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La Chine, la Russie et l’Ukraine. Les embarras de l’alliance sino-russe

Même s’ils reconnaissent que les deux événements ont une portée différente, les commentateurs de la presse américaine, dont l’opinion compte beaucoup pour les hommes politiques et le public chinois, mettent ces jours-ci assez souvent Moscou et Pékin dans le même sac pour juger des initiatives récentes de l’APL en mer de Chine face aux côtes malaises de l’État de Sarawak dans l’île de Borneo et celles de Poutine en Crimée, toutes deux vues comme une rupture du statu-quo aux effets dangereusement déstabilisateurs. Quant aux journaux hostiles à l’actuelle administration, ils fustigent la présidence américaine pour la faiblesse de ses réactions en Europe et en Asie.

Le 3 mars, le Washington Post publiait un éditorial intitulé « La politique idéaliste d’Obama repose sur une vision du monde fantaisiste » qui traçait un parallèle entre l’aventure militaire lancée par Poutine en Crimée et les pressions exercées sur les Philippines par Pékin et ses récentes initiatives de contrôle aérien et de surveillance des pêches dans de vastes espaces aériens et navals aux approches à l’Est et au Sud de la Chine. Reprochant à la Maison Blanche son manque de réalisme, l’auteur stigmatisait le « recul de la démocratie dans le monde » et stipulait que Poutine calculait le « coup suivant » vers la partie orientale de l’Ukraine, pendant que Pékin faisait de même en Mer de Chine.

Le rapprochement renvoyait à la propagande d’une Amérique idéale championne des droits confrontée à deux États cyniques jouant selon des règles différentes uniquement articulées autour de la force : « si la Russie a pu s’approprier si facilement une partie de l’Ukraine, qui empêchera demain la Chine de s’emparer des Senkaku ? ».

Au-delà de l’artifice rhétorique de cette comparaison qui place sur le même plan deux situations radicalement différentes, il faut bien reconnaître que Moscou et Pékin dont l’ouverture démocratique est chez l’un pour le moins fragile et chez l’autre encore dans les limbes, se sont d’abord l’un et l’autre efforcés d’augmenter la puissance de leurs armées pour tenter de combler le fossé qui les sépare de celles des États-Unis.

Ensuite, tous deux ont affiché une politique internationale ambivalente, axée sur la non intervention en Corée du Nord, en Libye, en Syrie et en Iran, mais beaucoup moins neutre à leurs approches directes. Au point que leur activisme militaire et les pressions exercées sur les voisins qui rappellent aussi l’empreinte américaine en Amérique Latine, donnent le sentiment qu’ils exhument les vieux réflexes de la guerre froide qu’on accuse Washington de vouloir perpétuer.

Adepte de la coopération économique et commerciale et du schéma « gagnant gagnant » en Asie, appuyé sur le vieux concept de « coexistence pacifique », Pékin n’a pourtant pas hésité à augmenter ses pressions sur l’Inde, le Japon et les pays de l’ASEAN pour affirmer ses prétentions territoriales. Dans l’affaire ukrainienne qui vient de déraper vers l’occupation militaire de la Crimée par l’armée russe, plaçant Moscou et Washington dans la position dangereuse d’un risque militaire direct, la diplomatie chinoise a appelé à la négociation et adopté une prudente réserve.

La crise, sans nul doute la plus grave depuis l’effondrement de l’URSS, replace soudain le continent européen au cœur des préoccupations stratégiques des États-Unis. Elle illustre quelques uns des malentendus qui président à la marche du monde depuis 1945 et lève un peu le voile des ambiguïtés de la politique extérieure chinoise et de ses embarras.
Ces derniers prennent racine dans les contradictions de sa proximité avec Moscou confrontée aux principes de non ingérence que Pékin respecte moins bien à ses portes qu’aux frontières de l’ancienne URSS.

A cet égard, la réaction chinoise aux tensions qui tiraillent les confins orientaux de l’Europe le long de failles envenimées par les nationalistes, sont l’occasion d’une réflexion sur les ressorts de la politique étrangère de Pékin.

