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›› Politique intérieure

Xi Jinping et la longue route vers l’indépendance de la justice

On répète que la Chine est pragmatique et sait s’ajuster aux réalités, que son système politique est prêt à tous les accommodements, à condition que le magistère du Parti ne soit pas menacé. Le tout donnant une impression protéiforme et ambigüe où, ici comme ailleurs, la parole, qui n’est pas toujours suivie d’effets, sert d’anesthésiant. La cible des discours étant à la fois interne et externe.

Mais l’importance donnée à la stratégie du verbe ne signifie cependant pas que la situation soit immuable, tant il est vrai que la nouvelle réactivité de la société pousse le Parti à prendre des risques en s’adaptant aux bouleversements en cours.

Pour répondre aux principales critiques adressées à la Chine sur le caractère encore rétrograde de son Etat de droit et réaffirmer les intentions réformistes du nouveau secrétaire général, le 12 décembre, le Quotidien du Peuple, qui prenait prétexte d’un discours de Xi Jinping à l’occasion du 30e anniversaire de la constitution de 1982, publiait en première page une revue critique des lacunes du droit.

Au passage, et à titre de contre exemple, il attaquait une nouvelle fois très durement les dérapages éthiques, les abus de pouvoir et l’arbitraire de l’ère Bo Xilai à Chongqing. Mais l’article, qui était une profession de foi, fixait un idéal à atteindre, dans un contexte où beaucoup d’efforts restent à faire pour réduire l’écart entre les intentions et la réalité.

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Une bonne constitution, mal appliquée.

Après avoir repris la remarque lourde de sens du nouveau Secrétaire Général, selon laquelle une constitution qui n’était pas appliquée n’était qu’un « bout de papier, sans vie et sans autorité », le journal rappelait en préambule que l’efficacité des institutions résidait d’abord, comme l’avait souligné le rapport du 18e Congrès, dans l’équilibre des contre pouvoirs et dans le fait qu’aucun groupe, ni aucun individu n’était au-dessus des lois, et que personne n’était autorisé à la manipuler, par ses paroles ou ses actions.

Suivait une longue analyse des ratés de l’Etat de droit depuis 1913, date de la première constitution, jusqu’à celle, d’obédience très « gauchiste » de 1975, fille des excès de la Révolution Culturelle.

L’article poursuivait en soulignant que la constitution de 1982, révisée 4 fois et modifiée par 31 amendements, incluant la protection du droit des individus et de la propriété privée, était en revanche la première capable de fournir les bases de la stabilité politique et sociale du pays. De bonne facture juridique et dotée d’une excellente capacité de souplesse et d’évolution, elle avait cependant le grand défaut de n’être que très incomplètement appliquée.

Contrairement aux habitudes des pays développés, elle était rarement évoquée dans les affaires courantes, notamment - c’est Xi Jinping lui-même qui le souligne dans son discours -, quand il s’agissait de protéger les droits des individus ou de sanctionner l’arbitraire des fonctionnaires, coutumiers des abus de pouvoir, des dérapages éthiques et des corruptions qui affaiblissent l’état de droit, dans un contexte où trop d’agents publics se considèrent au-dessus de la loi.

L’article révèle aussi que le Parti n’en finit pas de ruminer les errements de Bo Xilai à Chongqing, rappelés sans concession par l’auteur, qui précisait que la municipalité autonome, « truffée de fonctionnaires corrompus » était devenue « le théâtre des abus de pouvoir des policiers, de l’arbitraire politique et judiciaire, méprisant les droits de l’homme et la Loi », phénomènes d’autant plus préoccupants, ajoutait le Quotidien du Peuple, que « certains cadres locaux continuaient à considérer Chongqing comme un modèle à copier. »

Dans la droite ligne des directives fixées par Xi Jinping sur l’indépendance de la justice, et dont certains disent à Pékin qu’elles sont pour lui une priorité, la dernière partie de ce plaidoyer pour le droit réfléchissait aux institutions capables de contrôler l’application de la constitution, alors même que l’organe de supervision attaché à l’Assemblée Nationale Populaire et dédié à cet effet, s’était jusqu’à présent largement montré inefficace.

Le moyen envisagé est classique. Il vise à la création d’une Cour ou d’un Conseil Constitutionnel, dont le point clé sera l’indépendance par rapport à l’exécutif, seul moyen, conclut l’article avec emphase, de réaliser « le rêve d’un renouveau national, afin que le peuple chinois tienne dans le monde la place qui lui revient ».

