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›› Taiwan

« Y a t-il un futur sans énergie nucléaire ? ». La société civile en marche

Le 11 mars, contrairement à l’année dernière, la Chine était absente de la commémoration du 2e anniversaire de la catastrophe du Fukushima au Japon, expliquant qu’il était inacceptable que des représentants de Taïwan aient été invités et traités sur le même pied que les diplomates des autres pays. Il est vrai qu’en 2012, le gouvernement de Yoshihiko Noda n’avait pas, comme cette année, cité Taïwan dans la liste des pays invités.

L’incident s’ajoute au contentieux de souveraineté en cours entre Tokyo et Pékin à propos de l’archipel des Senkaku / Diaoyu. Mais il touche aussi à la querelle entre le Continent et l’Ile sur la nature politique de leurs relations. C’est pourquoi le 12 mars, Pékin a précisé, par le truchement de son porte parole, que « l’attitude du Japon avait violé les principes et l’esprit de la déclaration conjointe de 1972, reconnaissant Pékin comme le seul gouvernement légal de l’Ile ».

Alors qu’à Taïwan se développe depuis plusieurs années un vif débat sur les risques de l’énergie nucléaire, attisé par la catastrophe de Fukushima, ce rappel venant de Pékin, où précisément les voix de la société civile sont encore tenues sous le boisseau, renforce encore le contraste politique existant entre les deux rives du détroit de Taïwan.

Fukushima, une alerte contre le nucléaire civil.

Dans l’esprit des Taïwanais, dont l’Ile est, comme le Japon, située sur la « ceinture de feu du pacifique », la catastrophe de Fukushima a résonné comme une très sévère mise en garde, que les militants antinucléaires n’ont pas manqué d’exploiter. Et ces derniers ne manquent pas d’arguments.

Le 24 mars 2011, moins de 2 semaines après le séisme qui dévasta le nord-est du Japon, le professeur Engelbert Altenburger, titulaire d’un doctorat de géosciences de l’université de Tübingen et professeur associé de Business international à l’Université de I-Shou, 義 守de Kaohsiung, publiait un long article dans le Taipei Times, intitulé « Taïwan pourrait-il être le prochain Japon ? ».

C’était à la fois une sévère mise en garde d’un expert géologue et une dénonciation en règle des mensonges du lobby nucléaire taïwanais qui, après la catastrophe japonaise, répétait que la géologie de Taïwan était différente de celle du Japon, et que les conditions de sécurité nucléaire y étaient bien meilleures.

La conclusion de l’article replaçait au centre de la question le débat qui agite aujourd’hui toute la classe politique taïwanaise. La controverse, devenue un enjeu politique, est liée au futur de la centrale nucléaire n°4, dans le district de Gongliao 貢寮, dans la zone du Nouveau Taipei 新北市, et dont la construction dure depuis 14 ans, au coût déjà prohibitif d’au moins 9 Mds de $ américains, alourdi par une longue série de déboires techniques et politiques, marqués par 2 arrêts des travaux, 16 révisions budgétaires, sous l’égide de 3 présidents et 12 premiers ministres.

Les dernières lignes d’Altenburger étaient sans appel : « la Centrale n°4 n’est pas éloignée de la ligne des volcans sous-marins actifs et plus des 2/3 des Taïwanais sont opposés au projet. La catastrophe de Fukushima est la dernière alerte en date qui suggère de mettre un terme à la production d’énergie nucléaire à Taïwan. ».

La polémique qui couve depuis de longues années a resurgi en force le 9 mars, à l’occasion de ce que les organisations ont appelé « la plus grande manifestation antinucléaire jamais organisée à Taïwan », où plusieurs dizaines de milliers d’opposants à la centrale n°4 et au nucléaire civil défilèrent dans l’Ile – plus de 200 000, selon les militants de « green citizens action » qui faisaient partie des organisateurs avec « Citoyens de la terre ». Lors de la manifestation ces derniers furent rejoints par une centaine de groupes et d’associations de la société civile. Ce qui constitue, sans nul doute, un événement politique de première grandeur.

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Le nucléaire, un enjeu politique.

