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›› Lectures et opinions

De Gaulle et la Chine

Si on est intéressé par les dessous de la diplomatie française avant, pendant et après la reconnaissance de la Chine par le général De Gaulle, le 27 janvier 1964, on lira avec plaisir et intérêt le livre de Bernard Krouck, éditions Les Indes savantes, 2012, 635 pages.

L’ouvrage est tiré d’une thèse soutenue par l’auteur à Sciences-po en 2005 dont il faut saluer l’épaisseur et la richesse foisonnante. Avec minutie et néanmoins beaucoup de hauteur de vue à l’occasion de fréquentes synthèses ou remises en perspectives à la fois sobres et clairvoyantes, elle analyse l’élaboration d’un des pans essentiels de ce que fut la politique étrangère du Gaullisme et de la 5e République : les relations entre la France et la Chine.

Sans remettre en question le bien fondé de la décision du fondateur de la France Libre, elle pose la question du moment de la reconnaissance en pleine tourmente politique à Pékin et incite à s’interroger sur les raisons de l’ignorance des arcanes chinoises avec laquelle la classe politique française a abordé la reconnaissance en 1964.

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Inconnues chinoises et grands malentendus.

Même si l’auteur qui n’est pas sinologue n’a pas utilisé les sources chinoises parce que, dit-il, elles étaient « peu accessibles et marquées du sceau de l’idéologie », ce travail d’exploration en profondeur des archives françaises, la revue de la presse nationale et internationale, ainsi que les témoignages d’acteurs de premier plan apportent au grand public une lumière nouvelle sur nombre de questions oubliées ou mises sur la boisseau.

Après cette radiographie des arcanes de la relation entre Paris et Pékin une évidence iconoclaste vient à l’esprit : le rapprochement franco-chinois fut entouré de grands malentendus sur la nature même du régime chinois et son corollaire le prosélytisme maoïste en Asie. Le second servant toujours d’adjuvant aux luttes de pouvoir internes.

Sur ces sujets, plusieurs réalités sautent aux yeux : les élites françaises qui se succédèrent en Chine en amont de la reconnaissance (François Mitterrand et Edgard Faure) et après (André Malraux) ne perçurent pas les transes politiques qui secouaient la Chine avant la Révolution Culturelle. Elles ne comprirent pas non plus que, quelques années auparavant, la Chine venait de connaître une famine de grande ampleur dont elle se remettait à peine, provoquée par le radicalisme maoïste. Pourtant, Bernard Krouck le souligne, l’information existait, venant essentiellement des diplomates et militaires français en poste à Hong Kong qui voyaient passer dans la colonie britannique venant de Chine, les témoins du désastre.

Un des nombreux morceaux de bravoure du livre relate les rencontres d’André Malraux avec Zhou Enlai et Mao en juillet 1965 et les impressions que les Chinois en ont gardé. A l’évidence, le thaumaturge « un tiers génial, un tiers faux, un tiers incompréhensible » (Raymond Aron) qui hypnotisait la jeunesse et les intellectuels français par la richesse de ses œuvres et de sa vie « charriant », selon son biographe Oliver Todd, « des émotions généreuses dans un tintamarre enivrant », n’a pas impressionné les dirigeants chinois qui ne furent pas émus par l’admiration complaisante pour Mao de cet ancien fervent de Trotski, Barrès et Nietzsche, devenu gaulliste.

Avec ces deux interlocuteurs, les grandes envolées philosophiques et stratégiques se heurtèrent à la placidité pragmatique et intéressée des Chinois. Quand Malraux parle à Zhou En Lai de la neutralisation de l’Asie du Sud-est après un éventuel retrait des forces américaines du Vietnam, Zhou Enlai lui répond que Washington devrait aussi retirer ses troupes de Taïwan.

A l’émotion historique qu’il exprime face à Mao qu’il considère comme « le plus grand de tous les révolutionnaires depuis Lénine », le Grand Timonier embraye sur les risques de révisionnisme en Chine, allusion directe aux futures secousses de la révolution culturelle qui éclatera juste un an plus tard et, animé par sa vision prosélyte globale, il s’interroge sur l’efficacité politique des socialistes français : « le parti socialiste français construit-il vraiment le socialisme ? ».

