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›› Politique intérieure

La corruption des juges, les vidéos salaces et le « coup de torchon » des réseaux sociaux

Depuis l’intrusion dans la société chinoise du vent nouveau d’internet et de la bourrasque des réseaux sociaux indiscrets, inquisiteurs et pourfendeurs de l’arbitraire, on ne compte plus les règlements de compte jetés en pâture de la curiosité publique, vidéos impudiques à l’appui, dont beaucoup sont le fait de petites amies, maîtresses ou « er nai 二 奶 » jalouses ou éconduites, à quoi s’ajoutent les victimes frustrées de fraudes commerciales, de petites vindictes locales ou de querelles de pouvoir.

Parfois il arrive que ces échauffourées privées motivées par les frustrations et le ressentiment touchent les strates supérieures de la machine politique du régime et mettent à jour quelques uns de ses dysfonctionnements majeurs que sont la corruption endémique de l’administration, le népotisme et même l’arbitraire de la justice pour l’instant irrémédiablement liée aux enchevêtrements compliqués de l’Etat-Parti et des affaires.

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Trafics d’influence et chantage à Chongqing.

En janvier dernier 11 cadres de la municipalité de Chongqing furent démis de leurs fonctions après la diffusion en novembre 2012 sur les réseaux sociaux d’une vidéo impudique montrant les ébats sexuels d’un officiel du Parti avec une jeune fille de 18 ans.

L’affaire n’était pas seulement une atteinte aux bonnes mœurs, mais devint un scandale de première grandeur qui mit brutalement à jour à la fois l’absence d’éthique de certains responsables et l’étroite collusion des administrations locales avec les milieux d’affaires et la mafia, dont la municipalité avait adopté les modes d’action. L’esclandre qui révéla également le laxisme de la justice, renvoyait au sulfureux système clientéliste échafaudé par Bo Xilai avant sa chute, en mars 2012.

La diffusion de la vidéo, provoqua d’abord l’arrestation de Lei Zhenfu, le cadre du Parti par qui le scandale arriva ainsi que la mise à pied de Fan Wenbi un secrétaire du Parti local et la destitution de plusieurs dirigeants de grandes entreprises publiques, également membres du Parti.

Tous les acteurs sanctionnés étaient convaincus d’avoir fait partie d’un trafic d’influence et d’une organisation destinée à faire chanter les fonctionnaires piégées par des caméras indiscrètes, pour les obliger à attribuer à leur société les projets de construction de la municipalité, sous peine de diffusion publique des vidéos montrant leurs exploits sexuels.

A l’époque des faits qui remontent aux années 2008 – 2009 la justice, placée sous la coupe de Wang Lijun, chef de la police, vice-maire et homme de confiance de Bo Xilai avant sa fuite vers le consulat des Etats-Unis, avait d’abord fait preuve d’une relative mansuétude, agissant avec célérité et discrétion, hors de la vue du public.

Lei Zhenfu qui avait pourtant déjà été convaincu de trafic d’influence au profit de la société de travaux de son jeune frère, fut relaxé par le tribunal qui, disait la déclaration officielle, tenait compte de son absence de casier judiciaire. Les autres écopèrent de peines légères allant de un mois à un an de prison pour le chef de la bande, seulement convaincu d’avoir copié sans autorisation le tampon officiel du gouvernement local. La carrière des autres n’en fut pas affectée. Quant à Lei, il fut promu au rang de secrétaire général (n°1 du Parti) du district dont il était le gouverneur.

La diffusion de la vidéo en novembre 2012 changea brusquement la donne et plaça toute l’administration du district, les PDG des groupes publics et Xiao Ye, un homme d’affaires de Chongqing, sous les feux de la vindicte publique des internautes.

Les réseaux sociaux diffusèrent largement l’information mise à jour par le journaliste d’investigation Zhu Ruifeng, selon laquelle Xiao avait mis au point avec quelques comparses un réseau destiné à faire chanter les cadres du Parti et les patrons des entreprises publiques de Chongqing qu’ils attiraient dans un traquenard avec des prostituées travaillant pour eux. Le but était d’obtenir des contrats de construction que la mairie négligeait cependant de soumettre à la procédure des appels d’offres officiels.

