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›› Taiwan

L’inconfortable danse de Formose avec les empires

Pour Ma Ying-jeou, 2013 s’est achevée sous des auspices favorables. La fin de l’année a en effet été marquée par la signature d’accords commerciaux dont l’importance stratégique ne peut être sous estimée au milieu du chassé-croisé des influences auxquelles l’Île est soumise de la part du Japon, des États-Unis et surtout de Pékin dont les arrières pensées visent la réunification. Le 6 novembre Taipei a signé avec le Japon 5 accords sur le commerce en ligne, l’exportation de produits pharmaceutiques, les chemins de fer, la reconnaissance des brevets et les opérations de secours en mer.

Mais l’accord le plus important fut conclu le lendemain, 7 novembre, avec Singapour sous la forme d’un Traité de libre échange. Comme le souligne David Cohen dans la livraison de « China brief » de novembre, les accords tiennent la promesse du KMT de diversifier les marchés d’exportation de l’Ile permettant de desserrer les pressions économiques et commerciales exercées par la force de l’économie chinoise. En observant aujourd’hui le jeu qui se déploie sous nos yeux, fait de pressions et d’influences concurrentes, on constate qu’il se complique de contraintes nouvelles.

S’il est vrai que, pour Pékin, l’objectif stratégique de réunification reste inchangé sa réalisation passe désormais par les chemins plus subtils de l’adhésion obtenue à force de patience, qu’une impétuosité ou un faux pas peuvent durablement compromettre. D’où une placidité chinoise nouvelle qui, pour l’instant, ne s’est démentie qu’à de rares occasions vite mises sous le boisseau. A Taïwan, pour compenser l’omniprésence chinoise on cherche activement des espaces de manœuvre hors du Détroit, en prenant cependant soin de ne pas heurter les extrêmes susceptibilités de souveraineté, forcément très sensibles à Pékin quand l’Ile exprime son intérêt pour des accords avec Tokyo ou pour le Transpacific Partnership (TPP) proposé par Obama.

Encore ce chemin écarté des sentiers chinois, mais attentivement surveillé par Pékin, est-il compliqué par les insistances américaines qui exhortent l’Ile à se conformer aux exigences commerciales d’ouverture totale de son marché aux produits américains. La pression imposée par Washington qui renvoie à des sujétions terre à terre très éloignées de la « grande image » stratégique, n’en est pas moins sensible et potentiellement paralysante puisqu’elle touche non seulement au commerce et aux questions douanières, mais également au sentiment d’indépendance qui, cette fois, se dresse face à Washington, le sponsor stratégique de l’Ile.

Il suffit pour s’en convaincre de songer aux effervescences qui agitent la classe politique taïwanaise et l’opinion de l’Ile à propos des importations de viande de bœuf et de porc additionnée de ractopamine, additif chimique anabolisant interdit par plus d’une centaine de pays dont l’UE, Taïwan et la Chine, permettant d’augmenter la masse musculaire des animaux d’élevage tout en diminuant leur taux de graisse.

Le contraste entre d’une part la raideur pressante des exigences commerciales américaines avides d’ouvrir le marché taïwanais de la viande sur fond de querelles sanitaires et, d’autre part, la souplesse protéiforme des initiatives chinoises pour promouvoir les relations dans le Détroit, épine dorsale d’une stratégie rampante de réunification, donne une idée de la détermination de Pékin et du défi auquel les Taïwanais sont confrontés pour préserver le statu-quo politique et leur spécificité démocratique.

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Anciennes ambitions et nouvelles contraintes.

François Joyaux l’écrivait déjà en 1991 dans « Géopolitique de l’Extrême Orient » : « un des ressorts essentiels de la politique extérieure chinoise, tant à la période républicaine qu’à la période communiste réside en sa volonté permanente d’en revenir à la situation territoriale qui précéda l’ère coloniale. Ce fut le cas du Tibet et de Port Arthur en 1950, celui de Hong-Kong et Macao en 1997 et 1999. C’est encore celui des territoires frontaliers revendiqués en Asie Centrale et face à l’Inde et, surtout, bien évidemment, celui de Taïwan ».

