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›› Chine - monde

Guerre commerciale entre la Chine et Bruxelles

Le 5 juin, la Commission européenne annonçait qu’elle allait mettre en place une batterie de taxes à l’importation pouvant aller jusqu’à 47% sur les panneaux solaires et les cellules photovoltaïques exportés en Europe par la Chine, accusée de dumping. La mesure est susceptible d’être révisée en décembre en fonction de l’état des négociations.

Moins de quarante huit heures plus tard, Pékin ripostait en lançant une enquête laissant présager qu’elle augmenterait encore les taxes – qui atteignent déjà 48% - sur les vins européens vendus en Chine dont une grande partie vient de France. La cible viticole n’est pas anodine puisqu’elle toucherait en priorité la France, n°1 des exportateurs de vins en Chine et un des fervents avocats à Bruxelles du protectionnisme contre le dumping chinois.

Les deux affaires, d’importance inégale, ont néanmoins un impact dans les relations de la Chine avec l’UE. L’une parce qu’elle touche à un secteur en expansion en Chine et dans le monde, l’autre parce qu’elle frappe une des fiertés commerciales de la France.

Selon Karel De Gucht, le commissaire européen pour le commerce, en 2011, la valeur totale des panneaux solaires achetés à la Chine par les pays de l’UE avait atteint 21 Mds d’€, représentant 80% de la production chinoise. Quant aux exportations de vins européens venant essentiellement de France, d’Italie et d’Espagne elles ont augmenté de 60% par an entre 2009 et 2012, atteignant 25,7 millions de litres en 2012, pour une valeur totale 763 millions d’euros, représentant 8,6% des exportations européennes de vins, dont plus de 70% proviennent de France.

Mais, preuve que la Chine doute encore de l’efficacité des représailles en prévision des négociations de la fin de l’année, elle laisse maintenant planer la menace d’une taxe sur les automobiles de grosse cylindrée qui, en Europe, frapperait essentiellement les voitures allemandes, Mercedes ou BMW. Par cette manœuvre qui toucherait son principal allié du Vieux Continent, le Bureau Politique chinois espère bien conforter le choix de Berlin de plaider en faveur de la Chine avant décembre prochain.

Après une période politique faste entre 2003 et 2005, les relations UE – Chine, d’abord fragilisées par l’échec du traité constitutionnel signalant un raté majeur de l’Europe politique, viennent de s’aigrir à nouveau dans la tourmente de la crise mondiale. Toutefois, il est assez peu probable que les deux partenaires aillent trop loin dans la querelle, tant les intérêts commerciaux réciproques sont considérables, dans un contexte où les contentieux ne cesseront pas.

Tout au plus cette secousse aura t-elle mis en évidence une fracture catastrophique au sein même de l’UE, où les pays du nord, fervents du libre échange s’opposent à ceux du sud, adeptes du protectionnisme et où, de surcroît, l’Allemagne joue un étonnant cavalier seul avec Pékin, sans trop se soucier de ménager la cohésion européenne.

Cette cacophonie traduit le déficit politique européen face à la Chine. Ce dernier est d’autant plus regrettable que l’UE est moins dépendante de la Chine qu’on le dit. S’il est vrai que le commerce bilatéral Chine – Europe est en augmentation rapide, tandis que le marché chinois reste très attractif dans nombre de secteurs, la dépendance réelle de l’UE aux investissements chinois en Europe reste, quoi qu’on en dise, assez faible.

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Inquiétude et colère chinoises. Cacophonie européenne.

En réalité aucun des deux grands partenaires n’est en position très favorable dans ce bras de fer qui risque, s’il s’aggravait, de provoquer quelques dégâts en Europe et en Chine. Les échauffourées surviennent en effet dans un contexte global difficile où la Chine et l’UE ont l’un et l’autre été secoués par la crise.

L’Europe est aujourd’hui économiquement en léthargie, politiquement affaiblie et divisée selon une ligne de fracture nord-sud, tandis que la Chine placée sous l’exigence de la modernisation de son schéma de croissance qui devra basculer vers plus de qualité, mesure à quel point la santé de sa machine économique dépend dangereusement de ses exportations, aujourd’hui en partie menacées par l’atonie européenne.

