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›› Chronique
La Chine et la guerre du fer
En Chine, l’année du Dragon a été déprimée avec une croissance moyenne de 7,8%, très en dessous des 11% de moyenne entre 2000 et 2011, avec un pic à 14,2% en 2007. Cette chute, en partie voulue par le pouvoir qui tente de rééquilibrer le développement du pays, pourrait cependant rejaillir de manière négative sur la stabilité politique du pays. C’est en tous cas ce que la nouvelle direction, mise en place lors du 18e Congrès en novembre, semble redouter.
Sans le dire, et en contradiction avec les injonctions des experts qui suggèrent plutôt de redynamiser l’économie par une augmentation des ressources de l’état (impôts sur les grandes sociétés, TVA, taxe à la propriété) et d’apaiser la société par un meilleur partage des fruits de la croissance, le Bureau Politique a initié une relance par l’investissement, dont les premiers effets se sont fait sentir à la fin de l’année 2012 et se propageront probablement durant l’année du Serpent, inaugurée à coups de pétards et de feux d’artifice, le 10 février.
La reprise est réelle et palpable. La vraie question renvoie à sa pérennité à moyen, voire à court terme, au-delà de 2013. Nombre d’experts chinois et étrangers anticipent en effet que sans réformes structurelles de fond, aujourd’hui handicapées par de graves divergences politiques au sommet, l’économie chinoise restée rigide, dominée par l’alliance des grands groupes publics et des banques, fiefs des prébendes de l’oligarchie, rencontrera assez vite d’importantes difficultés. Beaucoup estiment cependant que, même en crise, le pays ne ralentira pas ses importations de minerai de fer.
Lié au secteur du fer, un des symptômes de ces rémanences enkystées, parmi les plus caricaturales de l’ancienne culture toujours en vigueur, qui distribue les grandes activités économiques en autant de féodalités imprenables des familles et des clans, est la controverse qui a opposé la Chine au minéralier brésilien Vale SA dont les vraquiers géants de près de 400 000 tonnes n’ont, depuis janvier 2012, plus l’autorisation d’accoster dans un port chinois.
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Hausse des prix du minerai.
Une des conséquences les plus spectaculaires du coup de fouet par injection de capitaux publics estimé à 1000 Mds de $ en grands travaux d’infrastructures de transports et en investissements industriels et immobiliers, est déjà visible dans le prix du minerai de fer, qui en décembre a atteint son plus haut niveau depuis 2010.
Au 4e trimestre 2012, la tonne se négociait à 119,88 $, au port de Tianjin. En janvier 2013, elle était à 145 $. En juin, elle pourrait, en fonction des analystes, se situer dans une fourchette de 150 à 170 $ la tonne. L’estimation la plus optimiste étant celle de Westpac Banking Group Corp. (WBC). Quel que soit le chiffre, il constituera une sérieuse embellie après la chute des prix de septembre à moins de 90 $ la tonne, que WBC avait anticipée, à leur plus bas niveau depuis trois ans.
La hausse rapide depuis septembre a été tirée par la confiance dans une accélération de la croissance chinoise, dont les estimations pour 2013 varient entre 8,6% pour HSBC et 7,4% pour la Société Générale, avec une moyenne de 8,2% établie à partir d’un panel de 18 banques et agences d’investissements, dont JP Morgan, la Banque Mondiale, le FMI, l’OCDE, Natixis, le Crédit Suisse, Goldman Sachs et la Bank of America.
Tous les observateurs estiment qu’en 2013, poussées par la demande des secteurs de l’acier - infrastructures de transport, constructions mécaniques et machines de chantier, à quoi s’ajoutera l’immobilier -, les importations chinoises de minerai de fer augmenteront de plus de 7% pour atteindre au moins 770 millions de tonnes, soit 65% du marché mondial.
La demande chinoise sera encore accélérée par la baisse régulière de la qualité du minerai domestique dont la teneur en fer est aujourd’hui près de quatre fois inférieure à celle du minerai importé (14% au lieu de 63%). Enfin, l’accélération des importations chinoises contribue d’autant plus à la hausse du prix du minerai de fer que les tensions sur la demande ont été renforcées par le recul en 2012 des investissements de grands minéraliers du secteur (BHP Billiton, Vale SA et Rio Tinto).