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L’Ukraine, théâtre du cynisme des puissants embarrasse Pékin

Le 2 mars, le porte parole du MAE affirmait que la Chine restait fidèle à ses principes de non interférence dans les affaires intérieures, tout en précisant, comme pour excuser Moscou, mais sans élaborer, que « l’actuelle évolution de la situation en Ukraine pouvait s’expliquer ». La nuance signalait une irrésolution et un dilemme.

Elle-même confrontée aux irrédentismes au Tibet et au Xinjiang la Chine ne veut ni donner l’impression qu’elle soutient une ingérence militaire dans les affaires internes d’un pays souverain, ni qu’elle prend fait et cause pour Washington, qu’elle a toujours rendu responsable de l’épidémie de révolutions en Asie Centrale et sur les marches occidentales de l’ancien empire soviétique.

Toutefois, s’il est vrai que le 3 mars, les ambiguïtés n’étaient toujours pas levées, puisque Pékin n’a pas fait écho aux commentaires de Lavrov expliquant que la Chine et la Russie étaient solidaires, on peut conjecturer qu’aux Nations Unies le représentant chinois s’alignera sur le Russe.

Comme l’écrit assez cyniquement le Global Times au milieu d’autres commentaires dont celui de Xinhua qui stigmatisait l’Occident, responsable d’avoir à la fois antagonisé Moscou et provoqué une fracture en Ukraine, la seule logique qui prévaut dans cette situation est le rapport de forces.

Les racines complexes de la crise ukrainienne

Les événements à Kiev que la Chine suit avec attention depuis « la révolution orange » de 2004, dont Pékin anticipait déjà la capacité de perturbation de l’ordre né de la chute de l’Empire soviétique, renvoie non seulement à quelques grandes et très lourdes constantes historiques, mais également à l’accélération de nouvelles tendances très subversives que Pékin et Moscou font mine d’ignorer, mais qui portent de puissants ferments de déstabilisation de leurs systèmes politiques.

Les effervescences stratégiques qui se développent entre Kiev, Bruxelles, Moscou et Washington sont en effet le résultat du frottement de trois grandes plaques tectoniques de l’histoire : celle du berceau religieux des Slaves christianisés au XIe siècle, celle de la guerre froide où Kiev était à la fois un pion soviétique et le grenier de l’empire et celle, plus récente, du droit des peuples dont la force relayée par internet monte de manière à la fois irrésistible et désordonnée, souvent manipulée. A Kiev, cette mouvance s’est exprimée avec force contre les prévarications, l’arbitraire et les maquillages d’une oligarchie sévèrement corrompue.

Deux facteurs perturbants viennent compléter ce tableau. Le premier, très inquiétant, parce qu’il pervertit les revendications pour plus de droits, renvoie à la résurgence du nationalisme ukrainien radical, porté par un mouvement aux tendances paramilitaires dures et violentes historiquement lié à la collaboration de l’Ukraine avec l’Allemagne nazie. Le deuxième est la réouverture de la fracture nationaliste entre Russes et Ukrainiens, une plaie particulièrement sensible en Crimée tardivement rattachée à l’Ukraine (1954) et où la population est en majorité proche de la Russie.

Accessoirement, la situation, aboutissement d’une succession d’enchaînements néfastes et aveugles, est aussi le résultat de la faiblesse politique de l’Union Européenne, dont la bureaucratie atteinte d’une boulimie d’élargissements en partie contre la volonté des peuples, s’est depuis 1994 montrée incapable de gérer avec subtilité les contradictions et les tensions à l’œuvre sur le continent depuis la chute de l’URSS. Pour l’essentiel ces dernières sont nées des tendances contradictoires du désir d’Europe des anciennes républiques soviétiques, opposées aux efforts de retour de puissance de la Russie, qui utilise très efficacement l’arme de ses ressources d’hydrocarbures pour freiner son déclin.

Au passage, il n’est pas inutile de rappeler que c’est également autour du prix du gaz que se cristallisent aujourd’hui les principales tensions de la relation sino-russe, où Moscou dont l’influence rémanente en Asie Centrale reste palpable aux portes de la Chine, craint aussi d’être submergé par la force des injections financières chinoises dans les grands conglomérats russes du pétrole et du gaz.