Dans ce contexte très imbriqué, la résurgence périodique des querelles est probable. Les pays de l’UE continueront d’accuser la Chine de dumping et de protectionnisme au profit de ses entreprises, tandis que Pékin ne cessera de se plaindre à Bruxelles et à Washington des obstacles (tarifaires ou non) opposés à ses exportations et à ses investissements. Dans le même temps, les efforts chinois pour monter en gamme qualitative grâce aux transferts attiseront les accusations contre la Chine de captations de technologies et de non respect de la propriété intellectuelle.

Il reste que l’UE et la Chine sont des partenaires commerciaux de premier rang, avec une valeur totale des échanges annuels à plus de 500 Mds d’€ - l’UE étant le partenaire n°1 de la Chine, qui est elle-même le 2e client de l’UE -.

Alors que l’éventail des relations dépasse largement la question de panneaux solaires et du vin et que Pékin a un intérêt stratégique et technologique majeur à favoriser les échanges autour de l’aéronautique et du nucléaire civil - secteurs où la France tient une place importante, tandis que Renault et PSA sont engagés dans projets majeurs dans la région de Wuhan -, on peut espérer que d’ici décembre 2013, un compromis sera trouvé et que la hache de guerre sera au moins provisoirement enterrée.

Chacun a donc intérêt à ne pas pousser trop loin le bras de fer, sans compter que l’UE très désunie n’a, pour l’heure, pas les moyens politiques d’une confrontation commerciale prolongée avec Pékin.

La querelle met en effet en évidence les assez graves dissensions au sein de l’UE sur les questions commerciales, dont l’acuité reflète les difficultés politiques de l’Union. En général, les pays de l’Europe du sud se déclarent plus favorables aux mesures protectionnistes, tandis qu’à l’inverse le Nord les dénonce, avec aujourd’hui, le Royaume Uni et l’Allemagne en première ligne des désaccords sur les sanctions.

Les critiques pointent du doigt l’incohérence d’une politique stigmatisant les subventions chinoises que l’UE a elle-même appliquées sous couvert de favoriser ses projets écologiques. Quoi qu’il en soit, et preuve de l’imbrication complexe générée par la globalisation, il est un fait que les représailles économiques contre les équipements solaires chinois, vendus entre 20 et 30% moins chers, aboutiront de manière contradictoire à alourdir considérablement les coûts dans un secteur que l’UE souhaite pourtant promouvoir.

Ce n’est pas non plus la moindre des incohérences que la controverse et les accusations de dumping chinois aient été en partie lancées par la société Solarworld AG, le n°1 allemand des panneaux solaires, tandis que la Chancelière allemande a, à plusieurs reprises, exprimé sa ferme opposition aux sanctions.

Berlin et Londres craignent aussi que la querelle n’affaiblisse leurs positions sur le marché chinois et ne heurte les projets d’investissements chinois en Europe, qui sont parfois un des éléments du sauvetage des sociétés industrielles affaiblies par la crise, quand les investisseurs traditionnels ont perdu confiance.

A la fin 2011, le stock de capitaux chinois au Royaume Uni avait déjà atteint 1,76 Mds de $ - chiffre qu’il faut cependant mettre en perspective puisqu’il est sans commune mesure avec le flux des investissements intra-européens ou venant des États-Unis -. L’impact des capitaux chinois en Europe reste en effet encore faible, avec seulement 359 investissements de nature privée ou semi-privée sur les 573 opérations conclues depuis 2000.

En valeur, ce sont d’ailleurs les investissements publics qui tiennent le haut du pavé, avec 72% du total des montants investis (soit 16 Mds d"€ entre 2000 et 2012, à comparer avec le flux de 40 à 50 Mds d’€, investi chaque année uniquement en France).

Mais le fait est que Londres a accueilli avec soulagement les projets de l’équipementier des télécoms Huawei d’investir 1,3 Mds de £ dans une nouvelle usine et ceux de la Holding financière chinoise ABP de s’engager dans la rénovation du complexe de bâtiments et d’entrepôts de l’Albert Docks à Liverpool.

Alors que David Cameron a – peut-être avec une emphase excessive, si on considère le poids relatif des investissements chinois - fait du rapprochement avec la Chine « une priorité personnelle » de sa stratégie de rétablissement économique, Berlin est depuis plusieurs années engagée de son côté dans une relation privilégiée avec Pékin.