Il reste que par les temps qui courent la stratégie ne peut plus être celle d’une trop directe et trop aléatoire conquête militaire. L’heure est à la subtilité oblique articulée autour du long terme et de la patience. Et la nouvelle arme absolue, débordante, pressante et omniprésente a désormais pris la forme des relations économiques et commerciales. Pourtant, elle aussi doit se garder d’être trop impérieuse sous peine d’effaroucher la société taïwanaise attachée à son particularisme insulaire, marqué par la différence politique essentielle avec la Grande Terre que constitue son système démocratique.

Telles sont les contradictions d’une Chine à la fois pressée d’engager avec l’Ile un dialogue politique considéré comme le premier pas vers la réunification, mais également consciente que trop d’insistance pourrait mettre à mal l’environnement favorable créé par l’accord cadre de 2010. Alors que 40% des exportations taïwanaises sont dirigées vers la Chine et Hong Kong, l’opposition à Ma Ying-jeou ne cesse de pointer du doigt le risque de grignotage rampant du statut d’indépendance de l’Ile. De fait, au cours de trois dernières années Pékin a, pour détourner les critiques, fait preuve de beaucoup de persévérance, d’impassibilité, d’indulgence et de générosité dont les hommes d’affaires taïwanais tirent profit.

La capacité de compromis de Zhongnanhai dépasse d’ailleurs les simples relations dans le Détroit. Elle s’élargit aux relations de Taïwan avec d’autres partenaires de la zone, auxquelles Pékin a compris qu’il serait dangereux de faire obstacle. En avril dernier le Bureau Politique n’a par exemple pas réagi à l’accord sur les pêches conclu entre Taipei et Tokyo au milieu des tensions qui montaient déjà à propos des Senkaku. Il faut dire qu’en signant les nouveaux accords commerciaux, Taipei prend soin de ne pas heurter la sensibilité politique de la Chine.

Si l’accord de pêche avec le Japon était entouré d’une forte couverture médiatique montrant ostensiblement la poignée de mains nippo-taïwanaise au-dessus de l’emblème de la République de Chine, symbole s’il en est de la querelle existentielle dans le Détroit, à l’époque ignoré par Pékin, le traité de libre échange avec Singapour suite à celui signé en juillet dernier avec la Nouvelle Zélande, s’est affiché avec plus de discrétion, respectant les règles formelles de souveraineté imposée par la « Grande Terre ». Sa dénomination officielle était en effet « Accord de partenariat économique entre Singapour et les territoires douaniers séparés de Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu ».

Le 7 novembre, satisfait et rassuré, le porte parole du Waijiaobu a, au prix d’une entorse à la vérité des faits, une nouvelle fois, démontré la placidité chinoise : « nous n’avons pas d’objection aux accords culturels et économiques non gouvernementaux, mais nous nous opposons à l’établissement de relations officielles ». (China brief, novembre 2013). D’autres accords suivront, où Taipei tentera d’avancer ses pions en adoptant le même « profil bas », qui prend Pékin au mot. Récemment, le représentant officieux de Taïwan à Londres a indiqué que l’Île négociait un accord d’investissement avec la Grande Bretagne, tout en s’efforçant de promouvoir un traité avec l’UE, depuis longtemps sur la table, mais toujours retardé par Bruxelles soucieux de ne pas heurter la Chine.

Rigidité commerciale américaine.

Scrupuleusement observée par Pékin, l’effervescence commerciale créée par Taïwan pour échapper au piège du Détroit gagnera encore en intensité puisque l’Île dont Washington attendait la réponse, vient de signifier le 22 décembre dernier qu’elle avait l’intention d’adhérer au projet d’accord douanier du « Trans Pacific Partnership » qui devrait regrouper 12 pays des rives du Pacifique sous l’égide des États-Unis. La décision de Taipei n’allait pas de soi puisqu’elle impliquait d’accepter les injonctions américaines d’avoir à se « conformer aux exigeantes règles du libre échange » imposées par le ministère du commerce américain qui critique sévèrement les restrictions sanitaires taïwanaises d’importation de viande de bœuf et de porc.