Quant à la marque laissée par Malraux en Chine, elle est fugace, voir négative. C’est en tous cas ce que révèle un compte-rendu d’Alain Peyrefitte venu en Chine du 14 au 31 juillet 1971 dans le cadre d’une visite parlementaire : « Zhou Enlai garde le silence (ndlr : quand on évoque Malraux). Par la suite nous constaterons que chaque fois que nous prononçons le nom d’André Malraux, nos interlocuteurs chinois ne soufflent mot. Dans les propos de bienvenue ou lors des toasts, on fait mention de plusieurs missions antérieures, mais jamais du voyage de M. Malraux en juillet 1965. »

La France et les affres de la révolution culturelle

Quelques semaines avant le discours de Charles De Gaulle à Phnom-Penh, le 1er septembre 1966, le Comité Central dont Mao avait repris le contrôle lançait la révolution culturelle qui précipita la Chine dans le chaos et l’horreur. Bernard Krouck rappelle d’abord cet épisode par quelques pages hallucinantes (508 à 510), dans un paragraphe intitulé « ce qu’on ne savait pas à l’époque », mais dont le bilan général est encore soigneusement occulté par le pouvoir chinois, qui interdit toujours l’accès à ses archives sur la période.

La situation se dégrada à ce point, ponctuée par des menaces directes contre les enseignants français opérant en Chine, que Paris finit par bloquer leur départ en poste avant d’en faire autant pour les diplomates. En Chine Mao réagissait à sa manière populiste et agressive contre l’ambassade de France, à des échauffourées qui eurent lieu à Paris entre des CRS et une foule de Chinois qui s’en prenaient à l’ambassade d’URSS.

Suivent les descriptions des mauvais traitements subis par les diplomates soviétiques et ceux de tous les pays de l’Est européen accusés de révisionnisme bourgeois depuis la déstalinisation. Télescopage historique funeste, celle-ci fut précisément déclenchée au moment où, dans les campagnes chinoises, Mao se livrait à une expérience de collectivisation radicale. Enfin, la cible occidentale peut-être frappée avec les plus de hargne et d’esprit de vengeance fut la Grande Bretagne, sur la sellette parce qu’elle fut la première initiatrice des guerres de l’opium et, parce qu’aux portes méridionales de la Chine, elle exerçait encore sa souveraineté sur une portion de l’Empire.

De tout ce tumulte un homme émerge : Lucien Paye, le premier ambassadeur choisi par le général De Gaulle. A l’époque âgé de 57 ans, ancien élève de Normale Sup, ce qui lui avait déjà valu d’être envoyé comme représentant de la France auprès de Senghor au Sénégal, haut fonctionnaire de l’éducation nationale ayant une riche expérience de la coopération non seulement en poste en Tunisie, en Algérie et au Maroc, mais également dans l’administration centrale, l’homme choisi par Charles de Gaulle fut aussi ministre de l’éducation nationale en 1961 dans le gouvernement de Michel Debré. La qualité du premier Ambassadeur envoyé signalait les intentions de l’ancien chef de la France libre de placer d’emblée les relations franco-chinoises au meilleur niveau possible.

En arrière plan, il y avait la volonté de développer une riche coopération culturelle par la diffusion de livres, de films et de programmes de télévision, le tout articulé autour de l’enseignement du Français au cœur du système éducatif chinois, dont on voit bien avec le recul qu’il s’agissait d’un défi insurmontable dans un système entièrement corseté par l’idéologie, dont un des leviers était sans doute le ressentiment anti-occidental. Logiquement, cette grande idée s’est assez vite fracassée contre quelques solides et dérangeantes réalités qui, à l’évidence, avait été mal anticipées.

La bombe chinoise.