Au point que, contrairement à la France, sa balance commerciale avec la Chine est équilibrée et les relations bilatérales au beau fixe. Lors du passage de Li Keqiang en Allemagne en mai dernier, Angela Merkel avait promis d’intercéder auprès de Bruxelles pour désamorcer la querelle. Tout indique que, d’ici décembre, Berlin pèsera pour faire annuler ou édulcorer les sanctions.

Mais surtout, l’Allemagne, tout à son redressement économique et à sa recherche de débouchés en Chine pour son appareil industriel, semble faire passer ses intérêts avant les priorités stratégiques de l’UE. La relation privilégiée Berlin – Pékin brouille les efforts de cohérence européenne et handicape encore plus la difficile marche vers l’intégration politique de l’UE. Il est probable qu’en décembre 2013 Berlin n’acceptera pas de se conformer à une discipline des sanctions contre la Chine.

Rien ne dit non plus que les 27 seront en mesure de définir une politique commune sur l’affaire des panneaux solaires. Ces discordances européennes placeraient Pékin en position de force, chaque membre de l’Union étant contraint de promouvoir isolément ses intérêts. C’est bien cette crainte qui a suscité l’initiative française du 5 juin 2013 demandant une réunion des 27 pour définir « une solidarité des points de vue » sur le négociations commerciales avec la Chine. Rien n’indique que Paris pourrait obtenir satisfaction.

Voir aussi notre article Chine – Allemagne – Europe. Le grand malentendu).

L’analyse des réactions des organes de presse européens et chinois donne, avec les déclarations officielles, une image des désaccords au sein de l’UE, en même temps qu’elle fournit quelques indications sur l’état d’esprit de la Chine qui balance entre inquiétude, colère et volonté de représailles.

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L’écart encore irréconciliable entre les positions commerciales.

Dans son éditorial en ligne du 28 mai le journal Le Monde argumentait sur les risques sociaux du dumping chinois – 25 000 emplois menacés en France –, sur les coups portés par la Chine à « une industrie d’avenir », et sur les défis que Pékin posait à la cohésion européenne - « l’exemple donné par Madame Merkel est catastrophique » assénait l’auteur -. Ce dernier rappelait aussi que la décision du Commissaire européen Karel de Gucht ne faisait qu’emboîter le pas des États-Unis qui, « au printemps 2012, avaient appliqué des taxes allant de 35 à 250% sur les panneaux solaires chinois importés. ».

La conclusion appelait au durcissement de l’UE contre la Chine et exprimait un vœu qui, aujourd’hui, paraît encore très utopique : « La bonne stratégie eût été, pour l’ensemble des Européens, de coller publiquement à l’initiative de M. De Gucht pour arriver en position de force à une négociation avec la Chine. Bref, de faire comme les États-Unis, et pas, une fois de plus, comme les Bisounours du commerce international ».

En même temps, et comme pour pointer du doigt à quel point les relations commerciales sont aujourd’hui enchevêtrées et contraignantes, un article des Échos jetait une lumière crue sur la vulnérabilité aux représailles chinoises des viticulteurs du Bordelais. Il rappelait en effet que l’empire du Milieu, qui, avec Hong Kong, « pesait » 27% des exportations des vins de Bordeaux, était aujourd’hui leur premier marché à l’export, avant même le marché anglais et représentait deux fois et demie le marché allemand. Pour le journal La Croix, des sanctions chinoises frappant les vins de Bordeaux seraient « une catastrophe » et menaceraient plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans le sud-ouest.

La musique était sensiblement différente à Londres et Berlin. Le 8 juin, le Guardian publiait un article sur la détermination d’Angela Merkel à éviter une guerre commerciale dangereuse et appelant à « d’intenses négociations » avec la Chine, d’autant que la Commission avait lancé une nouvelle piste de menaces contre les opérateurs de télécoms chinois.

Toujours selon le journal anglais, le jeu des attaques et ripostes en cours menaçait de plonger l’Europe et la Chine dans une guerre commerciale au milieu de sévères rivalités européennes, tandis que, facteur aggravant parce que très émotionnel, la France était « outragée » par la rétorsion viticole injustifiée de Pékin. Dans le même temps, le ministre allemand de l’économie, Philipp Rösler, qualifiait de « grave erreur » la décision de la Commission européenne de taxer provisoirement les importations de panneaux solaires chinois, et appelait au dialogue.

