom réel. En avril Weibo et QQ.com, 2 réseaux sociaux avaient été fermés pendant 3 jours, après une contagion de critiques contre la censure. Beaucoup soupçonnent que l’initiative venait des compagnies elles-mêmes.

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La quadrature du cercle du droit de propriété

Confronté à la recrudescence des révoltes contre les captations de terres, facilitées par un droit de propriété encore hérité du système collectiviste, le gouvernement doit clarifier la propriété de la terre, à la fois pour stopper la spéculation foncière des cadres locaux et permettre aux paysans d’hypothéquer leur lopin pour emprunter et investir. En 2008, l’équipe actuelle avait fait un pas radical en autorisant les paysans à transférer leurs terres ou à la louer. L’étape suivante consisterait à autoriser l’hypothèque des terres en propriété. L’initiative est en cours, mais elle n’a pas dépassé le cadre de l’expérimentation.

Selon Michael Spencer, expert de la Deutsche Bank pour l’Asie, le flou persistant du système de propriété est un obstacle à l’amélioration de la productivité agricole. La clarification permettrait des investissements, conditions de l’amélioration des techniques et le passage du niveau de petites exploitations familiales à celui d’entreprises agricoles plus performantes.

Dans la situation actuelle où 80% des projets de développement sont formellement illégaux et ne reposent sur aucune garantie de propriété, les progrès de rentabilité sont difficiles. Par ailleurs, selon l’agence Xinhua, s’il est vrai que les captations de terres diminuent (- 35% en 2011), le gouvernement observe une recrudescence depuis janvier 2012, avec un total de 15 000 cas répertoriés, qui tous sont des sources de conflits.

Nouveau conflit à Foxconn.

Le 24 septembre 2012 à l’aube, une bataille rangée a éclaté entre les vigiles de l’entreprise et 2000 employés de l’usine taïwanaise Foxconn à Taiyuan – 78 0000 ouvriers au total sur ce site, et 1 million en Chine-. La rixe a obligé la direction à fermer le site qui produit des iPhones pour Apple, après qu’une force de 5000 policiers ait séparé les belligérants. Selon la direction, les échauffourées auraient eu pour origine un différend entre ouvrières dans un dortoir.

Mais les échanges sur les réseaux sociaux semble indiquer que le conflit, qui a blessé 40 employés, dont plusieurs sont dans un état grave, pourrait être du à des brutalités des gardes contre les ouvriers. Ce n’est pas la première fois que Foxconn a des ennuis avec le personnel. En 2010, 14 ouvriers de Foxconn s’étaient suicidés lors d’une série d’incidents dans la province de Canton. Le groupe avait annoncé des mesures pour améliorer les conditions de travail. Mais les troubles ont continué, quoique sur un mode moins dramatique.

Le 2 janvier 2012, 300 employés de l’usine Foxconn de Wuhan étaient montés sur le toit d’un atelier pour réclamer une hausse de salaires, menaçant de se suicider. Le maire de Wuhan était personnellement intervenu pour calmer les protestataires. 4 mois plus tard, deux ouvriers avaient trouvé la mort lors d’une explosion survenue à l’usine de Chengdu. 16 autres avaient été blessés.

Le 4 juin 2012, dans cette même usine, moins d’un mois plus tard, 14 employées ont été arrêtées après qu’une petite foule d’une centaine d’ouvrières occupant un dortoir de l’usine aient pris à partie des gardes de sécurité qui tentaient d’arrêter des voleurs. La rixe, qui de toute évidence s’alimentait de rancœurs contre les gardiens, s’est rapidement étendue à un millier d’ouvrières lançant des boîtes de conserve, bouteilles et autres projectiles sur les gardes, au point qu’une centaine de policiers étaient intervenus pour mettre fin à l’émeute.

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Livre Blanc sur le système judiciaire.

Début octobre, un éditorial du China Daily faisait l’éloge des progrès accomplis par le système judicaire chinois exposés dans le 1er Livre Blanc sur la justice. L’analyse du document révèle la profonde contradiction entre l’exigence des réformes et les obstacles qui les freinent, dont certains sont liés à une conception différente de la justice, plus orientée vers l’arbitrage (toujours ce souci de l’harmonie) que vers la justice.