Pressés par le KMT et Washington, le Yuan Législatif et les négociateurs taïwanais de l’Accord Cadre avec les États-Unis sur le commerce et les investissements (TIFA pour Trade and Investment Framework Agreement) ont relâché les restrictions pesant sur l’importation du bœuf américain dopé à la ractopamine. En mars 2013, mettant ainsi fin à une controverse qui durait depuis 6 ans, les limitations sur le bœuf ont été en partie levées, mais preuve que la querelle reste vive, elles ont été maintenues pour la viande de porc.

Dans ce tableau dessinant une forte rivalité entre Pékin et Washington les intransigeances tatillonnes du ministère du commerce américain qui mettent Taipei sous pression, contrastent avec la souplesse chinoise. Chacun y joue son jeu dans un affrontement dont le statut original de Île risque de faire les frais. Les États-Unis brandissent les bannières des producteurs de viande et celle des grandes multinationales de l’agroalimentaire ; Pékin agite les sentiments très passionnés de la réunification, tandis que Taipei tente à la fois de préserver le statu-quo politique et l’équilibre de son économie.

Photo : Le 7 novembre dernier à Singapour signature du Traité de libre échange entre Taïwan et Singapour. A cette occasion le Ministre des Affaires étrangères Davin Lin a considéré que l’accord démontrait la disponibilité de l’Île à libérer ses relations commerciales avec le reste du monde.

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Les irrésistibles attraits de l’Accord Cadre Chine – Taïwan

A l’opposé des pressions américaines qui poussent l’Île dans ses retranchements douaniers, l’Accord Cadre entre Taïwan et la Chine est truffé de préférences économiques et commerciales accordées par les négociateurs chinois pour paver la route de la réunification, objectif stratégique ultime du Régime. Le dernier arrangement signé sur les services le 21 juin 2013, mais toujours pas ratifié par le Yuan législatif taïwanais, ouvrirait 80 secteurs en Chine contre seulement 64 à Taïwan. Il fait suite à la réduction unilatérale par Pékin des droits de douane sur de nombreux produits taïwanais.

Plus largement, l’accord sur les services et la souplesse des échanges dans le Détroit qui tranche avec la rigidité unilatérale de Washington accrochée aux intérêts commerciaux bien compris des exportateurs américains, crée un courant d’échanges dans le Détroit toujours plus riche.

L’ouverture de la finance et du secteur taïwanais de la production « high-tech » aux investissements chinois ont fait passer les engagements du Continent à Taïwan de 90 millions de $ en 2010 à près de 400 millions en 2013. Le flux favorise la croissance de l’Île devenue une porte d’entrée des investissements vers la Grande Terre, conforte son rôle de centre industriel régional et rehausse le niveau technologique de sa production. (Voir les données macroéconomiques taïwanaises)

Fin novembre 2013, à l’occasion de la visite de huit jours dans l’Île de Chen Deming, l’ancien ministre du commerce devenu président de l’Association pour les relations dans le Détroit (ARATS), le Président Ma a porté le quota journalier des visiteurs chinois autorisés à séjourner dans l’Île à 3000, tandis que le nombre des vols hebdomadaires vers la Chine est passé à 828. Des sociétés taïwanaises sélectionnées seront autorisées à émettre des obligations en RMB qui donneront aux Chinois accès aux 19 Mds de $ de dépôts bancaires taïwanais, tandis que de plus en plus de sociétés de l’Île utilisent la monnaie chinoise pour leurs affaires.

Le mouvement qui s’amplifie constitue un salutaire coup de fouet pour l’économie taïwanaise dont la croissance à moins de 2% est essoufflée, avec de nombreuses sociétés d’électronique comme ACER autrefois très dynamiques, mais aujourd’hui à la peine dans les secteurs des smartphones et des tablettes où elle a enregistré des pertes de 445 millions de $ au 3e trimestre 2013. Enfin, les dernières nominations au Bureau des Affaires Taïwanaises du Conseil des Affaires d’État révèlent que Pékin, toujours pragmatique, a l’intention de tirer partie de l’expérience de ses fonctionnaires ayant servi dans les provinces comme le Fujian où la relation dans le Détroit est la plus dense.