Ce tableau n’aurait pas été complet si Bernard Krouck n’avait pas mentionné qu’au beau milieu de ce chaos, quelques années seulement après le cataclysme du grand bond en avant et, plus tard, en pleine révolution culturelle, la Chine devint une puissance nucléaire et thermonucléaire. La première explosion eut lieu le 16 octobre 1964 accompagnée d’un long communiqué officiel dont les premières phrases insistaient sur la nécessité de se protéger contre le chantage nucléaire de « l’impérialisme américain » et stigmatisaient la présence de sous-marins nucléaires américains dans le détroit de Taïwan.

Au passage on y lit un bel exemple de la dialecte maoïste qui fonde aussi la doctrine de Pékin de non emploi en premier : « la Chine développe des armes nucléaires, non pas parce qu’elle croit en leur omnipotence et qu’elle a l’intention de les employer. Bien au contraire, elle vise précisément à diminuer le monopole des puissances nucléaires et à faire disparaître les armes nucléaires ».

La deuxième expérience fut celle de la bombe à hydrogène. Elle eut lieu en pleine anarchie et au milieu de la guerre civile, le 17 juin 1967. Bernard Krouck consacre de longs et très intéressants développements sur la genèse de la bombe chinoise, les réactions internationales très mitigées au milieu de la guerre d’Indochine et du conflit sino-soviétique, les questionnements sur la sincérité des promesses de désarmement chinoises et, question toujours actuelle, l’opportunité d’une coopération franco-chinoise dans ce domaine, le tout baignant dans la vieille querelle entre les scientifiques et les experts de la sécurité qu’ils soient du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) ou du SGDN.

L’ouvrage tire très justement la leçon de l’aventure nucléaire chinoise au milieu de la confusion et de cet immense gâchis en citant une note de la Direction d’Asie du 9 janvier 1969. Très complète, celle-ci insistait sur le fait que la directive du Comité Central au 8 août 1966 qui lançait la révolution culturelle, mentionnait expressément le sort privilégié réservé aux savants, techniciens atomistes et experts balistiques, sans oublier le rôle joué par « l’impulsion initiale donnée par l’aide soviétique directe », ni celui du « remarquable réseau de collecte de l’information scientifique dans les pays occidentaux ».

Ce dispositif exceptionnel très protégé formé de près de 1500 savants ingénieurs atomistes appuyés par un effort financier évalué à 1,5 Mds de $, mobilisant 2% des ressources nationales a permis à la Chine secouée par sa plus forte transe politique du XXe siècle, de passer de l’arme nucléaire classique à un engin thermonucléaire en un temps record de deux ans et huit mois, contre 7 ans et 4 mois aux États-Unis et 8 ans et 8 mois en France. Le succès de l’entreprise prouve la capacité du système politique à isoler des crises ambiantes un projet jugé crucial pour l’intérêt national. Il doit inciter à ne pas tirer de conclusions hâtives sur le potentiel stratégique du pays à partir de l’observation de secousses politiques, fussent-elles sévères.

En conclusion B. Krouck cherche à justifier le bien fondé de la décision gaullienne. On peut en effet s’interroger sur le choix du moment alors que – mais les analyses du livre n’en font pas état – le radicalisme chinois avait, au moment discours de Charles de Gaulle à Phnom-Penh, le 1er septembre 1966, commencé à diffuser de morbide métastases au Cambodge. Dans le petit royaume khmer, le maoïsme fut, moins de dix ans plus tard, expérimenté dans sa version la plus meurtrière et la plus manichéenne avec l’appui sans conditions de Pékin à partir de 1965, alors que Ieng Sary, le Khmer Rouge de souche chinoise assurait la liaison avec le bureau politique.

Une autre question qui mérite examen interroge les élites françaises sur leur ignorance presque complète de l’état de la politique intérieure chinoise et leur tendance à ne pas tenir compte des rapports précis qui leur étaient adressés. Vieil autisme jacobin qui associe le pouvoir au savoir dont il arrive aujourd’hui encore que les effets plombent la perspicacité des cabinets ministériels français.

 

 

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