Quant aux journaux chinois, ils expriment à la suite de Li Keqiang en visite en Allemagne fin mai, un mélange d’inquiétude à quoi s’ajoute la menace de représailles à laquelle chacun se prépare, mais dont Pékin, qui joue sur les ambiguïtés, n’a, en dehors de la riposte sur les vins, pas encore dévoilé toutes les facettes.

Une brève du Global Times du 6 juin soulignait que les mesures européennes coûteraient au moins 500 000 emplois en Chine. Dans le même temps, le China Daily publiait un long article de He Weiwen, codirecteur du Centre d’études Chine – États-Unis – Europe de l’Association chinoise pour le commerce international. Se projetant dans l’avenir, il regrettait que l’UE néglige l’importance de l’énergie solaire appelée à fournir en 2060 plus de 30% de l’énergie globale, une réalité qui devrait inciter la Chine et l’UE à coopérer financièrement et technologiquement sur ce secteur.

A ces injonctions de coopération sur fond de demande globale – qui envisagent d’échanger les technologies européennes contre l’appui financier de la Chine - il ajoutait aussitôt une pression allusive, soulignant qu’une guerre commerciale ouverte pourrait priver l’UE des opportunités considérables d’une Chine en pleine mutation urbaine, dont les importations cumulées dans les cinq années à venir atteindraient 10 000 Mds de $.

Le 8 juin, un article du Quotidien du Peuple intitulé « La Chine espère un mieux, mais se prépare au pire » expliquait, en se plaçant sur le terrain moral et politique, qu’il y aurait plusieurs messages négatifs dans la décision d’imposer des taxes aux importations de panneaux solaires chinois.

Le premier, dit l’auteur, plutôt à contretemps, traduirait « le manque de courage de l’UE face aux réalités » et un « déficit de confiance dans la capacité des protagonistes à résoudre les contentieux par la négociation », critiquant au passage le processus de prise de décision de l’UE qui aurait permis à Karel de Gucht « de prendre la main seul, sur un sujet aussi sensible ».

Depuis que l’UE a lancé ses enquêtes, ajoute le journal, les prix des panneaux chinois ont augmenté de 20%, tandis que les taxes européennes réduiront la demande européenne de 80%, portant atteinte aux intérêts « raisonnables de la Chine ».

Le Quotidien précisait aussi – renversant les rôles - que les taxes traduisaient les tendances protectionnistes de l’UE, auxquelles Pékin s’était toujours opposé et exprimaient un fond de « mauvaise foi refusant la compétition commerciale ». A la lumière des liens commerciaux récents, il n’y aurait pas d’obstacles que les partenaires ne puissent surmonter.

Mais si ces derniers ne tenaient pas compte de leurs intérêts réciproques, ou s’ils manquaient de « sincérité » dans la recherche de solutions négociées, la Chine et l’UE pourraient difficilement développer des coopérations économiques saines et opérationnelles.

La conclusion était une menace à peine voilée : « La Chine est psychologiquement prête à affronter les difficultés qui s’annoncent et ne se fait aucune illusion sur les négociations avec l’UE. Elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour que la situation s’améliore, tout en se préparant au pire. Dans ce cas, elle jouera des nombreuses cartes dont elle dispose. »

En faisant le bilan des réactions très diverses au sein de l’Europe, à quoi s’ajoutent les injonctions et mises en garde chinoises, on ne peut s’empêcher de songer à des jeux de rôles en amont des négociations à venir. La vérité est que ni Pékin ni Bruxelles n’ont les moyens d’une querelle trop longue et trop sévère.

La Chine, déjà sur la sellette aux États-Unis, devra composer. Elle est en effet encore très dépendante des marchés occidentaux, tandis que sa modernisation et le succès de l’urbanisation en cours sont en partie liés aux transferts technologiques européens et américains, notamment dans l’énergie, le transport aérien et la protection de l’environnement, trois secteurs stratégiques de première grandeur.

Quant à la Commission européenne, elle avance plus dispersée que jamais sur le marché prometteur de la modernisation chinoise et de son urbanisation massive. C’est pourquoi, elle n’aura d’autre choix que de trouver un terrain d’entente non seulement avec Pékin, mais également avec les États membres, dont il est probable que certains n’accepteront pas de reconduire les mesures tarifaires imposées par Bruxelles.

 

 

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