« Pragmatisme géographique » bien compris.

Un des nouveaux vice-directeurs du Bureau des Affaires taïwanaises du gouvernement, base arrière administrative de l’ARATS, n’est en effet autre que Gong Qinggai, 55 ans, qui était jusqu’à présent le Directeur de la Zone pilote de Pingtan, une île enserrée dans un petit archipel à quelques encablures des côtes du Fujian, située à 75 km au sud-est de Fuzhou. Déjà couvert par un vaste champ d’éoliennes, projet phare de l’énergie verte, le district de Pingtan, saisi d’une frénésie d’investissements - 38 Mds de $ d’ici 2015 - ambitionne de concurrencer Xiamen et Shenzhen. Plus encore, il a été désigné par les autorités de la province et par Pékin comme un projet pilote de la coopération entre Taïwan et la « Grande Terre ».

Situé à 150 km de l’Ile, le site est au cœur d’un projet appuyé par Pékin visant à créer une « base de développement économique commune pour les habitants de Taïwan et du Fujian ». Déjà, les espaces maritimes sont comblés pour gagner sur la mer, un pont de 5 km de long est sorti de terre au-dessus de la baie de Jingjing, un autre est en construction avec un périphérique de 25 km, tandis qu’une liaison TGV vers Fuzhou aujourd’hui en construction doublera l’autoroute et permettra de relier Pingtan à Fuzhou en 1h30.

Mais l’entreprise de séduction chinoise ne s’arrête pas à l’infrastructure. La zone offrira aussi des services financiers, un terminal boursier, des facilités pour l’installation des professions libérales - avocats et médecins -, l’exemption systématique de taxes et aucune restriction administrative pour les investissements inférieurs à 500 millions de $, qui seront systématiquement accordés.

Enfin, depuis l’automne 2011 la zone est reliée à Taichung par 4 liaisons de ferries rapides hebdomadaires qui placent la grande cité taïwanaise du centre de l’Ile à 2h30 de Pingtan. La traversée s’effectue à bord de vastes catamarans de 97 m de long, jaugeant 6500 tonnes transportant jusqu’à 900 passagers et 380 véhicules à une vitesse de 40 nœuds. Le 9 octobre 2013, la compagnie de ferries a inauguré la ligne Pingtan - Taipei. La durée de trajet est la même que pour Taichung : 2h30.

L’Île prise en étau par les impérialismes.

Il est évident que pour les autorités taïwanaises placées sous le feu des critiques de l’opposition qui tirent la sonnette d’alarme face aux manœuvres obliques de la Chine visant à créer un fatalisme économique et commercial irrésistible, les accords commerciaux hors Détroit constituent un contrepoids stratégique en même temps qu’une marge de manœuvre salutaire pour la suite des relations avec Pékin. Dans ce combat livré par l’Île pour protéger son statut face au déferlement des initiatives continentales, le Trans Pacific Partnership proposé par la Maison Blanche joue un rôle clé.

A condition bien sûr que le ministère du commerce américain n’en détruise pas complètement la capacité de contrepoids en imposant sa vision univoque du libre échange, par exemple, en se focalisant essentiellement sur les aspects douaniers bilatéraux à l’avantage des exportateurs américains. Si Washington n’était pas capable de cette hauteur de vue à long terme, l’Île de Formose serait prise en étau entre deux impérialismes agissant à fronts renversés.

Celui de la Chine, qui avance ses ambitions de réunification par le biais d’une extrême largesse commerciale à laquelle l’économie taïwanaise a du mal à résister ; celui du libre-échange anglo-saxon favorisant unilatéralement la puissance des entreprises américaines déployée autour de l’exigeant abaissement des barrières douanières, imposé à l’Île sans considération pour l’inconfort politique de sa relation avec Goliath.

Mais puisqu’il est question de la « grande image stratégique » à long terme, il n’est pas non plus possible d’évacuer l’hypothèse qu’en exigeant beaucoup de Taipei, Washington se livre à un jeu de rôle exprimant son inconfort d’avoir à choisir entre la fidélité à son allié taïwanais et les exigences de sa relation obligée avec l’empire chinois dont le réveil véhicule une série de très complexes défis qui touchent à son économie, à ses finances, à son influence globale et à sa sécurité.