Tout ce déballage public obligea les autorités et la justice à moins de laxisme. A la fin juin 2013 Lei Zhenfu fut exclu du Parti et la Cour intermédiaire n°1 de Chongqing le condamna à 13 ans de prison pour avoir tenté d’acheter le silence du maître chanteur Xiao avec des fonds publics ; Xiao Ye et ses 5 acolytes reçurent des peines allant de 18 mois à 10 ans de prison pour extorsion de fonds et chantages à l’encontre d’une vingtaine de fonctionnaires et de patrons de groupes publics – dont 11 avaient été destitués en janvier 2013 -.

Quant à Zhang Hongxia, la prostituée qui avait joué le rôle d’appât, à la fois complice et victime, elle écopa de 2 ans de prison avec sursis. Interrogé par la presse son père qui s’estimait satisfait du verdict eut le mot de la fin, avouant « qu’elle n’était quand même pas tout à fait innocente ».

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Coup de balai à la Cour Suprême de Shanghai.

Un autre scandale récemment mis en ligne a également gravement mis en porte à faux la probité de l’appareil judiciaire. Le 5 août la Commission de discipline du Parti de Shanghai annonçaient en effet que quatre juges de la Cour suprême de la ville, dont le président, avaient été mis à pied et faisaient l’objet d’une enquête.

Les 4 magistrats de la plus haute juridiction de la ville apparaissaient sur une vidéo de 3 heures diffusée sur les réseaux sociaux en compagnie de prostituées dont ils avaient loué les services dans un night-club. La séquence avait été filmée et mise en ligne par un homme d’affaires qui, après avoir été floué par la Cour dans un jugement trafiqué – le président étant, moyennant finance, de connivence avec la partie adverse - avait, pour se venger, mené une enquête sur leur vie privée extra-conjugale.

Après plus d’un an de filature il avait réussi à les prendre sur le fait, alors même que le n°1 du Parti et sa suite ne cessent d’exhorter les cadres à mettre fin aux extravagances et à la corruption. Circonstance aggravante mettant à jour les vieilles pratiques vénales des grands groupes publics, la soirée litigieuse avait été organisée par la Compagnie de Construction n°4 de Shanghai – 上海 建 工 集團 -.

Preuve que le vent des comportements licencieux des fonctionnaires et des cadres des conglomérats d’Etat, monnaie courante depuis des lustres, avait tourné, le 12 août, le porte parole du groupe a cru nécessaire d’affirmer que le PDG n’avait pas pioché dans la caisse pour payer la soirée et les prostituées. La mise au point n’a cependant pas empêché la destitution de Guo Xianghua, n°2 du groupe, ni le tollé des internautes qui dénoncèrent l’impudence de la société.

Le 13 août, un article du China Daily expliquait qu’il s’agissait du « plus grand scandale frappant le système judicaire chinois ces dernières années ». L’affaire jetait d’abord une lumière crue sur l’utilisation des fonds publics baptisés « frais de réception » utilisés pour corrompre des fonctionnaires et la justice.

Selon plusieurs enquêtes officielles, seulement à Shanghai les 10 premières sociétés cotées en bourse, dont les 5 premières sont des compagnies de constructions, avaient en 2012 dépensé 100 millions de Yuan en frais de réception. Mais en Chine, la palme toutes catégories revient à la Compagnie nationale de construction de voies ferrées 中国 铁建 qui en 2012 avait un budget de représentation de 837 millions de Yuan soit 100 millions d’€.

Mais le scandale touche surtout au fonctionnement de la justice chinoise et à l’arbitraire des jugements. L’article concluait par la mise en cause à peine voilée de l’honnêteté des juges, en relevant qu’en 2002 le groupe n°4 avait obtenu le contrat de construction des locaux du tribunal, tandis que ce dernier n’avait jamais jugé des affaires dans lequel le groupe était impliqué.

