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›› Politique intérieure

Tibet. Recadrage et controverses internes

S’inscrivant dans les désaccords sur le degré d’ouverture politique, la stratégie à l’égard des irrédentismes ethniques fait également l’objet de tensions internes. Celles-ci, qui agitent les plus hautes strates du pouvoir chinois, sont récemment apparues au grand jour entre une experte de la question tibétaine et le Bureau Politique.

Le 9 juillet dernier, le Quotidien du Peuple réaffirmait la position très rigide du Parti sur le Dalai Lama, après que la police aurait ouvert le feu au Sichuan sur une foule de disciples rassemblés à l’occasion de l’anniversaire du chef religieux.

L’article citait Yu Zhengsheng, n°4 du régime, en charge des questions ethniques, qui appelait à la fois à l’amélioration des conditions de vie des Tibétains et à la lutte contre « les activités séparatistes de la clique du Dalai Lama ». Il ajoutait que la « voie moyenne » prônée par ce dernier et par le gouvernement en exil, comprenant « un soi-disant haut degré d’autonomie du Grand Tibet » était complètement opposée à la constitution du pays et à la vision chinoise de l’autonomie des ethnies.

Ce recadrage sans concession qui traitait le chef religieux tibétain de « séparatiste » prenait brutalement le contrepied d’une interview accordée le 12 juin à Asia Weeks, basé à Hong Kong, par Madame Jin Wei, Directrice adjointe des études ethniques et religieuses à l’Ecole Centrale du Parti.

Elle expliquait notamment que le fait de traiter le Dalai Lama comme un ennemi n’aboutissait qu’à dresser les 6 millions de Tibétains contre le Parti Communiste Chinois, alors que le Chef religieux, considéré par les Tibétains comme le Bouddha Vivant, était la clé de la question tibétaine.

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Signes de dissensions au sommet

Jin Wei conseillait de mettre de côté la question du « Grand Tibet », dont la sensibilité handicape les négociations, et suggérait d’autoriser à nouveau la vénération des photos du Dalai Lama sur le Plateau, tout en lui permettant de rentrer progressivement en Chine, en passant d’abord par Hong Kong et Macao. Le but de cette politique d’ouverture mesurée serait, selon elle, de mettre Pékin en mesure de reprendre le contrôle de la sélection du successeur de l’actuel Dalai Lama, « pour éviter à la Chine l’embarras d’avoir à faire face à deux réincarnations », l’une choisie par les Tibétains, l’autre par le Parti.

L’affaire n’est pas périphérique, puisqu’elle met en présence deux écoles politiques, l’une cadenassée prônée par le Comité Permanent et l’autre plus souple, mise en avant par un chercheur, prête à négocier, à propos d’une controverse déjà ancienne, mais qui se développe ouvertement au cœur même du système politique chinois.

Elle est d’autant plus significative des dissensions internes que l’Ecole Centrale du Parti, chargée de la formation politique des hauts dirigeants a, lors du 18e Congrès, été confiée à Liu Yunshan, n°5 du Régime, l’une des personnalités les plus fermées de la classe politique chinoise.

La mise au point du Quotidien du Peuple et de Yu Zhengsheng, qui refroidit les espoirs des Tibétains vient après la vague de suicides par le feu, déclenchée en 2009, dont le bilan atteignait 120 victimes au 19 juin dernier (101 hommes, dont 23 étaient âgés de moins de 18 ans et 19 femmes, dont 2 religieuses).

Il est probable que cette longue suite de sacrifices qui désarçonnent le pouvoir n’est pas étrangère au durcissement de la Direction chinoise. Le raidissement tranche avec la volonté de dialogue sans cesse exprimée par le Dalai Lama qui, à plusieurs reprises, a clairement pris ses distances avec la vague de suicides, estimant qu’elle n’aidait pas la cause du Tibet.

A la mi-juin, à un correspondant du journal Die Welt, venu l’interviewer à Dharamsala, il expliquait que les protestations et les immolations, en augmentation ces dernières années, avaient provoqué un alourdissement de la présence militaire chinoise. Pour le Chef religieux, aujourd’hui officiellement retiré de la politique, le problème tibétain devait être résolu par le dialogue, la compréhension réciproque et l’harmonie.

Il faut également rappeler que Hu Yaobang, la conscience politique du Régime, devenu l’emblème des réformateurs, dont la disparition en 1989 alluma l’étincelle de Tian An Men, et dont la tombe est encore visitée chaque année, avait lui-même prôné un allègement de la main chinoise sur le Tibet, avant d’être limogé par Deng Xiaoping en 1987.

La controverse vieille de plus de 30 ans, qui resurgit autour de la politique tibétaine de la Chine, renvoie donc aussi aux tensions internes entre les adeptes inflexibles de la fermeture et les tenants de la souplesse.

Ces derniers qui se réclament de Hu Yaobang, ne sont pas des soliveaux puisqu’il s’agit de Li Yuanchao, le vice-président, de Wen Jiabao, l’ancien premier ministre et n°3 du Régime, et de Wang Yang, ancien n°1 à Canton, aujourd’hui membre du Bureau Politique, Vice-Premier ministre en charge du commerce, de l’agriculture et des désastres naturels.