Dans ce contexte très volatile, il faut tenter de décrypter le comportement extérieur de la Chine dont les attitudes envoient des signaux contradictoires selon qu’elles s’appliquent à sa zone d’intérêt stratégique direct ou à des régions plus éloignées de sa sphère d’influence. Une première approche consiste à examiner les écarts entre d’une part le discours officiel plutôt lénifiant et d’autre part les initiatives concrètes de Pékin sur le terrain.

Un autre décryptage moins orthodoxe spécule sur l’absence d’unité d’une politique étrangère en réalité toujours très opportuniste, dont les responsables n’ont jamais occupé une place éminente dans un système politique essentiellement tourné vers l’intérieur et, de ce fait, soumis à des influences concurrentes diverses au gré des rapports de forces politiques internes.

La récente création d’un organisme supervisant la sécurité nationale interne et externe, réplique des Conseils de Sécurité Nationaux existant en Occident, répond à cette exigence aujourd’hui pressante à mesure que l’ombre portée de la Chine s’allonge dans le monde.

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Les actes de la Chine contredisent le discours apaisant

Un document d’une vingtaine de pages datant de septembre 2013, rédigé par l’Institut de Shanghai pour les Etudes Stratégiques - 上海国际问题研究院 – rappelle que la « diplomatie chinoise privilégie les principes d’égalité, de respect mutuel, de confiance réciproque, d’échanges d’expériences, de coopération gagnant-gagnant, avec, comme objectifs essentiels, la stabilité, le développement économique et la paix ».

Après voir rappelé les priorités internes de réformes, de restructurations et de correction des dommages écologiques, l’étude insiste sur les bascules d’influence en cours dans le monde ; elle appelle à des relations entre les grandes puissances anciennes et nouvelles basées non pas sur les rivalités et les confrontations du passé, mais sur leur « coopération honnête et amicale » avec les pays en développement. Pékin dit aussi vouloir participer avec les autres grandes puissances aux efforts pour réformer le système de gouvernance mondiale et redéfinir des normes internationales permettant de « standardiser » les comportements et de mieux gérer les conflits d’intérêts.

Pourtant tout indique que depuis quelques années la Chine n’est plus perçue par l’image apaisée qu’elle tente de donner d’elle-même. Avec 20% de la population mondiale et la deuxième économie de la planète, de plus en plus vorace en énergie et en matières premières, elle pèse toujours plus lourdement sur les affaires d’un monde encore calibré à l’aune des intérêts occidentaux, tandis que sa montée en puissance dérange. Le surgissement dans les anciens équilibres d’un ensemble démographique aussi vaste, encore animé, malgré la crise, d’une croissance bien plus forte que celle des pays développés, soulève une longue série de questions.

Ces dernières interrogent Pékin sur ses intentions réelles, tant sur les plans économique, commercial et juridique, que dans le domaine stratégique. Ces questionnements laissent entendre qu’à l’Ouest, on doute de la montée en puissance pacifique de la Chine et de ses intentions de se couler docilement dans des règles globales édictées par d’autres. Avec Moscou, Pékin remet en cause le magistère occidental à propos de la Corée du Nord, de la Syrie et de l’Iran, critiquant les politiques de sanctions et les tentations de la force, tandis que son ombre portée, y compris militaire, s’allonge en Asie, où elle réfute la légitimité de l’aéronavale des États-Unis, qu’elle accuse d’attiser les tensions au lieu de les apaiser.

En réalité, tout indique qu’en dépit de ses discours, la Chine conteste l’actuel cours du monde, d’abord parce qu’elle craint que, dans l’état des rapports de forces, l’initiative reste dans la main des États-Unis, devenus à la fois son partenaire obligé, le miroir de sa puissance à venir, et son principal rival stratégique.

Il est clair que les puissances occidentales héritières de l’après-guerre, tétanisées par la crise, acceptent de plus en plus mal l’intrusion dans leur jeu du colosse chinois, jaloux de son espace stratégique direct, en quête, partout dans le monde, de cibles pour ses investissements, et avide de ressources, de technologies, de marchés et d’influence. (Les trois paragraphes qui précèdent sont un extrait d’un article de François Danjou publié dans la Revue de la Défense Nationale de janvier 2013).