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NOTES DE CONTEXTE.

Embargo sur la viande de bœuf et de porc américaine.

Quand les négociateurs américains du TIFA (pour Trade and Investment Framework Agreement) évoquent les restrictions taïwanaises à l’importation de viande américaine, ils accusent Taipei de tactique opportuniste visant à protéger les éleveurs de l’Île. L’argument n’est probablement pas dénué de fondement. Mais l’interdiction de la ractopamine, prohibée dans 150 pays dont ceux de l’UE, n’est pas seulement un artifice de protection commerciale inventé par les Taïwanais. Elle se fonde bel et bien sur un enchaînement d’événements qu’il est important de rappeler.

L’affaire remonte à la découverte en 2003 et 2005 à Taïwan de deux cas d’encéphalite spongiforme bovine – ESB - (maladie de la vache folle) ayant provoqué un blocage des importations de viande de porc et de mouton américaine partiellement levé en 2006. Mais, la même année la viande additionnée de ractopamine fut interdite. La suite est une succession de relâchements des contrôles suivis de protestations des éleveurs taïwanais et de nouveaux durcissements, jusqu’au vote en mars 2012 du Yuan législatif autorisant l’importation sous conditions de la viande de bœuf avec un quota maximum de ractopamine, mais qui maintenait l’embargo sur la viande de porc.

Encore la levée partielle de l’interdiction fut-elle compliquée par la découverte d’un nouveau cas d’ESB par les autorités sanitaires américaines en avril 2012. Le relâchement de l’interdiction effectif en mars 2013 a permis la reprise des négociations bilatérales pour l’Accord Cadre entre Taipei et Washington sur les investissements et le commerce. Mais tirant profit de la volonté taïwanaise de participer au TPP pour desserrer les pressions commerciales chinoises, le gouvernement américain fait maintenant de la levée de l’embargo sur la viande de porc additionnée de ractopamine la condition d’accès de l’Île au TPP.

Le 27 juin 2012, sans s’embarrasser de nuances diplomatiques, le Directeur de l’Institut American à Taïwan – ambassade officieuse des États-Unis dans l’Île - faisait du blocage taïwanais aux importations de porc à la ractopamine le symbole des tendances taïwanaises à protéger son marché que l’Île devait éliminer si « elle voulait signer un accord de libre échange avec les États-Unis ou devenir membre du Trans Pacific Partnership ».

État des lieux du Traité Transpacifique (Trans Pacific Partnership).

La livraison du 11 décembre de la « Lettre de Léosthène », lettre confidentielle d’analyse géostratégique bi-hebdomadaire diffusée dans plus de 100 pays qui s’adresse aux dirigeants et aux chercheurs intéressés par les relations entre les nations, faisait état d’un article du Hufftingpost sur l’état des négociations pour le TPP, les intentions cachées de l’administration Obama et sur les fortes réticences de certains États signataires potentiels du Traité.

De l’information du journal qui s’appuyait sur des notes confidentielles provenant de plusieurs pays candidats au TPP, il ressortait que l’une des clauses les plus controversées du traité, rejetée par la majorité des 12 pays engagés dans les négociations, autoriserait les groupes multinationaux à contester la validité des lois nationales des pays signataires dans des secteurs aussi sensibles que la propriété intellectuelle ou la pharmacie.

Selon la note dont le journal ne dévoile pas l’origine, « 119 points d’achoppement subsistaient dans les négociations sur la propriété intellectuelle », dont certaines dispositions créeraient des situations de monopole au bénéfice des groupes pharmaceutiques pour la commercialisation de médecines sensibles dont les prix deviendraient prohibitifs pour la majorité des patients des pays en développement.

Washington rencontre également d’importantes résistances contre ses propositions de nouveaux règlements bancaires limitant le pouvoir de contrôle des États et leur interdisant d’agir sur les marchés financiers, « ce qui réduirait leur capacité à prévenir des crises bancaires ». Sur ces questions financières, ajoute la note, « les positions sont d’autant plus paralysées que Washington ne montre aucune souplesse ».