Mais s’il est vrai que tout le monde s’accorde pour dire que la relance continuera à produire ses effets sur la croissance et les prix du fer en 2013, les avis sont partagés dès qu’on tente de se projeter au-delà. Beaucoup spéculent en effet sur un nouveau ralentissement de l’économie chinoise en 2014, freinée par l’absence de réformes structurelles et la persistance des prébendes qui sont autant d’obstacles à un saut qualitatif et aux indispensables augmentations de productivité du capital et de la main d’œuvre.
Il reste que le mouvement d’urbanisation en cours, avec ses immenses défis de logements, voies de communication et d’infrastructures, continuera à maintenir les besoins de la Chine en minerai de fer à un taux élevé.
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Bataille pour les prix.
Une des controverses internationales liée au secteur du fer, et très significative de la rémanence des intérêts enkystés depuis des lustres, principaux obstacles à la réforme, a pendant toute l’année 2012 compliqué les relations du minéralier brésilien Vale SA avec les autorités chinoises.
Au passage, l’histoire renvoie aussi aux investissements dans les constructions navales et les transports maritimes, dont les performances sont mesurées par le Baltic Dry Index (BDI), créé en 1998 et géré par la société britannique Baltic Exchange à Londres.
Ce dernier est un index des tarifs pour le transport maritime en vrac des matières sèches (minerais ou céréales). Calculé d’après une moyenne des prix pratiqués sur 24 routes mondiales de transport du vrac, et en baisse presque constante depuis la fin 2009 (chute de 75% de l’index depuis décembre 2009), il est depuis le début 2013 animé d’un frémissement de reprise surveillé par les investisseurs à risques, qui se souviennent de la boutade du Baron de Rothschild : « achetez quand le sang coule, même s’il s’agit du votre ».
Quoi qu’il en soit, les querelles internes chinoises et peut-être la volonté des aciéristes et transporteurs chinois de desserrer l’étau que les grands minéraliers étrangers font peser sur le secteur du fer et de l’acier, ont directement touché la nouvelle stratégie commerciale de Vale SA.
En 2008, ce dernier avait en effet lancé un vaste programme de 35 gigantesques navires minéraliers pour compenser les avantages logistiques de ses concurrents australiens Rio Tinto et BHP Billiton, dont le transport vers la Chine est presque 4 fois moins long que pour Vale SA.
Initialement, les constructions navales chinoises, contrôlées soit par l’état soit par l’armée, séduites par l’ampleur du projet étaient en phase avec les ambitions du Brésilien.
Six vraquiers géants, sur les 13 en service ou en construction, sont déjà sortis ou sur le point d’être livrés par les chantiers de la côte Est de Nantong, de Jiangsu Rongsheng Heavy Industries (JRHI) et du golfe de Bohai. Au moins 6 autres sont en commande. En décembre 2011, le « Berge Everest », long de plus de 300 m (photo en 1re page), construit par le Chinois Bohai Shipbulding Heavy Industries, avait même accosté à Dalian pour livrer plus de 350 000 tonnes de minerai de fer.
Mais, un mois plus tard on entrait dans un de ces psychodrames étranges dont la Chine a le secret et qui plonge ses racines loin dans les non dits des enchevêtrements des affaires et du pouvoir, également révélateurs des vulnérabilités de la Chine, tributaire de l’ampleur de ses appétits en matières premières et en énergie.
En janvier 2012, en effet, Pékin interdisait l’accès aux ports chinois des vraquiers de plus de 300 000 tonnes, ce qui oblige Vale - qui a déjà investi plus de 4 Mds de $ dans son projet de grande logistique et dont les bénéfices sont en train de fondre - à détourner ses géants des mers vers Subic Bay aux Philippines et à terminer ses livraisons vers la Chine par des plus petits tonnages, après transbordements.