Provocations chinoises en mer de Chine et réactions des riverains

Un des derniers exemples des initiatives chinoises ayant éveillé la méfiance des voisins de la Chine après les échauffourées régionales avec l’Inde, le Japon, les Philippines et le Vietnam a eu lieu récemment au large des côtes de Bornéo, à 110 km des côtes de l’État malaisien de Sarawak.

Le 26 janvier, pour la deuxième fois en 10 mois, la marine chinoise s’est projetée à plus de 1800 km de ses côtes pour organiser un exercice auquel participaient au moins 2 destroyers dans les parages des récifs de James Shoal (Zengmu en Chinois 曾母暗沙) à l’intérieur de la ZEE malaisienne que Pékin revendique par sa « ligne en 9 traits », transformant la presque totalité de la Mer de Chine du sud en mer intérieure chinoise.

Lire notre article Vacuité diplomatique et crispations militaires dans le Pacifique occidental.

S’il est vrai que Kuala Lumpur reste un allié de Pékin visité par le Président Xi Jinping à l’automne dernier sur fond de promesses d’expansion du commerce bilatéral à 160 Mds de $ en 2017 ; s’il est également probable que la Malaisie n’adoptera pas la même stratégie de confrontation avec Pékin que Manille au tribunal international du droit de la mer, la répétition des manœuvres chinoises aux abords des côtes de Sarawak a provoqué un subtil changement dans l’attitude des autorités malaisiennes.

Un discret raidissement de Kuala Lumpur qui va exactement contre les intérêts stratégiques chinois, au point qu’il est légitime de s’interroger sur la rationalité des démonstrations de forces nationalistes de l’APL, alors que plusieurs pays de l’ASEAN considèrent la marine des États-Unis, que la Chine voudrait pourtant éloigner de la zone, comme une assurance ultime de sécurité.

Tous les témoins avertis ont d’abord constaté un plus grand activisme de la Malaisie pour promouvoir une position commune de l’ASEAN face à la Chine le 18 mars prochain à Singapour, lors des échanges sur le code de conduite destiné à réduire les risques d’escalade militaire ; Moins d’une semaine après l’épisode des récifs de James Shoal de janvier dernier, le MAE malaisien Anifah Aman s’est rendu à Manille pour y rencontrer son homologue ; le 18 février, des émissaires du Vietnam, des Philippines et de Malaisie se sont rencontrés pour coordonner leur position face à Pékin.

Selon un témoin, les trois se seraient mis d’accord pour rejeter la ligne en 9 traits chinoise. Cette stratégie aura probablement été évoquée par Benigno Aquino lors de sa visite en Malaise fin mars. Il est peu probable que le président Obama ne la remette pas sur la table lors de sa visite à Kuala Lumpur en avril.

Washington saisit d’ailleurs l’opportunité pour hausser le ton : le 13 février le commandant de la marine américaine l’Amiral Greenert a pour la première fois assuré que l’US Navy viendrait au secours des Philippines dans le cas d’un conflit avec la Chine. Le pentagone a également promis une assistance à la Malaisie pour créer une unité de « Marines » dont une partie serait stationnée sur la côte de Sarawak.

Ainsi, par ses démonstrations de force, Pékin aura directement provoqué deux incidences contraires à ses intérêts : le regroupement sous la bannière de l’ASEAN des riverains de la mer de Chine inquiets de la montée en puissance coercitive de l’APL et une plus grande pertinence de la présence militaire américaine dans la zone, vue par certains comme le seul contrepoids crédible aux pressions chinoises.

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Une stratégie extérieure éclatée

On le voit, les actes parfois provocateurs de la politique étrangère chinoise contredisent ses bonnes paroles et induisent des raidissements qui gênent ses objectifs du long terme. Cette réalité renvoie à l’idée d’une absence de coordination des stratégies extérieures dans un contexte où les diplomates ou responsables des Affaires stratégiques n’ont jamais eu de véritable influence dans ce système très tourné vers lui-même. Après le maréchal Chen Yi, MAE de 1958 à 1972, seulement 2 des ministres des Affaires étrangères – Wu Xueqian (1992 – 1988) et Qian Qichen (1988 – 1998) ont été membres du Bureau Politique.