Ces faits de société pointent du doigt un des problèmes les plus épineux du système politique chinois : l’imbrication étroite de la justice, du pouvoir exécutif et des affaires, un tabou que, selon les meilleures sources du Parti, la haute direction du régime n’a toujours pas l’intention de bousculer. Or l’efficacité des réformes et surtout la lutte contre la corruption des hautes strates de la bureaucratie dépendent essentiellement de l’indépendance de l’appareil judiciaire. (Lire notre Coup d’œil sur l’appareil judiciaire).

Ce dernier, lui même corrompu n’a ni la liberté ni la volonté de se réformer, tandis que la machine politique du régime qui craint la naissance d’un pouvoir indépendant du Parti, harcèle les intellectuels et les avocats, comme Xu Zhiyong prônant la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Selon Stanley Lubman, expert du droit chinois qui écrit dans le Wall Street Journal, s’il est vrai que récemment l’efficacité des tribunaux et leur professionnalisme se sont améliorés avec plusieurs centaines de magistrats destitués et mis en examen pour « manquements à la discipline », de nombreux témoins au sein des cours de justice affirment que le système reste gravement dévoyé.

Selon eux la corruption des tribunaux ne serait pas l’effet de quelques dérapages individuels, mais bien une activité consubstantielle de l’appareil judiciaire lui-même, qui influence systématiquement les jugements. Dans les cas sensibles, la Commission législative du Parti pèse toujours sans partage sur les verdicts, tandis qu’aucune réforme institutionnelle n’est en vue qui pourrait modifier cet état de fait.

Mais les derniers scandales agités par les vidéos grivoises diffusées par la toile constituent, on l’a vu, de sérieux « coups de tabac » qui, sous la pression populaire, obligèrent à un réajustement en urgence des verdicts et à un « coup de balai » dans une des plus hautes juridictions de Chine. L’arbitraire de la justice, la frustration des justiciables et la force des réseaux sociaux constituent un cocktail explosif à hauts risques que les responsables de l’appareil judiciaire ne peuvent pas ignorer.

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BRÈVES

La mère de Neil Heywood sort de son silence.

Le 12 août Ann Heywood mère de Neil Heywood assassiné par Gu Kailai, épouse de Bo Xilai en novembre 2011 à Chongqing, a donné une interview au Wall Sreet Journal pour s’étonner que le gouvernement chinois qui n’a pris aucune mesure pour assurer la sécurité matérielle des deux enfants de son fils âgés de 8 et 12 ans, restait sourd à ses appels. Selon la loi chinoise les victimes de l’Etat ou des actes délictueux de ses agents peuvent demander une compensation financière s’élevant à 20 fois le salaire annuel moyen, qui dans ce cas s’élèverait à 121 000 $.

Soulignant que le meurtre de leur père qui était leur seul soutien et les conditions dans lesquelles il avait été commis avaient gravement traumatisé ses petits enfants, Ann Heywood a espéré que les autorités chinoises feront preuve de compassion envers sa famille pour atténuer les effets du crime terrible dont a été victime son fils. Il est possible que Madame Heywood obtienne des compensations, mais le gouvernement chinois n’évoquera jamais la question publiquement.

Catastrophes naturelles.

Le 12 août la préfecture de Qamdo, au sud-est du Tibet a été frappée par une secousse sismique de magnitude 6,1. Si on ne déplore aucun tué et seulement 87 blessés, près de 600 000 résidents de la zone ont été affectés, 45 000 maisons, des ponts, des routes et des réserves d’eau ont été endommagés. Le gouvernement a dépêché tentes, sacs de couchage et couvertures. Il a aussi dégagé les crédits pour offrir aux sinistrés une aide pendant un an de 1,5 $ par jour.

Dans le même temps le Nord-est de la Chine reçoit des pluies torrentielles affectant plus de 2 millions de personnes, tandis que la région de Canton est en alerte pour affronter le 11e cyclone qui frappera la Chine cette année. Des vagues de 3 à 6m de haut sont attendues sur les côtes du Guangdong. Le cyclone touchera également le Guangxi et le Yunnan.