Le gouvernement qui commence à considérer la question avec plus de recul a bien compris qu’il s’agissait là d’un enjeu majeur, puisque les manifestants réclamaient non seulement l’arrêt du projet de la Centrale n°4, à proximité de laquelle vivent plus de 6 millions de personnes dans un rayon de 80 km, mais également, l’arrêt des 3 centrales nucléaires déjà opérationnelles et le démantèlement de la zone de stockage de déchets nucléaires de l’Ile de Lan Yu蘭嶼 (Orchid Island) située au sud-est de Taïwan, entrée en fonction en 1982.

Devançant ses détracteurs qui lui reprochent de céder trop facilement aux antinucléaires, mais, anticipant la sensibilité politique de la question, coupant au passage l’herbe sous le pied de l’opposition qui envisageait la même chose, le tout nouveau premier ministre Jiang Yi-huah, dont c’était le baptême du feu, avait, dès le 25 février, déclaré que le Kuomintang allait proposer au Yuan Législatif l’organisation d’un référendum sur l’énergie nucléaire à l’été.

Son résultat, ajoutait Jiang, conditionnerait à la fois le chargement des barres de combustibles dans les réacteurs de la Centrale n°4 et sa survie à son poste, puisque le premier ministre a promis de démissionner si le résultat du scrutin était négatif. En attendant - a t-il ajouté pour répondre aux craintes d’accident - les contrôles de sécurité se poursuivraient sur les réacteurs déjà en service.

Autre indice montrant que le Kuomintang et le gouvernement prennent au sérieux la contestation, le jour même de la manifestation, le porte parole de la présidence a fait savoir que Ma Ying-jeou souhaitait discuter avec les antinucléaires et écouter leur suggestions pour des alternatives à l’énergie nucléaire. Il ajoutait cependant, pour bien faire comprendre la complexité de la question, que la politique nucléaire du gouvernement était articulée autour des 3 prémisses visant à contrôler le prix de l’électricité, à éviter les délestages et à réduire les émissions de carbone.

Quant au ministère de l’économie qui chapeaute la société publique Taipower, opérateur national responsable des centrales nucléaires, il a rappelé que l’arrêt de la Centrale n°4 créerait un important déficit de capacité et augmenterait la dépendance de l’Ile aux importations de pétrole et de gaz.

Enfin, toutes ces questions à cheval sur l’économie et la politique, qui menacent de provoquer une crise, étaient débattues dans le « Commonwealth Magazine », connu pour la sobriété et la qualité de ses analyses, au long d’un article au titre sans concession, publié le 7 mars : « le dilemme énergétique de Taïwan : Y a t-il un futur sans énergie nucléaire ? » Allant d’emblée au cœur du problème, l’auteur indiquait dès la première phrase que « les incertitudes autour de la Centrale n°4 auraient des conséquences sur le futur énergétique du pays », et se demandait si « Taïwan était vraiment prêt pour le rejet du nucléaire ».

Un appel à la responsabilité civile.

Le magazine explique que la décision d’organiser un référendum, prise par le premier ministre, qui a mis son poste en balance seulement 11 jours après sa nomination, a pris tout le monde à contrepied. Le groupe national Taipower d’abord, lié au pouvoir et dont toute la stratégie (contrôle des prix de l’énergie, réduction des émission de Co2, indépendance énergétique) est presque entièrement axée sur le nucléaire, au point qu’un changement de pied le mettrait en faillite. Mais les antinucléaires eux-mêmes craignent que le vote populaire, impressionné par les risques des délestages et la hausse des prix de l’énergie envisagés après la fermeture de la Centrale n°4, ne désavoue la protestation.

Dire que le lobby de Taipower est inquiet serait un euphémisme. Selon le magazine, les réunions d’urgence de la haute direction se succèdent à la recherche de réponses, « ayant déjà planifié le pire ». La conjonction de l’annulation de la Centrale n°4 et de la mise à l’arrêt des réacteurs anciens entraînera, dès 2014 un effritement dangereux de la réserve capacitaire qui tombera en-dessous de 10%. A partir de 2024, si rien n’est fait, elle ne sera plus que de 1%, ce qui mettra l’alimentation en énergie de l’Ile à la merci de la moindre panne de centrale, avec à la clé une augmentation des prix de l’électricité de plus de 40%.