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Mettre les actes en conformité avec les paroles.

Après que le journal officiel du régime ait lui-même admis que le « rêve chinois » était subordonné à l’application scrupuleuse de la constitution, il reste aujourd’hui à réduire l’écart entre les discours et la réalité, dans un contexte où, selon Stéphanie Balme du CERI, « la Chine semble encore loin de rejoindre les différentes formes d’Etat de droit existant de par le monde…

Tout d’abord parce que la philosophie pénale du régime reste centrée sur le crime et la nécessité de sauvegarder l’ordre public », tandis que « dans les procédures d’enquête, c’est encore la police qui possède l’avantage et que cette dernière fait toujours le choix de la sécurité ».

L’étude ajoute que le système, tel qu’il fonctionne encore, laisse peu de place à la défense des accusés et encore moins à l’indépendance des juges. Précisant que les récentes révisions de la Loi des procédures pénales « n’affirment pas clairement le droit absolu à la défense », tandis que les nouveaux textes, en retrait par rapport à ceux de 1996, multiplient les exceptions qui permettent de sanctionner les délits politiques ou d’opinion, sous les prétextes classiques « d’atteinte à la sécurité publique », ou de « circonstances exceptionnelles ». (Lire La justice pénale en Chine : son évoution et son avenir ; fichier pdf).

Mais au sein du système chinois, il existe des « spadassins du droit », comme He Weifang, de l’Institut de droits de l’Université de Pékin, qui, malgré les sanctions et les humiliations dont il est fréquemment l’objet, prêche l’indépendance de la justice depuis 15 ans, par des conférences et des articles de journaux, récemment rassemblés dans un recueil : « Au nom de la justice. Le combat pour l’Etat de droit en Chine », publié en anglais par la Brookings Institution de Washington.

Dans cet ouvrage, He qui fut l’un des plus violents critiques de la méthode Bo Xilai à Chongqing, traite de la réforme judiciaire en évoquant d’abord l’indépendance de la justice, la constitution, la liberté d’expression et les droits de l’homme. Son fil conducteur, qui rejoint les professions de foi du nouveau Secrétaire Général, est articulé autour de la nécessité de desserrer l’emprise du Parti sur la justice.

A cet effet, He Weifang propose des mesures concrètes qui consisteraient à faire nommer les présidents des cours de justice par des Comités de sélection indépendants, à supprimer les cellules du Parti encore actives au sein des tribunaux, à réduire les pouvoirs des Commissions politiques (composées de juges, de policiers et de procureurs) qui, encore aujourd’hui, continuent à influer sur les jugements et, enfin, à créer un organisme indépendant destiné à contrôler la constitutionnalité des procédures.

Récemment Chen Guancheng le militant aveugle des droits de l’homme échappé en mai 2012 aux Etats-Unis où il bénéficie d’une bourse d’études de droit (Lire notre article Le dialogue stratégique Chine – Etats-Unis dans la bourrasque de la politique intérieure chinoise), mettait, lors d’une conférence à Manhattan, le doigt sur la quadrature du cercle qui plombe la marche de la Chine vers plus d’ouverture politique : « le plus grand problème du système judiciaire chinois est qu’il est entièrement contrôlé par le Parti. Ce dernier refuse d’abandonner le pouvoir qui autorise ses tricheries ».

Pourtant Chen reste optimiste puisque, dans la même conférence, il soulignait que, non seulement les avocats chinois continuaient à peser sur l’appareil pour que les choses changent, mais que même les paysans et les ouvriers étaient de plus en plus conscients de leurs droits. « Ils continueront à faire pression sur les dirigeants et les élites, au point que le Parti n’aura pas d’autre choix que de s’adapter ». Ajoutant que « même les dirigeants actuels savaient que la vague qui porte le respect de la constitution, de l’Etat de droit, de la démocratie et de la liberté est irrésistible… Aucun pouvoir ne peut s’y opposer ».

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BREVES.

Enjeux politiques et militaires du voyage à Canton de Xi Jinping.