Aucune stratégie au monde n’est jamais complètement rationnelle et aucune n’est un modèle de cohérence dans le temps et dans l’espace, d’autant que les situations et les rapports de forces dans le monde évoluent. Mais en Chine, du fait du moindre poids de l’appareil diplomatique, la politique étrangère est sous l’influence d’une série de groupes d’intérêts qui vont du ministère du commerce aux grands groupes publics en passant par les lobbies de l’énergie, l’appareil de sécurité, l’école du Parti qui tentent de tenir les influences étrangères à distance. L’Armée Populaire de Libération, elle-même éclatée en divers groupes d’intérêts, que sont les différentes armées, les commissaires politiques, les forces nucléaires, le Département général logistique, l’état-major des armées etc. n’est pas en reste.

Dans un récent papier Jonathan Fenby, (successivement journaliste chez Reuter, à The Economist, au Guardian à l’Observer et au south China Morning Post, auteur de « the History of Modern China : The Fall and Rise of a Great Power », Penguin Press and Harper Collins, 2008) va plus loin en expliquant en forçant le trait que la politique étrangère chinoise, sous l’influence de groupes de pression variés, souvent en compétition entre eux, poursuit des objectifs différents selon l’époque, selon les acteurs et selon les zones géographiques.

C’est bien cette absence de cohérence qui avait déjà conduit le Bureau Politique à décider en mars 2013 le regroupement sous une même autorité des quatre flottilles paramilitaires - surveillance maritime, garde-côtes, assistance aux pêches et douanes - dont la présence, parfois désordonnée autour des zones contestées porte d’importants risques de dérapage.

L’éclatement des responsabilités est aussi à la racine de la décision prise en janvier dernier par le Bureau Politique de placer le Président Xi Jinping à la tête de la nouvelle Commission de sécurité en charge de superviser les crises internes et externes et dont la mise sur pied avait été jusqu’à présent freinée par l’APL opposée à la prise de contrôle des questions de sécurité par l’appareil civil.

La Commission dont les vice-présidents sont le premier ministre Li Keqiang (n°2 du Parti), et Zhang Dejiang (n°3), président de l’ANP, a désormais la charge de coordonner en priorité les mesures de sécurité intérieure face aux questions ethniques au Xijiang et au Tibet et de gérer les tensions avec l’ASEAN et le Japon, qui s’était lui-même doté d’un Conseil National de Sécurité en 2012.

Il est certain que la question ukrainienne et ses implications pour la Chine ont été évoquées en Commission par Xi Jinping qui était avec de nombreux autres chefs d’État aux côtés du président Poutine le 7 février dernier lors de l’inauguration des jeux de Sotchi, premier grand événement international organisé par la Russie depuis 1991 et boudé par les États-Unis, le France, l’Angleterre et l’Allemagne. C’est ce qui a permis à Willy Lop Lam qui lui aussi force le trait, de décrire l’événement comme une « quasi alliance anti-américaine » entre la Russie et la Chine.

NOTE de CONTEXTE


Une fracture des confins d’Europe : l’Ukraine

Par Yannick Harrel 9 décembre 2013.

Lorsqu’en 2010 le Président ukrainien Victor Yanoukovitch est enfin élu après son échec six ans plus tôt, c’est un rebalancement de l’équilibre politique intérieur de l’Ouest ukrainien nationaliste vers l’Est pro-russe qui s’est effectué avec l’apport des déçus de la Révolution Orange de 2004. Les déchirures entre le Premier Ministre Ioulia Tymochenko et le Président d’alors Viktor Iouchtchenko précipitèrent il est vrai la victoire du camp de Yanoukovitch.

Avant d’être désavoué par Poutine, Yanoukovitch avait réussi à obtenir un accord sur le gaz profitable à son pays non sans rompre les liens et les velléités d’arrimage à l’Union Européenne. Il a cependant été acculé à un choix qui causa sa perte : celui d’entrer dans l’orbite de l’Union Européenne dont l’Ukraine avait manifesté sa volonté d’être membre depuis… 1994, acté par un accord d’association. Renforcé par un accord complémentaire sur la liberté du commerce transfrontalier en 1999 qui ne sera pourtant finalisé qu’en… juillet 2012.