Compte tenu du contexte, personne ne croit aux raisons avancées par les Chinois, de la nécessité de travaux d’aménagements portuaires, à quoi s’ajouteraient les délais administratifs liés aux autorisations centrales, du ministère des transports et de la Commission du développement et de la réforme.
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Féodalités et ripostes chinoises.
Si les explications officielles n’ont pas réussi à convaincre, en revanche tout le monde a remarqué la pugnacité sur ce dossier du très actif président de l’association des armateurs Wei Jiafu.
Ce dernier se trouve être également le patron de COSCO, le géant chinois du transport maritime, en même temps qu’un membre éminent du Parti Communiste et de la Commission Centrale de discipline. En septembre 2012, il avait critiqué les « surcapacités » du transport maritime et violemment dénoncé « la vicieuse concurrence d’un nouvel arrivant du secteur », d’autant qu’en 2011, COSCO avait accusé 1,69 Mds de pertes.
Manifestement Wei, ulcéré qu’un ancien client et non des moindres, devienne son principal concurrent, a fait jouer ses relations et son influence dans le Parti pour freiner la stratégie de Vale en Chine et dans le monde, sans trop se préoccuper des incidences sur le prix du fer, pourtant crucial pour l’économie chinoise. Et la haute direction du Régime a pour l’instant emboîté le pas de cette controverse.
Mais il y a pire. Certains observateurs imaginent que la manœuvre chinoise, qui met Vale en grande difficulté, est une riposte aux pressions conjointes de BHP Billiton, Rio Tinto et Vale SA, et dont le comportement pour maintenir des prix du fer au plus haut est jugé arrogant. Déjà en 2010, la Chine et ses sidérurgistes avaient riposté contre l’attitude de Rio Tinto qui, après les avoir acceptées, avait rejeté les propositions de Chinalco de racheter 18% de son capital.
Le conflit s’était encore envenimé avec le refus des aciéristes chinois de céder aux exigences de prix des minéraliers, pourtant acceptés par le Japon et la Corée du Sud. La vengeance avait été très loin puisqu’une cour de Shanghai avait durement condamné pour corruption les employés de Rio Tinto en Chine, dont M. Hu Stern, d’origine chinoise, naturalisé australien.
Ce dernier, qui ne faisait que se soumettre aux pratiques habituelles du secteur dans la jungle de l’acier chinois, avait été condamné à 10 ans de réclusion et à une amende de 135 000 $ pour avoir accepté 900 000 $ de pots de vin de plusieurs sidérurgistes chinois et dérobé des secrets industriels, accusation qui n’a cependant jamais été prouvée par procès, dont cette partie a été conduite à huis clos. Ses trois collègues chinois avaient écopé de peines de prison allant de 7 à 14 ans, et de 980 000 $ d’amendes cumulées. Certains voient dans les manœuvres contre Vale, le deuxième acte des représailles chinoises contre le monopole des grands minéraliers.
Mais compte tenu des contraintes commerciales qui lient les protagonistes de cette guerre du fer – Vale exporte 40% de sa production en Chine (soit 120 millions de tonnes chaque année) et la Chine ne peut se passer du minerai brésilien, plus riche que l’Australien – il est probable qu’un accord sera trouvé, comme il l’avait été avec Rio Tinto, qui vend 25% de son minerai aux sidérurgistes chinois.
Peut-être s’agit-il des prémisses d’un armistice. Lors d’une visite au QG de Vale à Rio, en décembre dernier, le port de Zhanjiang près de Canton a signé un MOU avec le minéralier brésilien pour la construction d’un terminal de distribution de minerai de fer destiné aux petits aciéristes chinois. Il n’est pas anodin de signaler que le centre ainsi établi sera proche d’une aciérie en cours de construction par Baosteel, le n°1 chinois de l’acier.
Il reste maintenant à imaginer le meilleur discours, préservant la face de tous les protagonistes, qui permettrait d’enrober la volte-face des autorités chinoises autorisant à nouveau les minéraliers géants de Vale SA à accoster dans les ports chinois. Il y a fort à parier que le Brésilien, dont les affaires ont été secouées par cette escarmouche, acceptera quelques concessions sur les prix de son minerai.
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