Du 7 au 11 décembre, Xi jinping s’est rendu à Canton, sur les traces du chemin accompli il y a 20 ans par Deng Xiaoping, venu dans la province en 1992 pour relancer la réforme après le brutal coup d’arrêt de la répression de Tian An Men. Voulant adresser au pays un symbole fort de redressement moral et éthique, après les graves remises en cause de la secousse Bo Xilai, le nouveau Secrétaire Général a insisté sur la nécessité de poursuivre le rythme des réformes, et évoqué une « mobilisation » pour plus d’ouverture et de transparence.

Il n’a cependant pas levé l’ambiguïté sur l’ampleur et la nature du volet politique des réformes, dont on comprend bien que leur mise en œuvre sans arrière pensée constituerait un formidable saut dans l’inconnu.

Et, comme s’il voulait indiquer qu’il n’avait pas les mains libres et que son appel à la mobilisation allait heurter nombre d’intérêts corporatistes et politiques, il a précisé que le mouvement réformiste était entré dans une phase difficile qui exigerait « à la fois courage politique et sagesse ».

La phrase rappelle irrésistiblement les termes du rapport intitulé « Chine 2030. Construire une société moderne à hauts revenus, harmonieuse et créative », publié en février 2012, rédigé conjointement par la Banque Mondiale et les services du Premier Ministre, sous l’impulsion de Li Keqiang, et où on pouvait lire que pour abattre la forteresse des prébendes, le pouvoir politique chinois allait devoir faire preuve « de courage, de détermination, de clarté dans l’exposé de ses objectifs et d’un grand charisme politique ». Lire notre article L’ANP 2012, testament politique de Wen Jiabao.

Mais Xi Jinping a, au cours de son voyage, directement abordé le sujet d’une autre controverse majeure, qui touche à la sécurité même du Parti : l’allégeance de l’APL, dont il est cependant aujourd’hui difficile de dire à quel point elle trouble les esprits de la hiérarchie et de la troupe. Le thème de la modernisation et de la probité des armées, clefs de la politique taïwanaise du Régime, et conditions de la puissance de la Chine, était également à l’ordre du jour. Le tout sur un mode on ne peut plus direct.

« Dites vous bien que la nature des militaires est à la fois d’obéir sans murmure au Parti et de se tenir prêts à livrer bataille et à remporter la victoire. A cet effet, il est essentiel que l’armée se renforce par un style de commandement qui doit donner l’exemple de l’austérité et de l’obéissance aux lois ».

L’importance de l’enjeu est soulignée par l’abondante couverture médiatique accordée aux étapes militaires du voyage qui a permis au SG de visiter des unités à Zhuhai, Huizhou et Shenzhen et de s’embarquer à bord du destroyer lance-missiles Haikou, affecté à la flotte du sud, sur le théâtre opérationnel de la Mer de Chine du sud, l’un des points chauds de la situation stratégique des abords de la Chine, avec la Corée du Nord, Taïwan et la querelle des Senkaku avec le Japon, dans un contexte de rivalité croissante avec la marine des Etats-Unis.

« Nous sommes aujourd’hui confrontés à plusieurs risques d’instabilité sur l’espace maritime national, tels que les tensions autour des îles Diaoyu (Senkaku), et celles en Mer de Chine su Sud. Nous devons être prêts à toutes les éventualités. Après plus de 2 décennies sans expérience directe du combat, et si on compare l’intensité des entraînements de l’APL avec celle de l’armée américaine, notre capacité opérationnelle est très en retard (…). Nous devons sans cesse viser les standard les plus élevés de préparation opérationnelle et toujours inciter nos officiers et nos soldats à se tenir prêts à affronter les réalités du combat ».

Le défi de la mise à jour opérationnelle des unités de l’APL est aussi le principal moyen d’associer les militaires au « rêve chinois », d’un renouveau national, que le Parti évoque de manière répétitive depuis la prise de fonctions de Xi Jinping. Une occasion pour ce dernier d’affirmer son autorité dans le cadre de sa nouvelle fonction de Chef de Armées et de Président de la Commission Militaire Centrale. En même temps, les discours, abondamment repris par la presse officielle, envoient un signal sans équivoque au Japon et aux Etats-Unis.

Les mises au point de Pékin ont éveillé un écho aux Etats-Unis, où un débat est en cours sur les effets négatifs de la décision de bascule stratégique vers le Pacifique Ouest. Selon certaines critiques, l’un des effets pervers de ce repositonnement militaire aura en effet été de libérer les alliés asiatiques de Washington de leurs inhibitions, les incitant à une attitude plus agressive à l’égard de la Chine. Une tendance qui porte en elle un risque de dérapage militaire que la Maison Blanche entend éviter à tout prix.