Quant aux mouvements antinucléaires, la perspective d’un référendum ne les rassure pas non plus. Selon Wu Wen-tung, ancien président de l’association antinucléaire Yenliao, « le référendum est irresponsable ». « Il a une apparence d’équité, mais il est en réalité très dangereux », ajoute Irène Chen, Directrice d’un mouvement écologiste de femmes anti-nucléaires et de la Fondation « Fubon Cultural & Education - 富邦文教基金會 ».

L’article insiste sur le fait qu’un scrutin populaire ne peut pas faire l’impasse d’un débat responsable et ouvert, débarrassé des arrières pensées politiques. L’idée est exprimée par une phrase dont la hauteur de vue est remarquable et pourrait indiquer la naissance d’une société civile plus active : « cette controverse, qui agite Taïwan depuis plus de 20 ans, ne sera efficacement résolue [NDLR : et le référendum n’aura de sens] que si la société accepte de faire face aux conséquences potentielles d’un arrêt de la Centrale n°4 et d’en assumer collectivement les risques ».

Il faut aussi remarquer à quel point le débat ainsi engagé fait contraste avec l’opacité qui, sur le Continent, avait présidé à l’accélération du programme nucléaire civil, peu de temps après la catastrophe de Fukushima.

Quant aux solutions proposées elles sont toutes à la fois très classiques, longues à mettre en œuvre et politiquement difficiles à adopter, en même temps qu’elles baignent dans une atmosphère d’urgence, d’autant qu’à Taiwan le spectre de Fukushima pèse plus qu’ailleurs.

Quelles que soient les décisions – poursuite du programme nucléaire ou pas, augmentation du nombre des centrales au gaz, baisse de la consommation, hausse de la part des énergies renouvelables, ou diminution, comme en Angleterre, de la part de l’industrie dans l’économie et accroissement de la part des services -, une chose est certaine, la controverse qui s’est invitée dans la politique au point que le Kuomintang lui-même, jusque là ferme soutien du nucléaire, semble hésiter, marque peut-être une nouvelle phase de la vie politique du pays, dont le style et les modalités s’éloignent encore de la culture autoritaire, en vigueur sur le Continent.

Gardons nous cependant de trop de manichéisme spéculant sur le caractère figé des situations. En Chine, le débat qui agite aujourd’hui les responsables du régime tourne précisément autour du degré d’ouverture politique que le Parti pourrait consentir, sans prendre de risques existentiels, en réponse aux attentes pour plus de justice et d’équité d’une partie de la classe moyenne.

Il ne s’agit pas encore d’un dialogue avec une société civile organisée, mais on ne peut nier que des voix moins convenues ont commencé à s’exprimer de plus en plus ouvertement au travers des pétitions ou des réseaux sociaux, et que le pouvoir y prête attention.

A l’inverse, à Taïwan, si sous couvert de démocratie mal comprise ayant fait l’impasse d’un débat sur les risques posés par une bascule énergétique, une décision intempestive était prise contre le nucléaire civil sans que le pays ait été sérieusement engagé sur la voie de solutions alternatives, les dégâts économiques, sociaux et politiques qui en résulteraient seraient importants. Ils pourraient même augmenter la vulnérabilité de l’Ile face aux manœuvres de réunification par le truchement de l’imbrication économique, conduites par Pékin depuis 2008.

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NOTES de CONTEXTE.

Référendum.

La constitution prévoit l’organisation de référendums d’initiative populaire pour, notamment, réfuter des lois déjà votées, initier un processus imposant au gouvernement de proposer une loi au vote du Yuan législatif, appuyer ou réfuter des orientations politiques du gouvernement.

La procédure ne peut être lancée que si la proposition répond aux critères d’utilité ci-dessus et si elle est soutenue par au moins 0,5% de l’ensemble du corps électoral enregistré lors de la dernière élection valide. L’article 30 de la loi référendaire stipule en outre qu’un référendum ne peut être considéré comme valide que si la participation au scrutin atteint au moins 50% des électeurs inscrits.

Chine – Taïwan.

Récemment le magazine Tian Xia Zazhi - 天下 雜誌,en Anglais Commonwealth - a publié une série d’articles traduisant le sentiment de vulnérabilité des Taïwanais dans leurs relations avec le Continent. Citons par exemple le 1er novembre 2012, par Hsiang-Yi-Chang, « On lâche les rênes » qui s’interroge sur la pertinence de la politique de Ma Ying-jeou visant à augmenter considérablement les investissements chinois – qui, en valeur absolue, restent faibles à hauteur de 310 millions $ depuis 2009, mais dont le poids a triplé entre 2011 et 2012 -.