Chômage des diplômés.

Selon une enquête effectuées par les autorités chinoises et publiées par Xinhua en 2013 43% des jeunes diplômés ne trouveront pas de travail. Et ceux qui en trouvent sont payés 60 % en dessous du salaire moyen – soit 2000 à 2500 RMB ( 327 à 400 $) -, dans un contexte où les appartements dans les grands centres ont un loyer minimum de 2000 RMB ou un prix d’achat de 25 000 RMB le m2 (soit 3000 €).

Si certains restent optimistes d’autres perdent confiance dans l’avenir. Jusqu ‘à présent ces jeunes élevés pendant les années fastes de la croissance forte n’avaient pas connu les difficultés matérielles qui marquèrent l’existence de leurs parents.

Lutte contre la manipulation illégale des prix.

Le gouvernement dit avoir infligé 108 millions de $ d’amendes à 6 compagnies laitières –Biostime (Chine), Mead Johnson (Etats-Unis), Abbot (Etats-Unis, - pharmacie et nutrition), Friesland (Pays-Bas) et Fonterra (Nouvelle Zélande) – accusées d’avoir conclu un accord pour manipuler le prix des produits laitiers. Trois autres sociétés Wyeth (Etats-Unis), Beingmate (Chine) et Meiji (Japon) également convaincues d’avoir participé à l’accord ont été épargnées en échange de renseignements facilitant l’enquête anti trust.

Baisse de la confiance dans le lait importé.

Après la découverte de bactéries toxiques dans le lait Fonterra (Nouvelle-Zélande) plus de 58% des réponses à un sondage organisé par le China Youth Daily estiment que la confiance aveugle dans les produits laitiers importés ne se justifie plus. Les ennuis de Fonterra, surviennent alors que grandes compagnies laitières chinoises ont consenti d’importants efforts pour rehausser la qualité et la faibilité de leurs produits mis à mal par de nombreux scandales.

Les compagnies pharmaceutiques étrangères dans le collimateur.

Après le Britannique GSK (Lire Le laboratoire GSK (Glaxo Smith Kline) dans la tourmente.), c’est le Français SANOFI qui est pris à partie pour corruption par les autorités chinoises. Le 3 août le géant pharmaceutique français a fait l’objet d’une enquête pour corruption des médecins chinois qui auraient reçu près de 280 000 $ de pots de vin.

En dépit du fait que les dessous de tables aux hôpitaux et aux médecins sont une pratique courante en Chine qui conditionne même l’accès au marché, la Commission d’enquête menace de fermer le marché aux sociétés convaincues de corruption. Mais frapper en priorité les sociétés étrangères est plus facile que de cibler les Chinoises, étroitement connectées au pouvoir.

La campagne contre SANOFI et GSK servira également d’alerte aux sociétés pharmaceutiques chinoises, qui elles aussi seront sommées de réduire leurs pots de vin. Mais la corruption généralisée du secteur a des causes structurelles et se nourrit de l’insuffisance des fonds publics consacrés aux hôpitaux et de l’indigence des salaires des médecins et du personnel hospitalier.

Champ d’éolienne au Tibet.

La compagnie chinoise Longyuan Power a commencé à installer au Tibet le plus haut champ d’éoliennes du monde qui comptera 33 turbines dont la connection au réseau devrait être réalisée fin 2013. Les équipements doivent être capables de résister à des températures extrêmes, une très faible densité de l’air et des forces de vent importantes. La mise au point de ces engins exige d’importants investissements en R&D.

Condamnation à mort de Ouïghours

Suite aux récents troubles au Tibet 2 Ouïghours de la région de Bachu ont été condamnés à mort. 3 autres ont été condamnés à des peines allant de 9 ans d’incarcération à la prison à vie. Au total 19 personnes appartenant selon les autorités chinoises à une organisation terroriste ont été arrêtées. D’autres condamnations à la peine capitale suivront. (Lire aussi notre article Risques de contagion radicale au Xinjiang).

 

 

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