Le ton général du document exprimait en effet une autosatisfaction, cependant mêlée de prudence puisque plusieurs paragraphes mettaient en garde contre les lacunes encore existantes. Une première restriction expliquait que l’abondance des lois n’était pas un critère suffisant pour attester de la qualité de l’état de droit – depuis 1 an, le gouvernement a voté 240 lois et adopté 706 dispositions administratives, ainsi que 8600 règlements locaux -.

Plus loin, le Livre Blanc rappelait l’exigence d’indépendance des tribunaux, de non interférence des groupes de pression et de neutralité des cadres. Ces nécessités ont au demeurant été rappelées par Wen Jiabao lui-même lors d’un forum économique à Genève en septembre 2012 : « notre justice doit être équitable. Les procureurs et le juges doivent rester libres de toute ingérence, conformément à notre constitution et à nos lois. Le Parti ne doit pas se substituer au gouvernement et nous devons réduire la surconcentration des pouvoirs ».

La réalité est que les dysfonctionnements encore à l’œuvre autorisent de nombreuses infractions dont beaucoup sont liées à l’usage de la terre. En 2004 par exemple, le gouvernement avait règlementé puis suspendu la création de terrains de golf.

Mais selon le China Daily, depuis cette date, 400 nouveaux terrains ont été aménagés dans le pays. Les mêmes abus par des groupes de pression locaux, tous liés au Parti, président à la création de parcs de développement non autorisés. Une autre incohérence en contradiction avec la constitution est la survivance du Laojiao (à ne pas confondre avec le Laogai, qui est légal) depuis longtemps dans le collimateur, mais toujours en vigueur, qui permet à la police, toute puissante dans la procédure d’enquête, d’emprisonner les suspects jusqu’à deux années sans jugement.

La pratique rigoureuse de la loi reste donc aléatoire et lourdement influencée par le Parti. Il faudra une très forte volonté politique pour lutter contre les prébendes et inverser la tendance. Compte tenu des résistances, on peut douter que le nouveau pouvoir aura la capacité de mettre en oeuvre les réformes dont la plus importante, annoncée par le Conseil des Affaires d’état, sera l’indépendance de la Cour Suprême. Lire aussi : Procès de Rio Tinto. Coup de projecteur sur le système judiciaire chinois.

L’APL nie être à l’origine du durcissement extérieur de la Chine.

Lors d’une conférence de presse à la veille du 1er août, 85e anniversaire de la création de l’APL, le porte parole de l’armée a nié un durcissement de l’attitude des militaires sur les questions de politique étrangère. Pour lui les récentes initiatives autour des territoires contestés, y compris la création d’une garnison à Shansha (lire : Mer de Chine. La tentation de la force), avaient pour but de protéger les intérêts de la Nation.

L’APL, à précisé le porte parole, n’avait pas d’intention belliqueuse et souhaitait entretenir des liens amicaux par le truchement de dialogue bilatéraux, selon Pékin, le canal le plus efficace pour régler les différends territoriaux. Mais ni Hanoi ni Manille ne sont sur cette ligne.

Les Philippines et le Vietnam militent en effet pour un accord global et ayant force de loi pour toute la Mer de Chine du sud. Le porte parole a également dénoncé les critiques qui stigmatisent l’augmentation des budgets de la défense chinois et le caractère alarmiste du dernier rapport japonais sur la sécurité du théâtre asiatique, stigmatisant les initiatives « irresponsables et erronées de l’APL ».

Il reste que la crainte de représailles militaires ou commerciales de la part de Pékin sont peut-être à l’origine du résultat décevant d’un appel d’offres, lancé par le gouvernement philippin en août dernier, pour trois explorations d’hydrocarbure en Mer de Chine. Sur les 38 compagnies d’hydrocarbures nationales et internationales présentes dans la région et présélectionnées, seulement trois ont répondu. Pour certains experts les autres se seraient abstenues parce qu’elles ont des intérêts en Chine et craignent des représailles.

Enfin plusieurs experts ont émis l’hypothèse que la récente promotion du Général Liu Yazhou, dont l’image libérale et ouverte est bien connue en Occident, était une manœuvre destinées à atténuer l’image d’une APL devenue trop agressive.

 

 

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