Il est intéressant de noter que l’ascension des deux derniers vers le sommet a été bloquée lors du 18e Congrès. ils n’avaient en effet pas été admis au Comité Permanent, probablement parce que les conservateurs estimaient que leurs convictions politiques d’ouverture mettaient le Parti en danger.

Force est de constater que leur parole est aujourd’hui très rare, contrairement à la période 2008 - 2010, où ils s’étaient beaucoup exprimés. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils aient renoncé à toute influence.

Le Tibet, atout stratégique de la Chine.

Au Comité Permanent on craint aussi qu’une détente politique n’affaiblisse le contrôle du Centre sur le Plateau, portion de très haute valeur stratégique du territoire chinois, au contact de la frontière indienne, où, selon les renseignements militaires indiens, l’APL a déployé au moins 9 bases de missiles nucléaires, 17 stations radar, et 14 bases aériennes, dont les capacités d’accueil sont en cours d’extension pour des chasseurs à long rayon d’action.

Pékin a aussi développé un réseau routier très dense permettant la bascule rapide d’unités militaires d’est en ouest, le long des zones contestées de l’Aksaï Chin et de l’Arunachal Pradesh. Voir le site The Challenge Posed by China’s Military Posture in Tibet.

Lire aussi Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.

Le contexte, également marqué par les tensions avec l’Inde qui s’ajoutent à l’immobilisme politique du Comité Permanent exprimé par Yu Zhengsheng et Liu Yunshan ne plaide donc pas pour une évolution politique dans un avenir proche.

Il n’empêche que la controverse devenue publique entre une intellectuelle ethnologue attachée à l’Ecole du Parti et au moins deux membres du Comité Permanent exprime un craquement dans la ligne politique à propos du Tibet, qui renvoie à une scission entre les tenants d’une approche souple, au moins à l’égard du Dalai Lama, et ceux accrochés à une stratégie de condamnation sans nuance du chef religieux tibétain.

Ces critiques de la ligne officielle souvent diffusées par le canal des médias de Hong Kong ou même des organes de presse occidentaux sont des indices de bataille interne. Ils sont à considérer avec d’autant plus d’attention qu’ils ne sont pas isolés, et qu’aucun chercheur n’oserait s’avancer sur le terrain de la contestation publique du Parti s’il ne bénéficiait d’appuis solides au sein même du système.

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BRÈVES (1)

Souplesse politique dans la région de Canton.

Le récent raidissement du Bureau Politique sur la question tibétaine, tranche avec la capacité de souplesse du régime quand surgissent des protestations sociales de la nouvelle classe moyenne, dont il faut se souvenir qu’elle constitue encore, malgré l’accumulation des réactions rétives, la base politique du Parti. Mais les réactions du net à une récente souplesse écologique et sociale des autorités dans la région de la Rivière des Perles, craignent que la réaction rapide des autorités locales ne soit qu’une manœuvre de diversion.

A Jiangmen, située à 60 km de Canton au nord et à 70 km de Macao au sud, dans une des régions les plus peuplées de Chine, à l’entrée du delta de la Rivière des Perles, les autorités locales ont provisoirement mis fin à un projet de près de 5 Mds de $ qui envisageait la construction sur 300 ha, par la China National Nuclear Corporation, d’une usine de retraitement d’uranium, dont les experts chinois affirmaient qu’elle était ultramoderne et unique en Asie.

Une déclaration postée sur le site du département local de la propagande affirmait que la décision avait été prise « non pour des raisons de sécurité, mais pour respecter l’opinion publique ». La rapidité inhabituelle de la décision pour un projet aussi lourd, 24 heures seulement après qu’une petite foule de moins de 1000 personnes s’était rassemblée face à la mairie de Jiangmen, exprime au moins en apparence une stratégie politique de concertation systématique avec la classe moyenne, décidée par le Centre.

L’arrêt du projet de Jiangmen intervient en effet après plusieurs fermetures sous la pression publique de projets industriels jugés polluants (un centre pétrochimique à Kunming en mai dernier, une usine métallurgique au Sichuan il y a un an, et quelques autres au Liaoning, au Jiangsu et à Shanghai ces dernières années). Mais c’est tout de même la première fois qu’une telle décision concerne un projet nucléaire.

Si la vague antinucléaire se développait, elle pourrait poser des problèmes politiques et énergétiques graves à la Direction chinoise. Selon Xinhua, l’usine de Jiangmen dont la capacité envisagée était de 1000 tonnes d’uranium enrichi par an, devait alimenter en combustible les centrales de la province de Canton et du Fujian, dans un contexte où le pays – qui n’a que peu d’alternatives pour réduire sa dépendance aux énergies polluante –, a décidé de développer massivement le nucléaire civil, avec 17 réacteurs en fonctionnement et 28 en construction.