En conclusion, il rapporte le commentaire d’un ancien haut fonctionnaire des finances, resté anonyme : « Quand viennent les problèmes, on ne peut pas systématiquement se contenter d’aller chercher des investisseurs chinois pour jouer les pompiers. Taïwan doit pouvoir compter sur elle-même dans les difficultés. C’est le seul moyen de regagner une marge de manœuvre internationale ».

Ou encore, le 8 novembre par Rebecca Lin « Taïwan prendra t-elle le chemin de Hong-Kong ? », où on lit notamment que les Taïwanais craignent le poids grandissant des tactiques de séduction commerciales chinoises, en même temps qu’ils anticipent la capacité d’influence du Continent dans l’arène politique de l’Ile.

Dans la même veine, le 1er novembre dans « Tout droit, à la recherche des réseaux locaux », Rebecca Lin décrivait l’activisme local, dans la région de Kaoshiung, de Zheng Lizhong, le n°2 à Pékin du Bureau des Affaires Taïwanaises au Conseil des Affaires d’Etat.

Ce dernier, qui se démarque par son attitude chaleureuse des bureaucrates rigides, a réussi à tisser des liens étroits avec tous les secteurs, jusque dans les villages de pêcheurs et les fermes, aussi bien qu’auprès des hommes d’affaires influents, ou même des parlementaires, qui lui servent de porte d’entrée ou d’intermédiaires pour organiser ses contacts, lors de ses voyages.

En échange, son action, qui se développe - la précision n’est pas anodine - au cœur du fief politique des indépendantistes, arrange des transactions et facilite les exportations ou les investissements taïwanais vers le Continent. Avec parfois des augmentations de 100% des ventes de fruits vers la Chine, son activisme vise – et quand les résultats sont à la hauteur, il n’a aucun mal à le faire - à « conquérir l’esprit et les cœurs » des Taïwanais, et à installer une relation stable et de longue durée. Celle-ci, estime Rebecca Lin, est de nature à faire sérieusement contrepoids au désir d’indépendance de la base.

Perspectives économiques 2013.

« Commonwealth » a également publié le 27 décembre un sondage effectué auprès de 1000 chefs d’entreprise taïwanais qui révèle que 72% d’entre eux restent pessimistes sur la situation de l’économie globale. Mais une majorité spécule sur une modeste amélioration de leurs affaires en 2013.

Pourtant, alors que les prévisions officielles annoncent une croissance de 3,09%, 40% pensent qu’elle pourrait stagner en deçà de 2%, contrainte pas la dépendance de l’Ile aux exportations, la faible demande américaine et européenne et un nouveau ralentissement de l’économie chinoise. 36% d’entre eux, contre 20% au dernier sondage, considèrent aussi que les faibles performances des élites politiques de l’Ile sont un obstacle à leurs affaires, ou n’ont pas réussi à créer les conditions favorables à la croissance.

Toutefois, plus de 90% des sondés estiment que 2013 sera une année bénéficiaire. 44% envisagent d’embaucher. 58% ont l’intention d’investir ou de se développer en Asie, avec une préférence pour la Chine – qui, pour beaucoup reste la destination privilégiée, quoique « sa réputation est en baisse, à mesure que les coûts de production montent » -. L’Indonésie et le Vietnam viennent après et sont en hausse. A noter que le Myanmar a dépassé la Thaïlande dans la liste des destinations privilégiées. Nombreux sont ceux qui disent vouloir ainsi réagir à l’augmentation des salaires et à la contraction du marché à Taïwan.

Si le pourcentage de ceux qui pensent que les conditions d’investissement en Chine se dégradent, la proportion de ceux qui estiment qu’à Taïwan elles sont encore plus mauvaises, particulièrement pour les industries à forte intensité de main d’œuvre, dépasse 70%. Près de 60% estiment que la restructuration qualitative de l’industrie est un défi urgent ; + de 50% pensent que le gouvernement n’est pas efficace et + de 20% se plaignent des incertitudes politiques de la relation dans le Détroit. 45% n’envisagent pas d’investir à Taïwan en 2013, ou investiront moins de 1,5 million d’€.

 

 

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