Hélène Nouaille, auteur de la « Lettre » conclut : « L’esprit général de ces traités soulève quelques réserves parmi les pays qui négocient – au moins le sait-on pour le Traité trans-pacifique. Il s’agit en effet pour les gouvernements nationaux d’abdiquer leur pouvoir souverain aux mains de groupes multinationaux contre l’intérêt des citoyens qui les élisent. ».

Les accords économiques internationaux conclus par Taïwan

A ce jour l’Île placée sous la vigilance politique de Pékin qui joue du potentiel de son marché pour faire pression sur les partenaires potentiels de Taipei, n’a conclu que 7 accords de commerce internationaux avec le Panama (2004), le Guatemala (2005), le Nicaragua (2008), le Salvador (2008), le Honduras (2008), la Nouvelle Zélande et Singapour (2013).

Taïwan n’est pas partie aux accords commerciaux de l’ASEAN ni à ceux de NAFTA (North American Foreign Trade Agreement). Commercialement isolée dans un environnement en évolution rapide l’Île se trouve dangereusement défavorisée par rapports aux pays de l’Asie du Sud-est dont 6 ont conclu des accords avec la Chine, le Japon et la Corée du sud.

La Corée du sud, son principal concurrent, a aussi signé des traités avec les États-Unis et l’UE qui lui donnent un accès préférentiel à leurs marchés, alors que la plupart des pays hésitent à conclure des traités commerciaux avec Taïwan par crainte des représailles commerciales chinoises. Selon une étude de la Brooking Institution publiée en septembre 2013, cet ostracisme provoquerait un déficit de croissance de l’économie taïwanaise de l’ordre de 2%.

Quelques défis de l’économie taïwanaise.

1) Les anciennes recettes du succès de l’Île s’épuisent dans un contexte où les salaires en Chine qui accueillent les industries d’assemblage taïwanaises comme Foxconn sous traitant d’Apple et de bien d’autres grandes marques ont augmenté de 280% depuis 2000, en même temps que le coût des terrains et des infrastructures.

2) Alors que la compétition avec des pays comme la Corée du sud se durcit, l’Île devient moins attractive du fait de dérives bureaucratiques tatillonnes, des limites imposées aux investissements étrangers, du déficit de R&D et de l’exode des cerveaux taïwanais poussés à émigrer par la faiblesse de leurs salaires. Ainsi, selon le classement de la Banque Mondiale Taïwan ne se place plus qu’au 16e rang pour l’environnement des affaires, derrière la Malaisie (12e), la Corée (8e) et Singapour (1er).

3) La forte dépendance de l’Île à l’exportation d’équipements high-tech assemblés en Chine, mais où la valeur ajoutée taïwanaise ne représente que 3,6% a augmenté sa vulnérabilité à la crise de 2008 marquée par une baisse rapide de la demande extérieure, qui a conduit la croissance à se contracter à +1,3% en 2012.

4) Depuis 2006, le stock des investissements directs étrangers (IDE) stagne autour de 55 Mds de $, avec un flux annuel de 5,5 Mds de $, contre 16 Mds en Corée. La tendance porte le risque d’accélérer la désindustrialisation de l’Île. Elle est aggravée par l’augmentation rapide des investissements taïwanais à l’étranger, toujours en Chine, mais de plus en plus vers les pays de l’ASEAN (8 Mds de $ en 2012), comme le Cambodge et le Vietnam.

5) Comparés aux services de Hong Kong ou de Singapour très orientés à l’international, ceux de Taïwan restent focalisés sur le marché domestique. Les difficultés du secteur se traduisent clairement par le fait qu’en 2012 il représentait 70% des activités économiques alors que sa part dans le PNB n’était que de 39% - en baisse importante depuis 2006, où il comptait pour 50% -.

Photo : Washington tire profit de la volonté taïwanaise d’utiliser le TPP comme contrepoids à la Chine pour forcer l’ouverture du marché de l’Île aux éleveurs américains.

 

 

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