Dans le même temps, la Russie en oripeaux des années 1990 s’est relevée, a recomposé les moyens de sa puissance et par là même de sa politique étrangère sous la houlette de Vladimir Poutine. S’offrant un levier de première importance par le pétrole et surtout le gaz via des conglomérats survitaminés, les autorités russes ont employé à plusieurs reprises l’arme redoutable qu’est la menace de couper la distribution de gaz (mise à exécution contre la Biélorussie et l’Ukraine, dont la plus importante démonstration fut la crise de l’hiver 2004-2005).

Par ailleurs, la Russie mit en porte-à-faux les dirigeants occidentaux en insistant sur le fait que les prix du gaz préférentiels autrefois accordés sous l’Union Soviétique ne pouvaient plus avoir cours après les indépendances. Affirmant que les anciennes Républiques soviétiques devaient désormais être traitées comme des clients et des espaces de transit, Moscou avait beau jeu de souligner que tel était au fond la logique du système libéral économique défendu par les Européens et les Américains.

Un accord en avril 2010 entre Medvedev et Yanoukovitch mit cependant temporairement fin à la crainte récurrente d’une coupure en l’assortissant de clauses diverses dont la reconduction du bail pour vingt-cinq ans du port de Sébastopol au profit de la marine russe. Au passage, Yanoukovitch en profita pour faire accuser de corruption l’ancienne égérie de la révolution de couleur, Ioulia Tymochenko, qui fut à l’origine du précédent accord gazier bilatéral : une manière de solder le camouflet de 2004.

Après l’échec du sommet de Vilnius les 28 et 29 novembre 2013 où le président Yanoukovitch avait maintenu sa préférence pour Moscou, c’est vers l’Union Eurasiatique (EURASEC) que se tournèrent désormais les têtes à Erevan et Kiev. Il s’agit d’un ensemble économique de libre-échange regroupant pour l’heure la Russie, le Kazakhstan et le Bélarus, visant à faciliter le transit de marchandises en levant les obstacles douaniers, avec en ligne de mire une union plus large visant les personnes, les capitaux et la monnaie (sous une forme à déterminer).

C’est en effet le dilemme qu’eurent à évaluer les autorités ukrainiennes : l’étape de plus vers l’Union Européenne fermait les marchés de cet ensemble. Une menace même pas voilée depuis le Kremlin rappelait que la Russie était, et de loin, le premier client de l’Ukraine à hauteur de 25% de ses exportations et dessinait une perspective de complications administratives et d’étranglement économique dans un contexte où l’envolée presque ininterrompue depuis 2007 de la dette ukrainienne laissait craindre le pire.

Il est aussi vrai que l’état économique peu reluisant de la zone Euro, l’une des plus neurasthéniques du monde selon les chiffres de la Banque Mondiale en terme de croissance du PIB, n’appelait guère à l’enthousiasme quant à une compensation des pertes des marchés de l’Est pour des gains substantiels de ceux de l’Ouest.

En outre, il n’est pas impossible que la décision de Yanoukovitch se soit aussi jouée en considérant les réseaux d’acheminement concurrents de gaz et de pétrole dont les plus emblématiques sont South-Stream et Nabucco. Le plan des ressources énergétique, dont le choc South-Stream / Nabucco fut le plus emblématique s’est soldé à l’avantage de la Fédération de Russie : cette dernière ayant non seulement avancé sur la réalisation technique du projet South Stream (mise en activité prévue pour 2015) mais aussi sur la finalisation des accords bilatéraux permettant le transit des pipes (avec le rôle géostratégique de la Turquie en arbitre).

En novembre 2013 Nabucco recevait un quasi-coup de grâce par le consortium SDC mené par BP qui pour le très stratégique gisement de Shah Deniz II d’Azerbaïdjan, déclara opter pour Trans Adriatic Pipeline, un troisième projet concurrent. Privant de facto Nabucco d’une alimentation essentielle pour atteindre ses objectifs de rentabilité.

Cette donne de la manne énergétique et sa répartition n’a pas peu joué sur l’évaluation pessimiste des dirigeants ukrainiens d’échapper à la fermeture des vannes depuis la Russie.

 

 

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