Dans ce contexte nombre d’internautes craignent que la décision de Jiangmen ne soit qu’une diversion politique, alors qu’un sondage de Jiaotong Daxue à Shanghai montre que plus de 75% des personnes interrogées estiment que la protection de l’environnement devrait prendre le pas sur le développement et se déclarent prêts à participer à des protestations de rue si nécessaire.

En analysant les raisons du raidissement de l’opinion, plusieurs sociologues chinois pointent du doigt un déficit de communication et un manque de transparence, héritiers des méthodes de gouvernement archaïques, décalées des nouvelles exigences de la nouvelle classe moyenne.

La fureur des riverains s’exprime en effet souvent parce qu’ils ne prennent connaissance d’un projet sensible seulement quand les travaux ont commencé ou peu avant. Il est évident qu’à Jiangmen, les tensions reprendraient de plus belle s’il apparaissait que le retrait n’était qu’une manœuvre tactique et que les autorités, encore habitées par le réflexe de manipulation des foules, s’abstenaient de répondre aux nouvelles exigences de dialogue de la société civile, seule voie de sortie pour résoudre sans tumultes les grandes contradictions de la Chine en mutation.

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BRÈVES (2)

Lutte contre la corruption dans l’armée.

Les attaques contre la corruption de la haute administration continuent, avec la mise en accusation d’une assez longue série de responsables de provinces – sans toutefois franchir le niveau très sensible des plus hautes strates du régime, toujours immunes -, à quoi se sont ajoutées une réglementation inédite des privilèges accordés aux cadres, et une mesure originale de lutte contre la fraude fiscale des entreprises, associant les factures à des billets de loterie.

Récemment l’opération mains propres déclenchée par le Comité Permanent vient de se tourner contre l’APL. Une nouvelle directive de la CMC dont Xi Jinping est le Président, citée par Leigh Moses dans un article du Wall Sreet Journal du 11 juillet, exhorte les chefs militaires à « s’engager avec détermination dans la lutte contre la corruption, à se comporter avec honnêteté et à faire preuve d’auto-discipline, en refusant les privilèges et en acceptant les contrôles des échelons supérieurs ».

Au passage la note souligne, dans un style très direct, que beaucoup de responsables militaires sont encore loin de répondre à ces critères de bonne conduite en matière de gestion des comptes publics et des contrats d’équipements des armées. Joignant le geste à la parole, un audit a été lancé pour faire le bilan des opérations immobilières contrôlées par l’APL. D’autres mesures plus anecdotiques, mais très visibles ont été appliquées pour réduire le train de vie des cadres, telle la suppression des adhésions gratuites aux clubs de luxe privés.

Récemment le Global Times, Xinhua et plusieurs médias chinois ont livré une liste des derniers officiels tombés pour corruption. On y trouve Liu Zhijun, le ministre du rail, mis à pied en 2011 et condamné à mort avec 2 ans de sursis, Lie Tienan n°2 de la Commission Nationale pour la Réforme et Développement mis en examen en mai, et une série de cadres intermédiaires comme le vice-gouverneur de l’Anhui, plusieurs commissaires de police et leurs adjoints, ou un inspecteur du travail de Shenzhen.

La lutte contre la corruption reçoit un appui de taille par le truchement des informations qui circulent sur internet et les réseaux sociaux. Cette nouvelle vague difficile à contenir heurte de plein fouet les stratégies de contrôle politique et de prêt à penser idéologique mises en œuvre par Liu Yunshan et ses équipes de propagande. Les sévères mesures de censure n’ont cependant pas réussi à freiner la diffusion récente des fortunes de la nomenclature civile et militaire.

Sur ce terrain, occupé par près de 600 millions d’internautes et 400 millions de « blogueurs » et adeptes des réseaux sociaux, le Parti est en passe de perdre la bataille.

Fuite illégale de capitaux. Accord avec le Canada.

Une dépêche de Xinhua du 4 juillet rend compte que Pékin et Ottawa ont conclu un accord permettant de tracer les transferts illégaux de capitaux et de les retourner dans leur pays d’origine.

Le Canada est aujourd’hui encore une des destinations préférées des officiels ou hommes d’affaires chinois corrompus, dont les plus connus sont Lai Changxing – recordman de l’évasion de capitaux dont le montant atteint plusieurs milliards de $ - et Gao Shan, ancien président de la succursale de Harbin de la Banque de Chine.

Selon la Banque Centrale, depuis 1990, 18 000 officiels et cadres des entreprises publiques ont quitté la Chine avec 123 Mds de $. Mais des statistiques plus alarmantes circulent. Le Wall Street Journal estime en effet que 225 Mds de $ ont quitté le pays, seulement entre septembre 2011 et septembre 2012.

Quant à l’ONG américaine Global Financial Integrity, elle avance que, depuis 2000, en moyenne 315 Mds de $ quittent la Chine chaque année de manière illicite. Cette situation explique que la Chine ait signé des traités d’extradition similaires avec plusieurs autres pays dont l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Australie et la France. En échange Pékin a du promettre de ne pas exécuter les coupables.

 

 

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