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BREVES - Suite -.

La face cachée des campagnes anti-corruption.

Le 17 novembre, lors de sa première intervention au Bureau Politique, suite à son intronisation comme Secrétaire Général, Xi Jinping décrivait la corruption comme une « vermine intérieure » qui menaçait à la fois le Parti et l’Etat. La parole a été suivie d’effets puisque, dans les premières semaines de son mandat, le nouveau SG a fait mettre à pied une douzaine de cadres locaux à un rythme jamais vu depuis 20 ans, dont certains disent à Pékin, relayés par le journal Epoch Times et le Hong Kong Economic Times, qu’il approche celui des campagnes de rectification des années 40, avant l’avènement de la République Populaire.

Le chef d’état-major de cette bataille est Wang Qishan, nouveau promu au Comité Permanent, dont certains mettent cependant en doute l’efficacité, expliquant que « ce pompier du premier feu » avait précisément été placé à ce poste pour protéger les prébendes, notamment celles des « Fils de Princes », dont Xi Jinping fait partie. Lire notre article Coup de projecteur sur le futur pouvoir central chinois. 1re Partie.

D’autres intellectuels, comme Hu Xingdou, de l’Institut de Technologie de Pékin, craignent que, comme ce fut souvent le cas par le passé, la « rectification » n’ait en réalité que des motivations politiques, qui cibleraient en priorité les tenants du clan Bo Xilai, dans une guerre interne qui ne pourra que déclencher des ripostes.

C’est ainsi que certains décryptent la récente mise sur la sellette de Li Chuncheng, n°2 du Parti au Sichuan, connu pour être un allié de Zhou Yongkang, dont les émules en colère auraient été à l’origine de la mise à jour, à titre de représailles, de la fortune de Madame Wen Jiabao dans le New-York Times. Pour beaucoup, la question est de savoir si Wang Qishan ira jusqu’à s’attaquer aux très hautes strates du régime, et, par exemple, à la famille de Wen Jiabao.

Sans compter que les accusations de conflits d’intérêt et de népotisme pèsent sur la quasi-totalité des membres de l’oligarchie, à commencer par le nouveau Secrétaire Général lui-même. Lire notre article Wen Yeye, le grand-père du peuple entre corruption et guerre des clans.

Fin des passes droits, ou mesures cosmétiques ?

Depuis la fin du Congrès, les repas plus ou moins fins, à grandes attablées de fonctionnaires du Parti, ponctués de « gan bei » à répétition, les longues files de voitures « Audi » de fonction, les calicots d’accueil à la gloire du Parti, les tapis rouges des grands hôtels de luxe, assortis ou non de gâteries dans les établissements de bains, sont interdits.

Xi Jinping donne lui-même l’exemple. Récemment, lors de son voyage inaugural à Canton, sur les pas de Deng Xiaoping à 30 années de distance, il portait lui-même son plateau repas, lors de la visite d’une unité militaire. Ses déplacements dans la métropole du sud n’ont pas donné lieu aux habituels blocages de la circulation, obligeant les usagers normaux à se ranger prudemment sur le bord des routes, poussés par les motards à la fois inquiets et agressifs, en attendant le passage en trombe des convois officiels sur fond de sirènes hurlantes.

Pour l’instant, le ton est donné. Le 12 décembre, la Cour Suprême annonçait un plan pour améliorer ses méthodes de travail, interdisant les réunions dans les hôtels de luxe et réduisant à la fois leur standing et leur nombre. A Shanghai, les fonctionnaires sont incités à prendre les transports en commun. Dans le Hunan les dîners et les échanges de cadeaux de luxe ont été interdits.

Ce n’est pas la première fois que le Parti lance une telle campagne destinée à changer son image gaspilleuse. Mais les abus n’ont jamais été complètement été éradiqués, sans compter qu’ils ne sont que l’écume des vagues qui ont gravement entamé la réputation de l’appareil, dont les cadres sont régulièrement épinglés par les internautes. Non seulement pour leur mode de vie trop flamboyant, les excès de leur progéniture, leurs voitures très haut de gamme, leurs appartements et accessoires vestimentaires de luxe, mais surtout pour les fautes de comportement de quelques grossiers parvenus dont, malgré la censure, la toile chinoise repasse les images en boucle.

 

 

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